2) L’Atlantique.
Comme la Méditerranée, l’Océan était labouré dans tous les sens. Les
fortunes d’Espagne, de Hollande et d’Angleterre provenaient
essentiellement des colonies. Il fallait, pour les corsaires,
étendre le rayon d’action à l’Atlantique, la Manche et la mer du
Nord.
La lettre de Fourquevaux au roi
de France, signalant ces faits, ajoute que « les Espagnols qui
savent la vérité ne veulent pas qu’ils s’y soient perdu sinon
quelques armes et vivres[1]. »
Les îles de Madère[2],
des Açores, des Canaries, les côtes d’Espagne, de Tarifa au golfe de
Cadix, du cap Finistère au golfe de Gascogne, l’embouchure du Tage
au Portugal, la côte française des frontières espagnoles au canal de
La Rochelle, de là à la Manche , partout, on était à la recherche
des bateaux venant du Mexique ou des Indes, des côtes africaines ou
de l’Amérique du Nord.
Les parages de Cadix attiraient
nos marins. Durant le seul mois d’août 1566, ils mirent la main sur
vingt-huit navires espagnols artilleries et munitions en grande
quantité.
En 1613, les Raïs Sulaymân,
Mustapha et Mourad saccagèrent les îles : Sainte Marie et un peu
au-delà du détroit, Porto Santo, proche des Canaries.
Un flamand établi à Salé, Juan
Jansz, alias Morat Raïs, celui-là même qui conduisit
l’extraordinaire raid vers l’Islande en 1627 et dirigea le sac de
Reykjavik... avec 3 vaisseaux. Il en ramena 400 captifs. D’Aranda,
alors captif à Alger, vit quelques-uns de ces derniers au bagne Ali
Bitchin[3].
En 1616 et 1627, les corsaires
arrivèrent sur la côte ouest de l’Islande[4].
Ils marquèrent tellement leur passage que Lespes pouvait écrire :
« Nous avons pu constater, nous-même, au cours d’un voyage en
Islande, que le souvenir de leur débarquement s’est conservé dans
les îles Westmann sur la côte S-0[5]. »
L’Angleterre ne fut pas
oubliée. Les formations qui évoluaient dans l’Océan capturèrent des
dizaines de navires (on dit 466) dont les équipages furent conduits
en captivité à Alger. Le consul de Sa Majesté, en poste ici,
écrivait à son souverain en 1631 que « si les rançons n’étaient pas
versées sans retard, il y aurait un millier d’esclaves à Alger [...]
de leur seule dernière croisière, les corsaires avaient ramené neuf
voiliers britanniques... » La lettre du consul se terminait par
l’avertissement suivant : « ...Ils (les Algériens) disent que si
vous ne vous dépêchez par d’envoyer les rançons, ils iront en
Angleterre et sortiront les hommes de leur lit, comme ils ont
l’habitude de la faire en Espagne[6]. »
En 1647, une descente sur les
côtes de Cornouailles ! En 1650 et 1654, on s’emparait de bâtiments
jusque devant Plymouth !
La hardiesse et le succès
poussèrent les Raïs jusqu’à Baltimore, à Terre Neuve, et dans le
Texel[7].
Dans une lettre à MM. de Commerce, le consul Lemaire signalait
qu’« il est arrivé, le 4 de ce mois (décembre 1690), deux corsaires
d’Alger avec un gros vaisseau génois, de fabrique hollandaise,
sortant de Cadix, lequel allait en Portugal, chargé de tous les
biens du monde[8]. »
Le Nord comme le Centre de
l’Atlantique restèrent un champ de bataille et un lieu de chasse
privilégiés pour des marins expérimentés.
Deux vaisseaux génois venant de
Lisbonne, en 1709, trouvèrent sur leur route « deux vaisseaux
algériens de 36 à 40 canons... Trois autres de 40 canons, croisaient
sur le cap Saint Vincent, pendant que dix-sept autres attendaient
l’ennemi sur son chemin habituel[9]. »
Les coups devinrent sévères au
XVIIIème siècle. Les côtes atlantiques de la France ne furent pas
épargnées. Un document de 1720, nous dit que « les négociants
hollandais voient à leur grand déplaisir et considérable dommage que
les corsaires barbares, et particulièrement ceux d’Alger, augmentent
tellement leurs forces maritimes, non seulement dans la
Méditerranée, mais même sur les côtes de France, interrompant le
commerce de ce pays-ci[10]. »
Entre 1717 et 1720, toutes les
marines d’Europe avaient à déplorer des pertes. Le brigantin
français, « Charles François » venant de la Martinique « fut amariné
à 18 lieues Nord et Sud du cap Saint Vincent et 60 lieues de
Cadix... » La flûte hollandaise « Le Jean, » fut prise par une
caravelle d’Alger à 9 lieues de la terre d’Ouessant, près de Brest.
Elle allait d’Amsterdam à Bordeaux. La même année, ce fut le tour de
« La Demoiselle Anne-Marie, » navire hollandais, pris lui aussi « à
5 ou 6 lieues de la terre de Bretagne. » Le vaisseau français,
« Maréchal d’Estrées » parti du Havre pour le Sénégal, en décembre
1720, fut saisi par deux galères de la Régence à 90 lieues au Nord
de Madère[11].
Quand l’ennemi ne donnait pas
signe de vie sur les flots, quand l’attente se prolongeait
inutilement, on allait le chercher sur la côte. En 1749, trois
chébecs, las de voguer sans rencontrer une proie, « firent une
descente à l’île de Lancerotte, une des îles Canaries, où ils
capturèrent onze esclaves[12]. »
Les Américains dont le commerce
était ruiné par les corsaires depuis de longues années, durent
consentir d’énormes sacrifices avant de parvenir à un traité avec
Alger.
D - Le bilan
Il serait fastidieux (et
impossible) d’énumérer, dans le détail et avec exactitude, les
produits d’une activité débordante, échelonnée sur plus de trois
siècles. Néanmoins, pour fixer les idées, il nous a paru utile
d’inclure, ici, quelques échantillons de prises et de leur contenu.
1) Une guerre lucrative.
Si pour la première moitié du XVIème siècle, notre planche de salut
reste les « Ghazawât » qui nous embarquent avec les
« ghuzât » effectuant des croisières bien lucratives[13],
pour le siècle suivant, les documents, plus nombreux et plus précis,
nous placent au centre de la question.
Les Raïs de cette période, plus
nombreux et plus entreprenants, devinrent les maîtres incontestés de
la mer. ‘Alî Mamy ‘Arabadlî, Safi Mustapha, Calafât Hasan, Mustapha
Raïs, Sulaymân Raïs, M’Hammed Raïs et Qara Mustapha avaient vidé la
Méditerranée et l’Océan de leurs usagers : barques, vaisseaux,
tartanes, navires, lougres, polacres et d’autres types de bâtiments
prirent le chemin d’Alger.
Le consul Chaix affirme que, de
1613 à 1621, neuf cent trente-six bâtiments avaient été capturés,
« et ce chiffre ajoute-t-il, est loin de représenter le total des
prises qui avaient été faites[14]. »
De La Motte estime que depuis
le 10 décembre 1712 jusqu’à son départ d’Alger, le 4 janvier 1720,
le nombre de prises se montait à soixante-quatorze et celui des
esclaves chrétiens à mille-cent-soixante-huit[15].
Pour avoir une idée sur les
exploits des Raïs, rappelons que de 1737 à 1799, la marine de la
Régence avait armé mille-huit navires, soit une moyenne de seize par
an[16].
Le consul Van Den Broegh, en poste à Livourne, parlant de la course
algérienne, signalait qu’il est arrivé quelques vaisseaux français,
venant d’Alger, avec avis que les corsaires avaient de nouveau fait
diverses conquêtes consistant dans les suivantes :
- 16 août dernier : un hoeckre
hollandais, « La Hélène, » destiné pour Rotterdam.
- 19 août, une flûte dânoise
nommée « Margriete » destinée pour Lisbonne, chargées de 3.500
planches, ayant à son bord 24 hommes, prises sur les côtes du
Portugal, par deux grands algériens.
- 13 septembre : il y revient
trois corsaires algériens qui, depuis le 4 septembre jusqu’au 12,
avaient fait les prises suivantes sur les côtes de France, à la vue
de Fontenai, dont ils ont amené deux hollandais et un hambourgeois[17].
L’année 1749, semble avoir été
une année de belle moisson pour nos Raïs. Les prises étaient, non
seulement nombreuses, mais aussi intéressantes.
Le paquebot royal d’Angleterre
fut capturé lors de son retour de Lisbonne. Il y avait pour plus de
« deux-cent-mille piastres en monnaie d’or de Portugal et en
diamants bruts[18]. »
Les quatre vaisseaux qui
ramenaient le fameux paquebot, rentrèrent le même jour avec « un
gros vaisseau vénitien richement chargé qui retournait de Londres à
Venise[19]. »
L’année ne finit pas sans deux
beaux succès pour les corsaires. En effet, le 26 décembre « deux
chébecs emmenèrent une barque espagnole chargée d’orge dont
l’équipage a eu le moyen de s’enfuir, » le lendemain la corvette
partie depuis le 15 octobre, rentra avec une prise, la « Nuestra
Senora Labadia, » vaisseau portugais de huit-mille quintaux, armé de
24 canons. Il était parti de Porto, pour rejoindre le Brésil. Il fut
abordé sur les hauteurs de Madère. Sa cargaison, dit Lemaire, se
constituait d’une infinité d’articles différents[20].
Dubois Thainville, citant
O’Brien, consul d’Amérique, affirme que la course algérienne a
emporté, au début du siècle passé, vingt-sept navires napolitains,
siciliens, maltais ayant des passeports anglais totalisant deux cent
cinq hommes d’équipage conduits en captivité ; dix-sept navires
grecs et treize navires impériaux « estimés à un million de piastres
fortes[21]. »
Un capitaine français parti
d’Alger, rapporte que « cinq bâtiments rentrés successivement à
Alger, amenèrent quatorze navires dont huit suédois, un danois, deux
hollandais et trois espagnols, en avril 1814[22].
Pour 1820, on note le retour « d’une division algérienne, partie
pour la course et rentrée, après quarante jours de croisière, avec
deux grosses polacres et une bombarde tunisienne, richement chargées
dont la valeur est estimée à 600.000 francs, et trois navicelles
toscanes chargées de provision pour les corailleurs[23]. »
Quant au butin qui a défrayé
les chroniques, préoccupé les consuls et alimenté la correspondance
entre Alger et les Cours d’Europe, il englobe pratiquement tout ce
qui pouvait se vendre, s’échanger ou s’offrir en plus des passagers
et membres des équipages qui tombaient dans la captivité.
2) Le butin. Les textes parlent de
marchandises de toutes sortes, de bateaux richement chargés de
trésors, de sommes considérables. Mis à part, l’exagération calculée
pour ameuter l’Europe, l’inventaire des chargements capturés nous
donne :
- Produits de consommation :
blé, orge, fèves, riz, amandes, cacao, viandes salées, poissons
salés, fromages, sucre, sel, poivre, cannelle, noisettes, huile,
vin, tabacs du Brésil, tabac en poudre, eau de vie, patates,
oignons, ail, épices ...
- Minerais et matériaux : fer,
soufre, charbon, briques, bois, faïence, planches, clous, salpêtre,
douves.
- Matières premières et
produits manufacturés : laine, coton, draps, soie, satin, velours,
glaces, savon.
- Animaux : chevaux, bœufs,
chiens de chasse, faucons.
- Armes et munitions : canons,
boulets, poudre, fusils, couteaux...
- Métaux précieux : or, argent,
dinars, doublons, monnaie vénitienne...
Le consul Chaix évaluait les
dommages occasionnés aux seuls français dans les huit premiers mois
de 1616 à 1.800.000 écus et le père Dan, en 1634, estimait la valeur
des prises depuis le commencement du siècle à vingt millions de
francs[24].
Pour ceux qui croyaient que la
course était une opération financière, Alger regorgeait de
richesses. L’état de prospérité de la ville était lié à l’intensité
du trafic maritime en Méditerrané et dans l’Océan.
De 1628 à 1643, la course
aurait rapporté aux Algériens plus de cinq millions de francs et
quatre-vingt bateaux. A elle seule, Cassis perdit quarante barques
et trois vaisseaux[25].
De 1797 à 1808, un seul Raïs, Hamîdû, aurait fait près de deux
millions de prises[26].
3) Le partage du butin.
Le retour des Raïs était une véritable fête. L’un après l’autre, ou
par petites formations, les navires rejoignaient le port qu’ils
avaient quitté, depuis quelques semaines.
Dès qu’ils étaient en vue,
chaque Raïs pavoisait son vaisseau puis tirait des slaves de
réjouissance auxquelles répondaient les canons des batteries et des
forts. Toute la population accourait vers le port, plusieurs heures
auparavant, car les vigies de Bouzaréah avaient déjà signalé
l’arrivée des corsaires.
Le débarquement avait lieu au
milieu des manifestations de joie et des cris d’allégresse. Puis à
tout Seigneur tout honneur ! Le Dey recevait, un rapport détaillé de
la mission qui venait de s’achever. On procédait ensuite au partage.
L’opération ne manquait pas de
complexité et la réglementation avait subi des changements, parfois
en faveur des équipages[27].
Avant toute chose, on
commençait par un inventaire minutieux des prises. Le Khûdja
al-Ghanâ’im, secrétaire des prises, en dressait la liste avec
précision.
L’état armateur avait la grande
part. Du lot des captifs, le capitaine, le pilote, l’écrivain et le
charpentier lui revenait de droit.
De pareils techniciens étaient
très utiles à la marine. La carcasse, les agrès et les armes
allaient également au Dey.
Du produit de la vente, on
déduisait : les droits du port afin d’entretenir le môle et les
différents services, le salaire des Biskri qui déchargeaient le
contenu des prises, la solde des gardiens, le loyer du local où
étaient entreposées les marchandises, les indemnités des crieurs
publics annonçant les ventes, celles de mesureurs, des changeurs,
etc...
On prélevait ensuite 1% pour
les « tolba » au service des mosquées de la ville et une somme
« pour le rachat des Raïs tombés entre les mains de l’ennemi. »
On procédait alors au partage
du reste[28].
Raïs et armateurs s’arrogeaient la moitié du butin. Les 50% qui
restaient étaient distribués en une infinité de parts, où
l’état-major (officiers, chirurgiens, calafat, charpentier, maître
de la hache) recevait plus que les autres. Dans ce lot, les marins
étaient plus avantagés que les soldats[29].
En 1637, armateurs et Raïs
touchaient la moitié du butin, mais ces derniers percevaient encore
de la deuxième moitié, 10, 20 ou même 15 parts. L’agha en prenait :
3 ; son adjoint : 3, le chirurgien : 3, et les soldats : 1[30].
Le partage a pu paraître
manquer d’équité aux yeux de certains mais à l’époque qui nous
préoccupe, la chose était normale et volontairement admise.
D’Arvieux a pu écrire, après avoir constaté et médité la
réglementation en vigueur ici. « Il est surprenant que les peuples
aussi brutaux et aussi barbares que les Algériens gardent autant
d’ordre et de justice, qu’ils gardent dans leurs brigandages. On ne
voit jamais, entre eux, la moindre difficulté sur leurs partages
pendant qu’ils font des injustices à tout le monde, ils se rendent
entre eux, une justice que l’on remarque à peine entre les chrétiens
les plus parfaits[31]. »
Cependant, les sorties
n’étaient pas toujours couronnées de succès. Souvent, le séjour en
mer s’avérait inutile et l’on rentrait les mains vides pour diverses
raisons, une voie d’eau, un mauvais temps persistant, une croisière
défavorable, un ennemi plus fort, un incendie à bord, une épidémie
affectant l’équipage etc...
Quand les sorties étaient sans
butin, les Raïs et les armateurs n’avaient rien à payer au personnel
embarqué. Il n’y avait aucun salaire fixe à donner. C’est pourquoi
le bonheur de tous provenait des prises seules, « afin de mieux les
inciter au combat par l’espoir de réaliser un gain[32]. »
Une paie assurée d’avance diminuerait l’ardeur la plus téméraire.
Les prises qui ne trouvaient
pas preneurs étaient expédiées vers Livourne et de là, vers les
grands marché de l’Europe. Des juifs, spécialisés dans la
liquidation de ces prises, se taillaient les plus gros bénéfices[33].
E - La parade
européenne
Les coups sévères portés à la
sécurité et à l’économie des nations chrétiennes par une course
infatigable, amenèrent ces dernières à adopter une série de mesures
défensives et offensives. Examinons d’abord les premières, ainsi que
les résultats obtenus.
1)
Fortification et surveillance des côtes. Dès le
XVIème siècle, certains Etats d’Europe, ayant ressenti durement
l’action de nos Raïs, s’empressèrent de fortifier les rivages dans
l’espoir de stopper les incursions. Plusieurs solutions furent
envisagées. Presque toute la côte nord de la Méditerranée se trouva
hérissée de citadelles, de forts, de constructions spéciales à tel
point qu’un contemporain disait « qu’il n’était villa qui ne soit
plus ou moins fortifiée. »
Aux Baléares, les « atayalas »
(tours de guet) édifiées, ainsi que sur la côte espagnole exposée,
les défenses « torrigiana » de la Corse par les Génois, la
construction d’une ceinture « de cent-cinquante paratas » et de
trois-cent-treize tours de guet autour du royaume de Naples, les
cent-trente-sept sur la côte est et sud de la Sicile... devaient
mettre ces régions, en principe, à l’abri des menaces. On y ajouta
des places fortes, des points d’appui solides, des batteries, des
liaisons par signaux optiques.
A Baudon, près d’un petit lieu
de plaisance appelé « Sixfour, » la maison d’un modeste gentilhomme
était « assez forte, ayant au-devant une terrasse qui regarde
l’entrée de la mer et sur celle-ci, deux pièces de fer coulé, deux
pierriers, un de fonte verte et l’autre de fer, six arquebuses et
douze mousquets. » On installa à Gibraltar même des canons renforcés
qui atteindraient les bâtiments ennemis, on fortifia l’îlot de
Peregel au large de Ceuta mais on passait le détroit par surprise
« profitant d’une nuit favorable d’hiver » ou par force en malmenant
les escadres de garde[34]. »
Les habitants des côtes vivaient dans une perpétuelle terreur, même
quand leurs maison étaient construites « en matière de forteresse »
comme ce couvent de Caloyers, édifié sur la plus grande île des
Strophades, aux abords de Navarin[35].
On augmenta le nombre des tours de garde. En 1652, on comptait une
centaine en Calabre.
Les fortifications n’ayant pas
suffi, on en vint à la surveillance des lieux. Milices et troupes de
campagne y furent affectées. Un arrêt du Parlement de Provence,
rendu le 11 avril 1622, « enjoignait aux consuls des villes et
communautés voisines de la mer de faire bonne garde jour et nuit,
sur la côte et d’équiper des vaisseaux et tartanes pour poursuivre
les pirates barbaresques[36]. »
A la Ciotat, les habitants faisaient bonne garde. Toutes les nuits,
un guetteur montait au sommet d’une forteresse, ou à l’entrée du
port, y veillait en tenant un feu. Dès qu’il apercevait un corsaire,
il en allumait aussitôt un autre. C’était alors le signal convenu et
qui se transmettait sur tous les points de la côte, depuis Antibes
jusqu’à Port de Bouc. Dès que l’alarme était donnée, on mettait les
objets précieux en sûreté[37].
Sur les côtes de Provence et du
Languedoc « les riverains furent obligés de convertir leurs maisons
en places fortes ou en "logettes" dans lesquelles on entretenait des
hommes experts en la navigation lesquels s’y tenaient nuit et jour
pour prendre garde aux galères et navires ennemis ; des signaux
avaient été établis le long de la côte pour annoncer l’approche des
Algériens[38]. »
۞
۞
۞
Malgré ces dispositions,
l’obsession du corsaire algérien hantait les esprits. Début 1777,
les habitants de la Magdelaine dont les deux tiers étaient Corses
fomentèrent une émeute « lorsqu’ils ont vu transporter toutes les
munitions de guerre dont le fort Saint Etienne, de crainte,
disent-ils, d’être insultés par les Barbaresques lorsqu’il n’y aura
plus personne pour les défendre[39]. »
Les résultats étaient
décevants, malgré les ruineuses dispositions. Les côtes étaient si
étendues, toutes les initiatives ne pouvaient avoir qu’un effet
limité. Le nombre de tours de garde restait, en certains endroits,
inférieur aux normes. « Il y a, en Sardaigne, reconnaissait une note
officielle[40],
que quatre tours qui sont évidemment insuffisantes pour mettre à
l’abri, de tous ces dangers, une étendue de sept cent milles de
côtes que comprend l’île[41]. »
D’un autre côté, les mesures
d’auto-défense furent vaines car les « ghuzât » apprirent vite à
déjouer cette surveillance. Ils abordaient de nuit, très souvent,
guidés par des captifs originaires de la région et à qui on
promettait une libération prochaine. Les dispositions prises ne
purent empêcher les habitants de Pallogorio de fuir en masse et de
s’installer à Borgia, en 1604 !
2) Patrouilles dans les eaux territoriales.
Venise entretenait sur mer plusieurs escadres : la première
surveillait l’Adriatique en permanence. Elle était placée sous les
ordres du capitaine du golfe. La seconde, fixée à l’entrée de
l’Adriatique était commandée par l’Amirante et la troisième,
croisait dans le bassin oriental sous la responsabilité du
Provediteur.
En 1749, le Pape Benoît XIV,
préoccupé de l’insécurité qui régnait dans les eaux territoriales
d’Italie, protesta d’abord auprès de l’Empereur d’Autriche contre
l’admission des navires algériens dans les ports méditerranéens.
Démarche vaine. Alors le Souverain Pontife, invita le Grand maître
de Malte, le Roi des deux Siciles, le Roi du Piémont et les
Républiques de Gênes et de Venise à pourvoir, en commun, à la
défense de ces eaux... On se partagea les zones à surveiller, mais
la défense des eaux n’avait abouti à rien ! Deux ans plus tard, les
cinq sages du commerce informaient le Sénat que les mers qui
baignaient l’Italie continuaient à être infestées de corsaires
barbaresques[42].
Le capitaine Trifon Zambella, vénitien, surpris par trois chébecs
algériens dans les eaux de Toscane, avait dû abandonner son navire
chargé de marchandises et se réfugier à terre avec son équipage.
3) Interdiction de naviguer en Méditerranée
: Devant l’ampleur des prises et l’incapacité d’arrêter les attaques
des Algériens, Louis XIV prit, en 1683, la décision suivante : « Sa
Majesté étant informée qu’il y a, à présent, dans les mers du
Levant, un nombre considérable de vaisseaux algériens qui occupent
tous les passages, et voulant éviter les prises qu’ils pourraient
faire des vaisseaux appartenant à des sujets qui navigueraient avant
qu’elle ait suffisamment pourvu à leur sûreté. Sa Majesté a fait et
fait très expresses inhibitions et défenses à tous ses sujets des
provinces de Provence et de Languedoc et de quelque qualité et
condition, qu’ils soient maîtres, patrons ou propriétaires de
barques, tartanes ou autres bâtiments, d’en noliser ni faire sortir
aucun des ports des dites provinces pour le Levant [...] à peine de
confiscation des bâtiments et des marchandises et de mille livres
d’amendes, leur permettant seulement de continuer leur commerce et
navigation en Italie et port en port[43]. »
Cinq ans plus tard, les ordres
donnés aux capitaines en partance pour le Levant furent "de naviguer
de conserve jusqu’à la hauteur de l’île de Candie et de se secourir
mutuellement en cas de rencontre des Hollandais ou des Algériens en
guerre contre la France[44]. »
Cependant, dans le bassin
occidental, le grand nombre d’escales rendait impossible la
réalisation des convois. D’autre part, cette solution obligeait les
navires d’attendre longtemps, prolongeait la durée des voyages et
augmentait les frais. Personne n’y trouva son compte.
4) Les « Navi atte. »
Pour défendre son commerce maritime, Venise fît construire, à grands
frais, de gros bâtiments marchands armés et équipés de façon à
pouvoir repousser d’éventuelles attaques corsaires. Elle accorda
certains privilèges fiscaux à ces navires afin que les armateurs
puissent faire face aux dépenses accrues d’armement et d’équipement.
A peine mis en service, ces
géants de la mer montrèrent une efficacité limitée. Attaqués, ils ne
réussissaient pas toujours à repousser leurs assaillants. Les
corsaires augmentaient sans cesse le nombre de leurs bâtiments qui,
« à partir de 1748, ne naviguaient plus isolément mais par groupes
de trois ou quatre. » Ils purent ainsi se mesurer, avec succès, aux
« Navi atte. » Sacerdoti cite un exemple, parmi tant d’autres, de
performance de nos Raïs. « Au-delà du Détroit de Gibraltar, dit-il,
la navi atte commandée par le capitaine Bronza fut vaincue dans un
combat contre quatre navires algériens[45]. »
5) Le recours à l’escorte. Quand
les routes devinrent incertaines, malgré toutes les mesures prises[46]
et les voyages dangereux, le commerce, principalement celui de
Marseille, connut de difficiles moments.
Pour atténuer la pression des
Raïs, on eut recours à l’escorte. Et les bateaux ne quittaient leur
port que sous la protection de bâtiments de guerre. Mais il fallait
en avoir d’abord !
Au début, une sécurité relative
fut assurée au commerce de Marseille. Mais vite les inconvénients
dépassèrent les avantages. On s’aperçut que la présence d’unités de
guerre n’intimidait nullement les formations algériennes et
l’attaque était souvent concluante.
M. de Sartihe, Secrétaire
d’Etat à la Marine dit dans une de ses lettres : « J’ai appris, avec
beaucoup de peine le malheur qu’ont essuyé cinq bâtiments français
qui sont tombés entre les mains de ces scélérats, malgré les mesures
qui avaient été prises, dans la vue de pourvoir la sûreté de la
navigation dans la Méditerranée. Sa Majesté a été affectée au compte
que je lui en ai rendu[47]. »
Il y avait pénurie de navires
de guerre pour protéger tous les convois sortant des ports français
et allant dans des directions différentes. Le détroit de Gibraltar
semble avoir été le plus critique[48].
Une pétition des armateurs,
signée en novembre 1827[49]
réclamait l’augmentation des navires de guerre et s’étonnait que
« trente-six navires étaient sous l’escorte d’un seul brick[50]. »
.
En octobre 1828, les négociants
de Marseille lançaient à leur tour, un cri d’alarme et réclamaient
plus d’escorteurs : « Un seul navire par mois pour escorter des
navires marchands à destination de l’Océan...! Le commerce de
Marseille déjà anéanti, dans le Levant, entravé par la gêne des
escortes [...] a besoin d’être sérieusement protégé, si on ne veut
pas le voir tomber dans le découragement [...] Depuis la déclaration
de guerre à la Régence d’Alger, deux escortes ont été envoyées,
chaque mois, elles sont aujourd’hui réduites à une seule ! »
Après avoir demandé au préfet
maritime de révoquer son ordre relatif à la réduction des escortes,
les signataires réclamaient le retour dans la Méditerranée du plus
grand nombre de bâtiments légers, seul moyen, pensaient-ils, de
soustraire les navires français aux dépravations des Barbaresques[51].
Et comme les corsaires algériens étaient en croisière « du Cap Saint
Vincent au Cap Finistère, » on insistait pour que l’escorte se
prolongeât jusqu’aux ports français de l’Atlantique.
L’opération « convoi » fut
négative à cause de l’indiscipline ou de l’impatience des capitaines
de la marine marchande, de leur cupidité, car ils se séparaient de
leurs compagnons de route dans le but d’arriver les premiers aux
ports pour y vendre leur chargement.
Efficacité et rentabilité
étaient l’objet de vives controverses. Les navires d’escorte étaient
jugés « gros mangeurs de primes, de soldes et de crédits. »
L’insécurité de la navigation
devint si générale que les corallines prenaient à Naples, à leurs
frais, une grande felouque armée pour les escorter en venant de
Sardaigne, les défendre pendant la pêche et les escorter de nouveau
à leur retour. Au sujet des coups assénés à Venise par la Marine
d’Alger, Bonaparte, dans une lettre à son Ministre concerné lui dit
: « Venise qui fournit de grands avantages à la marine, réclame de
vous, citoyen ministre, douze ou quinze permissions qui mettent les
bâtiments les plus riches à l’abri des Algériens. Ces corsaires lui
ont déclaré la guerre depuis environ trois mois, ce qui ruine
entièrement son commerce. Si pouvez prendre en considération cet
objet, il sera très avantageux, pour indemniser ce pays des pertes
qu’il fait tous les jours[52]. »
6) Les autres mesures. Pour
permettre au navire attaqué de se défendre, on imagina quantité de
mesures, « on augmenta les effectifs des équipages, on fit appel aux
soldats de métier, aux volontaires aimant le risque, on doubla les
gratifications des capitaines et du personnel à bord « qui
résisteront ou couleront un navire ennemi, » on décerna « chaîne et
médaille d’or à l’effigie du Roi et aux armes de Marseille[53]. »
Venise prit des dispositions
d’un autre genre : armer les navires de commerce, assurer des
avantages et privilèges à qui utiliserait les navires habilités à
faire le commerce dans les bassins oriental et occidental de la
Méditerranée... Cependant, pour être déclaré habilité à naviguer,
sans protection, « un navire devait mesurer à la quille 70 à 80
pieds, être armé de 24 bouches à feu dont 18 pour boulets de 14
livres et les autres pour boulets de n’importe quel calibre, avoir
un équipage de 40 hommes au moins, dont dix devaient être des
soldats appartenant à des régiments d’outre mer, porter à bord 30
barils de poudre, 500 boulets assortis, pour les diverses bouches à
feu, 40 fusils, 40 bandoulières et 40 dagues[54]. »
En France, une ordonnance
royale, envoyée aux échevins de Marseille, « interdisait aux
capitaines français de vendre leurs navires à des étrangers » de
peur d’être achetés par les algériens.
Pour ne donner au Dey aucun
motif de mécontentement, on prit certaines distances avec l’Espagne.
Le Grand Amiral de France fit part aux officiers de l’Amirauté que
« M. le Duc d’Orléans[55]
ayant défendu qu’aucun vaisseau français ait à se noliser à
l’avenir, pour le service de l’Espagne, il est nécessaire que vous
teniez la main à ce que cet ordre soit exactement observé dans votre
port, et que vous le fassiez à tous les participants et maîtres de
bâtiments de votre port qui s’y trouveront. »
۞
۞
۞
A côté de toutes ces mesures
défensives, les Cours d’Europe, en conflit avec la Régence,
adoptèrent une série de dispositions offensives dans l’espoir
d’enrayer la course et l’activité des Algériens.
1) L’armement des galères.
Le testament de Charles Quint (19 janvier 1548) indique les mesures
que l’empereur croyait susceptibles de contrecarrer les Algériens :
« Quant aux galères, je ne crois pas que l’Espagne, Naples et la
Sicile puissent se distinguer d’en entretenir pour la garde
ordinaire de leurs états contre les Turcs et contre les Maures. On
ne saurait avoir confiance dans la trêve conclue avec le Turc. Il
est donc nécessaire de tenir ces galères armées, ne fussent que pour
réprimer les incursions des corsaires[56]. »
Pour défendre son commerce,
Marseille prit des initiatives jugées parfois inopportunes et
susceptibles de faire plus de mal à ses intérêts que de bien.
Elle arma des galères à ses
frais pour entamer la chasse aux Algériens. Cependant, l’opération
se révéla coûteuse sinon ruineuse. De 1611 à 1616, elle dut payer 4
500 livres ! Aux frais d’armement, s’ajoutaient ceux de voyages
escortés et de la surveillance des côtes de Provence[57].
Pour trouver l’argent indispensable, il fallait augmenter les taxes.
Un arrêt du Conseil établissait, en 1688, « un droit de trois livres
par tonneau sur les bâtiments venant du Levant. Le produit du dit
droit, devait contribuer aux frais d’armement contre Alger. Un
second étendait les dispositions du précédent aux navires en
provenance de Candie et de l’Archipel.
Un incident survenu en 1703
permit au Duc de Praslin de rappeler la Chambre de Commerce à
l’ordre. Un corsaire inconnu que l’on suppose appartenir à la
Régence d’Alger » pillait les navires qui sortaient de Marseille. La
Chambre avait cru opportun d’armer des navires pour faire la chasse
à ce corsaire. Le Duc blâma vivement cette initiative qui pouvait
provoquer des représailles des Algériens : « Je ne comprends pas que
vous ayez pu agir avec aussi peu de réflexion. Une seule vous fera
sentir combien vous êtes fait illusion à vous mêmes et combien vous
vous êtes écartés, essentiellement de votre devoir et de votre état
en suivant, au hasard, une impulsion de chaleur et de crainte qui
vous a porté à la délibération la plus inconsidérée qu’un corps
municipal put prendre ; c’est que vous avez établi de votre chef,
des représailles possibles qu’il n’appartient qu’au Roi d’ordonner
et que vous avez exposé le pavillon de sa Majesté à une rupture
presqu’inévitable avec Alger[58]. »
De leur côté, les consuls en
poste à Alger réclamaient, régulièrement, dès la fin des
soulèvements protestants, le retour en Méditerranée, des galères
royales. A leurs yeux, la présence de la flotte dans l’Atlantique
n’avait plus sa raison d’être. Leur principal souci étant la lutte
contre la Régence, ils prétendaient « qu’on détruirait dans deux ans
ces tanières de brigands et de voleurs qui seraient contraints de
venir demander la paix à genoux. »
Beaucoup de bruit pour rien !
« Les corsaires barbaresques, dira un spécialiste, établissent leurs
croisières le long des côtes, nos vaisseaux de guerre fuyant les
côtes, il n’est pas étonnant que ceux qui ont été employés contre
ces corsaires en 1728, 1729 et en 1742 n’en aient pris aucun ! »
2) Construction de
vaisseaux légers. La marine de
guerre n’était pas adaptée à cette forme de lutte contre les
bâtiments d’Alger. Le port de Toulon abritait de nombreux vaisseaux,
frégates, barques et chébecs, mais ils étaient trop forts pour être
destinés « au service qui paraissait le plus urgent » pour le
moment. Ils n’étaient pas, à beaucoup près, aussi utiles, surtout
pendant de nombreux mois de l’année. Il fallait « avoir recours à
des bâtiments plus petits et plus propres par leur légèreté et la
nature de leur construction, à poursuivre les forbans dans les anses
où ils se retirent. »
En 1750, De Rouillé, Ministre
de Louis XV, fit construire quatre chébecs pour les opposer aux
Maghrébins. On les appela : « Le Requin, l’indiscret, Le Rusé, Le
Serpent. » On décida en 1764, la construction de quatre autres :
« Le Renard, Le Séduisant, Le Singe, et le Caméléon. »
Ces mesures ne semblent pas
avoir rassuré les marins français. Le sieur Pras, consul de France à
Oran, occupé alors par les Espagnols, le disait à Rouillé : « Les
capitaines qui abordent ici naviguent avec crainte par rapport aux
corsaires d’Alger voyant ce qu’ils ont exécuté au dit Alger avec le
capitaine Prépau[59].
Ils appréhendent d’une guerre avec cette République. Ils viennent à
moi savoir si j’ai quelques ordres de votre Excellence. »
3) Accentuation de la course.
Certaines associations marchandes de Marseille armèrent à leur tour
des bateaux corsaires qui « avaient pour mission de courir sus aux
bâtiments des pirates barbaresques, de les détruire ou, tout au
moins, de les empêcher de sortir de leurs ports d’attache. » Les
capitaines de ces navires chasseurs recevaient de l’Amirauté des
commissions qui les mettaient en règle avec les bâtiments de guerre.
Les marchands payaient et entretenaient ces navires et leurs
équipages. Les prises faites leur appartenaient sauf une part qui
revenait de droit au Grand Amiral de France. Parmi les aventuriers
qui furent au service de Marseille, il faut citer Simon Dansa.
Seignelay engagea des
particuliers à armer pour leur compte en leur offrant des vaisseaux
du Roi « gratis » et n’exigeant aucune rétribution dans les prises.
Il s’obligeait même à prendre, pour le compte du Roi, les esclaves
qu’ils feraient à trois cent cinquante francs, pièces[60].
Ces armements privés persistèrent jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.
Un arrêt du Conseil d’Etat rendu le 17 septembre 1687, ordonnait que
« le commerce de Marseille payera 3.000 livres à chaque armateur qui
prendra un vaisseau d’Alger, armé en course et 1.500 livres pour
chaque barque armée en guerre, qu’ils prendront sur les dits
corsaires. » Suite à cet arrêt, une gratification de 1.000 livres
fut consentie au Marquis d’Amfreville « armateur particulier ayant
activement collaboré à la prise d’un vaisseau corsaire d’Alger, de
trente canons, cent-quatre-vingt un Turcs en vie et quarante-six
chrétiens dont vingt-cinq Français » et amené à Toulon[61].
La même année, de Mortemart eut
ordre de poursuivre les Algériens sans prévenir, de séparer son
escadre en plusieurs croisières : la plus forte, au détroit, la
deuxième sur Ivice, la troisième sur le cap Saint Vincent et le cap
du Finistère, la dernière aux îles Saint Pierre [...][62]
et de chercher le coup d’éclat.
4) Plan de police des mers. Dans
le cadre de la poursuite des Algériens en mer, on étudia la
construction d’une flotte spécialisée dans la lutte contre ces
derniers.
Il y eut le plan Henri de
Seguiran, en 1633. Son auteur suggérait « que le Roi de France
tienne vingt galères divisées en deux escadres. La première, de
douze, pour assurer le port de Toulon qui est comme le centre de la
dite côte, la seconde, qui serait assez grande, de huit galères pour
demeurer à Marseille, battrait la côte de la mer à divers temps
depuis la dite ville de Marseille jusqu’au cap Sicret, proche de
Toulon du côté du Levant et du côté du Ponant, jusqu’à la Tour de
Bouc, proche de l’embouchure du Rhône. »
Jacques Vacon avait son opinion
: « Guetter entre Oran et l’Espagne les pirates algériens chargés de
nos dépouilles aux bouches de Bonifacio, les receleurs de Livourne
venus d’Alger ou de Tunis, au Sud de Candie, les détrousseurs du
Levant[63]. »
L’autre plan est de Tourville,
adressé à Seigneley, en octobre 1687. « Il faut, lui dit-il, douze
navires pour faire la guerre contre les Algériens, c’est à dire,
deux pour croiser contre les Salétins sur le cap Saint Vincent, la
Roque et Finistère et qui soient assez forts pour prendre les
Algériens ; il en faudrait quatre pour demeurer dans ce détroit ; en
cas qu’ils n’y passent pas, il faudrait que ces quatre navires aient
la liberté de courir par toute la Méditerranée et même d’y consommer
leurs vivres parce qu’il serait fâcheux que, sachant qu’il y a des
corsaires dans la Méditerranée, on les abandonnerait pour rentrer
dans le détroit et prendre un mois et demi de vivres qu’on réserve
pour passer dans le détroit et pour se rendre en France. Pour les
six autres vaisseaux, je pense qu’il serait à propos de les envoyer
dans la Méditerranée, selon les nouvelles que l’on apprendra de ces
corsaires [...] Pour les navires des caps Saint Vincent, la Roque et
les Barlingues, ils faut qu’ils restent toujours dans l’Océan. »
Chaque échec d’un plan amenait
l’élaboration d’un autre. De Kersaint avait le sien en 1720.
Ecoutons-le : « Si j’avais l’honneur d’être Ministre de la Marine,
je regarderai, comme une bonne fortune, l’insulte que les Algériens
viennent de nous faire et, bien loin d’employer toute la puissance
du Roi pour écraser, tout d’un coup, cette insolente République, je
profiterai de l’occasion qui se présente de tenir toute l’année,
sans alarmer nos voisins, une douzaine de bons vaisseaux armés pour
harceler et bloquer les pirates dans leurs ports ; il y en aurait,
sans cesse, six en croisière, deux en face d’Alger, deux ou trois
lieues au vent, deux à égale distance sous le vent et, en outre, des
chébecs et de petites frégates tout le long de l’étendue de cette
côte, tant pour empêcher qu’il ne sortit aucune de leurs galiotes
que pour fouiller exactement tous les neutres qui peuvent y aborder
pour leur fournir des agrès et des munitions de guerre. Une de ces
frégates pourrait aller jusqu’en Sardaigne d’où elle apporterait aux
gros vaisseaux toutes sortes de rafraîchissements qui y sont en
abondance et à très bon compte.
Il serait heureux qu’il y eut,
dès ce moment, un couple de vaisseaux prêts à se rendre devant
Alger, pour arrêter les secours que nos ennemis ne manqueront point
de leur porter [..].
Quant au projet de bombarder
Alger pour renverser des maisons, outre qu’il en coûterait des
sommes considérables, ce n’en vaut pas la peine[64]. »
[1]
S.I.H.M. Série Sa‘adiens - France, t. I, p. 284.
Lettre au roi Charles IX. Ségoire. 3 septembre 1566.
[2]
Ile de l’Atlantique dépendant du Portugal, 740 km2.
[3]
Mon article, Turkjaranio (Le raid Turc),
Connaissez-vous ? Sous presse.
[4]
Dan, Histoire, p. 312.
[5]
Lespes, Alger, Paris 1930, p. 131. Mon article :
Turkjaranio (Le Raid Turc) Revue Maghrébine. 1996 pp.
[6]
Cité par Gosse, Histoire de la Piraterie. Le maire de
Plymouth faisait savoir en 1625 que « les pirates au cours
de cette année avaient capturé un millier de marins des
régions de l’Ouest. »
[7]
Laugier de Tassy, Histoire d’Alger, p. 264.
[8]
Cité par de Grammont : Correspondance des Consuls...
Lettre du 11 décembre 1690.
[9]
Marine B7/2 f° 225, Lettre de Cadix, 24 août 1709.
[10]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, n° &"
(1720-1789), Projet pour la ruine des pirates turcs
d’Algiers, Tripoli, Tunis et Zalé (Salé).
[11]
La principale raison de ces arraisonnements était la
non-conformité des passeports présentés aux modèles détenus
par les Algériens.
[12]
A.N.Aff.Etr. B III - 303, p. 37 (1749).
[13]
Ghazawât.
Ma thèse de 3ème cycle, première partie, Aix en Provence,
1972.
[14]
Grammont (H.de), « Relation entre la France et la Régence
d’Alger, » R.A., 1879, p. 139.
[15]
Voyage,
p. 139.
Sur les prises de 1685 à 1686, A.N. Aff.Etr.
Mémoires et Documents, t. 12, Alger, (1604 - 1719).
[16]
Desfeuilles, « Scandinaves et Barbaresques, » C.T.
15/1956, p. 330 ; Az-Zahhar, Mudhakkirât, p. 66.
[17]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, n° 13 (1720 -
1789).
[18]
A.C.C.M. Série J 1365, Lemaire, Journal (1749) et Série J
1363, Lettre du Consul Thomas.
Une intéressante polémique s’engageant entre Anglais et Algériens au
sujet de cette prise : le Dey jugeait que le paquebot
n’avait pas de passeport ordinaire des vaisseaux marchands
conforme aux modèles que l’on délivre ici... Donc, le
chargement était de bonne prise.
La Cour de Londres : le Commandant était muni de la commission du Roi.
Le bâtiment appartient à Sa Majesté. Il est uniquement
destiné au service de la Couronne.
Réponse du Dey : le vaisseau ayant chargé des
biens de particuliers (une vingtaine environ cesse d’être un
vaisseau du Roi (qui de plus, n’a pas jugé bon de répondre à
trois lettres du Dey). Dét dans L.Chailloux, Textes pour
servir à l’Histoire de l’Algérie au XVIIIème siècle, pp.
77,78.
[19]
A.C.C.M. Série J 1363, Lettre du Consul Thomas, 5 avril
1749.
[20]
A.C.C.M. Série J 1364, Lettre du 15 janvier 1750.
[21]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 14
[22]
A.C.C.M. Série M R. 46.1.41, Le capitaine rentrait en France
avec la polacre française, « Aziza. » La série présente une
liste exhaustive des prises.
[23]
A.C.C.M. Série MR.46.1.41.
(20 août 1820).
[24]
Sans citer de sources, P.Boyer affirme que : « De 1800 à
1815, le chiffre des ventes atteint 6 millions et demi de
francs-germinal soit près de 20 millions de francs. »
« L’année qui voit le plus grand nombre de captures est 1802
: 20 au total dont celle de la frégate portugaise. » (La
Vie Quotidienne à Alger, p. 239).
[25]
La Roncière. Histoire. IV, 692.
[26]
Jurien de La Gravière, Doria et Barberousse, p. 374.
[27]
En 1817. 1818 et 1826 notamment. Voir Dan.
Histoire. pp. 303-304-305.
[28]
Les auteurs occidentaux donnent des répartitions
différentes. A titre d’exemple, d’Arvieux, Mémoires,
v. p. 269, Laugier de Tassy, Histoire. p. 265
[29]
Si les janissaires avaient l’organisation et les privilèges
attachés au corps de ceux de l’Empire Ottoman, les Raïs ne
recevaient aucune solde et ne vivaient que par le produit de
la course.
[30]
Douin nous donne le partage dans la course anglaise et
française au début du XIXème siècle : « Parmi les corsaires
qui lui tombaient entre les mains, dit-il, Nelson
choisissait les navires les mieux taillés et, au lieu de les
vendre, comme prises, proposait à l’Amirauté de les acheter
à son compte. » (La Méditerranée de 1803 à 1805, p.
186).
En France la répartition se faisait conformément à l’arrêté consulaire
du 9 ventôse an IX.
« Tous les vaisseaux, frégates ou autres bâtiments de guerre ennemis qui
seront pris par les bâtiments de l’Etat, ainsi que leur
artillerie, agrès, vivres et munitions, matières d’or et
d’argent et autres objets chargés sur les bâtiments
capturés, appartiendront en totalité aux individus
composants les États-majors et équipages des bâtiments
preneurs. »
« A l’égard des corsaires,
bâtiments armés en guerre, marchandises et navires marchands
capturés, les 2/3 seulement du produit de la prise devaient
être distribués entre les Etats-majors et les équipages, le
dernier tiers étant versé à la caisse des invalides de la
marine [...] Si les vaisseaux ennemis étaient pris à
l’abordage, une prime de 200 francs par canon était allouée
en sus. » (Douin, op. cit. pp. 199-200).
[31]
D’Arvieux, Mémoires. V, pp. 262 - 263.
[32]
Dan, Histoire... pp. 265 - 266.
[33]
On a toujours accusé les Juifs d’Alger ou de Livourne d’être
seuls friands de prises invendues ici. Beaucoup de consuls
en poste à Alger ou dans les Etats Italiens concouraient
directement ou par des intermédiaires, à l’acquisition de
navires, de marchandises ou même d’esclaves.
M.Rosalem,
Vénitien, chargé de conclure avec Alger un traité de paix,
désigna nommément les consuls Logie de Suède, et Fordt
d’Angleterre, comme grands « acheteurs » de prises (R.A..
1952, pp. 85-86).
[34]
Braudel, Méditerranée. II, p. 110.
[35]
Douin, La Méditerranée, p. 29.
[36]
A.D.B.R. Série B IX - B 2 f° 1
[37]
Pie V (1566 - 1572) ordonna de couper les arbres et les
buissons autour de Santa Lorenza.
[38]
Primaudaie (E. de La), Le Commerce, p. 29.
[39]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents 1541 - Corse
(1681 - 1779) p. 18 v°. Lettre de Vergennes à Tillet, 5
février 1777.
[40]
Bureau de l’Etat pour les Affaires Etrangères, 4 septembre
1779, Réflexions sur l’état envoyé de Sardaigne.
[41]
Cité par B.Manca, Gli stati delMaghrib e la politica estera
del regno sardo (1773 - 1783), p. 153.
[42]
Sacerdoti, R.A., 1957, p. 286.
[43]
A.C.C.M. Série E/53.
[44]
AC.C.M. Série B/5 F 382 (11 décembre 1688).
[45]
Sacerdoti, R.A., 1957, p. 288.
[46]
On les comparait à l’époque « aux chemins les plus écartés
de la Calabre et de l’Albanie ».
[47]
A.C.C.M. Série E, Lettre du 16 janvier 1775. De nombreux
détails dans les articles 42, 43, 44, 45 de la même série.
[48]
A.C.C.M. Série MR 46.1.41, Lettre des négociants de
Marseille, 2 juin 1827.
[49]
Le blocus d’Alger avait déjà commencé.
[50]
Copie de cette lettre dans les documents, à la fin dut. II.
[51]
A.C.C.M. Série MR 46.1.41.
[52]
Napoléon, Correspondance... publiée par Berbrugger : « La
Régence d’Alger sous le Consulat et l’Empire, » R. A.,
1875, p. 18, Lettre du 20 Messidor V/17 juillet 1797.
[53]
A.C.C.M. B6 f° 640 (1695).
[54]
Sacerdoti, R.A., 1957, p. 284.
Dague : épée à lame large et courte.
[55]
Philippe, Duc d’Orléans : Régent de France (1715 - 1723)
[56]
Jurien de La Gravière. Les Corsaires Barbaresques, p.
140
[57]
En 1621, un voyage escorté revenait à 20.000 livres et en
1652, une simple surveillance de la côte provençale coûtait
à la Chambre de Commerce 4.000 livres.
[58]
A.C.C.M. Série AA/88, Lettre du 14 février 1703.
[59]
A.N.Aff.Etr. B 1 - 928, p. 396 v°, Lettre du 22 mars 1754.
Sur l’affaire Prépau (1753), Devoulx, R.A., 1871.
Plantet, Correspondance, II, 216-217.
Chaillou (L.). Textes. pp. 114-116.
[60]
A.N.Aff.Etr. B III - 305.
[61]
A.C.C.M. Série B 5 f° 350 v° (18 décembre 1687).
[62]
A.N.Aff.Etr. B III - 305 (mai 1687).
[63]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 13, Alger
(1720 - 1789).
[64]
La Roncière,
Histoire. IV, p. 693 citant Süe, Histoire.
III, p. 276.