Dès le XVIIIème siècle,
l’Empire ottoman perdait de plus en plus de sa vigueur. Le pouvoir
central se disloquait et la marine n’avait plus la maîtrise de la
mer, ni l’initiative des opérations, comme avant. Les intérêts de la
Régence s’opposaient souvent à ceux de Constantinople. Alors, la
tension entre les deux pays devenait-elle fréquente et les relations
s’envenimaient.
En décembre 1747, le Sultan fit
signifier, par un capigny bachi, aux trois Régences, la défense de
laisser entrer leurs corsaires dans l’archipel pour y attaquer les
navires des puissances en paix avec lui, et notamment, les
Napolitains.
Les Algériens ne firent
nullement cas de ces injonctions. Ils défendaient leurs intérêts.
L’ambassadeur de France à Constantinople, écrivant à la Chambre de
Commerce de Marseille, crut bon d’annoncer les moyens « de réprimer
les excès des Algériens et assurer désormais la tranquillité des
navigateurs» par une
intervention « sincère et pressante de La Porte» . Convaincu que
toutes les difficultés étaient enfin surmontées, il annonça la
nomination de Hussein Zadé Said Bey comme envoyé à la Régence
d’Alger... Ce dernier « reçut les instructions les plus détaillées,
les pouvoirs les plus amples et l’ordre formel de se concerter dès
le premier moment de son arrivée avec le chargé des affaires du Roi
qui dirigera toutes ses démarches[1]. »
Chaque initiative des
Algériens, contraire aux instructions du Grand Seigneur, rendait
l’animosité entre les deux capitales plus aiguë Un rapport de Dubois
Thainville retrace la crise que traversait, à l’époque, les
relations algéro-ottomanes : « Wakil-Hardj arrive à Constantinople,
vers le 20 brumaire. Il fut aussitôt mandé à bord du Captan Pacha.
Cet amiral lui reproche, dans les termes les plus durs, le mépris
porté aux firmans de La Porte, l’arrestation et la captivité de cinq
à six-cents sujets du Grand Seigneur, la confiscation d’un grand
nombre de bâtiments impériaux et enfin, la paix conclue avec les
Français...
D’après les ordres du capitaine
Pacha, le pavillon d’Alger fut abattu de la manière la plus
ignominieuse et le « Wakil al-Hardj et toute sa suite, furent mis en
état d’arrestation. Les présents et les sommes particulières furent
séquestrées [...] La défense sous peine de mort de s’enrôler sur les
bâtiments algériens fut publiée dans toute la ville[2].
»
De défi en défi, les choses se
gâtèrent sans espoir de trêve ou d’amélioration.
« Le pavillon ottoman même, ne
suffit pas pour protéger les sujets grecs et les mettre à l’abri des
attentats des corsaires Algériens » rapporte Sydney Smith dans son
mémoire[3].
Avec l’Egypte, les incidents se
multipliaient. En 1814, le Dey, dans le but de porter atteinte au
commerce de ses rivaux de Tunis, de Tripoli, fit pendre les
équipages de quelques bâtiments de l’archipel, d’Egypte et de Tunis
chargés de blé et tombés en son pouvoir. Le pacha du Caire, par
représailles, fit arrêter tous les Algériens qui se trouvaient dans
ses provinces et réclama, en vain, la restitution des cargaisons
saisies par Alger.
Le Sultan vit « avec
indignation et même avec rage qu’un vassal révolté ose se permettre
les actes les plus outrageants, les plus atroces contre ses sujets
paisibles[4].
»
Le 2 juillet 1815, Muhammad
Husrew[5]
rapportait à Mahmûd II, au sujet du Dey que « depuis que cet homme
est gouverneur d’Alger, des injustices ont été commises à l’égard
des chrétiens avec lesquels l’amitié s’est transformée en querelle
et en agression[6]. »
Cette crise qui dura jusqu’à
1830, fut préjudiciable aux deux pays, également visés par les
puissances européennes. Au sujet de la course, La Porte prétendait
avoir le dernier mot, quant au pays à combattre et aux traités à
signer. La guerre ne devait être déclenchée que contre les ennemis
du Sultan. Mais Alger ne l’entendait pas ainsi et voulait avoir les
mains libres. En matière de paix ou de guerre, ses intérêts seuls
lui dictaient sa politique.
L’incompréhension persistait,
durant la guerre gréco-turque, les Algériens s’attaquaient aux
insurgés pour venger les Musulmans victimes des atrocités et pour
arrêter les méfaits de leurs ennemis. Mais La Porte considérait les
Grecs comme sujets ottomans et refusait au Dey le droit de les
poursuivre[7].
Aussi les Algériens qui
trouvaient jadis refuge dans les ports méditerranéens dépendant du
Sultan et bénéficiaient d’aide accordée par les commandants des
places fortes maritimes, perdirent ces précieux avantages. Les
représailles ne devaient pas s’arrêter là. En novembre 1827, soit
quelques mois après le commencement du blocus d’Alger, les relations
diplomatiques entre la France et La Porte furent rétablies et
l’embargo mis par le gouvernement turc sur les bâtiments européens
fut levé.
Mais la mesure la plus dure
prise à l’encontre d’Alger fut l’interdiction faite aux Turcs de
s’enrôler dans les troupes de la Régence. La lettre du Dey, en date
du 19 novembre 1827, traduit le désarroi dans lequel se trouvait la
Régence face à la faiblesse de ses effectifs. Depuis plusieurs
années, l’Odjaq victorieux n’a pas reçu de troupes du côté de
l’Anatolie... Nous sollicitons son (le Sultan) consentement afin
qu’il accorde ses hautes faveurs souveraines en autorisant l’envoi
en ces temps, d’une certaine quantité de troupes de la ville de
Smyrne et des autres régions côtières[8].
L’attitude de La Porte à
l’égard d’Alger était, au début de 1830, empreinte d’indifférence.
Dans une lettre de Guilleminot à Polignac, en date du 6 janvier, le
diplomate disait que « La Porte s’embarrassait peu de sort à Alger[9].
» Et dans sa réponse, le Président du Conseil prétendait que « La
Porte, en déclarant qu’elle n’a rien de commun avec Alger...
reconnaît elle-même qu’elle ne conserve plus avec la Régence aucun
des liens qui constituent les rapports d’un souverain envers ses
vassaux. Elle se place en dehors du différend que nous avons par la
suite[10].
»
A Mimaut, Polignac disait que «
La Porte persiste à vouloir garder la neutralité dans cette question
[.,.] par conséquent Taher Pacha n’irait point à Alger[11]. »
2 - Hostilité des pays
voisins
Maroc, Algérie, Tunisie et
Régence de Tripoli coexistaient mais sans lien. L’ignorance des
intérêts communs et des menaces extérieures qui planaient sur tous
ces Etats furent à l’origine de cette absence préjudiciable de
solidarité. Conflits armes, animosités sans fin entre dirigeants,
calculs mesquins profitèrent amplement aux ennemis communs qui
préparaient l’invasion.
Ecoutons Petis De La Croix : «
Les trois républiques d’Alger, Tunis et Tripoli ne s’unissent pas,
ordinairement, quand elles sont attaquées. Elles sont différentes et
n’ont rien de commun que la religion et la dépendance honoraire dont
ils reconnaissaient le Grand Seigneur[12].
» Trois ans plus tard, le même auteur ajoutait: « jamais les
puissances de Barbarie ne s’unissent ensemble, quoique depuis la
guerre d’Alger contre Tunis, il semble que les Tripolitains aient
secouru Alger[13].
»
L’Europe pratiquait la
politique de division. « On usait, contre les Régences, d’artifices.
On cherchait à les diviser, à n’être en guerre avec toutes ces
Républiques à la fois ; pendant que l’on armait contre une, on
ménageait l’autre[14].
»
La rivalité entre les trois
Régence se montra d’une façon claire lors du blocus d’Alger. Non
seulement les pays frères ne bougèrent pas mais souhaitaient « la
punition » du Dey. « Il n’est pas, dit un document de 1828,
jusqu’aux Régences de Tunis et de Tripoli qui ne s’attendent à nous
voir tirer de celle d’Alger une vengeance éclatante [...] jalouses
d’Alger, en qui d’ailleurs elles trouvent un ennemi toujours prêt à
abuser de la supériorité de ses forces, elles verraient avec joie,
humilier cette Régence[15].
»
Entre la Régence et le Maroc,
les sujets de tension ne manquaient point. Aussi, sous les
Sa’adiens, comme sous les ‘Alaouites, les appétits territoriaux
provoquèrent de nombreuses guerres entre les deux voisins.
Cependant, dès 1709, Alger
proposa au Sultan Mawlây Ismâ’îl un renfort maritime contre Ceuta[16],
et demanda, en échange, le vieux Tanger pour y établir une garnison
et y construire un port où ses marins puissent relâcher. Le monarque
refusa.
Par contre, le Maroc, entre
1760 et 1777, conclut une série de traités avec presque toutes les
puissances européennes : en 1773, avec le Portugal ; en 1774,
l’Espagne « ne néglige aucun moyen de capter la bienveillance de
l’Empereur et lui donne des preuves journalières de sa générosité[17].
» Le traité de paix sera signé en 1780. Avec les Etats Unis,
l’accord sera signé en 1787.
Lors de l’invasion de l’Egypte
par Bonaparte, Mawlây Slimâne (1792-1882) rejeta les propositions du
sultan ottoman de déclarer la guerre à la France. Mieux encore, il
désarma les derniers navires de sa flotte devenue sans objet depuis
le décret d’abolition de l’esclavage des chrétiens promulgué en...
1767 par Mawlây Muhammad.
Les relations
algéro-tunisiennes étaient plutôt mauvaises. Alger et Tunis
formaient deux Régences placées chacune sous l’autorité d’un chef
turc relevant, théoriquement, du Sultan ottoman. Mais d’innombrables
conflits d’intérêts les opposaient : tracé de frontière, tributs,
course, guerre entre prétendants tunisiens... Du XVIIème siècle, les
guerres éclataient entre les deux pays pour des raisons quelconques[18].
C’est pourquoi la Tunisie était
le pays qui nourrissait le plus de haine à l’encontre d’Alger.
En octobre 1687, « Mercure
Galant» écrit que « depuis la rupture, les Français ont coulé huit à
dix vaisseaux algériens. Les Tunisiens, sollicités par leurs voisins
de rompe avec la France, s’y sont refusés. »
L’agent russe, Matei
Gregorievitch qui, passant par Tunis vint en 1777, étudier le
littoral de l’Est algérien, notait que « le gouvernement du pays a
une grande haine pour les Algériens et est très désireux de les
assujettir, c’est cela que, non seulement, il ne défend pas selon
ses obligations, mais encore dans le cas d’une guerre des puissances
européennes contre les Algériens, les Tunisiens sont prêts à
apporter leur aide contre ces derniers, bien qu’en cachette[19]. ».
Laugier De Tassy fit la même constatation : « Les Tunisiens, dit-il,
se réjouissent de tout malheur et affaiblissement des Algériens. »
Le consul de Kercy, préparant son plan d’invasion de la Régence,
tenait compte de ces sentiments algérophobes : « Alger détruit,
écrit-il, le Bey de Tunis deviendrait un grand prince. Sa nation est
commerçante et n’est pas guerrière. En détruisant Alger, on
imposerait à son gré la loi de Tunis. On pourrait lui interdire la
course[20].
»
Le blocus de Bône n’ayant pas
été signalé au Bey de Tunis, un incident survint mais fut vite
réglé. Le voltigeur, commandé par Du Petit Thouars avait capturé un
petit navire tunisien qui tentait d’entrer dans le port algérien.
Les Français s’empressèrent de rendre le bâtiment et le Bey promit
de punir le Raïs, prit les mesures pour que ses unités ne dépassent
pas Tabarque. Il fit distribuer des rafraîchissements à l’équipage
du bateau capteur[21].
Lors du blocus d’Alger, le Bey
favorisa l’action de la France en augmentant l’effectif des troupes
stationnées sur le front ouest, en armant quatre chaloupes
canonnières « pour protéger les bâtiments français contre les
entreprises des corsaires algériens dont la témérité est connue[22].
»
Deux agents français, Raimbert
et Gerardin disaient qu’ « on pouvait compter sur la neutralité
sympathique de Tunis et du Maroc. »
En avril 1830, le gouvernement
français dépêcha ces deux agents en mission à Tunis pour « sonder
les dispositions du Bey d’ouvrir une source féconde aux
approvisionnements de l’armée, d’agir sur le moral des populations
maures et arabes... de détacher du Dey d’Alger, le Bey de Tunis et
le Sultan du Maroc et, si possible, les beys d’Oran et de
Constantine.
Quelques jours à peine,
d’Aubignac confiait au commandant en chef des forces françaises qu’«
au sujet des Etats voisins d’Alger, leur fidélité à l’alliance du
Dey était [...] à la merci d’un succès de l’armée française ;
c’était la disposition commune de Tunis, du Maroc[23].
Certes, un sentiment militaire contre l’appui à la France : le
sentiment religieux qui faisait craindre la domination chrétienne.
Mais en dépit de cette réserve, le Bey de Tunis se montrait prêt à
autoriser toute espèce d’achat dans ses états et à devenir,
lui-même, fournisseur « pourvu que sa coopération resta secrète. »
Il annonça que ses navires étaient prêts à partir de La Goulette
pour porter « la viande, les légumes, le sel dont les prix avaient
quadruplé dans la Régence depuis le blocus. »
Polignac, dans une
communication faite devant la Chambre, le 11 mars 1830, résumait
bien la désunion des pays musulmans face aux entreprises
européennes.
« Nous sommes, dit-il, dans un
état de parfaite intelligence avec l’Egypte, comme avec les autres
provinces de la domination du Sultan, nos relations avec Tripoli
sont incertaines... Nous sommes en état de paix avec Tunis et avec
l’Empire du Maroc. Le Roi s’est décidé à mettre fin, par une
expédition de terre et de mer à la guerre qui se poursuit, depuis
trois ans, contre la Régence d’Alger. C’est uniquement contre cette
Régence que sont dirigés les préparatifs militaires qui se font en
ce moment dans nos ports[24].
A peine De Bourmont était-il à
Sidi Fradj que le Bey de Tunis dépêcha un émissaire pour
complimenter le général. Bien que l’expédition de 1830 prît l’aspect
d’un conflit entre une puissance chrétienne et un Etat musulman, et
bien que l’intervention militaire créa un précédent, le Bey et une
partie de l’opinion tunisienne éprouvèrent une satisfaction
tellement la rancœur et la rancune avaient aveuglé les gens.
3 - L’Europe et la puissance navale.
L’armement européen était en
progrès constant. Colbert avait pris le département de la marine en
1661 avec trente bâtiments de guerre. Quand il mourut, le 9
septembre 1683, il en laissa deux-cent-soixante-seize, et sept mille
six-cent-vingt-cinq pièces d’artillerie. Il avait restauré la marine
sans augmenter les impôts.
Au XVIIIème siècle, l’Europe
connut, grâce à la révolution industrielle et technique, une
supériorité économique et militaire. Le développement toucha tous
les secteurs d’activité. La population s’accrut avec constance au
grand profit du continent. La vitalité de l’homme et l’extension du
machinisme permirent un décollage général.
Face à ce prodigieux
accroissement de la puissance militaire et naval, en particulier, la
Régence manquait, faute d’argent, de progrès technique et paix
intérieure, de moyens capables de la placer au niveau de ses
adversaires. Artillerie et marine se contentèrent de choses
dépassées et défectueuses.
L’écart, puis le déséquilibre
défavorable à Alger, firent passer les nations chrétiennes de la
défensive (fortifications des rivages, batteries côtières, places
fortes, milices et troupes de campagne...) à l’offensive.
Expéditions et croisières avec plus de succès, renversèrent la
situation, en Méditerranée.
Même les petits Etats levaient
la tête. Naples se mit à armer des frégates et à faire la chasse aux
bâtiments algériens. Malte se dota de frégates doublées en cuivre.
Le Portugal faisait garder le détroit de Gibraltar, été comme hiver,
par des navires très performants, « de sorte qu’il ne restait aux
Algériens que les côtes d’Italie[25].
»
Napoléon accorda une attention
particulière à la construction navale. Ses lettres, adressées de
Tilsit, en juillet et août .1807, après le traité franco-russe, sont
significatives : à son fils, il annonce la construction de trois
vaisseaux de 74, sur le chantier de Venise, « ce qui ferait huit
vaisseaux en construction[26].
» Au vice-amiral Decrès, il dit : « Cinq vaisseaux sont prêts à
Flessingue, et bientôt huit... Activez les moyens ordinaires pour
que les ports Lorient, Rochefort et Toulon prennent un nouveau
caractère d’activité. Tout porte à croire que la guerre du continent
est terminée. Tous les efforts doivent se jeter du côté de la
marine. Prenez toutes les mesures pour faire finir « Le Superbe » à
Gênes [...] Il importe beaucoup d’avoir une escadre en Méditerranée[27]. »
A son fils, tout en lui faisant
part de trois vaisseaux en chantier à Venise, il lui demande s’il
avait « les mâts, les voiles, les cordages, les ancres, les canons,
tout cela commence à devenir, aujourd’hui, d’une grande importance
[...] Il faut désormais beaucoup s’occuper de la marine[28].
»
Bonaparte voulait réunir à
Toulon le plus de vaisseaux, une escadre « en état d’aller en mer, »
des sorties « afin de perfectionner l’arrimage... car il avait
compris le rôle de la marine dans la lutte pour l’hégémonie en
Méditerranée.
4 - La suprématie anglaise
Pour dominer une partie du
monde, l’Angleterre entreprit dès le XVIème siècle, une politique
qui lui assura peu à peu la maîtrise des eaux. Ses principes
constants étaient :
1- Rechercher partout la
destruction des flottes militaires ennemies.
2- Saisir, solidement, des
bases bien choisies pour interrompre les communications maritimes
des adversaires[29].
Et comme la France avait un
besoin impératif de voies maritimes, la Hollande de la mer et
l’Espagne de l’or de l’Amérique, l’Angleterre, comprit très tôt
l’importance stratégique de la Méditerranée. Elle se mit à la
recherche de bases permanentes. Cromwell voulut s’emparer de Tanger,
d’Oran ou de Gibraltar[30].
Avec une marine de jour en jour
grandissante, la domination sur les mers devint irrésistible. La
France et les Etats italiens riverains sentirent la menace. La
guerre de sept ans donna, aux corsaires anglais, l’occasion de
montrer leur audace[31].
De 1793 à 1795, l’Angleterre
avait en mer : 12 vaisseaux de ligne, 32 frégates, 71 corvettes,
soit 115 bâtiments. En 1796, elle entretenait des stations en
Méditerranée, sur la côte d’Afrique, à Gibraltar[32].
Elle eut recours aux croisières
également. Elle disposait de plus en plus de navires que tout le
monde commerçant[33].
Jusqu’à 1805, la gloire de
Napoléon avait un certain impact sur le gouvernement d’Alger. Mais
après Trafalgar[34],
les Anglais exploitant leur succès, supplantèrent les Français dans
les concessions de l’Est algérien.
Agents actifs et discrets, ils
visaient à travers les comptoirs, à assurer leur supériorité en
Méditerranée, le ravitaillement de Gibraltar et de Malte,
concurrencer puis s’opposer à la marine algérienne. Ce fut le cas en
1816 et 1824.
Les Algériens eurent une
confiance excessive dans des Anglais qui, dès le début du XIXème
siècle étaient bien établis dans la Régence. Un consul actif, des
visites fréquentes de frégates anglaises entre Malte et Alger, des
marchands anglais entreprenants, le consul Blankley à la tête de
l’exploitation du corail en 1807... La présence britannique devenait
lourde de conséquences...
Avec une marine moderne et
nombreuse, les rois et princes d’Europe qui achetaient jadis les
faveurs du Dey, durcissaient le ton. Les menaces belliqueuses se
substituaient à la recherche d’arrangements. Le climat politique s’y
prêtait. « Que l’existence de la puissance algérienne est une honte
pour l’Europe[35]. »
Orateurs et politiciens
rivalisaient d’ardeur guerrière. Bonaparte songeait en finir avec
Alger. Un des articles secrets signés avec le Tsar de Russie, en
1807, prévoyait l’annexion de l’Afrique du Nord, et le séjour à
Alger du commandant Boutin entrait dans le cadre du plan élaboré.
Dans un mémoire présenté au
Congrès de Vienne, par le commandeur Vie De Cesarini, en septembre
1814, on peut lire : « Trois forbans, parjures envers tous les
souverains en usurperont-ils éternellement les titres, les emblèmes
et les tributs ? Le prince d’Alger, hors d’Alger, ne serait qu’un
brigand ! Brigand formidable Anéantissons-le dans une confédération
maritime ! »
Lord Sheffield considérait la
puissance d’Alger comme un véritable obstacle au développement de la
prospérité maritime des Etats Unis[36].
L’attaque de Lord Exmouth, en
1816 et la destruction d’une grande partie de la flotte ne fut que
le commencement d’un vaste complot visant à mettre à genoux une
république qui refusait de plier. L’arrogance de Deval ne
connaissait plus de borne ; il prétendait devant le Dey « posséder
le bastion de France, la pêche du corail et... le droit de
souveraineté sur les Arabes de la Ma’zoula (les environs de La Calle[37]. »
Ainsi, la supériorité navale,
les menaces, et les attaques lancées contre un pays assiégé par les
difficultés croissantes, préparaient lentement mais sûrement la
chute.
[1]
A.C.C.M. Lettre du 30 avril 1789.
[2]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 14.
Rapport de Dubois Thainville qui
dit tenir ces détails de Baimbridge, commandant de la
frégate américaine « Le Washington. »
[3]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, Afrique, t. 6
(1808-1822).
[4]
Même source.
[5]
Ministre ottoman de la Marine de 1811 à 1817 et de 1822 à
1826.
[6]
Tamîmî, Recherches, p 210 ; Documents Inédits,
R.O.M.M. 1 -2/1968, p. 112.
S’agit-il de Hadj ‘Ali (février
1809-avril 1815) ou de son successeur ‘Umar Agha (avril
1815-octobre 1817) ?
Dans une lettre au
Sultan Mahmûd II, ‘Umar dit que l’attaque des bateaux
européens par la marine d’Alger se trouve justifiée par « le
manque de vivres en Turquie et dans les pays
méditerranéens... C’est pour cela que les janissaires
avaient agi contre les ordres de la Sublime Porte en
s’emparant de bateaux chargés de provisions les empêchant
d’aller vers l’Europe. » Indigné, le Sultan confisqua un
fondouk que la Régence avait-fait batîr à Smyme pour servir
de caserne et de dépôt à ses recrues ; il retira toute
créance aux agents du Dey, donna ordre à sa flotte de courir
sus aux bâtiments algériens et envisagea même une expédition
contre la Régence. ‘Umar dut dépenser de gros efforts pour
faire tomber, quelque peu, cette tension (Ibid., p. 119).
[7]
Lettre de menace de Mahmûd au Dey Husayn Pacha dans «
Madjallat at-Tarikh, » 11/1981.
[8]
Lettre publiée dans R.A., 1952.
[9]
Lettre chiffrée envoyée de Constantinople.
A.N.Aff.Etr. Correspondance
politique, Turquie 260, f° 8.
[10]
A.N.Aff.Etr. Correspondance politique, Turquie 260,
f° 98-99. Lettre du 9 février 1830.
[11]
A.N.Aff.Etr. Correspondance politique, Egypte I,
228-232.
[12]
A.N.Marine B 7/49, janvier 1692.
[13]
A.I.E.O. 1953, p. 20.
[14]
A.N.Aff.Etr. B III - 305.
[15]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 3 (1828). Sur
les négociations France-Tunisie, Esquer, La prise d’Alger,
pp. 251-257.
[16]
Ceuta, ville du nord du Maroc, occupée par les Portugais en
1415 et par les Espagnols à partir de 1640.
[17]
A.N.Aff.Etr. B III - 10 f° 110, Lettre de Vergenne au
Conseil du Roi, 13 août 1774.
[18]
Les principales guerres eurent lieu en 1638. 1684,
1695-1700. 1705. 1735. 1754. 1756-1808. 1811 1812, 1814.
[19]
Voir R.A., 1951, p. 150.
[20]
De Kercy, Mémoire, p. 120.
[21]
Plantet, Correspondance des Beys, III, p. 680. Lettre
de Lesseps au Comte de la Veronnays. 27 avril 1829.
[22]
Plantet, Correspondance des Beys, III, 634, Lettre de
Guys à Damas, 5 juillet 1827.
[23]
Nettement, Histoire, p. 248.
[24]
A.C.C.M. Série MQ 5 -2.
[25]
Venture de Paradis, Alger au XVIIIème siècle, R.A.,
1896, p. 73
[26]
Napoléon 1er, Correspondance..., t. XV, Lettre du 5 août
1807.
[27]
Ibid. Lettre du 4 juillet 1807.
[28]
Ibid. Lettre du 4 juillet 1807.
[29]
Contre-amiral R.de Belot, La Méditerranée et le Destin de
l’Europe, Paris, 1961.
[30]
Les Anglais n'abandonnèrent Tanger qu’en 1683.
[31]
Déclarée en 1756. Le commerce français s’en ressentit
durement.
Le tableau ci-dessous
est éloquent :
- 1754 : les caravanes
affrétées étaient 130.
- 1757 : les caravanes
affrétées étaient 93.
- 1758 : les caravanes
affrétées étaient 29.
À tel point, que les
capitaines caravaniers français vendirent leurs bateaux.
[32]
A Malte, en 1800.
[33]
Pour réduire la navigation des neutres, l’Angleterre pompait
un grand nombre de matelots étrangers et les versait dans sa
marine.
A.N.Aff.Etr. Mémoires
et Documents, Angleterre (1661-1814), pp. 339-341.
[34]
Victoire navale de Nelson, en 1805, sur la France et
l’Espagne réunies.
[35]
: Perrot, Esquisse, p. 93.
[36]
Shaler, Esquisse, p. 75 - 76.
[37]
Lacoste et Nouchi, L'Algérie passé et présent, p.
237.