LA PAIX PAR LES SERVICES
Dans le chapitre précédent, il
a été question de tributs fixant la quantité et la qualité de
matériel naval, de fournitures militaires et de dons « civils»
que les nations maritimes
s’engageaient à faire parvenir à la Régence, en contrepartie de la
paix et de l’amitié auxquelles souscrivait Alger. Une autre
procédure allait mettre à l’épreuve les dispositions de ces nations
: les services rendus et les manifestations d’amitié.
1 - Relâche
dans le port de Marseille
Diverses circonstances
amenaient nos Raïs à faire escale ou à séjourner à Marseille. La
Chambre de Commerce saisissait l’occasion pour leur témoigner amitié
et dévouement.
En 1676, ‘Ali Raïs, après un
combat avec un corsaire majorquin, vint « à l’entrée du port
demander du secours. » La Chambre jugea que, dans l’intérêt de la
paix, le Raïs recevrait ce dont il avait besoin « sous le nom d’un
particulier de la ville » pour
le bien et avantage du commerce[1].
Une occasion fut offerte au Maréchal de Tourville, en 1684, de
demander à la Chambre de faciliter l’embarquement de Hadj Muhammad
Dalalay qui regagnait Alger. Sa recommandation est éloquente : « ...
en priant Messieurs de la Chambre d’accorder votre protection à Hadj
Muhammad de s’en retourner et de lui faciliter son embarquement sur
le meilleur vaisseau qui partira de votre port pour la Barbarie. Il
est un homme de crédit et peut dans de centaines d’occasions, vous
être utile à quelque chose[2].
)»
Chérif Raïs, commandant un
brigantin d’Alger, armé en course, vint en 1697, aborder « hors la
chaîne du port. » La Chambre approuva la dépense d’approvisionnement
accordé au capitaine, « pour le bien et utilité du commerce[3].
» A la suite d’un mauvais temps, le commandant d’une barque d’Alger,
dut aborder à Marseille ; on lui remit comme présent une « grosse
gume » (cordage)[4].
Le Raïs ‘Abd Allah se trouvait à Marseille en 1770. Voulant regagner
la Calle puis Alger, on l’embarqua sur le « Saint Vincent de Paul »
avec provisions nécessaires pour sa subsistance pendant le voyage[5].
On remit au Raïs Mehémet des fournitures en voilure pour deux
barques algériennes[6].
Le Raïs Mustapha ayant relâché
à Marseille, la Chambre lui fit fournir une vergue de grand hunier.
Le consul à Alger fut satisfait du geste et écrivit à la Chambre : «
Il convient Messieurs, que dans le cas de relâche des corsaires sur
nos côtes, vous continuez d’avoir pour eux, la même attention et que
vous donniez les meilleurs ordres pour qu’ils n’aient pas à se
plaindre de qui que ce soit. Vous ne saurez croire l’effet que
produit sur le pays le rapport des Raïs, soit qu’ils aient à se
louer ou à se plaindre. C’est même de là que vient, en partie, la
grande réputation que les Anglais se sont faits ici, en accueillant
à Gibraltar et à Mahon, les corsaires d’Alger comme si c’étaient de
véritables anglais[7].
»
Le maire et les officiers
municipaux de la Ciotat signalaient en juillet 1791, l’arrivée d’une
demi-galère algérienne, armement du Dey, commandée par Raïs Méhemet,
armée de quatre pièces de canon, vingt-huit avirons, avec
quatre-vingt-dix hommes d’équipage, partie d’Alger, le 22 juin. Le
Raïs avait déclaré n’avoir fait aucune prise. Ayant demandé de l’eau
et quelques petits rafraîchissements, il fut bien servi mais « avec
les précautions d’usage, » dit le rapport[8].
Jamais, présence d’un Raïs
algérien n’avait eu tant d’échos à Marseille, comme celle de Raïs
Bakîr, en 1711.
Tout d’abord qui est cet
officier ? Les documents d’archives en parlent brièvement commandant
d’un vaisseau d’Alger... « Un fort honnête homme, bien porté pour
notre nation et en faveur dans le gouvernement présent » au dire du
consul Clairambault[9].
Il fut envoyé par le Dey ‘Ali
Chaouch qui se trouvait dans la nécessité pressante d’avoir des
mâts. Un vaisseau l’emmena à Marseille avec une lettre pour le Roi
priant celui-ci de lui accorder le matériel naval en payant, avec
une cargaison dont il avait ordre d’employer le produit à l’achat
des mâts.
Sitôt parti, le consul appuie,
par une lettre à Pontchartrain et à Amoul, les démarches du Dey. «
Je crois, dit-il, qu’il est d’une extrême conséquence de ne pas
refuser le Dey en cette occasion, ce serait lui faire voir qu’il ne
peut espérer aucun secours de la France ; donnerait moyen aux
Anglais de lui représenter à tout moment qu’il ne peut espérer que
d’eux, ce qu’il aura besoin et avancerait leurs affaires à notre
préjudice, outre que dorénavant, nos vaisseaux ne pourraient trouver
à se raccommoder dans une nécessité pressante, comme il arriva à M.
de L’Aiguë qui s’accommoda du plus beau mât qui fut à Alger pour
faire une vergue, sans quoi, il était obligé d’aller à Toulon ... Le
Dey ici, ayant toujours bien agi, mérite d’être traité favorablement[10].
»
Sur place, Raïs Bakîr se mit à
la recherche d’une mâture entière d’un vaisseau de soixante canons.
Deux tendances s’étaient vite manifestées. Celle de Pontchartrain
qui fut négative dans un premier temps. Le Ministre reprochait aux
dirigeants de la Régence de n’avoir « pas voulu entrer dans aucun
accommodement lorsqu’il s’est agi de faciliter de leur part, la
traite des blés à nos bâtiments pendant la disette de 1709[11]. »
L’autre tendance était pour la
vente du matériel demandé « en contrepartie des secours que les
bâtiments de Provence ont pu recevoir depuis plusieurs années dans
les relâches en Barbarie. » Finalement, Pontchartrain se rallia à la
thèse de la Chambre de Commerce, précisant dans sa lettre :
« J’ai rendu compte au Roi des
motifs qui vous engagent à représenter que l’on doit faciliter au
Raïs algérien, arrivé depuis peu à Marseille, les moyens d’exécuter
la commission dont il est chargé par le Dey. L’intention du Roi est
que l’on s’en tienne aux conditions de la grâce que le dernier
demande et que le consul explique formellement (...) les secours
qu’il donne aux bâtiments de la nation qui viennent dans ses ports
(...). Le sieur Clairambault ajoute que c’est en payant (...).
Ainsi, vous devez convenir que le Roi a prévenu votre demande en
permettant que le Turc achète ceux qui lui conviendront chez les
marchands. C’est à vous de concerter avec le sieur Magy, son
commissionnaire, les moyens de le renvoyer satisfait, le plus
promptement qu’il se pourra et à faire entendre à ce Turc, quand
l’occasion s’en présentera, que Sa Majesté ne s’est déterminée à lui
accorder cette permission que sur les relations du consul de la
nation qui se loue des procédés du Dey et des autres puissances
d’Alger à son égard[12]. »
Les tractations semblent avoir
duré : on avertit le sieur Magy qu’il n’est « pas question de céder,
gratuitement, des mâts provenant de l’arsenal de Toulon, » mais que
le sieur Magy « devra concourir du mieux possible à la réussite de
la mission du Raïs. » Aux députés du Commerce, on accorda «
l’autorisation d’acheter des fournitures pour navires. » Aux
intéressés de la Compagnie d’Afrique, on dit qu’il convient de «
concourir à la réussite de la mission du Raïs algérien venu acheter
du matériel naval. » Aux députés de la Chambre du Commerce, il fut
recommandé de procurer des rames et des mâts que le Raïs désirait
acheter ; il leur fut rappelé les facilités accordées par
Pontchartrain au Raïs algérien, en mission à Marseille[13].
Les résultats ? Ils furent
largement satisfaisants. Une deuxième lettre de Pontchartrain, datée
du 25 mars, annonçait de bonnes nouvelles: « Je vous envoie par
ordre du Roi pour vous recommander de mettre, le plus promptement
qu’il se pourra, le capitaine algérien qui est présentement à
Marseille en état de s’en retourner en son pays avec la petite
emplette dont il doit être content s’il est vrai ... que vous lui
avez fait avoir, au prix de l’adjudication du Roi, un lot de
dix-neuf bons mâts. »
« J’adresse, la semaine
prochaine, à MM. les ordonnateurs la réponse de Sa Majesté à la
lettre du Dey avec les présents pour lui et pour les Raïs. Ils ont
ordre de faire détacher de la chaîne, vingt des plus vieux esclaves
turcs des Etats du Grand Seigneur (...). Le consul est chargé de
faire valoir toutes ces distinctions accordées par Sa Majesté en vue
de protéger le commerce et de s’en servir s’il le juge à propos pour
une occasion dans laquelle il aurait besoin des suffrages du Diwân[14]. »
Trois jours après, le Ministre
revint à la charge au sujet des mâts, l’arsenal de Toulon n’en
disposait pas : « Vous êtes instruits, dit-il à ses correspondants,
que l’arsenal de Toulon n’est pas pourvu de ces munitions à
proportion du nombre de corsaires que l’on est obligé d’entretenir.
Cependant, si, pour le renvoyer content, il faut absolument en tirer
une demi-douzaine de mâts de certaines proportions nécessaires à son
assortissement, MM. Le Vasseur et Chavonnier de l’en aider à
condition que M. Magy en paiera la valeur au fournisseur[15].
»
La mission fut bien accomplie.
Le Raïs pu acheter les 19 mâts et reçut les présents de Louis XIV
offerts au Dey, ainsi que les esclaves algériens qui furent détachés
de leurs chaînes. On prépara le vaisseau « Le Fleuron » dans le cas
où la flutte « Le Portefaix » ne fut pas de retour pour le transport
des munitions[16].
Dans ses instructions à la
Compagnie d’Afrique, Pontchartrain recommandait : « Le Raïs doit
partir de France comblé des égards que l’on a eus pour lui et pour
les demandes des puissances qui l’avaient envoyé et je suis bien
aise, de vous dire, que les intérêts de la compagnie ont eu la plus
grande part dans le traitement favorable que je lui ai procuré[17]
Ainsi, tout fut possible dans
l’intérêt du commerce et de la paix !
3 - Le secours aux
naufragés
Il arrivait aux navires
algériens de s’échouer sur les côtes de Provence. Conformément aux
clauses des traités conclus ou simplement dans le cadre de la
réciprocité, les autorités françaises s’empressaient de secourir les
matelots algériens.
En 1674, un bâtiment algérien
vint s’échouer sur une côte de Provence. Colbert écrit alors à
Rouillé intendant de Provence :
« Monsieur (...) ne sachant pas
si vous pouvez vous en aller avec diligence à Marseille, j’envoie
ordre au sieur Amoul qui est à Toulon de s’y en aller promptement,
pour obliger les Echevins de Marseille d’envoyer, en diligence à
Callioure, pour y prendre des Turcs d’Alger qui ont échoué à Port
Vendres ... Il y a de ça quelque temps, pour les envoyer à Alger, en
leur rendant tout ce qu’ils peuvent avoir perdu afin de connier (?)
Par ce bon traitement le gouvernement de cette ville à entretenir
les traités qui ont fait (sic) avec lui. Et comme cette affaire est
de grande conséquence pour le commerce de Marseille, si vous
pourriez y aller pour y donner promptement les ordres, je crois
qu’il serait bien à propos et avantageux, pour cette ville[18].
»
En juin 1686, le navire « Le
Croissant d’Or » eut un accident près des côtes de Bretagne.
L’intendant Morani demanda avis à la Chambre de Commerce : retenir
le bâtiment ou le relâcher ?
Celle-ci estima que « dans
l’intérêt des bonnes relations avec la Régence d’Alger, le vaisseau
en question pourrait être laissé libre de continuer sa route. Les
Algériens auraient encore plus de sujets d’entretenir une bonne
correspondance avec les sujets de Sa Majesté[19].
»
Malgré cela, le Dey eut, plus
d’une fois, à sa plaindre du comportement des armateurs et des
capitaines français, vis à vis des Raïs, soit en mer soit dans les
ports de France. Les doléances semblent avoir été justifiées puisque
le Ministre de la Marine fit connaître au consul Lemaire une
importante décision : « Je fais de nouveau savoir, écrit- il, aux
officiers des vaisseaux du Roi et aux armateurs que s’ils font les
moindres troubles aux Algériens dans la course ou même s’ils ne les
secourent pas lorsqu’ils se trouveront dans un besoin pressant de
vivres ou dans quelque péril de naufrage, ils en seront très
sérieusement punis[20].
En effet, le mauvais temps
poussait très souvent les bateaux algériens à se réfugier dans
certains ports provençaux, quand il n’y avait pas de guerre entre la
France et la Régence Les navires français en faisaient autant dans
les ports et les côtes de la Régence.
Le Ministre Choiseul avait bien
tenté de mettre fin ou du moins, de limiter l’assistance accordée
aux Algériens, à Marseille, mais il dut s’y résigner : « Les
ménagements qu’on a pour ces sortes de corsaires sont nécessaires et
on a bien fait pour les contenter de leur donner gratuitement, des
rafraîchissements (...). La Chambre a laissé s’établir des usages
dont les Barbaresques abusent, comme on devait s’y attendre, je ne
puis vous marquer sur cela que le regret de trop grandes facilités
qu’on y a eues. On ne peut guère y remédier, aujourd’hui, qu’avec le
temps en diminuant, successivement, ces donatives (...). C’est à
quoi vous devez apporter attention avec prudence et il me paraît
qu’on ne peut prendre d’autre moyen sans compromettre la navigation,
si on refusait, trop ouvertement aux Barbaresques des secours qu’il
sont accoutumés de recevoir[21].
»
Aussi, lorsqu’un navire d’Alger
fit naufrage sur la côte de Roussillon, près de Saint Laurent, en
1765, les deux-cents hommes d’équipage, après avoir été gardés à vue
par un fort détachement, furent rapatriés « de manière, dit une note
de la Chambre, que cette soldatesque insolente ne nous compromette
pas avec le Dey au lieu de lui apporter, fidèlement, ce qu’elle doit
aux secours de tout genre qu’elle a trouvé en France[22].
» . Il en fut de même en 1777, lorsqu’un bâtiment fut si endommagé
qu’il n’était plus possible de le remettre en mer. L’équipage, en
bonne santé, fut renvoyé à Alger. Quelques années plus tard, un
combat opposa marins algériens et napolitains dans la rade de
Marseille. Les blessés algériens furent soignés par M. Grugnon,
chirurgien de Toulon et les frais d’hôpital furent réglés par la
Chambre de Commerce de Marseille[23]. »
Dans l’intérêt de la paix avec
la Régence et du négoce, la Chambre de Commerce consentait des
efforts financiers pour recueillir, héberger et embarquer des marins
que le sort jetait sur les rivages de la Rochelle ou de Minorque[24].
Un naufrage survint sur l’île
de Pomègue. Le Raïs ‘Abd al Rahmân ben Chalabî et quelques membres
de son équipage demandèrent à rester sur les lieux pour surveiller,
par eux-mêmes, l’opération de sauvetage du bâtiment. Rouille demanda
à la Chambre « de continuer à faire les mêmes secours au Raïs «
ajoutant : Votre conduite est conforme aux intentions du Roi. Mais
comme il importe de faire connaître au Dey d’Alger de quelle
manière, les sujets de la Régence ont été traités en France, vous
aurez soin de m’envoyer un état de toute la dépense que vous aurez
faite pour eux[25].
» Rouille recommandait, également, de prendre les mesures
nécessaires pour que les Algériens puissent retourner promptement à
Alger et « avoir lieu d’y répandre les bons traitements et les
secours qu’ils ont reçus en France[26].
»
Une agression fut perpétrée
dans le port de Marseille, en 1781, par des Napolitains et dont
furent victimes un matelot danois et trois algériens qui furent
grièvement blessés. On les conduisit à l’hôpital de la ville. Ayant
appris la nouvelle, le Ministre de Castries donna des ordres à MM.
du Commerce : « Je vous charge, dit-il, de veiller à ce qu’ils
reçoivent les secours nécessaires pour leur guérison et de voir,
lorsqu’ils seront rétablis, quels arrangements il conviendra de
prendre pour satisfaire les sujets de la Régence[27].
»
La réciprocité était de règle.
Les bâtiments français s’exposaient de temps à autn au danger.
L’assistance des Algériens était appréciée. Nous l’avons rappelé
dans it précédent chapitre du tome I à propos de la magnanimité des
Raïs[28].
Une barque française, chargée
de diverses marchandises et se rendant à Salé, s’échoua sur les
côtes algériennes. C’était sous le règne de Dey Cha’bâne.
L’intervention pour la sauver est décrite par le Dey lui-même dans
une lettre à Louis XIV.
« Nous n’en fûmes pas plus tôt
informé, lui dit-il, que nous ordonnâmes des gens experts avec des
janissaires de notre milice et des chaloupes qui firent pêcher et
retirer du fond de la mer, pendant 4 ou 5 jours et par le moyen des
plongeurs, tous les effets qui étaient abîmés, sans permettre
qu’aucune de leurs marchandises ait été perdue ni pillée.
Et non seulement nous leur
avons remis le tout entre les mains, entièrement et parfaitement,
mais encore en votre considération, nous leur avons fait présent
d’une grande barque neuve appartenant à notre République, laquelle
nous avons équipée bien avantageusement que celle qu’ils avaient
auparavant et ensuite, nous leur donnâmes des munitions et des
vivres. Et de peur qu’ils ne fussent insultés par les Anglais qui
courraient toute la mer, nous leur donnâmes 12 matelots Turcs et un
pavillon d’Alger avec des passeports authentiques en langue turque
avec des lettres adressées aux Anglais, le tout afin qu’ils puissent
arriver à bon port à Toulon[29].
»
4 - Des susceptibilités
à ménager
On tenait beaucoup compte, en
Europe et en France, en particulier, des réactions du Dey et des
échos d’événements survenus dans les ports de la chrétienté ou en
mer et concernant des intérêts algériens.
Aussi, on s’arrangeait pour
prévenir « les accidents, » ou pour les minimiser, quand on ne
pouvait pas faire autrement. Le 14 avril 1703, le consul Durand
mettait en garde la Chambre de Commerce : « Messieurs, leur dit-il,
les quatre grosses galiotes du Dey, une moyenne et deux escampavies,
viennent d’être mises en mer, elles croiseront, apparemment, cet
été. Obligez-moi, Messieurs, pour le bien commun, de donner
attention à ce que sous prétexte de les prendre pour Salétins, ils
ne soient point insultés des bâtiments de France. »
Et quand les Hollandais, en
guerre avec Alger, voulaient imposer aux vaisseaux français
naviguant entre la Hollande et les ports français de la
Méditerranée, la protection de leur escorte, le Roi Louis XV refusa
« ne voulant pas donner pour un prétexte aux Algériens de prendre
des vaisseaux français comme ennemis[30].
» Quelques années plus tard, fut signé le pacte de famille de
Fontainebleau (1743). On engagea les Espagnols, à ne point donner au
gouvernement du Dey de légitimes sujets de se plaindre, de crainte
que l’union des deux couronnes ne fit jaillir leur ressentiment sur
les Français[31].
»
Dans les contestations de
prises entre commerçants algériens et corsaires français, on jugeait
avec grande équité. Citons l’exemple du navire anglais nolisé en
1705 par des Algériens. Le capitaine P. Marin, de la Ciotat, s’en
était emparé. Le navire était chargé de marchandises d’une valeur
considérable.
Le consul Durand fit parvenir à
Marseille, l’état desdites marchandises en priant la Chambre d’en
obtenir la restitution, car l’émotion était très vive à Alger « et
qu’on ne sait jusqu’où peut aller cette affaire et qu’il est
important de se hâter[32].
»
Alors, que le corsaire
réclamait la plus grande partie du chargement, on l’obligea « pour
raison d’Etat et de commerce de restituer aux Algériens ces
marchandises comme à eux appartenant. » Le Ministre Pontchartrain,
s’adressant aux Echevins de Marseille, leur apprenait qu’il a mandé
à M.Durand « d’engager quelques-uns des Algériens qui sont les plus
intéressés dans le chargement du bâtiment anglais pris par le
capitaine Marin, à venir à Toulon, pour percevoir, eux-mêmes, leurs
effets et ceux de leurs compatriotes et disposer, ensuite, leur
retour à Alger, ainsi qu’il le conviendra afin qu’on ne puisse rien
imputer à la nation de ces incidents qui pourront leur arriver[33].
»
Un incident, presqu’identique,
survint en 1791.
Un juif, sujet algérien, le
sieur Falsiel, ayant affrété un bateau français pour se rendre à
Livourne, se fit dépouiller par la force, de ses biens. L’auteur du
rapt n’était autre que le capitaine Percie, commandant du navire «
La Fortune » affrété par la victime.
Plainte et réclamations furent
adressées au Ministre de la Marine, à Paris. Celui- ci suivit de
près l’affaire. Il le dit dans une lettre à MM. du Commerce :
« J’ai reçu le mémoire du Juif
Algérien, Jacob Falsiel. Si ces réclamations sont justes, je crois
qu’on doit y avoir égard et je vous sais gré d’avoir cherché à la
vérifier, en priant le consul de France à Livourne d’interroger le
capitaine Percie... Je vais, de mon côté, expédier, dans les
échelles du Levant où il est possible que ce navigateur se rende, en
sortant de Livourne, les ordres nécessaires pour s’assurer des faits
et l’obliger à réparer les torts qu’il a causés à l’Algérien... Vous
pouvez prévenir Falsiel de ces mesures et lui déclarer que cette
affaire ne sera point perdue de vue... Cependant, s’il insiste, et
ne sent point attendre l’événement de cette perquisition, je pense,
comme M. Vallière, qu’il faut transiger avec lui, à Marseille, et je
vous y autorise afin d’éviter que la Régence ne donne, à cette
affaire, des suites qui nous soient plus fâcheuses à Alger[34].
»
[1]
(1) A.C.C.M. Série B4, p.343 (9 janvier 1676).
[2]
A.C.C.M. Série G/34, Lettre du 8 octobre 1684.
[3]
A.C.C.M. Série B5 f° 718 (17 mai 1697).
[4]
A.C.C.M. Série B f° 500 (7 février 1692).
[5]
A.C.C.M. Série G/34 (mars 1700).
[6]
A.C.C.M. série G/34 (1763).
[7]
A.C.C.M. Série J 1369, Lettre de Vallière, 24 mai 1764.
[8]
A.C.C.M. Série G/34, La Ciotat, 22 juillet 1791.
[9]
A.C.C.M. Série B f° 453 v° 297 (1711)
[10]
A.C.C.M. Série B80, Lettre d'Alger du 6 janvier 1711.
Faisons remarquer
que Raïs Bakîr emmenait avec lui deux chevaux pour le Roi.
[11]
A.C.C.M. Série B/80, Lettre du 4 mars 1711. Une disette
frappa le midi de la France de 1701 à 1710 : La compagnie
Hély expédia à Marseille et au Havre jusqu'à 200.000
hectolitres de blé par an. Le prix était de 5f.50 l’hect.
Mais le consul d'Angleterre traitait des blés bien
avantageusement que l’argent français. Il en acheta le
monopole en livrant 1.400 barils de poudre.
[12]
A.C.C.M. Série B/80.
[13]
A.N. Marine B7: 89, Levant et Barbarie (1711-1712) f° 48,
45, 49, 52, 89.
[14]
A.C.C.M. Série B/80, Lettre adressée aux Echevins et Députés
du Commerce. La lettre parle, également, de la fameuse
affaire de la prise « La Femme Volante. » La part des
Algériens, les trois cinquièmes du produit sera remise au
consul pour être partagée entre les ayant-droits.
[15]
A.C.C.M. Série B/80, Lettre du 28 mars.
[16]
A.N. Marine B7/89 f° 57 (1er avril 1711) et f° 54.
[17]
A N. Marine B7/89, Lettre à la Compagnie, Versailles, 8
avril C 62 A propos de relâche en France, il arrivait aux
Algériens de se présenter devant Toulon. « On y avait
coutume de leur faire déposer le gouvernail à la
quarantaine, de peur, dit O.Tessier, qu’ils ne sortissent
inopinément pour aller s’emparer des bâtiments italiens
qu’ils voyaient sortir du port » (Une visite, p.120).
L’explication est à chercher plutôt du côté des captifs
musulmans affectés aux galères. Ne craignait-on pas de voir
ces derniers se réfugier dans les navires algériens ?
[18]
A.C.C.M. Série J 1875, Lettre du 10 avril 1674.
[19]
A.C.C.M. Série J B5 f 224, Lettre du 17 juin 1686.
L’intendant Morant
voulut retenir les Algériens « jusqu’à ce qu’ils aient
réparé les contraventions au dernier traité de paix"
allusion à la prise du bâtiment français, la "Marie
Françoise" par Raïs Bostandji, commandant le vaisseau
"L’Oranger". »
[20]
(20) A.C.C.M. Série G/34 (1763)
[21]
A.C.C.M. Série G/34, Lettre du 19 avril 1762.
[22]
A.C.C.M. Série G/34, (1765).
[23]
A.C.C.M. Série B/88 (octobre 1790).
[24]
(24) A.C.C.M. Série B/4 p.645 (4 septembre 1679). Une
allocation de quatre sous par homme et par jour leur fut
accordée ainsi que douze réaux à chacun pour leur passage à
Alger. Egalement série G.34(1700).
[25]
A.C.C.M. Série G/34, Lettre du 22 février 1751.
[26]
Quant au chébec brisé, on en retira les agrès qui furent
vendus aux enchères publiques à Marseille pour 2930
piastres, le courtier ayant pris 29,6 il restait au Raïs 2
901,40.
[27]
A.C.C.M. Série G/34 (1781).
[28]
Voir chapitre V, pp. 110-113.
[29]
Lettre du 25 juin 1695 (Plantet, Correspondance, I.
pp. 468-469).
[30]
A.N. Aff. Etr. B III - 305 (1718).
[31]
Ibid.
[32]
Grammont, Correspondance des consuls. p. 103.
[33]
A.C.C.M. Série B/78, Lettre du 29 juin 1705.
[34]
A.C.C.M. Série B/88. Lettre du 10 avril 1791