E - DE
L’APPELLATION DES NAVIRES
Les bâtiments algériens avaient-ils, à l’instar des autres, un nom pour
les distinguer ? Comment était attribué ce nom ?
On disait du moins au début, chébec du Raïs ‘Umar, frégate du Raïs Hadj
‘Ali. Donc, le nom du commandant « marquait » le navire. On ajoutait
parfois un qualificatif : on disait alors, la polacre noire d’un
tel, le brick neuf d’un tel.
L’origine du bâtiment servait également à le distinguer des autres. Telle
frégate s’appelait « al-amrîkiyya » (l’américaine) parce qu’elle fut
offerte par les Etats-Unis. Telle autre se nommait
« al-burtughâsia » ( la portugaise) car elle fut prise aux
Portugais.
Cependant, au XVIème, la flotte grandit, les prises furent nombreuses et
l’origine souvent problématique. Aux noms islamiques « la victoire
de l’Islam, » « l’Objet de la providence divine, » « la Clef du
Jihad, » on ajoutait d’autres, d’après les figures que portaient les
poupes : un rosier, une perle, un citronnier, un tournesol, deux
cyprès, sept étoiles, deux antilopes... D’après Turbet-Delof, les
Européens donnèrent aux navires de la Régence, le nom de ces
représentations. Ainsi, on avait « Le Lion Blanc, » « La Rose
d’Or, » « les Grandes Gazelles, » « le Croissant, » « le Citronnier
Doré[1] »
et autant de noms qu’il y avait de dessins ou d’images sur l’arrière
du bateau.
Au XVIIème siècle, les appellations étaient très diverses. Un tableau
dressé en 1662 nous donne :
* Le navire amiral « le pot à fleurs » 36 pièces (de canons),
* « Le Dragon à sept têtes, » 36 pièces,
* « Le Poivrier, » 36 pièces,
* « Le Neptune, » 36 pièces,
* « La Fontaine, » 34 pièces,
* « Le Griffon, » 36 pièces,
* « Le Dragon Vert, » 36 pièces,
* « Le Soleil (commandé par un renégat) , » 34 pièces.
* « Le Cheval Blanc, » 34 pièces.
* « Les Sept Etoiles, » 34 pièces,
* « Le Croissant, » 32 pièces,
* « L’Arbre aux Lions, » 20 pièces,
* « Le Roi Louis" (pris aux Français), » 26 pièces,
* « Le Charité" (pris aux Hollandais) , » 26 pièces,
* « Le Perroquet (brûlé par les Anglais), » 6 à 7 pièces,
* « L’Olivier (construit depuis peu à Alger), » 36 pièces[2].
Un état dressé par le Consul Piolle nous donne d’autres noms :
* « La Rose d’Or, » deux ponts, amiral ‘Ali Raïs, 70 pièces, 20 pierriers
;
* « Sept Etoiles, » ‘Ali Raïs Balou (flamand), 30 pièces, 10 pierriers ;
* « Lion d’Or, » Agibit Allah Raïs, 32 pièces et 10 pierriers de fonte.
* « Le Cheval Blanc » mentionné en 1686 appartenait au Pacha[3].
Parmi les navires célèbres de ce siècle, « Le Soleil » passait pour le
meilleur bâtiment de la marine. Les rapports le qualifiaient
« d’orgueil de la flotte algérienne. » C’était une unité de 32
canons, susceptible d’en porter plus et de cent-soixante-dix hommes
d’équipage. Il fut capturé en 1687 par le Duc de Mortemart dans des
circonstances violant la morale et les traités. « Le Soleil »
effectuait une croisière dans l’Atlantique et en Mer du Nord. Se
croyant en paix avec les Français, il s’était laissé prendre sans
combat « prise qui n’apportait aucune gloire nouvelle au pavillon
fleur de Lys car elle s’apparentait plus à un abus de confiance
qu’au combat loyal[4]. »
Au XVIIIème, on parlait souvent de la frégate « La Mule » (prise sur les
Portugais) et de la corvette « le Macho, » de vingt-deux canons,
commandée par Raïs Sulaymân. Elle fut achetée, le 25 juillet 1749,
par un armateur d’Alger, Sidi Hasan Khaznâdjî « de la chambre du
Dey, » à un Anglais « qui l’avait prise ci-devant sur les Espagols[5].
Le navire appartenant à Muhammad Khûja al-Milh (secrétaire au sel)
s’appelait « Sardûk al Marsâ » (le coq du port) ; le Raïs Ibn Nafra
commandait un bâtiment nommé « Al-Ghûl » (l’Ogre). Dans sa notice
sur le Dey al Hadj Bâcha, Az-Zahhâr dit qu’il avait fait construire
une corvette connue sous le nom « d’As-Sakrân. »
La marine de guerre et la flotte marchande comprenaient, dans ce premier
tiers du XIXème siècle, des navires de tous les types : « la
Rachelle » (Raïs Hâdj Sittow), « la Compagnie, » « Al Ahrâm, »
« Al-Yûsuf » (Raïs Muhammad Agha), « Al-Mabrûk » (Raïs al-Hâjj
Muhammad ibn Sulaymân), « La Caméra » (Raïs Dechman), Al-Masûda »
(Raïs Ahmad ‘Amûr), « Li Tre Fratelli » (Raïs Ahmad), « Tamira »
(Raïs Ahmad Hamîda) et « Il Giossppino » (Raïs Boudjem’aa)[6].
Bianchi qui accompagnait le Comte de la Bretonnière à Alger, en 1829,
prétend, dans sa relation, que « pour la première fois, en 1825, les
Algériens donnèrent, à l’imitation des Européens, des noms
particuliers à leurs navires de guerre. » Ce qui est inexact.
Le tableau dressé par ce visiteur porte des noms arabes, turcs ou persans
:
- Frégates :
* « Miftâhi-Djihan » (la clé du monde) 52 canons,
* « Ibn al Ghawwâs » (le fils du Plongeur) 50 canons,
* « Neferi al Iskander » (l’Alexandre)
36 canons,
- Corvettes :
* « Mezaheri Istafié » 36 canons,
* « Fassia » 36 canons,
- Brigs :
18 canons,
* « Nimeti Khouda » (le Don de Dieu)
* « Mudjérès » (le Porteur de Bonnes Nouvelles) 36 canons,
- Goelettes :
24 canons, 16 canons, 14 canons,
* « Fath al Islâm »
* « Dlairan » (le chevreuil)
* « Tongarda »
* « Thuraya » (la Pléiade)
* « Chahini derya » (le Faucon de mer)
- Polacre :
20 canons,
* « Zaghâr » (le lévrier)
- Chébec :
20 canons.
* « Mayûrqa » (Majorque)
F - PAVILLONS D’ALGER
La Régence d’Alger, comme toutes les nations de l’époque, disposait d’un
grand nombre de pavillons et étendards à l’intérieur du pays et en
mer, sur ses navires.
Un drapeau, rouge uni, était porté par un grand mât, surmonté d’une boule
de cuivre, fixé sur le belvédère du Dey. Le jour des fêtes, tandis
que le pavillon rouge flottait sur les autres ports, on hissait à la
Qasba un grand étendard vert tout brodé d’or.
Un ancien ouvrage d’un auteur anonyme, édité à la Haye, chez Van Den
Kieboom, en 1737, sous le titre : « La connaissance des pavillons
et bannières que la plupart des nations arborent en mer, »
consacre les dix dernières planches de modèles d’emblèmes aux
drapeaux de l’empire ottoman, des régences du Maghreb,
particulièrement ceux d’Alger.
En 1701, le pavillon algérien était encore blanc et pointu par le bout,
d’où la confusion avec ceux des autres nations. La France en demanda
une modification, mais en vain. Quand il flottait sur les navires,
le pavillon était souvent orné d’étoiles ou de croissants dont le
nombre et l’arrangement variaient au gré du Raïs.
G - NAVIGATION EN ESCADRE
Quand plusieurs unités sortaient combattre aux côtés du Sultan ou aller en
course, il leur fallait tout un système précis de navigation pour
communiquer, exécuter les ordres de se rassembler ou de se
disperser, d’avancer ou de reculer, de faire feu ou de cesser le
combat.
En juillet 1559, quatorze corsaires chassaient près de Niebla, en
Andalousie ; deux ans plus tard, ils étaient quatorze encore près de
Santi Pétri, au large de Séville. En août 1563, neuf navires
algériens apparaissaient entre Gênes et Savone, en septembre, ils
étaient treize sur la côte corse, la même année, trente-deux
menaçaient la côte de Calabre. En mai 1564, l’escadre forte de
quarante-deux voiles surgit devant l’Ile d’Elbe, pendant qu’une
autre de quarante longeait le littoral du Languedoc[7].
La navigation par petits groupes était recommandée, « les quatre grosses
galiotes du Dey, écrit le consul Durand, viennent d’être mises en
mer... croisent apparemment cet été...Il y a cinq vaisseaux de
compagnie dehors qui ont déjà apporté ici un vaisseau vénitien
appelé La Indivissa... Trois autres sortiront dans huit jours, trois
autres huit jours après, le Dey leur ordonnant d’aller ainsi par
escadre[8] ».
Jusqu’au dernier jour de son existence, la marine dépêchait des
formations en Orient ou dans le détroit de Gibraltar. Dans de telles
circonstances, les marins disposaient d’un matériel approprié et
d’une tactique rudimentaire certes, mais dont l’efficacité fut
maintes fois prouvée.
Ils utilisaient un livre dit des signaux. A l’aide de pavillons anglais,
américains, danois, génois, français ou espagnols, nos marins se
communiquaient les renseignements et les instructions concernant les
côtes ennemies, les navires rencontrés, les manœuvres à effectuer,
l’ordre d’attaque ou de repli, la visite des bâtiments étrangers ou
la demande de secours.
On les utilisait, également, pour mettre en panne ou pour mettre le cap
sur la côte.
On distinguait des signaux de nuit, exécutés à l’aide de fanaux. Un des
bâtiments qui captura d’Aranda avait « une lanterne à la poupe pour
donner le signal à ses compagnons[9]. »
Et les signaux de jour s’effectuaient avec des pavillons et des
flammes. Chébecs, frégates, goélettes, bricks avaient leur propre
système. En mer, quand l’emblème d’un saint d’Alger était hissé au
grand mât, tous les bâtiments de la Régence devaient se diriger vers
lui.
Voici un exemple de signaux lors d’une rencontre avec un corsaire anglais
:
« Si, en pleine mer, un navire de guerre anglais nous donne la chasse, le
drapeau algérien de poupe sera hissé au grand mât avec le pavillon
anglais et deux coups de canon, sans boulet, seront tirés sous le
vent. Si, de leur côté, les mécréants hissent le drapeau de poupe
(algérien) avec leur pavillon au grand mât et tirent deux coups de
canons sans boulet sous le vent, le navire rencontré est anglais.
Ensuite, il sera tiré de notre côté un coup de canon sans boulet ;
s’il est également tiré un coup de canon sans boulet du côté des
mécréants, il est anglais. Si pendant la nuit, nous donnons la
chasse aux mécréants ou que ceux-ci nous donnent la chasse, un fanal
sera hissé au grand mât et un coup de canon sans boulet sera tiré.
Ne négligez pas ces prescriptions[10]. »
[1]
Turbet-Delof, « Noms de navires algériens au XVIIème siècle, »
Revue Internationale d’Onomastique, 3/1970, pp. 213-219.
[2]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 13 (Malte),
1532-1754.
Mémoires et états
des navires qui se trouvent à Alger au mois d’avril 1662.
[3]
A.C.C.M. Série J 1332, Lettre du 23 mai 1686.
[4]
Boyer, « La chiourme turque, » R.O.M.M. 6/1969.
Un traité de paix
signé le 24 septembre 1689 prescrit, article IV : « Les
bâtiments français arrêtés dans le port d’Alger contre la
bonne foi seront rendus, avec tous leurs agrès, canons;
munitions, armes, marchandises, effets et équipages ou la
juste valeur suivant la liquidation qui en sera faite par le
sieur Mercadier, consul de la nation française, moyennant
quoi, l’Empereur de France consentira à la restitution du
vaisseau « Le Soleil » et des deux caravelles : « Le
Perroquet » et le « Dragon » pris par le vaisseau de Sa
Majesté avec leurs agrès, canons, effets et équipages. »
[5]
A.C.C.M. Série E/57 : Etats des années 1750-1753, Série J
1365, Etats de 1749.
Lemaire décrit la
cérémonie de réception : "L’on a tiré le canon et fait des
réjouissances pour cette augmentation des forces maritimes.
Ce bâtiment était corsaire espagnol et avait gêné le
commerce anglais pendant la guerre parce que c’était un
excellent voilier. Les Anglais s’en sont servis pour le même
usage. La paix revenue, ils l’ont vendu aux Algériens. »
[6]
Bâtiment pris par les Français en 1816. Intéressant dossier aux A.N.AFF.Etr.
Mémoires et Documents, T. 14, Algérie (1790-1827).
[7]
Braudel, La Méditerranée... II, pp. 203-204.
[8]
Grammont, Correspondance des Consuls, pp. 99-100
[9]
Aranda, Relation, p. 5
[10]
Devoulx, Le livre des signaux de la flotte algérienne, p. 13.