II - LA COURSE
ALGERIENNE
Dans un état organisé comme
celui instauré par Khayr al Dîne, la course évolua rapidement. Elle
passa du stade artisanal et local, à celui plus vaste et plus
important. Elle devint une guerre populaire et une affaire
nationale. Les nombreux conflits méditerranéens, les crises
politiques, l’essor économique, la réaction à l’esprit de croisade
qui a caractérisé l’époque lui donnèrent la vigueur et les
dimensions qui lui manquaient auparavant.
L’arrivée des Turcs, marins
expérimentés et soldats de valeur, créa les conditions favorables
dont la possession d’une marine active. Les vaisseaux européens qui,
jadis, avaient surclassé ceux des Hafsides et des Mérinides, virent
enfin l’équilibre s’établir avec les galères de Khayr al Dîne et ses
glorieux successeurs. Dans l’affrontement général qui embrasa la
Méditerranée, durant trois siècles, la course fut la meilleure forme
de lutte à entreprendre.
A- Le cadre
1) Une course contrôlée par le pouvoir.
N’était pas corsaire qui voulait. On ne s’attaquait pas non plus à
tout ce qui bougeait sur les flots. Les instructions et directives
devaient être suivies scrupuleusement, si l’on ne voulait pas
s’exposer aux sanctions.
Une note du Dey[1]
(44) précise le cadre de toute action corsaire. « Lorsque nos
bâtiments armés en course rencontrent, en mer, des vaisseaux
marchands appartenant à nos alliés, ils demanderont à voir leur
passeport et les capitaines des susdits vaisseaux mettront la
chaloupe en mer pour le leur apporter après quoi, il leur sera
permis de continuer leur route, ou, si les sus dits capitaines
allèguent des raisons pour ne pas mettre leur chaloupe à la mer,
disant qu’elle est brisée ou que leur équipage est trop petit, alors
nos corsaires feront descendre la leur, et y mettront dedans, un
lieutenant prudent et sage, lequel ira, sans arme, à bord du
vaisseau, examinera le passeport et le laissera aller sans le
molester, sans lui demander aucune chose et sans le retarder de sa
route, que s’il arrive que notre dit corsaire, s’écarte de nos
instructions et fasse le moindre tort au susdit vaisseau, contre les
règles de l’amitié, lorsqu’il sera de retour à Alger, il sera puni à
proportion de sa faute.
Si quelque capitaine de
vaisseau marchand de nos alliés s’opiniâtre à ne pas souffrir la
visite de son passeport, nos corsaires lui prieront trois fois de ne
rien craindre et de le soumettre aux règles, après quoi, ils
pourront le visiter de force et, s’ils ne trouvent point de
passeport, ou bien que le dit marchand tire sur nos bâtiments et
manque le premier aux devoirs du traité, il sera pris, amené à
Alger, son chargement confisqué et le bâtiment rendu au capitaine
avec le nolis de la marchandise, mais il est expressément défendu,
après qu’on se sera emparé du dit vaisseau, de piller aucun des
effets ou hardes qu’il contient et de déchirer son passeport ni
aucun autre papier ou lettre, sous peine de mort contre ceux qui
seront convaincus d’avoir contrevenu à ces défenses.
Les capitaines commandant nos
bâtiments en course sont chargés de l’exécution de tout ce qui est
contenu dans les présentes instructions et personne de l’équipage ne
pourra s’opposer à leur volonté de tout ce qui en dépend, que si
quelqu’un s’avise de leur apporter le moindre trouble à cet égard,
il sera sévèrement châtié à son retour à Alger[2]. »
Le Dey veillait à la stricte
application de ses ordres. « Les insultes et les dépravations que
ses corsaires particuliers dit un document de l’époque, font aux
vaisseaux des nations alliées d’Alger sont regardées, ici, sur le
pied d’une affaire d’Etat, quelques petites qu’elles soient[3]. »
Dans son Journal, le consul
Lemaire, rapportant et ses préoccupations et les assurances du Dey,
écrit : « J’ai été chez le Dey pour le prier, attendu le prochain
départ des chébecs en course, d’en joindre fortement aux Raïs que
lorsqu’ils iront sur les côtes de France, ils s’abstiennent de
donner la chasse aux bâtiments qu’ils verront dans les limites des
parages défendus par les traités. Il m’a répondu que non seulement
il donnerait des ordres très sévères à ce sujet, mais que, de plus,
il ne voulait point que les corsaires allassent sur les côtes de
France, afin d’éviter toutes contestations et parce que ce n’est pas
là où ils doivent chercher leur proie[4]. »
Les soucis du Dey peuvent
quelquefois surprendre. Le cas d’un chébec majorcain, vendu aux
enchères à Alger est édifiant : un marchand de la capitale en lut
acquéreur. Le Dey voulut alors prévenir l’abus qu’on pourrait en
faire en le revendant à des sujets du Roi du Maroc qui le
destineraient à la course et troubleraient donc le commerce des
nations chrétiennes alliées de la Régence. Il obligea l’acheteur de
se soumettre à ne point le faire naviguer au-delà des côtes du pays
et lui assigna pour bornes, les ports de Mostaganem à l’Ouest et
‘Annâba, à l’Est. Il a de plus exigé une caution solvable pour
répondre des éventuelles contraventions[5].
Les restrictions imposées aux
Raïs étaient de plus en plus rigides. Les bénéficiaires étaient les
Français, en premier lieu. Ordre leur fut donné, en 1753, de ne plus
amener de Français. Une année auparavant, il leur défendit
« lorsqu’ils trouveront en mer quelque bâtiment abandonné par son
équipage et qu’ils douteront, au plus léger indice qu’ils sont
français, de le laisser au risque qu’il périsse plutôt que de s’en
emparer[6]. »
Quand les rapports
algéro-européens traversaient des moments de tension, on savait
faire la part des choses. Un vaisseau hollandais, venant de Smyme,
amenait, en 1755, des soldats recrutés en Turquie. Le capitaine du
bâtiment fut surpris d’apprendre alors que la guerre était déclarée
entre la Hollande et la Régence depuis le 20 février... Inquiet, il
ne savait quel parti prendre. Il craignait le pire pour lui. Mais le
Dey lui fit dire, par le capitaine du port, que la guerre ne lui
causera aucun dommage et qu’il lui serait accordé un passeport pour
aller en toute sûreté, ou en Hollande ou retourner à Smyme[7].
L’attitude sage des chefs de la
Régence a surpris plus d’une fois les observateurs européens.
Une galère de Salé, commandée
par un converti français, emmena le 22 juin 1763, à Alger, un
vaisseau hollandais sous prétexte qu’il était chargé pour le compte
des Espagnols. Le Dey ne voulut point en permettre la vente « parce
que le Maroc a la paix avec la Hollande, l’Angleterre et le
Danemark. » Ce vaisseau sera en séquestre, nous dit le consul J.A
Vallière, jusqu’à réception des ordres[8].
En 1764 et en 1766 furent
signés, entre la France et la Régence, deux traités de paix et de
commerce et aussi, pour effacer les traces d’un incident naval
survenu en 1763. Les griefs antécédents semblent avoir été oubliés
puisque Vallière notait en 1767 que « cinquante-trois armements
sortis d’Alger pendant 1766, pas un navire français n’avait été pris[9]. »
De nombreux documents nous
apprennent que des dizaines de prises furent rendues, après examen
de leur cas, à leur propriétaire[10].
On constate, par ce qui
précède, que la course n’était pas la soif de s’enrichir à tout prix
et par tous les moyens, que le contrôle du pouvoir l’éloignait de la
piraterie. Les historiens, trop heureux de parler de rapine et de
brigandage, ont ignoré ou voulu l’ignorer, les témoignages et les
documents contredisant leur opinion.
Les succès de nos Raïs avaient
fini par obséder les navigateurs européens puis les historiens. On
voyait l’Algérien partout. Toute galère, toute frégate apparaissant
à l’horizon, était de suite « reconnue » corsaire d’Alger.
Cependant, les corsaires de Tunis, Tripoli et Salé arboraient, pour
diverses raisons, le pavillon algérien et chassaient dans les eaux,
traditionnellement sillonnées par la flotte de la Régence. Enfin les
bâtiments maghrébins se ressemblaient tellement qu’on les confondait
et faisait porter la responsabilité de leurs actions à la marine
d’Alger.
2) Une course admise.
Dans ce vaste champ de bataille, de règlements de compte, de chasse
au trésor qu’était la Méditerranée et où s’activaient toutes les
nations possédant une flotte, la Régence d’Alger devait, elle aussi,
enter en compétition. Cette action était admise par les puissances
d’en face et même encouragée dans certaines circonstances.
a) Les traités signés avec
Alger l’admettaient : les prises étaient autorisées « à dix lieues
de la côte de France, » puis devant les exigences du Dey, « à la
portée de canon[11]. »
L’Espagne y consentait : « à portée de canon » pour les navires en
marche, « à vue de la côte si le navire est immobilisé[12]. »
Venise admettait comme limites le Cap Sainte Marie d’un côté et de
l’autre, jusqu’au-dessus de Cimara, à trente milles de distance de
toutes les îles sous domination vénitienne[13].
b) Des documents officiels
étaient remis à nos Raïs par les consuls en poste à Alger. En
sortant, les capitaines recevaient des mains de ces diplomates, des
expéditions ou papiers destinés à assurer le navire et ses
éventuelles prises par la protection des bâtiments de guerre de la
puissance ayant délivré les documents.
Pour le navire, on remettait un
certificat de nationalité dont voici le modèle : « Nous, consul
général de France, chargé d’affaires de Sa Majesté très chrétienne
en cette ville, certifions et attestons à qui il appartiendra que
le... commandé par... armé de... étant de présent au port de...
porteur de présentes, appartient à la Régence d’Alger.
Prions et requérons tous
officiers commandant les vaisseaux du Roi et de lui donner tous les
secours dont il pourrait avoir besoin.
En foi de quoi, nous lui avons
signé le présent certificat revêtu du sceau. »
Quant aux prises, il était
délivré aux corsaires des passavants, deux en général, rédigés comme
suit :
« Nous consul de … certifions
avoir délivré à … commandant le … armé de … appartenant à … le
présent certificat pour servir de congé et de passavant aux prises
qu’il pourra faire. En foi de quoi, nous l’avons signé[14]. »
c) La course était reconnue par
la sauvegarde des droits des corsaires. Les différends entre
Algériens et Européens étaient fréquents au sujet du droit à la
prise. Le litige parvenait, des fois, jusqu’à la Cour, ou devant les
Ministres de Sa Majesté.
Le cas de la Tartane la « Famé
Volonté, » entre tant d’autres, illustre cette reconnaissance[15]. »
Sous le ministère
Pontchartrain, la capture en Méditerranée d’une tartane, par des
corsaires algériens selon les uns, français d’après les autres, fut
le départ d’un litige qui fit couler de l’encre. La prise fut
conduite à Carthagène. Devant les réclamations algériennes, un arrêt
du Conseil des Prises accorda les 3/5 du produit aux Algériens. Le
Ministre de la Marine intervint, plus d’une fois, pour que
satisfaction fut donnée aux ayant-droit. La somme leur revenant fut
déposé entre les mains du sieur Magy, correspondant à Marseille du
consul d’Alger.
Deux lettres du ministre
montrent tout l’intérêt que celui-ci portait à l’affaire et le
profit politique qu’il espérait en tirer de sa solution.
« Je vous serais gré, dit-il,
que vous faites pour parvenir à la liquidation de la prise de « Famé
Volonté » Aussitôt qu’elle sera réglée, vous en toucherez les 3/5
adjugés aux Algériens et en remettrez le montant au sieur
Clairambault, consul, afin qu’il s’en dessaisisse ainsi qu’il lui
est ordonné, dans la première conjoncture où l’intérêt de la nation
demandera qu’il fasse valoir son exactitude en égard aux puissances
du pays.
Vous savez les grâces et le
secours que je leur ai procuré de la part de Sa Majesté, en vue de
les affermir dans les dispositions favorables où ils paraissent être
pour la nation. »
Deux semaines après, une
seconde lettre ! : « Vous m’informez que le trésorier de la Chambre
est à présent dépositaire des 6.905 f. à quoi montent les 3/5
adjugés, par arrêt, aux corsaires d’Alger de la prise de « Famé
Volonté. » Vous pouvez faire compter cette somme au sieur Magy,
correspondant du sieur Clairambault et en donner avis au dernier
afin qu’il prenne les mesures les meilleures qu’il pourra pour être
en état de la distribuer
aussitôt qu’il en sera besoin[16]. »
L’affaire de la « Famé
Volonté » ne fut pas la seule à opposer les corsaires des deux pays.
D’autres donnèrent l’occasion à la course algérienne d’être
reconnue.
Un capitaine français surprit,
un jour, un bâtiment en mer. L’équipage s’enfuit à son approche, car
il le prenait pour un espagnol. Le capitaine laissa la prise à
Majorque, à la disposition du consul de France. Les Algériens
l’ayant réclamée, le Roi jugea « indispensable de la leur faire
ramener et escorter par un de ses bâtiments. » Mais voici qu’un
négociant de Marseille se manifesta et sollicita la restitution du
même navire et la liberté de l’équipage. On lui rétorqua que sa
requête était irrecevable, parce que contraire aux traités avec
Alger, « qui n’autorisent point à prétendre que le pavillon et les
sujets d’une puissance étrangère soient traités comme cela de Sa
Majesté. »
« Les sujets du Roi, ajoute le
document, ne seront exempts de l’esclavage que lorsqu’ils ne
feraient point partie de l’équipage étranger. »
« A l’égard du bâtiment, on ne
pouvait se dispenser d’en faire la restitution aux Algériens, à qui
il appartient, en dernier lieu par droit de guerre [...] Il n’y a de
ressources, pour arracher le capitaine et son équipage de
l’esclavage que le rachat[17]. »
Il arrivait même que les
corsaires des deux pays « coopèrent » dans les opérations de course.
Le navire « La Marie » de Rotterdam, fut capturé par « Le Girard, »
capitaine G. Buisson, sieur Desbois et « La Rose, » capitaine Hamet
(Ahmad) Touil, d’Alger. Le rapport de prise fut rédigé et
contresigné par F. Renouin de Saint Malo auprès de J. Clairambault,
consul à Alger[18].
3) Une course sollicitée. Une des
contradictions de l’attitude européenne à l’égard de la course
algérienne était de se plaindre, de dénoncer et de menacer d’une
part, et de souhaiter voir la Régence poursuivre et même renforcer
son action en Méditerranée. Anglais, Hollandais et Français avaient
à maintes reprises, cherché à entraîner les Deys dans le sillage de
leur politique.
Comment expliquer une attitude
si singulière ? Les rivalités politiques, les compétitions
économiques, les appétits territoriaux avaient souvent opposé les
puissances européennes dont aucune n’avait pu avoir la maîtrise de
la mer blanche. Si les conflits étaient nombreux, l’issue restait
toujours incertaine. C’est pourquoi, certains Etats ayant des
intérêts en Méditerranée, ménageaient la Régence à travers sa
marine, pour en faire un allié (ou un neutre à la rigueur) face à un
adversaire difficile à mater. L’intérêt rapproche les hommes même si
l’Eglise devait se fâcher.
Pour arriver à ses fins, on
provoquait, par divers moyens l’intervention des Raïs contre les
navires de l’adversaire. On sollicitait le Diwân, on lui faisait
miroiter les riches butins à enlever, on lui proposait des armes et
des munitions, une assistance « technique » pour ses bâtiments sur
les côtes de Provence ou sur les îles conquises par les Anglais.
On courtisait le Dey et ses
ministres, on les mondait de présents et de piastres pour provoquer
la rupture des relations avec tel ou tel pays, pour l’entraîner dans
des conflits armés.
Après avoir longtemps ignoré et
méprisé la Régence, Louis XIV, depuis 1664, changeait d’attitude.
Ses guerres contre les Anglais, les Hollandais ou les Espagnols,
passaient par la paix avec Alger, ses victoires ; par l’entrée des
Algériens dans la mêlée.
Une lettre à Dussault dévoile
les grandes lignes de la nouvelle politique : bienveillance pour le
Dey, avantages pour la République (entendez la Régence), maintien
d’une longue et solide paix, plus de guerre avec ceux d’Alger... et
les bienfaits qu’on peut tirer, « si vous savez manier leurs esprits
avec quelques dextérité. »
On était déterminé à rendre les
257 esclaves algériens que le Diwân réclamait... sans rançon[19],
les autres « au prix porté par le passé, » l’équipage de Mahamet Oya
et Mahamet Seghîr et la caravelle « La Mocqueuse » « s’il (le Dey)
veut déclarer la guerre aux Anglais [...] il est de l’intérêt de ces
corsaires de ne point balancer à prendre ce parti par le nombre de
riches prises qu’ils auront occasion de faire et la certitude de
n’avoir rien à craindre de la part des Anglais qui assez occupés par
les forces navales de Sa Majesté pour n’avoir aucun vaisseau à
opposer aux Algériens auxquels, il ne reste que ce moyen d’augmenter
en peu de temps de force et de puissance et rendre leur ville
riche. »
Aux propositions alléchantes,
on ajoutait des offres concrètes : les Algériens trouveront dans les
ports du royaume « une retraite sûre et la liberté d’y acheter leurs
agrès, cordage, marchandise dont ils auront besoin, au même prix
qu’ils reviennent au Roi[20]. »
M.de Vauvré (Intendant de la
Marine à Toulon), avait donné le conseil de « permettre aux
corsaires algériens de se ravitailler dans les ports de France pour
courir sus aux Anglais les ennemis communs de la France et de la
Régence[21]. »
« Nous avons estimé nécessaire
de renvoyer le dit commissaire Marcel à Alger... pour vous faire
comprendre l’importance des secours que les vaisseaux d’Alger
trouveront dans les ports de notre royaume et principalement dans
celui de Brest... Si vous prenez la résolution de les faire passer
dans l’Océan, nous donnerons des ordres si précis pour l’avantage
des dits vaisseaux, du détail desquels le dit Marcel vous informera,
qu’ils seront traités comme nos propres vaisseaux de guerre. Par ce
moyen, vous pourrez vous assurer que les grands profits que tireront
tous ceux qui armeront en course dans la ville d’Alger, étant donné
les prises considérables qu’ils pourront faire sur les Anglais et
Hollandais, vous donneront un nouveau crédit. »
Les Algériens trouveront les
secours dans les ports de France. S.M. est résolue à leur donner
retraite particulièrement à Brest. Je crois, par là, vous avoir
procuré le plus grand avantage que les corsaires d’Alger puissent
jamais recevoir parce que leurs vaisseaux étant sur le passage
nécessaire des Anglais et Hollandais seront en état de caréner et de
recevoir des vivres sans être obligés de retourner à Alger. Il est
certain qu’ils feront dans peu de temps, pourvu qu’ils n’en perdent
point à se rendre à l’entrée de la Manche, vers la hauteur de Brest,
des prises considérables que tous ceux qui y auront part
s’enrichiront[22]. »
Pour décider le gouvernement
d’Alger, on lui transmettait des nouvelles alarmantes de Londres :
« Les Anglais préparent une escadre de six vaisseaux pour déclarer
la guerre aux Algériens et faire la course sur eux. » Il fallait
donc inciter le Dey et le Diwân à ne point se laisser prévenir[23].
Convaincre le Dey que la course
contre les Anglais est une nécessité « pour réparer les pertes
qu’ils [les Algériens] ont faites d’un grand nombre d’esclaves par
la peste... montrer au Dey les avantages de la course, la nécessité
« d’occuper la milice. » Les prises seront entreposées en toute
sécurité, dans les ports de France. Si les escadres de Hollande
passaient en Méditerranée... Sa Majesté donnerait ordre aux
capitaines de ses vaisseaux... de se joindre à ceux d’Alger pour les
enlever si le Dey veut convenir à déclarer la guerre aux Anglais[24]. »
Et comme rien ne résiste à
l’argent, Sa Majesté autorisait M. Dussault à promettre au Dey
« douze mille piastres après la première action d’hostilité[25]. »
Le vœu le plus cher du Roi était de voir nos Raïs passer le détroit
et croiser sur le passage des vaisseaux anglais et hollandais pour
les capturer[26].
B - Les mobiles
Chez les anciens, la course,
phénomène très répandu, était une école de courage et l’aventure sur
l’eau « un tonique pour l’âme et pour le corps. » L’audace avait de
la valeur. On se battait, également, pour un idéal qui pouvait
changer d’une époque à l’autre : l’honneur, la religion ou le profit
matériel.
Aux yeux des Européens, la
course algérienne n’avait d’autres raisons que la rapine et le
lucre. Elle aurait été une source principale de leurs revenus, « la
seule industrie qu’ils connaissent. » Le grand détracteur, le Père
Dan, y voyait « une inclination ardente au larcin, » un « honteux
brigandage » qui menait à la richesse.
Certains consuls ici, y
voyaient un calcul de politique intérieure.
« Le Dey, écrit Lemaire, qui ne
veut point que les esprits de la multitude s’occupent trop du
dedans, tâche de les employer au dehors. Il ne prétend point
augmenter les forces maritimes de la Régence, en tant que forces,
mais il s’applique, tout entier aux affaires de la marine et donne
de l’émulation aux corsaires afin de multiplier leur nombre[27]. »
Le même consul écrivait en 1751
que : « Le Dey aime fort la marine et la course parce qu’elle occupe
beaucoup de monde et, principalement, les gens les plus nécessiteux,
c’est-à-dire, les plus favorables à troubler la tranquillité du
pays, quand ils sont oisifs [...] Il persiste dans la politique de
donner à ses soldats beaucoup d’exercice au dehors en faisant,
souvent, partir ses corsaires[28]. »
Défiant le bon sens et optant
pour la surenchère afin de flatter le goût de la période coloniale,
Maurin va jusqu’à prétendre que, derrière ces chefs de file, il y
avait toute une population incapable de travail et d’industrie, ne
vivant que du vol et de la piraterie[29].
En réalité, les motifs d’un
combat de l’envergure de la course, durant plus de trois siècles, ne
pouvaient être dictés, uniquement, par des considérations
matérielles.
Aux yeux des Musulmans, des
Algériens en particulier, la course est une forme de Jihâd. Alger
était surnommée « La Victorieuse » et la capitale du Jihâd[30].
Cette forme du combat maritime, contre l’infidèle ne s’effacera
jamais pour trois raisons, essentielles à nos yeux :
1) Venger les Musulmans
d’Espagne. Nous avons vu, dans un
chapitre précédent, les conséquences du drame andalou après 1492 :
occupation de certains points sur le littoral algérien, élimination
massive de Musulmans d’Espagne, qui se replièrent sur nos centres
côtiers avec l’ardent désir de se venger.
Le devoir du corsaire, au
XVIème siècle, notamment, était de frapper l’oppresseur. C’était
donc un acte de foi. Le mobile religieux l’emportait sur tout le
reste. N’a-t-on pas vu les ‘Ulamas d’Alger repousser les offres de
rachat de captifs espagnols et exiger leur mise à mort, « afin que
cessent avec eux, les déprédations et les actes nuisibles dont
étaient victimes les Musulmans ? »
2) Affaiblir une
activité économique. A partir du
XVIème siècle, le commerce européen prit un essor jamais atteint.
Les échanges progressaient, sans cesse. Les bateaux sillonnaient les
mers dans tous les sens. L’Atlantique et la Méditerranée drainaient
de fabuleux trésors vers les nations chrétiennes. Les pays du
Maghreb, par contre, étaient étranglés et privés d’une activité
aussi lucrative. Ils subissaient une crise qui s’amplifiait avec le
temps. Devant l’absence de ressources, la mauvaise foi des pays d’en
face, l’agressivité hautement avouée des armateurs craignant la
concurrence, il ne restait au Maghrébin que la course pour survivre
sinon pour vivre.
On a dit que la course ne
pouvait résoudre tous les problèmes économiques de la Régence : la
production, le commerce, les marchés, le transport... mais elle
s’offrait seule pour punir et limiter l’égoïsme des puissances
enrichies. Il ne restait, aux Raïs, qu’à rendre la mer, mamelle des
armateurs et négociants européens, aussi dangereuse et ruineuse que
possible. L’insécurité rendit la navigation difficile et
problématique, les échanges risqués et le gain incertain[31].
3) Riposter à la course
européenne. Basée en Sicile, à
Malte, et sur les côtes Nord de la Méditerranée, la course
européenne, tout en frappant les intérêts chrétiens, comme il a été
démontré, s’était déchaînée contre le commerce musulman et les
villages côtiers du Maghreb.
Bien avant l’arrivée des Turcs
dans le Maghreb central, les coups de main chrétiens s’abattaient
sur le littoral algérien. Le voyageur oriental, ‘Abd al-Bâssit Ibn
Khalîl, visita le pays en 1464. Il prit le bateau d’Oran pour
revenir à Tunis. Les vicissitudes de la navigation obligèrent les
passagers à descendre à Bougie. Ecoutons notre hôte : « Nous y
trouvâmes des Berbères qui, à notre vue, prirent la fuite, croyant
que notre bateau était celui des corsaires européens qui avaient,
volontairement, changé de costumes, par ruse, pour s’emparer des
musulmans[32]. »
En 1518, une ambassade
algérienne, de retour d’Istambûl, dut se munir d’un laisser passer
du Consul de Venise, en poste dans la capitale ottomane, afin d’être
épargnée par les écumeurs qui infestaient la Méditerranée orientale[33].
Plus à l’Ouest, le Sultan
Sa’adien, Abû ‘Abd Allah dut solliciter, à deux reprises, mais en
vain, du Roi du Portugal une intervention auprès des corsaires de ce
pays afin de laisser passer deux de ses navires en partance pour
Alger et Tunis.
Les confessions d’Alenzo de
Contreras restent à méditer. Chasseur d’esclaves et de butin, il
écumait les zones du Maghreb et du Proche Orient. « Nous y fîmes
tant de prises, se vantait-il, que ce serait long à compter, l’on
revint tous si riches... Nous y fîmes d’incroyables voleries sur mer
et sur terre. Nous mîmes à sac les entrepôts d’Alexandrette et
grandes furent les richesses que nous rapportâmes[34]. »
Chaque année, l’Ordre de Malte
armait une douzaine de grosses galères, renforcées, plus tard, par
des vaisseaux et des frégates et opérait contre le commerce et les
côtes non défendues[35].
Les coups de mains maltais
avaient entretenu, pendant des années, sur les côtes maghrébines, un
état permanent d’insécurité. « Plus près de nous, écrit Gosse, et
pendant plusieurs années, les Chevaliers de Saint Jean vécurent du
pillage des ennemis de la foi[36]. »
Perafon de Ribera, commandant
de Bougie (Bidjâya) adressait, le 17 mai 1534, à son maître Charles
Quint une lettre dans laquelle on peut lire : « La décision par
laquelle votre Majesté veut bien me faire remise du droit de 1/5 sur
les prises que je pourrai faire avec ma galiote, sauf en ce qui
concerne les Maures et les Turcs qui doivent servir sur les galères,
me paraît juste[37]. »
Les malheurs continuèrent
d’accabler nos rivages pendant le XVIIème siècle. En 1611, une
flotte, sous les ordres du Marquis Santa Cruz, ravagea l’île de
Kerkenna et en revenant, incendia la ville de Jijel[38].
Tout bateau de commerce
algérien se hasardant dans la Méditerranée, était, le plus souvent,
la proie des écumeurs européens. En 1705, un bâtiment de commerce,
parti d’Alger pour Livourne, fut capturé par le capitaine Jacomo
Suriano. Son chargement appartenait à la milice et, notamment, à
Hadj Muhammad, gendre du Dey Mustapha. La marchandise fut vendue à
Oran (aux mains des Espagnols) et le navire emmené à Toulon. Un
document de l’époque, nous donne le détail des pertes subies
: poudre, boulets, fusils, carabines, balles, haches, scies,
lunettes d’approche, cordes, câbles, pavillons de toutes les
nations, voiles de rechange, etc.[39].
Le consul de France à
Carthagène signalait le 5 mai 1710 que l’escadre de Malte est à la
rade de ce port. Elle doit partir incessamment pour aller chercher
trois vaisseaux algériens qui croisent dans le détroit[40].
La chasse aux Algériens ne connut jamais de répit. En 1720, les
Maltais s’emparèrent de la capitaine d’Alger et de deux gros navires
richement chargés[41].
Les pèlerins se rendant à la
Mecque n’étaient pas épargnés. Le capitaine Claude Bastoile, de
Saint Tropez, commandant de la polacre « L’Heureux Saint Victor »
fut arrêté en août 1777 par une frégate espagnole et conduit à
Carthagène avec ses 184 passagers algériens. Puis le retour à Alger
fut décidé « sur la demande des passagers dont plusieurs étaient
dans l’impossibilité de continuer leur voyage par les vols qui leur
ont été faits, après l’arrêtement de la polacre et ne se trouvant
d’ailleurs pas un seul Maure dont les effets, tant argent que
marchandises, n’aient été pillés[42]. »
L’irruption des Russes sous
Catherine II, augmenta les dangers qu’encourraient les Musulmans, et
les Algériens en particulier, pour leur fidélité au Sultan. Les
agents russes travaillaient, depuis des années en Grèce. La flotte
d’Orlov se faisait aider par les navires pirates grecs. Lors de la
deuxième guerre russo-ottomane, Catherine eut recours à des forbans
de toutes espèces. Alliée à l’Autriche, pour quelque temps, elle
utilisa les ports méditerranéens de cette puissance, en particulier,
Trieste. Elle remit, à ces aventuriers, des lettres de marque par
l’intermédiaire de son ambassadeur à Venise. Albanais, Italiens,
Corse., tous se lancèrent dans la chasse aux Musulmans, sous le
pavillon moscovite. Comme la Russie était démunie de bases en
Méditerranée, Malte lui rendait des services. L’activité
anti-ottomane allait se poursuivre jusqu’en 1827.
Dans le bassin occidental, les
nombreux Etats d’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre et la
France, en conflit quasi-permanent avec les régences du Maghreb,
saisissaient les occasions pour armer en course. Dans les
instructions de Bonaparte au Général Brune, commandant en chef de
l’armée d’Italie, il est dit: "Nous venons de conclure une
suspension d’armes avec Tunis et je reçois ce soir la nouvelle que
nous avons fait la paix avec Alger. Prévenez sans délai, par la voix
de Livourne, les préfets des départements de la Corse pour qu’ils
aient à faire respecter, par les corsaires, les pavillons de ces
deux puissances[43]. »
Un aveu de course
anti-algérienne !
4) Punir les violations des traités.
Après le traité franco-algérien de 1628, les français trouvèrent
indignes d’eux, les conventions signées par Sanson Napollon, et
indignes du pavillon de France, les formalités de visite des navires[44].
Proclamée, solennellement, le 14 septembre 1628, la paix ne dura
guère, car les Marseillais la violèrent avec un cynisme inouï : ils
mirent des Algériens aux galères et se livrèrent à une contrebande
lucrative de poudre et d’armes de guerre sur la côte algérienne,
activité que le gouvernement ne pouvait tolérer[45].
En 1629, un incident d’une extrême gravité précipita davantage les
Algériens dans la course : une chaloupe algérienne rencontra une
barque à la Ciotat et lui demanda assistance sur la foi du traité
conclu. Les Musulmans furent massacrés. Quelques semaines après, une
tartane d’Alger, fut arraisonnée par un bâtiment d’Arles, l’équipage
fut soit vendu soit envoyé aux galères.
Longeant la côte marocaine,
Mortemart fit stopper, en juillet 1687 un bâtiment algérien. Se
croyant protégé par les traités de 1684 et 1686, l’Algérien mit une
chaloupe à l’eau, y mit une demi-douzaine de matelots, pour aller
présenter les papiers, certain d’être soumis à une simple
formalité... les six malheureux furent capturés.
La même année... « Le Soleil, »
revenant du Texel, fut pris malgré les traités en vigueur.
C - L’action :
Pour répondre aux attaques, aux
croisières, aux défis et aux rêves d’hégémonie, les Algériens
lancèrent leurs escadres depuis les premières années du XVIème
siècle aux derniers jours de la présence ottomane. Même dans les
pires moments, l’activité de nos Raïs s’était fait sentir. Quelques
témoignages nous retraceront cet effort soutenu : En 1659, dit
Lacroix, les Algériens équipèrent 22 ou 23 vaisseaux, avec 3 ou 400
hommes sur chacun[46].
« Tous les corsaires de ce pays sont dehors, il y a longtemps,
ajoute un consul[47].
Ils ont fait sortir 9 vaisseaux depuis quatre ou huit jours, il en
doit sortir dans deux jours, des plus forts, outre six qu’il y en
avait déjà à la mer, soit vingt et un et quatre neufs qui pourront
sortir dans deux mois, sans comprendre les bâtiments à ramer et les
autres voiles latines, annonçait le consul Piolle[48].
Tous les bâtiments de cette République s’empressent fort pour
sortir, nous révèle le consul Mercadier[49].
Les onze chébecs de cette Régence mirent successivement la voile le
7 et le 9 de ce mois pour aller en course, note le consul Thomas[50]. »
La même année, on signalait la sortie de neuf chebecs, puis d’une
corvette de 22 canons. Ensuite de quatre vaisseaux de vingt-deux
canons, ensuite de quatre vaisseaux de guerre dont l’un de cinquante
canon, deux de quarante et un de trente-quatre et deux petits
chébecs[51].
La course fut si intense, que le consul Lemaire disait en 1753 :
« Les corsaires d’Alger ne me laissent pas le temps de respirer[52]. »
1) Les zones d’opération.
Sans cesser entièrement l’hiver, les sorties se multipliaient
d’avril à octobre sur trois théâtres différents :
a) La Méditerranée :
Pendant des siècles et depuis la puissance romaine, la Méditerranée a été une
mer de pirates et de corsaires. La multiplicité des îles, les replis
arqués de ses rivages en faisaient le champ d’action favori des
écumeurs.
« Aussi sûrement que les
araignées abondent, écrit Gosse, là où il y a des recoins et des
fentes, les pirates ont poussé partout où se trouve un foisonnement
d’îles offrant des criques et des plages, des pointes, des rochers
et des récifs, bref des facilités pour guetter, surprendre,
attaquer, échapper[53]. »
L’apparition de gros navires de
transport, symbole du monopole du commerce international et de
richesses enviables, rendit les Algériens plus décidés, encore, à
frapper. De la Syrie à Gibraltar, ils naviguaient sans cesse, par
petits groupes de trois ou quatre unités, toujours prêts à foncer
sur le bâtiment trésor. Une pression particulière était exercée sur
le bassin occidental de la Méditerranée. De la Sicile à l’Espagne,
la police de la mer était très serrée. On connaissait trop bien
l’importance des échanges et les routes qu’empruntaient les bateaux.
On les interceptait avec une facilité déconcertante. Les îles
baignées par la Méditerranée étaient familières à nos corsaires :
Majorque, Minorque, Ibiza, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, l’île
Saint Pierre et jusqu’aux plus petites, recevaient les descentes de
ces intrépides.
Comme ceux d’Alger étaient
concurrencés par les corsaires de Salé et de Tunis, on s’était posé
la question des zones d’influence, du partage de la mer. En
principe, le champ d’action des Salétins étaient essentiellement la
mer du Ponant (l’Océan) avec quelques incursions le long des côtes
orientales de l’Espagne. Les Algériens se réservaient tout le bassin
occidental. Le Penon de Velez jouissait d’une situation très
avantageuse. A trente lieues de Gibraltar, tout en surveillant la
ville Bâdis, il fut âprement disputé entre Algériens et Espagnols.
En 1508 il fut enlevé par Pedro Navarro mais fut arraché à l’Espagne
en 1522, et en 1554, et à Salah Raïs par le Wattaside Bû Hassûn.
Hassan Pacha, fils de Khayr ad-Dîn, y installa en 1558 un
gouverneur, Yahia Raïs « qui tint à sa merci toute la côte
d’Espagne, depuis Carthagène jusqu’au Cap Saint Vincent. » Il se
faisait appeler le seigneur du Détroit. Aucun navire ne pouvait
franchir ce passage « sans un sauf conduit délivré par lui. » Durant
cinq ans, 1558-1562, il captura plusieurs navires et saccagea les
villes du littoral espagnol[54].
Le détroit marquait ainsi la ligne de démarcation mais ceux d’Alger,
« plus nombreux et plus forts du principe de leur ancienneté sur
mer, ne se privaient nullement d’opérer dans l’Atlantique[55]. »
Au XVIIème siècle, la collaboration des deux marines semble avoir
été suivie. Un avis du consul de France à Livourne, en 1681, destiné
à Colbert, dit qu’il a appris, par une barque venue d’Alger, qu’il y
aurait deux galiotes de Salé qui étaient venues se joindre à celles
d’Alger pour sortir en course et demandé l’envoi de quelque député à
Alger, pour intervenir auprès de Diwân. En 1687, on signalait qu’un
capitaine de Salé « est à Alger et s’apprête à sortir en course[56]. »
Cependant, au XVIIIème siècle, les Salétins, ayant pris de fâcheuses
habitudes de s’approcher des côtes algériennes et de s’attaquer aux
navires de nations en paix avec la Régence, le Dey s’en montra fort
mécontent[57]
et le dit dans une lettre à Mawlây Ismâ’îl dénonçant « le brigandage
et les horreurs que les Salétins commettaient contre toute sorte de
droit aux mers d’Alger, et le priait d’y mettre fin[58]. »
La même année, des galiotes de
Tétouan et de Salé eurent « la témérité de venir, non seulement bien
près des mers d’Alger, mais elles se sont accostées de terres en
Ponant de Bougie et de Collo en Levant. » Le 26 mai 1755, elles
s’emparèrent de trois bâtiments français près de Mahon, et vinrent
dans les voisinages de la capitale, ce qui provoqua la colère du
Dey.
Plus que tout autre pays
européen, l’Espagne eut à souffrir des attaques algériennes. C’était
la conséquence d’une politique choisie par les Rois catholiques et
par la Maison d’Autriche.
Les croisières allaient de
Gibraltar au Cap de Creux, près de Perpignan. Villes côtières et
bourgades étaient régulièrement saccagées. Le terrain était familier
aux corsaires. Un fois l’expérience acquise, les opérations
devinrent une simple routine, les incursions constantes et les coups
de main audacieux.
En 1529, quinze bâtiments
d’Alger ravagèrent la côte espagnole et incendièrent les villages.
Le Général espagnol des galères, Roderic Portundo, « vieux marin
formé au métier de la mer [...] sortit du port pour donner la chasse
aux assaillants, les atteignit, en Fromentera et Ivice et n’hésita
pas à les attaquer. Les Musulmans abordèrent la galère capitaine :
un coup d’arquebuse renversa Portundo, la poitrine trouée ; la
capitaine se rendit la première. Des douze navires dont se composait
la flotte sortie de Carthagène, un seul réussit à s’échapper[59]. »
En 1553, les galiotes d’Alger s’emparèrent de deux galères
vénitiennes[60].
Sir Francis Cottington,
Ambassadeur d’Angleterre à la Cour d’Espagne, écrivait en 1616 au
Duc de Buckingham : « La puissance et l’audace des pirates
barbaresques à la fois dans l’Océan et dans la Méditerranée, ont
maintenant pris une envergure telle que, de mémoire d’homme, aucun
événement n’a causé, dans cette Cour, une tristesse et une
dépression comparable à celles que produisent les nouvelles
quotidiennes de leur action. Leur flotte se compose en tout de
quarante voiliers de deux cents à quatre cents tonneaux chacun. Leur
navire amiral en a cinq cents. Ils sont divisés en deux escadres.
L’une de dix-huit voiles restant au large de Malaga, en vue de la
ville, et l’autre, aux environs du Cap Santa Maria, qui se trouve
entre Lisbonne et Séville (?) [Cadix].
L’escadre qui se trouve en
dedans du détroit est entrée dans la rade de Motril, ville de la
province de Malaga où, avec son artillerie, elle battit le port et
le château. Elle aurait, indubitablement, pris la ville si, de
Grenade n’étaient venus des soldats pour le secourir. Malgré tout,
ils y capturèrent plusieurs navires parmi lesquels trois ou quatre
de la côte ouest d’Angleterre. Ils obligèrent deux grands navires
anglais à se jeter à la côte, puis, ils firent côte eux-mêmes et
brûlèrent les navires. Depuis ce temps, ils restent au large de
Malaga, interceptent tous les navires qui passent et interdisent
tout commerce avec cette partie de l’Espagne[61]. »
De Tanger, une lettre adressée
à Colbert en décembre 1669 lui signalait que « les Turcs d’Alger
sont puissants sur mer. Par voie de Malaga nous apprenons qu’ils ont
pris depuis peu, six navires aux Anglais, qui allaient dans le
détroit avec deux frégates de guerre lesquelles n’ont pu empêcher ce
désastre[62]. ».
La pression ne se relâcha
guère. Une autre lettre de Malaga nous apprend, le 2 juillet 1709,
que : « Les trois galères n’ont pu partir que ce jour pour Cadix […]
N’ayant osé sortir à cause de cinq vaisseaux d’Alger qui ont croisé
pendant quelques jours à la hauteur de Malaga. Ces vaisseaux ont
fait échouer à deux lieues du port, un vaisseau génois de quatorze
canons dont l’équipage s’est sauvé avec peine[63]. »
Puis on arma plusieurs barques
à Oran pour croiser dans les parages d’Alméria. Le gouverneur de la
ville s’était empressé d’alerter les endroits les plus exposés. Dans
une dépêche de Madrid, le consul de France réclamait « un vaisseau
capable de leur donner la chasse » de ce côté[64].
A l’autre bout du bassin
occidental, l’Italie. Enrichie par le commerce et la banque,
« patrie des trésors artistiques et voluptueux d’or et de chair...
asile des proies convoitées, » toute la péninsule se trouvait
exposée aux coups des corsaires. Ses rivages étaient frappés sans
pitié. De Gênes à Naples, de là, à Reggio de Calabre, de Lucie à
Bari, les côtes ecclésiastiques comme le golfe adriatique vivaient
dans l’angoisse permanente. Les galères algériennes semaient la
désolation et ruinaient les riverains. En 1516, on avait failli
prendre le Pape, Léon X, et en 1535, la plus belle femme d’Italie,
Giulia Gonzaga échappa, de justesse à Khayr ad-Dîn.
Après la signature des traités
avec l’Autriche et le Grand-Duché de Toscane, en 1748, la course
prit une dimension nouvelle. Les corsaires pouvaient se réfugier, se
ravitailler dans les ports autrichiens et Toscans et menacer les
flottes des Etats maritimes d’Italie. Le résident vénitien à Turin
disait au Sénat, en mai 1749 : « Toutes les mers qui baignent
l’Italie sont à présent encombrées de navires barbaresques :
galiotes et chébecs qui parcourent librement les eaux du Grand-Duché
de Toscane. Deux de ces navires se sont montrés, pavillons déployés
devant Civita Vecchia ; trois sont actuellement dans le port de San
Stefano, trois à Porto Ferraio, deux dans le golfe de San Fioranzo,
deux à l’île d’Elbe. Tous sont armés de vingt à vingt-huit canons et
équipés de deux-cent-cinquante à trois-cents hommes. De ces lieux
comme des postes d’observation sûrs, ils étudient les équipements
des navires des Etats voisins et l’opportunité des prises[65]. »
Petit à petit, les croisières
évoluèrent. Les bâtiments algériens, par le nombre et par la
technique, défrayèrent la chronique.
« On ne les vit plus, dit un
rapport des Magistrats du Commerce à leur Sénat, courir avec
quelques galiotes, quelques fustes ou quelques chébecs, mais groupés
en escadres nombreuses, se livrer à une guerre de pirates et jeter
la terreur dans tous les Etats de l’Italie[66]. »
Avec une rapidité étonnante et
une témérité rare, nos corsaires voguaient dans tous les sens,
apparaissaient partout, surgissaient là où on les attendait le
moins. Le rapport des Magistrats décrit ces prouesses.
Après un demi-siècle d’alliance
entre le Lys et le Croissant (1532-1584), les Algériens, exacerbés
par de nombreux actes hostiles, changèrent d’attitude.
La fin du XVIème siècle vit une
certaine tension marquée par la capture de vaisseaux marseillais. Le
Roi Henri III dut faire appel à ‘Uldj ‘Ali, Beylerbey, pour les
récupérer[67].
Les actions allaient se
poursuivre au XVIIème siècle. Les côtes de Provence devaient payer
le prix d’une politique jugée inamicale par Alger. L’affaire des
deux canons algériens, volés par Simon Dansa et remis au Duc de
Guise, en 1606, le massacre, en 1619, d’une ambassade algérienne,
partie à Marseille ramener les captifs, sujets de la Régence, la
guerre qui s’en suivit, pendant près de dix ans, affectèrent
sérieusement, le commerce et la navigation de France. De 1611 à
1613, deux vaisseaux, une polacre, trois barques et une tartane
tombèrent aux mains des Algériens. Malgré les dispositions prises
par les Marseillais, en armant des galères et en les confiant à des
capitaines de mérite, des dizaines de bateaux et près de huit-mille
matelots furent pris par nos Raïs.
D’après le rapport de Henri
Seguiran, premier président de la Cour des Comptes de Provence,
chargé par le Cardinal de Richelieu, d’établir un état des pertes
subies, il a été prouvé que « la commune de la Ciotat est déchute
par le fait des corsaires de Barbarie du Midi, qui leur ont enlevé,
dans une seule année (1633), vingt-deux barques et mis à la chaîne
cent cinquante de leurs meilleurs mariniers... Aux Martigues, les
mariniers sont les meilleurs et les plus courageux de la
Méditerranée, mais les corsaires les ont fort maltraités puisque
depuis six mois, ils ont enlevé plus de quatre-vingt[68]. »
En 1647, trois bâtiments,
arrivant près de Saint Tropez, envahirent la Chartreuse d’Argentière
pour s’emparer de l’Evêque de Toulon qui eut juste le temps de fuir
avec ses Chartreux. Néanmoins, trois de ces derniers furent
capturés.
Cinq ans plus tard, le 6 août
1652, le Cardinal A. Barberini fut attaqué par deux galères de la
Régence, à la sortie du port de Marseille. Il eut la chance de se
réfugier sous le canon du fort de Monaco, mais la tartane qui
portait les riches bagages du Prince de l’Eglise alla aux Algériens[69].
Le cardinal fut tellement
marqué par sa mésaventure que, lors de son voyage en France, en
1655, il refusa d’effectuer le petit trajet entre Savone et Toulon
par bateau ; en 1657, il ne consentit à s’embarquer qu’en compagnie
du Marquis de Martel qui lui fit escorte avec son escadre jusqu’à
Civita Vecchia.
Les îles d’Hyères furent
saccagées en 1662. Se dissimulant dans les calanques, les corsaires
opéraient des débarquements rapides et inopinés. Ne s’avisèrent-ils
pas une fois « de surprendre et d’emmener le cuisinier de l’évêque
de Marseille avec les bagages et le train de maison[70] ? »
Si durant toute la période
ottomane, la France eut moins à souffrir des incursions que
l’Espagne ou l’Italie, la côte Sud du pays, de Narbonne au cap
d’Antibes, subit presque tous les méfaits de la course. Deux raisons
semblent avoir exposé ces parages aux corsaires : d’une part,
Marseille et la Ciotat disposaient d’un personnel spécialisé dans la
construction navale ; charpentiers et calfats étaient très
recherchés à Alger[71]
; d’autre part, le lourd contentieux entre les deux pays (dont on
parlera plus loin) restait déterminant.
L’hécatombe des navires et des
matelots se fit sentir, également, à l’époque de Napoléon dont les
nerfs furent mis à rude épreuve, par nos corsaires. Sa lettre à
Decres, le 7 juin 1802, laisse libre cours à son emportement : « Une
barque barbaresque bloque douze ou quinze bâtiments liguriens à
Saint Tropez. Les agents liguriens en ont donné connaissance au
préfet maritime qui n’a envoyé aucun bâtiment pour dégager ce port.
Il est déshonorant pour la république que ces misérables
barbaresques insultent nos côtes[72]. »
[1]
A.C.C.M. Série E - 59, Traduite en français par le consul
Lemaire en juillet 1749.
[2]
Le texte est signé de Muhammad Pacha ibn Bâkir Dey (fev.
1748 - dec. 1754).
[3]
A.N. Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 13 (1721)
[4]
A.C.C.M. Série J 1365, Lemaire, Journal, août 1749.
[5]
A.C.C.M. Série J 1365, Année 1752.
[6]
A.C.C.M. Série J 1364, Lettre de Lemaire, 25 juin 1753.
[7]
A.C.C.M. Série J 1365, (avril 1755).
[8]
A.C.C.M. Série J 1369, Lettre de Vallière.
[9]
A.C.C.M. Série J 1369, Lettre de Vallière.
[10]
A.G.C.A. Série A 1A 76 (n° 1382) et 1A 119 (n° 2220 et
2222).
[11]
Traité franco-algérien de 1689, article IX ; celui de 1719,
article VI.
[12]
Traité de 1786, article IV.
[13]
Traité de 1763, article 23.
L’article 8 du traité avec Hambourg spécifie bien que : « Si un marchand
de Hambourg achète quelque prise amenée dans le port d’Alger
ou s’il fait cet achat en pleine mer du corsaire algérien
qui aura enlevé la dite prise sur les ennemis de la Régence,
du moment qu’il aura le certificat de vente du raïs qui la
lui aura cédée, nul autre corsaire d’Alger qu’il pourrait
ensuite rencontrer, ne pourra la lui ôter. »
[14]
Devoulx, « La Marine de la Régence d’Alger, » R. A.,
1869.
Voir, parmi les documents, copie d’un
certificat de navigation délivré par le consul Deval, en
avril 1821 et copie d’un passavant de prise délivré par le
même consul en juillet 1821.
[15]
Nombreux documents y afférent :
- A.N.Marine B 7 - 89 f° 54.
- A.N.Aff.Etr. B - III 305.
- A.C.C.M. Série B/80 f° 68 v° (22 avril 1711) et C 89 (6mai).
[16]
A.C.C.M. Série B/80 (22 avril et 6 mai 1711).
[17]
A.N.Aff.Etr. B III, reg. 16 (janvier 1780).
[18]
A.G.G.A. Série A, 1A 18 doc. 214 (mars 1706).
[19]
Il s’agit de l’équipage de Vely (Oua’lî) Raïs et de deux
captifs évadés des galères d’Espagne.
[20]
A.N.Aff.Etr. B2/81, Ordres du Roi et Dépêches, Affaires
d’Alger (1691).
[21]
A.N. Aff.Etr. Consulat d’Alger, Lettre de Vauvré au Marquis
de Seigneley 23 juin 1689.
[22]
Lettre de Louis XIV au Dey Cha’bane, Versailles 30 octobre
1689 (Plantet, Corresp, I, pp. 177-178) Lettre de
Seigneley à Dey Cha’bane, 30 octobre 1689 (Plantet,
Corresp., I, p. 179)
[23]
Lettre du 29 décembre 1691.
[24]
A.N. B2/87, Année 1692, p. 370 et p. 506.
[25]
A.N B3/93. p. 116. Lettre à Dussault. 1693.
[26]
A.N.Aff.Etr. B III 305 (1703-1704).
[27]
A.C.C.M. Série J 1364, Lettre du 9 mars 1750.
[28]
A.C.C.M. Série J 1364, Lettre du 12 février 1751.
[29]
Maurin (G), Les Pirates Barbaresques et le Commerce
Français, Nîmes, 1887.
[30]
Dans les registres turcs : Dâr al-Jjihâd al-Djazaïr.
[31]
Voir première partie, chapitre II, Une option : La Marine de
Guerre.
[32]
Rihla,
(Relation de Voyage) cité par Nûr ad-Dîn ‘Abd al Qâdir,
Sahafat fi Tarikh madinat al-Djazaïr, Alger 1965, p.
176.
[33]
Ghazawât ‘Arrûdj wa Khayr ad-Dîn,
avec maints détails sur les méfaits des pirates qui
pourchassaient les Musulmans.
[34]
Hubac, op. cit. pp. 161-162.
[35]
Mathiex, « Trafic et prix de l’homme en Méditerranée aux
XVIIème et XVIIIème siècles, » A.E.S.C., 1954.
[36]
Gosse, Histoire de la Piraterie, p. 51.
[37]
Primaudaie (Elie de la), « Documents Inédits, » R.A.,
1875, pp. 76-77.
[38]
Feraud (Ch), Gigelli, Paris, 1878, p. 128.
[39]
Plantet, Correspondance... II, p. 40.
[40]
A.N.Aff.Etr. B7/5 f° 217 v° (1710).
[41]
Primaudaie (Elie de la), « Documents, » R.A., 1875,
pp. 279-280.
[42]
A.G.G.A. Série A (1A. P/V dressé par le consul La Vallée le
25 octobre 1777).
[43]
Napoléon, Correspondance... Lettre du 28 octobre 1800.
[44]
La Roncière, Histoire... IV, 693.
[45]
Filippi (L), « Marseille contre le Bastion, » Revue
Bastion de France, 15 décembre 1930, p. 169.
[46]
Lacroix, Relation... II, p. 186.
[47]
A.C.C.M. Série J 1351, Lettre du 22 janvier 1682.
[48]
A.C.C.M. Série J 1352, Lettre du 23 avril 1687.
[49]
A.C.C.M. Série J 1353, Lettre du 16 novembre 1689.
[50]
A.C.C.M. Série J 1363, Lettre du 14 avril 1749.
[51]
A.N.Aff.Etr. B III - 305, p. 37 (1749).
[52]
A.C.C.M. Série J 1364, Lettre du 31 octobre 1753.
[53]
Gosse. Histoire de la Piraterie, p. 13.
[54]
S.I.H.M., Série Sa’adiens - France, t. l,p. 243. Lettre de
St Sulpice au roi Charles IX, juillet 1563.
[55]
Coindreau, Les Corsaires de Salé, p. 112.
[56]
A.C.C.M. Série E/67.
[57]
Quelques exemples :
En 1752, prise d’un navire français par un corsaire de Tétouan, « dans
un port dépendant d’Alger. »
En 1754, combat entre un navire salétin et un
bâtiment français au large d’Oran.
[58]
A.C.C.M. Série J 1365, Lettre du 28 octobre 1755.
[59]
Jurien de La Gravière, Doria et Barberousse, p. 194.
[60]
Braudel. Méditerranée. II, 119. Note 4.
[61]
Cité par Gosss. Op. cit. pp. 71-72.
[62]
S.I.H.M., t. l.p. 290.
[63]
A.N.Marine B7/1, Lettre de Malaga, 2 juillet 1709.
[64]
A N.Marine B7/1, Lettre de Madrid, 8 juillet 1709. Rappelons
qu’Oran a été libéré, une première fois en 1708.
[65]
Sacerdoti. « Venise et les Régences d’Alger (1699-1764), »
R.A.. 1957, p. 287.
[66]
Sacerdoti. « La Mission à Alger du Consul de Venise. »
R.A. 1952. p. 72.
[67]
Prieur (M), Ligue des Ports de Provence contre les
Pirates barbaresques (1585-1586), députation au Roi,
Paris 1886.
[68]
Maurin, op. cit. p. 9.
[69]
Gazette de France.
1653, p. 764 ; Grammont, Histoire, p. 12.
[70]
Gazette de France,
1649 - 1653 - 1657.
[71]
L’importance de ces artisans apparaît dans les négociations
sur l’échange ou le rachat des captifs Marseille rachetait
ses captifs entre 205 et 260 écus, tandis que les
charpentiers, entre 370 et 469 écus.
[72]
Napoléon, Correspondance, R.A., 1875, p. 127.