B- LES CAUSES EXTERNES.

 

1 - Rupture avec La Porte.

 

Dès le XVIIIème siècle, l’Empire ottoman perdait de plus en plus de sa vigueur. Le pouvoir central se disloquait et la marine n’avait plus la maîtrise de la mer, ni l’initiative des opérations, comme avant. Les intérêts de la Régence s’opposaient souvent à ceux de Constantinople. Alors, la tension entre les deux pays devenait-elle fréquente et les relations s’envenimaient.

 

En décembre 1747, le Sultan fit signifier, par un capigny bachi, aux trois Régences, la défense de laisser entrer leurs corsaires dans l’archipel pour y attaquer les navires des puissances en paix avec lui, et notamment, les Napolitains.

 

Les Algériens ne firent nullement cas de ces injonctions. Ils défendaient leurs intérêts. L’ambassadeur de France à Constantinople, écrivant à la Chambre de Commerce de Marseille, crut bon d’annoncer les moyens « de réprimer les excès des Algériens et assurer désormais la tranquillité des navigateurs»  par une intervention « sincère et pressante de La Porte» . Convaincu que toutes les difficultés étaient enfin surmontées, il annonça la nomination de Hussein Zadé Said Bey comme envoyé à la Régence d’Alger... Ce dernier « reçut les instructions les plus détaillées, les pouvoirs les plus amples et l’ordre formel de se concerter dès le premier moment de son arrivée avec le chargé des affaires du Roi qui dirigera toutes ses démarches[1]. »

 

Chaque initiative des Algériens, contraire aux instructions du Grand Seigneur, rendait l’animosité entre les deux capitales plus aiguë Un rapport de Dubois Thainville retrace la crise que traversait, à l’époque, les relations algéro-ottomanes : « Wakil-Hardj arrive à Constantinople, vers le 20 brumaire. Il fut aussitôt mandé à bord du Captan Pacha. Cet amiral lui reproche, dans les termes les plus durs, le mépris porté aux firmans de La Porte, l’arrestation et la captivité de cinq à six-cents sujets du Grand Seigneur, la confiscation d’un grand nombre de bâtiments impériaux et enfin, la paix conclue avec les Français...

 

D’après les ordres du capitaine Pacha, le pavillon d’Alger fut abattu de la manière la plus ignominieuse et le « Wakil al-Hardj et toute sa suite, furent mis en état d’arrestation. Les présents et les sommes particulières furent séquestrées [...] La défense sous peine de mort de s’enrôler sur les bâtiments algériens fut publiée dans toute la ville[2]. »

 

De défi en défi, les choses se gâtèrent sans espoir de trêve ou d’amélioration.

 

 

« Le pavillon ottoman même, ne suffit pas pour protéger les sujets grecs et les mettre à l’abri des attentats des corsaires Algériens » rapporte Sydney Smith dans son mémoire[3].

 

Avec l’Egypte, les incidents se multipliaient. En 1814, le Dey, dans le but de porter atteinte au commerce de ses rivaux de Tunis, de Tripoli, fit pendre les équipages de quelques bâtiments de l’archipel, d’Egypte et de Tunis chargés de blé et tombés en son pouvoir. Le pacha du Caire, par représailles, fit arrêter tous les Algériens qui se trouvaient dans ses provinces et réclama, en vain, la restitution des cargaisons saisies par Alger.

 

Le Sultan vit « avec indignation et même avec rage qu’un vassal révolté ose se permettre les actes les plus outrageants, les plus atroces contre ses sujets paisibles[4]. »

 

Le 2 juillet 1815, Muhammad Husrew[5] rapportait à Mahmûd II, au sujet du Dey que « depuis que cet homme est gouverneur d’Alger, des injustices ont été commises à l’égard des chrétiens avec lesquels l’amitié s’est transformée en querelle et en agression[6]. »

 

Cette crise qui dura jusqu’à 1830, fut préjudiciable aux deux pays, également visés par les puissances européennes. Au sujet de la course, La Porte prétendait avoir le dernier mot, quant au pays à combattre et aux traités à signer. La guerre ne devait être déclenchée que contre les ennemis du Sultan. Mais Alger ne l’entendait pas ainsi et voulait avoir les mains libres. En matière de paix ou de guerre, ses intérêts seuls lui dictaient sa politique.

 

L’incompréhension persistait, durant la guerre gréco-turque, les Algériens s’attaquaient aux insurgés pour venger les Musulmans victimes des atrocités et pour arrêter les méfaits de leurs ennemis. Mais La Porte considérait les Grecs comme sujets ottomans et refusait au Dey le droit de les poursuivre[7].

 

Aussi les Algériens qui trouvaient jadis refuge dans les ports méditerranéens dépendant du Sultan et bénéficiaient d’aide accordée par les commandants des places fortes maritimes, perdirent ces précieux avantages. Les représailles ne devaient pas s’arrêter là. En novembre 1827, soit quelques mois après le commencement du blocus d’Alger, les relations diplomatiques entre la France et La Porte furent rétablies et l’embargo mis par le gouvernement turc sur les bâtiments européens fut levé.

 

Mais la mesure la plus dure prise à l’encontre d’Alger fut l’interdiction faite aux Turcs de s’enrôler dans les troupes de la Régence. La lettre du Dey, en date du 19 novembre 1827, traduit le désarroi dans lequel se trouvait la Régence face à la faiblesse de ses effectifs. Depuis plusieurs années, l’Odjaq victorieux n’a pas reçu de troupes du côté de l’Anatolie... Nous sollicitons son (le Sultan) consentement afin qu’il accorde ses hautes faveurs souveraines en autorisant l’envoi en ces temps, d’une certaine quantité de troupes de la ville de Smyrne et des autres régions côtières[8].

 

L’attitude de La Porte à l’égard d’Alger était, au début de 1830, empreinte d’indifférence. Dans une lettre de Guilleminot à Polignac, en date du 6 janvier, le diplomate disait que « La Porte s’embarrassait peu de sort à Alger[9]. » Et dans sa réponse, le Président du Conseil prétendait que « La Porte, en déclarant qu’elle n’a rien de commun avec Alger... reconnaît elle-même qu’elle ne conserve plus avec la Régence aucun des liens qui constituent les rapports d’un souverain envers ses vassaux. Elle se place en dehors du différend que nous avons par la suite[10]. »

 

A Mimaut, Polignac disait que « La Porte persiste à vouloir garder la neutralité dans cette question [.,.] par conséquent Taher Pacha n’irait point à Alger[11]. »

 

2 - Hostilité des pays voisins

 

Maroc, Algérie, Tunisie et Régence de Tripoli coexistaient mais sans lien. L’ignorance des intérêts communs et des menaces extérieures qui planaient sur tous ces Etats furent à l’origine de cette absence préjudiciable de solidarité. Conflits armes, animosités sans fin entre dirigeants, calculs mesquins profitèrent amplement aux ennemis communs qui préparaient l’invasion.

 

Ecoutons Petis De La Croix : « Les trois républiques d’Alger, Tunis et Tripoli ne s’unissent pas, ordinairement, quand elles sont attaquées. Elles sont différentes et n’ont rien de commun que la religion et la dépendance honoraire dont ils reconnaissaient le Grand Seigneur[12]. » Trois ans plus tard, le même auteur ajoutait: « jamais les puissances de Barbarie ne s’unissent ensemble, quoique depuis la guerre d’Alger contre Tunis, il semble que les Tripolitains aient secouru Alger[13]. »

 

L’Europe pratiquait la politique de division. « On usait, contre les Régences, d’artifices. On cherchait à les diviser, à n’être en guerre avec toutes ces Républiques à la fois ; pendant que l’on armait contre une, on ménageait l’autre[14]. »

La rivalité entre les trois Régence se montra d’une façon claire lors du blocus d’Alger. Non seulement les pays frères ne bougèrent pas mais souhaitaient « la punition » du Dey. « Il n’est pas, dit un document de 1828, jusqu’aux Régences de Tunis et de Tripoli qui ne s’attendent à nous voir tirer de celle d’Alger une vengeance éclatante [...] jalouses d’Alger, en qui d’ailleurs elles trouvent un ennemi toujours prêt à abuser de la supériorité de ses forces, elles verraient avec joie, humilier cette Régence[15]. »

 

Entre la Régence et le Maroc, les sujets de tension ne manquaient point. Aussi, sous les Sa’adiens, comme sous les ‘Alaouites, les appétits territoriaux provoquèrent de nombreuses guerres entre les deux voisins.

 

Cependant, dès 1709, Alger proposa au Sultan Mawlây Ismâ’îl un renfort maritime contre Ceuta[16], et demanda, en échange, le vieux Tanger pour y établir une garnison et y construire un port où ses marins puissent relâcher. Le monarque refusa.

 

Par contre, le Maroc, entre 1760 et 1777, conclut une série de traités avec presque toutes les puissances européennes : en 1773, avec le Portugal ; en 1774, l’Espagne « ne néglige aucun moyen de capter la bienveillance de l’Empereur et lui donne des preuves journalières de sa générosité[17]. » Le traité de paix sera signé en 1780. Avec les Etats Unis, l’accord sera signé en 1787.

 

Lors de l’invasion de l’Egypte par Bonaparte, Mawlây Slimâne (1792-1882) rejeta les propositions du sultan ottoman de déclarer la guerre à la France. Mieux encore, il désarma les derniers navires de sa flotte devenue sans objet depuis le décret d’abolition de l’esclavage des chrétiens promulgué en... 1767 par Mawlây Muhammad.

 

Les relations algéro-tunisiennes étaient plutôt mauvaises. Alger et Tunis formaient deux Régences placées chacune sous l’autorité d’un chef turc relevant, théoriquement, du Sultan ottoman. Mais d’innombrables conflits d’intérêts les opposaient : tracé de frontière, tributs, course, guerre entre prétendants tunisiens... Du XVIIème siècle, les guerres éclataient entre les deux pays pour des raisons quelconques[18].

 

C’est pourquoi la Tunisie était le pays qui nourrissait le plus de haine à l’encontre d’Alger.

 

En octobre 1687, « Mercure Galant» écrit que « depuis la rupture, les Français ont coulé huit à dix vaisseaux algériens. Les Tunisiens, sollicités par leurs voisins de rompe avec la France, s’y sont refusés. »

 

L’agent russe, Matei Gregorievitch qui, passant par Tunis vint en 1777, étudier le littoral de l’Est algérien, notait que « le gouvernement du pays a une grande haine pour les Algériens et est très désireux de les assujettir, c’est cela que, non seulement, il ne défend pas selon ses obligations, mais encore dans le cas d’une guerre des puissances européennes contre les Algériens, les Tunisiens sont prêts à apporter leur aide contre ces derniers, bien qu’en cachette[19]. ». Laugier De Tassy fit la même constatation : « Les Tunisiens, dit-il, se réjouissent de tout malheur et affaiblissement des Algériens. » Le consul de Kercy, préparant son plan d’invasion de la Régence, tenait compte de ces sentiments algérophobes : « Alger détruit, écrit-il, le Bey de Tunis deviendrait un grand prince. Sa nation est commerçante et n’est pas guerrière. En détruisant Alger, on imposerait à son gré la loi de Tunis. On pourrait lui interdire la course[20]. »

 

Le blocus de Bône n’ayant pas été signalé au Bey de Tunis, un incident survint mais fut vite réglé. Le voltigeur, commandé par Du Petit Thouars avait capturé un petit navire tunisien qui tentait d’entrer dans le port algérien. Les Français s’empressèrent de rendre le bâtiment et le Bey promit de punir le Raïs, prit les mesures pour que ses unités ne dépassent pas Tabarque. Il fit distribuer des rafraîchissements à l’équipage du bateau capteur[21].

 

Lors du blocus d’Alger, le Bey favorisa l’action de la France en augmentant l’effectif des troupes stationnées sur le front ouest, en armant quatre chaloupes canonnières « pour protéger les bâtiments français contre les entreprises des corsaires algériens dont la témérité est connue[22]. »

 

Deux agents français, Raimbert et Gerardin disaient qu’ « on pouvait compter sur la neutralité sympathique de Tunis et du Maroc. »

 

En avril 1830, le gouvernement français dépêcha ces deux agents en mission à Tunis pour « sonder les dispositions du Bey d’ouvrir une source féconde aux approvisionnements de l’armée, d’agir sur le moral des populations maures et arabes... de détacher du Dey d’Alger, le Bey de Tunis et le Sultan du Maroc et, si possible, les beys d’Oran et de Constantine.

 

 

Quelques jours à peine, d’Aubignac confiait au commandant en chef des forces françaises qu’« au sujet des Etats voisins d’Alger, leur fidélité à l’alliance du Dey était [...] à la merci d’un succès de l’armée française ; c’était la disposition commune de Tunis, du Maroc[23]. Certes, un sentiment militaire contre l’appui à la France : le sentiment religieux qui faisait craindre la domination chrétienne. Mais en dépit de cette réserve, le Bey de Tunis se montrait prêt à autoriser toute espèce d’achat dans ses états et à devenir, lui-même, fournisseur « pourvu que sa coopération resta secrète. » Il annonça que ses navires étaient prêts à partir de La Goulette pour porter « la viande, les légumes, le sel dont les prix avaient quadruplé dans la Régence depuis le blocus. »

 

Polignac, dans une communication faite devant la Chambre, le 11 mars 1830, résumait bien la désunion des pays musulmans face aux entreprises européennes.

 

« Nous sommes, dit-il, dans un état de parfaite intelligence avec l’Egypte, comme avec les autres provinces de la domination du Sultan, nos relations avec Tripoli sont incertaines... Nous sommes en état de paix avec Tunis et avec l’Empire du Maroc. Le Roi s’est décidé à mettre fin, par une expédition de terre et de mer à la guerre qui se poursuit, depuis trois ans, contre la Régence d’Alger. C’est uniquement contre cette Régence que sont dirigés les préparatifs militaires qui se font en ce moment dans nos ports[24].

 

A peine De Bourmont était-il à Sidi Fradj que le Bey de Tunis dépêcha un émissaire pour complimenter le général. Bien que l’expédition de 1830 prît l’aspect d’un conflit entre une puissance chrétienne et un Etat musulman, et bien que l’intervention militaire créa un précédent, le Bey et une partie de l’opinion tunisienne éprouvèrent une satisfaction tellement la rancœur et la rancune avaient aveuglé les gens.

 

3 - L’Europe et la puissance navale.

 

L’armement européen était en progrès constant. Colbert avait pris le département de la marine en 1661 avec trente bâtiments de guerre. Quand il mourut, le 9 septembre 1683, il en laissa deux-cent-soixante-seize, et sept mille six-cent-vingt-cinq pièces d’artillerie. Il avait restauré la marine sans augmenter les impôts.

 

Au XVIIIème siècle, l’Europe connut, grâce à la révolution industrielle et technique, une supériorité économique et militaire. Le développement toucha tous les secteurs d’activité. La population s’accrut avec constance au grand profit du continent. La vitalité de l’homme et l’extension du machinisme permirent un décollage général.

 

Face à ce prodigieux accroissement de la puissance militaire et naval, en particulier, la Régence manquait, faute d’argent, de progrès technique et paix intérieure, de moyens capables de la placer au niveau de ses adversaires. Artillerie et marine se contentèrent de choses dépassées et défectueuses.

 

L’écart, puis le déséquilibre défavorable à Alger, firent passer les nations chrétiennes de la défensive (fortifications des rivages, batteries côtières, places fortes, milices et troupes de campagne...) à l’offensive. Expéditions et croisières avec plus de succès, renversèrent la situation, en Méditerranée.

 

Même les petits Etats levaient la tête. Naples se mit à armer des frégates et à faire la chasse aux bâtiments algériens. Malte se dota de frégates doublées en cuivre. Le Portugal faisait garder le détroit de Gibraltar, été comme hiver, par des navires très performants, « de sorte qu’il ne restait aux Algériens que les côtes d’Italie[25]. »

 

Napoléon accorda une attention particulière à la construction navale. Ses lettres, adressées de Tilsit, en juillet et août .1807, après le traité franco-russe, sont significatives : à son fils, il annonce la construction de trois vaisseaux de 74, sur le chantier de Venise, « ce qui ferait huit vaisseaux en construction[26]. » Au vice-amiral Decrès, il dit : « Cinq vaisseaux sont prêts à Flessingue, et bientôt huit... Activez les moyens ordinaires pour que les ports Lorient, Rochefort et Toulon prennent un nouveau caractère d’activité. Tout porte à croire que la guerre du continent est terminée. Tous les efforts doivent se jeter du côté de la marine. Prenez toutes les mesures pour faire finir « Le Superbe » à Gênes [...] Il importe beaucoup d’avoir une escadre en Méditerranée[27]. »

 

A son fils, tout en lui faisant part de trois vaisseaux en chantier à Venise, il lui demande s’il avait « les mâts, les voiles, les cordages, les ancres, les canons, tout cela commence à devenir, aujourd’hui, d’une grande importance [...] Il faut désormais beaucoup s’occuper de la marine[28]. »

 

Bonaparte voulait réunir à Toulon le plus de vaisseaux, une escadre « en état d’aller en mer, » des sorties « afin de perfectionner l’arrimage... car il avait compris le rôle de la marine dans la lutte pour l’hégémonie en Méditerranée.

 

4 - La suprématie anglaise

 

Pour dominer une partie du monde, l’Angleterre entreprit dès le XVIème siècle, une politique qui lui assura peu à peu la maîtrise des eaux. Ses principes constants étaient :

 

1- Rechercher partout la destruction des flottes militaires ennemies.

 

2- Saisir, solidement, des bases bien choisies pour interrompre les communications maritimes des adversaires[29].

 

Et comme la France avait un besoin impératif de voies maritimes, la Hollande de la mer et l’Espagne de l’or de l’Amérique, l’Angleterre, comprit très tôt l’importance stratégique de la Méditerranée. Elle se mit à la recherche de bases permanentes. Cromwell voulut s’emparer de Tanger, d’Oran ou de Gibraltar[30].

 

Avec une marine de jour en jour grandissante, la domination sur les mers devint irrésistible. La France et les Etats italiens riverains sentirent la menace. La guerre de sept ans donna, aux corsaires anglais, l’occasion de montrer leur audace[31].

 

De 1793 à 1795, l’Angleterre avait en mer : 12 vaisseaux de ligne, 32 frégates, 71 corvettes, soit 115 bâtiments. En 1796, elle entretenait des stations en Méditerranée, sur la côte d’Afrique, à Gibraltar[32].

 

Elle eut recours aux croisières également. Elle disposait de plus en plus de navires que tout le monde commerçant[33].

 

Jusqu’à 1805, la gloire de Napoléon avait un certain impact sur le gouvernement d’Alger. Mais après Trafalgar[34], les Anglais exploitant leur succès, supplantèrent les Français dans les concessions de l’Est algérien.

 

Agents actifs et discrets, ils visaient à travers les comptoirs, à assurer leur supériorité en Méditerranée, le ravitaillement de Gibraltar et de Malte, concurrencer puis s’opposer à la marine algérienne. Ce fut le cas en 1816 et 1824.

 

Les Algériens eurent une confiance excessive dans des Anglais qui, dès le début du XIXème siècle étaient bien établis dans la Régence. Un consul actif, des visites fréquentes de frégates anglaises entre Malte et Alger, des marchands anglais entreprenants, le consul Blankley à la tête de l’exploitation du corail en 1807... La présence britannique devenait lourde de conséquences...

 

Avec une marine moderne et nombreuse, les rois et princes d’Europe qui achetaient jadis les faveurs du Dey, durcissaient le ton. Les menaces belliqueuses se substituaient à la recherche d’arrangements. Le climat politique s’y prêtait. « Que l’existence de la puissance algérienne est une honte pour l’Europe[35]. »

 

Orateurs et politiciens rivalisaient d’ardeur guerrière. Bonaparte songeait en finir avec Alger. Un des articles secrets signés avec le Tsar de Russie, en 1807, prévoyait l’annexion de l’Afrique du Nord, et le séjour à Alger du commandant Boutin entrait dans le cadre du plan élaboré.

 

Dans un mémoire présenté au Congrès de Vienne, par le commandeur Vie De Cesarini, en septembre 1814, on peut lire : « Trois forbans, parjures envers tous les souverains en usurperont-ils éternellement les titres, les emblèmes et les tributs ? Le prince d’Alger, hors d’Alger, ne serait qu’un brigand ! Brigand formidable Anéantissons-le dans une confédération maritime ! »

 

Lord Sheffield considérait la puissance d’Alger comme un véritable obstacle au développement de la prospérité maritime des Etats Unis[36].

 

L’attaque de Lord Exmouth, en 1816 et la destruction d’une grande partie de la flotte ne fut que le commencement d’un vaste complot visant à mettre à genoux une république qui refusait de plier. L’arrogance de Deval ne connaissait plus de borne ; il prétendait devant le Dey « posséder le bastion de France, la pêche du corail et... le droit de souveraineté sur les Arabes de la Ma’zoula (les environs de La Calle[37]. »

 

Ainsi, la supériorité navale, les menaces, et les attaques lancées contre un pays assiégé par les difficultés croissantes, préparaient lentement mais sûrement la chute.



[1] A.C.C.M. Lettre du 30 avril 1789.

[2] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 14.

Rapport de Dubois Thainville qui dit tenir ces détails de Baimbridge, commandant de la frégate américaine « Le Washington. »

[3] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, Afrique, t. 6 (1808-1822).

[4] Même source.

[5] Ministre ottoman de la Marine de 1811 à 1817 et de 1822 à 1826.

[6] Tamîmî, Recherches, p 210 ; Documents Inédits, R.O.M.M. 1 -2/1968, p. 112.

S’agit-il de Hadj ‘Ali (février 1809-avril 1815) ou de son successeur ‘Umar Agha (avril 1815-octobre 1817) ?

Dans une lettre au Sultan Mahmûd II, ‘Umar dit que l’attaque des bateaux européens par la marine d’Alger se trouve justifiée par « le manque de vivres en Turquie et dans les pays méditerranéens... C’est pour cela que les janissaires avaient agi contre les ordres de la Sublime Porte en s’emparant de bateaux chargés de provisions les empêchant d’aller vers l’Europe. » Indigné, le Sultan confisqua un fondouk que la Régence avait-fait batîr à Smyme pour servir de caserne et de dépôt à ses recrues ; il retira toute créance aux agents du Dey, donna ordre à sa flotte de courir sus aux bâtiments algériens et envisagea même une expédition contre la Régence. ‘Umar dut dépenser de gros efforts pour faire tomber, quelque peu, cette tension (Ibid., p. 119).

[7] Lettre de menace de Mahmûd au Dey Husayn Pacha dans « Madjallat at-Tarikh, » 11/1981.

[8] Lettre publiée dans R.A., 1952.

[9] Lettre chiffrée envoyée de Constantinople.

A.N.Aff.Etr. Correspondance politique, Turquie 260, f° 8.

[10] A.N.Aff.Etr. Correspondance politique, Turquie 260, f° 98-99. Lettre du 9 février 1830.

[11] A.N.Aff.Etr. Correspondance politique, Egypte I, 228-232.

[12] A.N.Marine B 7/49, janvier 1692.

[13] A.I.E.O. 1953, p. 20.

[14] A.N.Aff.Etr. B III - 305.

[15] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 3 (1828). Sur les négociations France-Tunisie, Esquer, La prise d’Alger, pp. 251-257.

[16] Ceuta, ville du nord du Maroc, occupée par les Portugais en 1415 et par les Espagnols à partir de 1640.

[17] A.N.Aff.Etr. B III - 10 f° 110, Lettre de Vergenne au Conseil du Roi, 13 août 1774.

[18] Les principales guerres eurent lieu en 1638. 1684, 1695-1700. 1705. 1735. 1754. 1756-1808. 1811 1812, 1814.

[19] Voir R.A., 1951, p. 150.

[20] De Kercy, Mémoire, p. 120.

[21] Plantet, Correspondance des Beys, III, p. 680. Lettre de Lesseps au Comte de la Veronnays. 27 avril 1829.

[22] Plantet, Correspondance des Beys, III, 634, Lettre de Guys à Damas, 5 juillet 1827.

[23] Nettement, Histoire, p. 248.

[24] A.C.C.M. Série MQ 5 -2.

[25] Venture de Paradis, Alger au XVIIIème siècle, R.A., 1896, p. 73

[26] Napoléon 1er, Correspondance..., t. XV, Lettre du 5 août 1807.

[27] Ibid. Lettre du 4 juillet 1807.

[28] Ibid. Lettre du 4 juillet 1807.

[29] Contre-amiral R.de Belot, La Méditerranée et le Destin de l’Europe, Paris, 1961.

[30] Les Anglais n'abandonnèrent Tanger qu’en 1683.

[31] Déclarée en 1756. Le commerce français s’en ressentit durement.

Le tableau ci-dessous est éloquent :

- 1754 : les caravanes affrétées étaient 130.

- 1757 : les caravanes affrétées étaient 93.

- 1758 : les caravanes affrétées étaient 29.

À tel point, que les capitaines caravaniers français vendirent leurs bateaux.

[32] A Malte, en 1800.

[33] Pour réduire la navigation des neutres, l’Angleterre pompait un grand nombre de matelots étrangers et les versait dans sa marine.

A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, Angleterre (1661-1814), pp. 339-341.

[34] Victoire navale de Nelson, en 1805, sur la France et l’Espagne réunies.

[35] : Perrot, Esquisse, p. 93.

[36] Shaler, Esquisse, p. 75 - 76.

[37] Lacoste et Nouchi, L'Algérie passé et présent, p. 237.