c) Les arrangements
avec les nations maritimes
Certains pays aux traditions maritimes anciennes versaient, à la Régence,
diverses fournitures pour la construction et l’armement moyennant la
libre circulation en mer et la sécurité du commerce.
les nombreux traités conclus entre Alger et les puissances d’Europe font
état de ces transactions. La paix qui existait entre la Régence et
ces pays était entièrement fondée sur la satisfaction des besoins de
la marine en bois, cordages, fer, poudre et pièces d’artillerie.
Toute inexactitude dans l’envoi du matériel ou toute défectuosité
constatée provoquaient la rupture, puis, la guerre.
Durant de longues années, la Suède, la Hollande[1],
l’Angleterre, la France[2],
le Danemark et d’autres pays furent soumis à l’envoi de matières
premières, de pièces, de denrées afin de maintenir le rythme de la
construction navale.
La correspondance des consuls en poste à Alger, les mémoires de certains
envoyés spéciaux[3] et les rapports
de certains agents fourmillent de détails sur les équipements
réceptionnés ici, leurs quantités, leur valeur, les circonstances
dans lesquelles se pliaient les nations pour satisfaire les demandes
du gouvernement.
Les documents de l’époque sont heureusement complets et précis au sujet de
la contribution des nations chrétiennes, notamment au XVIIIème
siècle.
La Hollande :
La contribution de la Hollande, de beaucoup, la plus consistante. Ce pays
avait, comme la Régence au XVIIème siècle, un ennemi commun : Louis
XIV. L’entente dictée par l’intérêt n’était pas difficile à
réaliser.
Attaquée en mer, tantôt par la France, tantôt par la Régence, la Hollande
dut, à tour de rôle, engager la guerre, faire au Dey des
propositions de paix, entamer de laborieuses négociations, signer
des traités et en payer le prix.
Les premières relations politico-militaires connues remontent aux
dernières années du XVIIème siècle.
Un traité ayant été conclu « entre les Provinces Unies et la Ville
d’Alger, » le 30 avril 1679, la Hollande livra à la Régence, huit
pièces de canon de cinquante livres de balles avec les accessoires,
quarante mâts, cinq cents barils de poudre, cinq mille boulets et un
vaisseau plein de câbles et d’agrès divers[4].
L’année suivante[5]
; elle remit « dix-huit pièces de canon de fonte de quarante-huit
livres de balles que les Algériens ont braqué à la tête de leur
môle, huit mille quintaux de poudre, soixante mille boulets et pour
plus de cent écus de câbles, d’ancres, de voiles, de mâts,
d’antennes et de cordages[6]. »
Cette coopération « des Infidèles et des Hérétiques » déplaisait à la Cour
de Versailles. Louis XIV, qui voyait en la Hollande, une puissance
maritime et commerçante rivale et un pays calviniste qui l’a plus
d’une fois défié, ne tolérait point cette entente avec une nation
musulmane.
Un ordre du Souverain à Tourville, en date du 17 janvier 1682, prescrivait
que : « Sa Majesté ayant appris que les Hollandais portent plusieurs
marchandises de contrebande aux dits d’Alger qui les mettent en état
d’équiper leurs vaisseaux et de les armer même de canons et, comme
il est important de les empêcher, elle veut qu’il (Tourville) visite
tous les vaisseaux hollandais qu’il rencontrera en mer [...]. Sa
Majesté ayant appris que les dits corsaires ont envoyé chercher des
poudres et d’autres munitions de guerre en Hollande par un navire de
Saint Malo qu’ils ont pris, nommé « La Règle » et qu’ils se servent
du nom de deux Juifs qui demeurent à Alger, l’un, nommé Jacob de Pas
et l’autre, Benjamin de Léon et qui ont une maison à Livourne,
prétendent le faire passer avec pavillon de Hollande. Elle veut
qu’il prenne des mesures pour s’en servir à son retour[7]. »
Au XVIIIème siècle, la nécessité de conclure une paix avec Alger, poussa
la Hollande à redoubler d’efforts et de sacrifices pour une
meilleure compréhension entre les deux pays.
Les fournitures militaires allaient, pour un temps, faciliter les choses.
Le capitaine d’un navire français chargé de blé venant d’Alger a déclaré
au vice-consul de France à Alméria que, lors de son départ de ce
premier port : « il est entré trois vaisseaux de guerre hollandais
dont le commandant a ordre de faire des propositions de paix avec le
Dey, que pour y parvenir, il lui a offert mille quintaux de poudre,
mille fusils, mille paires de pistolets, mille sabres, trente gros
mâts, dix-huit câbles de quinze à seize pouces, que le Dey a répondu
qu’il signera le traité lorsqu’on lui aura remis ces munitions[8]. »
Si l’accord fut possible, l’exécution s’avéra difficile car les
« Réyals[9] »
promis ne pouvaient être envoyés qu’avec une bonne escorte. D’autre
part, pour faire échouer les pourparlers en cours, le consul de
France à Livourne disait « qu’il serait facile de rompre ce traité
si la France faisait les mêmes offres au Dey[10]. »
Malgré les manœuvres de la France, l’accord entre la Régence et la
Hollande fut signé. On était persuadé, à Versailles, que le traité
allait être suivi d’une déclaration de guerre à la France « auquel
cas et si la Sicile se révolte [...] les bâtiments français n’auront
plus de retraite qu’à Malte. » Le consul de France à Malte proposa
« l’envoi de vaisseaux en Barbarie pour intimider les Barbaresques[11]. »
Cependant les négociations n’excluaient nullement les actes de guerre
Avril 1710, un vaisseau hollandais de cinquante canons sortit de
Barcelone pour poursuivre un autre algérien jusqu’à Gibraltar. Le
capitaine hollandais ayant réclamé la prise, le gouverneur de la
place ne voulut pas y consentir, « ce qui donna lieu a de grandes
contestations[12]. »
Quelques mois plus tard, les Hollandais se trouvaient dans une triste
situation les Français d’un côté, les Algériens de l’autre ! Ceux-ci
leur avaient pris « deux vaisseaux très riches[13]. »
La même année, trois vaisseaux de guerre apportaient à Alger les présents
que les Hollandais avaient promis à cet effet[14]
c’est à dire la paix.
En 1711, les fameux présents étaient constitués de : huit pièces de canon
de fonte, seize de fer, quatre affûts, sept mille boulets, six cents
milliers de poudre, huit cents fusils, quatre cents lames d’épées,
vingt-cinq mâts, huit câbles[15].
Par ces envois, on voulait réchauffer les négociations en cours. Le Juif
Cohen de Livourne fit le voyage à Alger pour terminer les
pourparlers[16].
Le moindre retard dans l’exécution des accords déclenchait la guerre. Un
document de 1716 nous fait part des hostilités provoquées par les
Algériens. Les Hollandais payaient alors cher leur mauvaise foi ou
leur négligence. En 1724, ils imploraient encore la paix. Et le Dey
de leur dire : « La loi de Muhammad ordonnait de l’accorder à ceux
qui la demandent[17]. »
La paix rétablie, les Etats Généraux envoyèrent assez régulièrement le
matériel militaire à la Régence. En 1746, trois navires escortés par
des vaisseaux de lignes, chargés de différents présents dont
soixante grands mâts, cent-quarante grandes pièces de bois pour
bordage, quatre-cents autres de quatre pouces, soixante-milliers de
poudre, quatre-vingt milliers de plomb, trente-cinq grelins, six
cents pièces de toile à voiles. Trois ans plus tard, quatre flûtes
hollandaises débarquaient à Alger d’autres envois aussi importants[18].
Le traité de 1757 procurait à la Régence une contribution appréciable de
la part des Etats Généraux.
Le Danemark :
De 1746 à 1749, plusieurs traités furent signés avec le Danemark.
En application du traité signé à Alger en 1746, ce pays s’engageait à
fournir : vingt pièces de canon de fer de vingt livres de boulet,
vingt autres de douze livres, huit-mille boulets de ces deux
calibres, quatre mortiers de fonte, quatre mille bombes de cent et
cent cinquante livres, cent-milliers de poudre, deux-mille tables de
quatre pouces d’épaisseur pour bordage, cinquante grands mâts, dix
câbles de dix pouces, trente, de cinq à huit pouces et cinq cents
quintaux de cordage pour les manœuvres.
Sa Majesté danoise s’engageait, également, à remettre annuellement, des
grelins, des vergues, des antennes et des câbles.
En 1747, le roi du Danemark ayant offert des mortiers, le Dey s’empressa
de les renvoyer après avoir appris que ces armes étaient en fonte.
Il fut rappelé au souverain « qu’on n’acceptait que des mortiers de
bronze. » On lui donna « six semaines pour réparer cette erreur. »
Aussi, dès février 1748, un vaisseau danois apporta ce qu’il fallait et le
complément du matériel.
Le traité du 10 avril 1749[19]
mentionne à la fin de texte, les présents annuels à remettre à la
Régence : cinq-cents quintaux de poudre à canon, huit-mille boulets
de canon de différente grandeur, vingt-cinq petits câbles, dix ditto
à douze pouces et cinquante perches pour rames de galères. Aussi, le
7 novembre de la même année, arriva une frégate danoise commandée
par M. Hoogland, apportant, conformément aux clauses du traité, les
munitions de guerre et les effets propres aux constructions de
navires[20].
Mais l’Espagne qui, pendant longtemps, avait accoutumé la Régence à
recevoir de gros présents, principalement des fortes sommes en
numéraires, exerça de fortes pressions sur les nations du Nord pour
les amener à rompre avec Alger.
En janvier 1753, le Consul de Hollande annonçait au Dey que la Cour de
Madrid avait fait notifier à celle de Copenhague que « si elle
continuait à fournir des munitions à la Régence d’Alger, les ports
d’Espagne seraient interdits à ses bâtiments, sous peine de
confiscation de ceux qui aborderaient, soit par hasard ou de dessein
prémédité. »
Au chantage espagnol et à la peur des Danois, le Dey répondit froidement
qu’il « serait fâché de rompre sans sujet avec les puissances du
Nord de l’Europe, mais qu’il verrait avec grand déplaisir que les
souverains dont l’alliance lui était indifférente fussent obligés de
renoncer à la paix. » Il ajouta qu’il était prêt à récompenser, même
généreusement, ceux qui lui apprendraient que le Roi d’Espagne
aurait signifié au Roi de Suède et aux Etats Généraux la déclaration
envoyée au Sénat de Hambourg et à Sa Majesté danoise... que les
présents qu’il recevait de ces Etats, au lieu de contribuer à
l’accroissement de la marine, empêchaient les Raïs de faire des
prises qui étaient infiniment plus avantageuses à la Régence. »
La ville de Hambourg :
A la demande de cette ville, un traité « de paix, ferme, constante et
durable » fut signé à Alger en janvier 1751. Des présents de guerre
parvinrent à Alger. Tout allait pour le mieux jusqu’en novembre
1752. Puis le sénat de la ville révoqua le traité « à cause des
oppositions que la Cour d’Espagne y a formées. »
Le Dey recevant M. Fort, Consul de Hambourg et la lettre du Sénat
renonçant à la paix, répondit « qu’il acceptait la renonciation de
Hambourg et que les choses resteraient sur le pied où elles étaient
anciennement, ajoutant qu’il y gagnait par la convenance qu’il
trouvait à faire fleurir la course et à entretenir l’émulation de
ses soldats. »
La Suède :
Comme les autres nations maritimes, la Suède, pour protéger son commerce,
essaya d’être en bons termes avec la Régence. L’envoi de matériel
naval et de fournitures militaires pouvait arranger les choses. En
1731, elle dépêcha huit cents barils de poudre, huit gros câbles,
cinquante mâts, huit cents fusils, quarante pièces de canon et huit
mille boulets. En 1747, un important chargement d’armes est signalé,
soixante-dix mâts, neuf cent trois câbles pour bordage,
cent-soixante-dix lattes, deux cent quatre-vingt câbles,
quatre-vingt grelins, deux cents barils de goudron, vingt mille
boulets de 6, 12 et 18 livres[21].
Puis, les envois se succédèrent. En 1814, note le consul de France "il est
arrivé à Alger un navire suédois escorté par un brick de guerre de
la même nation portant des présents en chanvre, goudron et mâture au
Dey[22].
L ‘Angleterre :
La rivalité franco-anglaise et les conflits d’intérêts des deux pays
poussèrent les Britanniques à s’assurer l’amitié ou la neutralité
des Algériens.
Aussi, la participation des Anglais aux armements de la Régence remonte
loin. Les consuls de Grande-Bretagne et de Hollande rivalisaient
d’ardeur pour satisfaire Alger. Ce concours si précieux faisait
beaucoup de peine à Sanson Napollon qui trouvait que « la paix que
les Anglais et les Flamands ont fait en cette ville n’a été que pour
préjudicier aux chrétiens ayant apporté toutes sortes de munitions
de guerre[23]. »
Sous le règne de Muhammad Pacha, le Roi d’Angleterre fit don, en 1797, de
« quatre canons du calibre de quarante livres avec le matériel
suivant : quatre affûts avec roues et essieux, deux cents barils de
poudre cerclés de cuivre, chacun contenant un demi-quintal,
quatre-cents boulets du calibre des canons [...], quatre étuis
renfermant les aiguilles et les vrilles destinées à dégorger la
lumière des canons, quatre boute-feu, quatre poudrière pour amorce
avec dégorgeoir, neuf tampons, huit mèches, huit barils pour mèches,
deux mesures en cuivre contenant chacune seize livres de poudre,
vingt-cinq sacs contenant chacun quatre sacs de mitraille et une
éponge pour chaque canon[24]. »
d) Le concours de la
Porte
Les dons du Sultan ottoman étaient aussi importants que ceux des nations
chrétiennes, particulièrement aux XVIème – XVIIIème siècles. Lors de
l’investiture des chefs de la Régence, ou en retour des présents qui
lui étaient envoyés d’Alger[25],
le Souverain ne manquait jamais de faire accompagner les émissaires
du Dey de matériel dont la marine d’iqi avait besoin.
Beaucoup d’envois sont mentionnés dans différentes sources. Le Père
Philimon de La Motte, dit avoir vu, à la pointe du môle, « une pièce
de canon de deux cents livres de balles, envoyée par le Grand
Seigneur depuis les bombardements[26]. »
En août 1748, le Sultan fit envoyer, avec le caftan, quatorze canons de
fonte de six livres de boulet, quatre gros mortiers, quatre-cents
bombes, cent milliers de chanvre, autant de fer et trois-cents
antennes ainsi que du goudron et de la résine[27].
L’année suivante, la corvette française « LA JEUNE PHILIPPINE, » venant
d’Istambûl, apportait différentes munitions de guerre dont cent
soixante-cinq milliers de poudre, trente gros canons de fonte, six
mortiers, huit-cents bombes, trente-mille boulets, soixante-dix
milliers de filasse[28],
des antennes, des mâtures et autres bois de construction.
Le consul Lemaire notait, en 1750, un important arrivage de nouvelles
recrues et trois bâtiments de Constantinople « chargés de munitions
de guerre dont le Grand Seigneur a gratifié la Régence d’Alger sur
la demande qui en été faite par son député Hadj ‘Usman [...] Ces
munitions consistent en trente gros canons et six gros mortiers de
fonte, mille-six-cent-cinquante quintaux de poudre, huit-cents
bombes, trente-mille boulets, sept-cents quintaux de filasse pour
faire des câbles[29]. »
Un navire français ramena, en 1766. des pièces de bois de construction,
des affûts de canon, six gouvernails, vingt-six quilles de navires,
cent quatre-vingt-treize grands avirons, deux cent cinquante petits,
trois mille trente livres de fer, vingt-deux mâts, cinq cents
boulets, trois mille sept cent quinze livres de chanvre.
Venant de Turquie, un navire hollandais débarquait, la même année, une
impressionnante cargaison : des mortiers de cuivre, des grands mâts,
des avirons, des barres de porte-faix, des barres de gouvernail, des
roues de canon, des bombes, de la colophane[30].
Puis, au tour d’un bâtiment sarde de livrer du fer, des clous, de l’étain,
des pièces de bois pour affûts, des amorces (détonateurs) et des
outres de poix[31].
En 1198 de l’Hégire (1784), la Régence reçut une grande quantité de
cuivre, des bâtons de foc l ), des mâts, des coussinets de canon, du
fil de fer, vingt tonnes de poix des avirons, des barres de
porte-faix et de la poudre en grande quantité[32].
Au début du siècle[33]
dernier sous le règne de Mustapha Pacha, Hadj Yûsuf, Wakîl al Hardj,
de retour de Turquie, ramena les présents suivants : cinquante
canons en cuivre, six mortiers, quarante bâtons de fer, mille
avirons de chébec, mille autres d’embarcations, mille poutrelles,
quarante gouvernails, mille grands avirons, soixante barres de
gouvernail, mille-cinq-cents quintaux de poudre, deux quintaux de
plomb, douze-mille obus, trente quintaux de tabac, mille-cinq-cents
quintaux de colophane, cinq-cents quintaux de goudron, cinq-cents de
salpêtre, mille affûts de canon, mille quintaux de fil de fer et
treize mille boulets[34].
Il serait bien fastidieux d’énumérer tous les envois ordonnés par les
Sultans. Ces exemples traduisent néanmoins l’importance des dons au
profit de la marine d’Alger.
Il faut remarquer, cependant, que les Ottomans avaient intérêt à aider une
année qui avait fait ses preuves à Prévéza, à Lépante, à Tunis et
qui tenait efficacement le front Ouest dans la confrontation avec
les nations chrétiennes.
e) Les transactions
Les besoins de la marine étaient si grands que les prises de mer et les
dons des gouvernements étrangers s’avérèrent vite insuffisants. On
eût recours aux achats d’équipements que réclamait la construction
navale locale.
Les consuls de France, de Grande-Bretagne ou de Suède servaient souvent
d’intermédiaires et insistaient auprès de leur pays au sujet de la
qualité et de la rapidité des commandes.
Une lettre de Trubert à Amoul, en juillet 1668, nous donne le ton lorsque
la Régence voulut acquérir des mâts, des vergues et d’autres
fournitures « pour cinq vaisseaux tout neufs qui sont à l’eau. ».
« Il ne faut pas manquer à faire un coup d’importance, vous avez les
proportions [...] On les attendra vers la fin d’août ou au début de
septembre [...] parce qu’ils (les Algériens) veulent avoir tous
leurs corsaires armés au mois d’octobre pour une affaire qui doit
éclater [...] Ils demandent à présent du cordage goudronné et ils
connaissent fort bien des rames pour les galères et pour les
vaisseaux [...] On a affaire à des gens qui raffinent et qui savent
faire donner dans le panneau quand on n’est pas aussi fin qu’eux[35]. »
On ne vendait pas n’importe quel produit au Dey. Le correspondant de la
Chambre de Commerce de Marseille, en poste à Alger, nous le dit :
« Le Dey veut des câbles satisfaisants et meilleurs que ceux que lui
ont fait venir les Anglais dont on ne saurait se servir [...] Il
faut remettre au plus tôt et de la meilleure qualité qu’on se sert
pour les câbles des vaisseaux du Roi et meilleur s’il est possible
pour qu’il n’ait rien à se plaindre de vous, comme il fait des
Anglais et de meilleur chanvre s’il se peut que celui qu’on emploie
pour le service du Roi[36]. »
La réponse du Conseil de Marine fut favorable. On livra deux câbles de 17
pouces de grosseur et de 120 brasses de longueur.
Une autrefois, la demande du Dey fut toute autre : la permission de tirer
de France « douze crics, quatre chaînes de pourtour, douze aiguilles
et douze semelons pour un vaisseau de soixante douze pièces de canon
qu’il fait construire et... plus de trois mille cercles de fer[37]. »
Maurepas fit savoir, en 1727, à MM. du Commerce que : « le Dey d’Alger
ayant demandé au Roi, par grâce, de lui faire fournir des magasins
de Toulon, cent quintaux de boulets de deux, trois et six de balle
et de les faire remettre au sieur de Lestrade, négociant à
Marseille, son correspondant qui en payera la prix, Sa Majesté a
bien voulu ne les lui pas refuser et j’envoie des ordres à M.Mishon
pour les faire livrer au sieur de Lestrade en ne les lui faisant
payer que le prix qu’ils ont coûté à Sa Majesté. Il est nécessaire
que vous en fassiez avertir ce négociant afin qu’il remplisse sa
commission et que le Dey ne lui impute aucun retardement[38]. »
Les demandes se succédaient d’autant qu’elles étaient payées sans
difficulté.
Une lettre d’Alger exprime le souhait du Dey de recevoir de Marseille
« toute la ferramente nécessaire pour le gouvernail d’un vaisseau
qui est en quille ainsi que tous les bouceaux et poulies, grands et
petits pour agréer le dit vaisseau[39]. »
Quelquefois, les pièces commandées étaient retournées à l’expéditeur après
examen.
Une frégate était, en 1759, en construction dans les chantiers d’Alger. Le
Dey, pour les besoins de la fabrication, fit acheter des fers de
Marseille. Mais « ces ouvrages se sont trouvés défectueux et en
partie cassés et qu’on les a regardés comme pièces rebutées de
l’arsenal de Toulon[40]
( )... ces pièces devaient être changées[41]. »
Le fer suédois était jugé le meilleur. Aussi le consul de Suède tirait-il
grand profit de la vente du minerai de son pays et "qui était le
plus apprécié par les clients[42]. »
Il ne suffisait pas, cependant, de passer commande pour recevoir le
matériel. Le transport, la course ou les interdits bloquaient ou
retardaient les arrivages.
Une cargaison de fer achetée à Mogador et embarquée sur un bâtiment
ragusin, fut prise par un corsaire anglais, conduite à Mahon et
déclarée bonne prise. Puis, le chargement fit voile à Marseille et
fut remis au représentant du Dey, un certain ‘Abd al-Rahman Bengualy
(ou Benzouri). Une lettre d’Alger du 22 juillet 1781 réclamait
l’embarquement du bronze « sur le premier de nos bâtiments [...] Je
vous exhorte, dit son auteur, de la part du consul de France de
prier M. Isnard pour le faire embarquer sur la frégate que nous
attendons en septembre ou octobre prochain [...] Ne négligez pas
cette commission qui est des plus importantes[43]. »
Les transactions commerciales avec l’Europe, même en temps de paix,
connaissaient des moments difficiles. Certains hauts responsables
déconseillaient, ouvertement, de ne pas traiter avec Alger. Par une
note du 6 octobre 1694, Pontchartrain défendait de vendre du soufre
en Barbarie « sauf pour laver la laine[44]. »
Une lettre adressée au sieur Gaspard l’autorisait « à expédier dans
le Levant et en Barbarie les soufres de sa manufacture non utilisés
pour la fabrication des poudres, mais le priant de ne pas les vendre
à Salé ou à Alger où ils pourraient être employés pour un autre
usage que le blanchissement des laines[45]. »
Il arrivait, parfois, de trouver à Alger les fournitures dont on avait
besoin. Plusieurs navires étrangers faisaient naufrage près des
côtes algériennes. On sauvait du matériel qu’on arrachait aux vagues
et on le vendait aux enchères publiques.
L’Etat se portait acquéreur. Certains documents sont des inventaires des
agrès de navires comme « La Marie » coulé le 24 décembre 1731 et
« La Vierge de La Garde » coulé en octobre 1734 ou « Le Saint
Victor » naufragé en mars 1749[46].
Pour les commandes à l’extérieur, les modes de paiement étaient multiples
:
1/ Le troc. On échangeait des produits agricoles contre le
matériel militaire. « En 1725, nous dit Laugier de Tassy, le consul
anglais est à Alger le seul marchand de sa nation. » Il pourvoyait
le gouvernement de la Régence en munitions de guerre et en
instruments de navigation et recevait, en échange, de l’huile, du
blé et autres produits. Ces denrées étaient en effet destinées à
l’approvisionnement de Gibraltar.
Pour la seule année de 1778 (1192 de l’Hégire), on reçut ici un navire
anglais ramenant de Grande-Bretagne des canons en fer, achetés sous
le règne de Muhammad Pacha pour le compte de la marine, à savoir :
vingt-huit de calibre 12 pesant chacun vingt-deux quintaux, soit un
poids total de six tonnes seize quintaux, six autres pesant chacun
douze quintaux et seize de huit.
En paiement de ces armes, il a été donné cinq mesures de blé par quintal
de fer. Il a été acheté au capitaine de ce navire trois ancres au
prix de cinq mesures de blé par quintal de fer.
Le blé qui servit au paiement fut pris à ‘Annâba en 1778. La même année,
un navire venant de Gibraltar, ramenait cinq canons non cuivrés
achetés par le gouvernement à raison de vingt-huit mesures par
quintal[47].
2/ Le paiement comptant. En 1695, les Algériens ayant acheté des agrès à
Toulon avaient le choix entre un paiement en espèces ou une rupture
avec les Anglais[48].
Le Raïs Mbarek, en mission à Marseille, (il devait effectuer des
achats de mâts), en 1711, arriva dans la cité phocéenne avec une
cargaison dont il avait ordre d’employer le produit au paiement de
cette acquisition[49].
3/ Déductions sur le lisme du bastion.
Il arrivait au Diwân de payer ses achats militaires en prélevant des
sommes sur la location de ses comptoirs de l’Est algérien. En 1719,
le sieur Texal, agent de la Compagnie Royale d’Afrique à Alger,
demandait avec empressement et au nom du Dey et du Raïs Amiral, deux
câbles pour un vaisseau, « au prix en sera déduit sur le lisme du
bastion. »
f) La contrebande
Bulles pontificales et ordonnances royales limitaient les transactions et
obligeaient les responsables de la marine à recourir aux services
des Juifs et des hommes d’affaires.
En 1692, le consul Lemaire signalait l’arrivée d’un chargement de
cent-cinquante quintaux de soufre en bâton -chargé à Marseille par
des Juifs à des Juifs d’Alger. » Ce produit coûtait alors 40 à 45
francs le quintal. « J’ai appris, ajoute-t-il, qu’il s’en chargeait
de grandes quantités à Marseille [...] pour ces côtes de Barbarie[50]. »
Les Juifs d’Alger s’étaient spécialisés dans l’importation des armes de
Hollande. Aussi étaient-ils particulièrement surveillés, en France.
Une lettre signalait au Ministre Amoul « Le courrier acheminé entre
Alger et la Hollande par un marchand juif résidant à Marseille[51]. »
Une autre, aux Echevins de cette ville, faisait savoir que « Sa
Majesté a été fâchée d’apprendre la tolérance que vous avez dépassé
un temps de souffrir la résidence dans Marseille d’un Juif, nommé
Antoine Philippe Lopez, sans permission et son intention est que
vous l’obligiez d’en sortir sans délai et d’aller, si bon lui
semble, à Bordeaux[52]. »
Les négociants de Marseille fournissaient « pour le bien et avantage du
commerce le matériel qu’on leur demandait. » Dans ses Mémoires, la
capitaine Fouques Guillaume s’en prenait « aux complicités de
l’administration française avec la marine d’Alger. Il y dénonce
Marseille où fleurit une vive contrebande d’armes et de produits
stratégiques à destination de la Barbarie et de ses constructions
navales[53]. »
Mais les chevaux barbes faisaient taire les protestations !
Les officiers de l’Amirauté fermaient les yeux. Le Vacher, désespéré,
après avoir reconnu la vanité de ses réclamations, écrivait au
provicaire de Tunis : « Vous ne pouvez-vous opposer ouvertement à ce
commerce infâme. »
Les chargements les plus importants se faisaient par les ports d’Italie[54].
Mais Livourne restait la principale place du trafic. Les Juifs qui y
résidaient étaient en étroite relation avec ceux de Hollande et
d’Alger.
Comme les intérêts rapprochaient les hommes, malgré les multiples
divergences, il y avait aussi des Espagnols qui jouèrent le jeu des
Marseillais et des Livournais. Le profit qu’on retirait, à l’époque,
des ventes à l’Algérie et le désir de lui être agréable amenèrent
ces ennemis irréductibles de la Régence à proposer leurs services et
leurs armes au Dey. Le consul d’Angleterre, en poste à Madrid, se
plaignait à son roi, Jacques 1er de ce que « les armements
espagnols, au lieu de faire du mal aux pirates, leur vendent de la
poudre et autres munitions de guerre..., » tout en exerçant de
fortes pressions sur les autres Etats du Nord afin de cesser les
fournitures à la Régence.
Par le biais des traités conclus avec Alger, le trafic des armes et
munitions trouvait dans la Régence, une assise légale et un
encouragement manifeste.
Le traité avec le Danemark conclu en radjah 1159 (août 1746) dit, dans son
article 2 : « Sur toutes les marchandises de contrebande, savoir
munitions de guerre, poudre, plomb, soufre, poix, goudron, bois
propre à la construction des vaisseaux, il ne sera payé aucun droit
à Alger par les sujets danois. »
Celui signé à Venise en 1177 (1763) prescrit, dans son article 2, les
mêmes dispositions, à savoir « pour ce qui est des marchandises de
la contrebande, telles que sont la poudre, le soufre, les planches
et tous les autres bois propres à la construction des bâtiments, les
cordages, la poix et le goudron, les instruments de guerre et toutes
autres choses concernant les armements de guerre, les commandants du
Royaume d’Alger n’exigeront aucun droit. »
Les résultats
Grâce à tous ces efforts, à ces initiatives continues et créatrices et,
malgré les nombreux obstacles, les responsables de la marine
parvenaient à construire « des vaisseaux, bon voiliers, bon
marcheurs et bien armés[55]. »
Le meilleur certificat de validation est le témoignage d’un ennemi
juré des Algériens, le Père Dan qui, témoin sur place, écrit : « Le
7 août 1634, je vis partir une flotte de vingt-huit navires, les
plus beaux et les mieux armés qu’il fut possible de voir[56]. »
D’Arvieux, en mission de septembre 1674 à mai 1675, consignait dans
ses Mémoires : « J’ai admiré, étant à Alger, leur diligence à armer
et désarmer leurs bâtiments[57]. »
L’étonnement des Européens fut, plus d’une fois, exprimé devant l’adresse
et les soins avec lesquels les Algériens construisaient et
entretenaient leurs navires « vu qu’ils ne trouvent rien dans leur
pays qui soit propre car il y a très peu de bois pour les mâts [...]
Dès qu’ils peuvent seulement avoir assez de bois neuf [...] pour
former des vaisseaux des prises qu’ils savent parfaitement ménager
et trouvent ainsi le secret avec de vieux vaisseaux d’en faire des
neufs bien faits[58]. »
Laugier de Tassy ne cache pas sa surprise devant les résultats obtenus par
un pays « sans bois, sans mâts, sans cordages, sans voiles, sans
poix, sans ancres » et qui peut « entretenir un nombre de vaisseaux
aussi considérable et a si peu de frais. « Les Algériens, dit-il,
n’ont besoin que de trouver chez eux le bois neuf nécessaire pour la
quille et le fond du navire[59] »
Quelques témoignages relevés dans les écrits et rapports des consuls de
l’époque donnent une idée de l’activité des chantiers navals
d’Alger.
« L’on travaille à toute force, dit la lettre de Broegh, consul à
Livourne, à trois nouveaux vaisseaux qui étaient sur le chantier,
qu’ils seraient de quarante pièces de canon [...] L’on travaillait,
également, à un nouveau château, près du môle, de crainte d’avoir la
visite de quelques escadres [...] Des Juifs donnent à entendre que
l’on équipe à Alger pour aller dans le Levant[60]. »
En décembre 1750, le consul Lemaire signale que le vaisseau amiral nommé
« Le Château » de cinquante-deux canons et sept-cents hommes, qui a
été lancé à la mer, l’année dernière, fait actuellement son premier
voyage. En janvier 1752, le même consul nous apprend qu’on a mis sur
le chantier la construction d’un chébec de dix-huit canons destiné à
la course[61]
ainsi que les pièces pour la construction de deux nouveaux chébecs
afin de remplacer ceux qui ont été démolis le 11 de ce mois et le 22
du mois dernier[62]. »
On constate que, dès le milieu du XVIIIème siècle, une évolution se fit
sentir dans la construction navale. Un rapport de 1753 signalait
déjà que : « Les Algériens qui, autrefois, faisaient la course avec
nombre de vaisseaux depuis vingt-quatre à soixante canons, n’en ont
plus que deux. Ils ont substitué des chébecs aux vaisseaux. Ils en
ont environ vingt de douze à trente canons. Ils sont en état d’en
augmenter le nombre, ne manquant ni de bois de construction, ni
d’agrès, ni d’artillerie [...] Ils ont donné la préférence aux
chébecs sur les vaisseaux par la raison qu’étant plus fins voiliers,
ils sont plus propres à la course et à la fuite lorsqu’ils viennent
d’être chassés[63]. »
Aussi, en février 1753, les deux chébecs qu’on avait mis sur le chantier,
le 30 mars dernier, et qu’on a lancé en mer, devaient sortir sous
peu, sous le commandement particulier de Hadj Raïs Mubarek... « de
tous les corsaires d’Alger, le moins accommodant[64]. »
La même année, il fut mis sur les chantiers « les pièces servant à
la construction de deux nouveaux chébecs qui seront au-dessus de la
portée de vingt canons et il fut construit également « trois
galiotes dont une appartient au Caïd de Cherchel et les deux autres
à des armateurs d’Alger. L’été de la même année, on acheva la
construction d’une galiote destinée pour la course[65].
Une autre fois, ce fut le Bey de Constantine qui fit le voyage à Alger et
au quartier de la Marine, il planta "le premier clou à la quille
d’un chébec" qu’il faisait construire à ses frais "pour l’armer en
course aux fins de parer la côte du Levant des petits armements
italiens avec lesquels la Régence est en guerre [...] Ce Bey a été
salué par tous les bâtiments de rade[66]. »
Quand la construction était achevée, son lancement constituait une vraie
fête à Alger. La foule en liesse affluait au port pour voir un
marabout égorger un mouton qu’il lançait, ensuite, par-dessus bord,
quand le navire, vigoureusement poussé, pénétrait dans l’eau que
rougissait le sang de la victime[67].
Tout un cérémonial était prévu. Le propriétaire faisait un nouveau cadeau
aux maîtres constructeurs et donnait un repas aux ouvriers et aux
autres esclaves chrétiens qui étaient venus aider au lancement.
Quand la proue de la galiote approchait de l’eau, on procédait à la
cérémonie suivante : un corsaire montait sur le navire égorgeait
deux ou trois moutons et lorsque le sang tout chaud coulait en
abondance, on poussait avec vigueur le bâtiment à l’eau. Alors le
sacrificateur jetait les moutons à la mer et ensanglantait l’eau.
Dans le même moment d’un bastion de la ville, on tirait quelques
coups de canon et tous les corsaires faisaient fête et réjouissances[68].
Sur les salaires des techniciens, on ne possède que de vagues
renseignements. Au début du siècle dernier, le constructeur en chef,
« mu’allim as-safa'in » recevait, lors du lancement d’un bâtiment
neuf, un boujou par aviron et, pour chaque unité achevée, cent
riais. Le capitaine du nouveau navire gratifiait le constructeur de
cent autres[69].
A la fin du XVIIIème siècle, deux noms de constructeurs « maures » sont
citées par les Européens : il s’agit de Hadj ‘Ali et Sid ‘Ali
d’Alger.
6 - Navires pris à
l’ennemi
Tout en encouragent la construction navale sur place, la Régence, pour
satisfaire ses besoins en bâtiments, remplir ses obligations en
Méditerranée, remplacer ses unités perdues et assurer à sa flotte
les moyens de sa politique, avait recours aux prises en mer.
Ces unités contribuèrent largement au renforcement de sa puissance
maritime. Les nombreuses guerres entre Alger et ses adversaires
restèrent à l’avantage de la grande cité. Le butin de guerre
comprenait très souvent des navires intacts qu’on employait
rapidement à augmenter ou à renouveler les escadres.
Les bâtiments grands et petits, vieux et récents, tombaient par dizaines
aux mains nos marins : vingt-huit biscayans d’un coup devant Malaga,
en 1566 ; une cinquantaine de bâtiments en une saison dans les
parages de Gibraltar[70].
En 1570, sept galères algériennes sous les ordres de ‘Uldj Ali
Pacha, s’emparèrent de quatre galères de Malte : « La Patronne, »
« La Sainte Anne, » « Le Saint Jean » et « La Capitaine » montée par
Saint Clément, général[71].
Certains rapports officiels affirment qu’entre 1613 et 1621, plus de huit
cents bâtiments furent pris par les Algériens : 447 hollandais, 193
Français, 120 Espagnols, 60 Anglais et 56 Allemands[72]
sans compter les petites embarcations. Dans une lettre datée du 29
octobre 1691, Dey Cha’bâne rappelait à Louis XIV que « pour onze
vaisseaux de la Régence brûlés par les Anglais, l’on trouve dans les
registres du Diwân que les Algériens leur ont pris quatre cents
bâtiments ». D’autres documents indiquent qu’entre 1630 et 1634, à
la France seule, fut pris 80 bâtiments avec 1.331 captifs. Hees a vu
au port d’Alger, en 1675 « un vaisseau de plus de 50 canons qu’on
avait pris aux Vénitiens et que l’on s’apprêtait à faire naviguer
vers Alexandrie[73]. Le 21 juin
1686, on mettait la main sur le navire français « Le Honfleur. »
Hommes et marchandises étaient déchargés à Salé. Le procureur du
Roi, à l’Amirauté de Morlaix recevait, le 4 juillet de la même
année, ce S.O.S : « les prises plus près de nos côtes qu’ils ne
doivent[74]. »
Un corsaire algérien s’empara, en 1746, près de Porto Farine, d’un
navire hollandais qui transportait des munitions de guerre à la
Goulette. Le Dey le déclara de bonne prise[75].
Avec un peu plus de chance, on chassait « le gros gibier. » Ce fut
le cas en 1749. Alors que les chébecs partis en course étaient,
après quelques semaines, de retour « sans rapporter de prises bien
lucratives, » il y en eut une qui avait frappé beaucoup les yeux,
c’était « le Dantzik ! »
« C’est un vaisseau, dit un document de l’époque, du port de douze-mille
quintaux ayant vingt-six canons, percé pour cinquante-six,
parfaitement bien construit dans le gabarit des vaisseaux de guerre
et qui n’était qu’à son premier voyage. Il allait à Cadix, chargé de
soixante mille douves[76]
pour faire des tonneaux, quinze balles de toileries grossières et
quelques autres effets. Il n’avait que quarante hommes d’équipage...
Quatre chébecs ont eu le courage de l’approcher et s’en sont
facilement rendu maîtres. Le coup est hardi, attendu l’apparence que
ce vaisseau montrait de loin. Le Dey en a fait un vaisseau amiral[77]. »
Une autre barque génoise, chargée de fer et de deux mille cinq cents
canons de fusils, fut capturée. Le Dey garda le fer et les fusils
pour le service de l’Etat. Une autre prise « La Victoire » fut
acquise par ‘Alî Pacha Dey[78]. L’année
suivante, il prit la barque espagnole « La Toscane. »
Les états des prises dressés par les consulats indiquent de septembre à
décembre 1749, neuf prises : des pinques, des barques, des vaisseaux
appartenant à des Génois, des Catalans, des Portugais, des Espagnols
et des Français.
De mai à décembre 1757, vingt-quatre bâtiments furent capturés[79].
L’hécatombe des navires européens allait en s’accentuant De 1765 à
1799, on ne compte pas moins de trois-cent-soixante-seize prises[80].
Un certificat délivré par R.L. L’Angoisseur de la Vallée, consul
général à Alger, atteste que le navire génois « Notre Dame de
l’Espérance » a été pris par Kaddour Raïs de cette Régence et que
l’équipage est actuellement esclave à Alger[81].
Résumant l’activité de nos corsaires en ce début du XIXème siècle,
Thedenat, commissaire des relations commerciales à Savone, note ceci
: « En ce moment, la Méditerranée est infestée de onze de ces
armements, à savoir : deux frégates dont l’une de 46 canons, l’autre
de 36, six chébecs, deux polacres, un brick. Plusieurs bâtiments ont
été leur proie. La plus remarquable de ces prises est celle d’une
frégate portugaise « Le Cygne » de quarante-quatre canons et
trois-cent-cinquante hommes d’équipage. Cette prise dont on n’avait
d’exemple, a excité chez les pirates l’enthousiasme[82]. »
En effet, Raïs Hamidû prit possession, en 1802, d’une frégate construite à
Alger. C’était le plus grand vaisseau de la marine, qui permit au
glorieux capitaine de s’emparer d’une unité de guerre portugaise
appelée « Le Cygne » et dont la capture fit grand bruit[83].
De 1817 à 1827, quelques vingt-six bateaux furent enlevés aux seuls
sujets du Saint-Siège qui naviguaient sous pavillon français, et
sous le règne de Mustapha pacha, une polacre prise aux Grecs fut
dotée d’une artillerie et reprit avec succès ses activités. On
l’appelait « Zbantuta[84]. »
Quand les bâtiments pris à l’ennemi n’intéressaient pas l’Amirauté
d’Alger, ils étaient soit démolis soit vendus. Dans ce dernier cas,
les acquéreurs étaient ou des négociants ou des consuls En 1690,
Jacomo Suriano dit Chiquetto, né à Chypre mais établi à Malte,
acheta au Dey une barque de 1 200 quintaux, puis se porta acquéreur
d’un autre bateau En 1694, le raïs Abraham Khudja vendit un navire
capturé près des côtes espagnoles[85].
Un yak hollandais de 50 tonneaux fut vendu par le Dey au consul
d’Angleterre[86].
Un toulonnais installé à Alger, le sieur Meifrund acheta, en août
1764, au chef de la Régence, une polacre de 4 000 quintaux prise aux
Napolitains et trois ans plus tard, une tartane. En février 1770, il
se porta acquéreur d’un vaisseau de 300 tonneaux pris aux Danois. Le
consul de Suède, Logie, achetait fréquemment des bateaux provenant
des prises, soit pour en faire son commerce, soit pour les envoyer
vendre en pays chrétiens. En 1756, il acheta une barque qu’il fit
vendre à Mahon alors aux mains des Anglais[87].
[1]
Lacoste, « La Marine Algérienne sous les Turcs, » R.M., 1884, p. 304.
[2]
A.N. Marine B7/89 F° 48, 52, 54, 57, 89.
A.C.C.M. B/80.
Lettre du 4 mars 1711 et du 28 mars 1711.
A.C.C.M. B F° 500
(5 février 1692).
[3]
H.de Grammont, Correspondance des Consuls d’Alger (1690-1742), Alger 1890, p. 294.
Plant et,
Correspondance... 2 vol.
Lemaire (A.A.),
Mémoires, publiées par L. Chaillou in « Textes... »,
pp. 5-14.
[4]
La Régence les reçut en 1680. Le traité de 1679 fut négocié
par Thomas Hess.
[5]
En mai 1680 fut signé : Additions au Traité de Paix du 30
avril 1679. Texte en français in trattati,
Convenzioni e accordi relativi ail Africa, Vol. 1, 1648-1799, Roma,
1940, pp. 99-107.
[6]
Dancour, Relation de
voyage du sieur... publiée par Vittu J.P.
« Un
Document sur la Barbarie en 1680-1681, La relation de
..." C.T. 25/1977, pp. 295-319.
Cet auteur parle de
« paix honteuse pour les Etats qui l’ont chèrement achetée
et avec les plus lâches soumissions du monde après des
sollicitations de deux ans et plus de cent mille écus
dépensés en présents donnés au roi (le Dey), à son gendre et
à quelques autres membres du Diwan. »
[7]
Délabré, Tourville...
p. 109.
[8]
A.N.Marine B7/1. Lettre de Madrid, 15 juillet 1709.
[9]
Armes, poudre, mâts, bois de construction navale...
[10]
Marine B7/2, Lettre du 20 août 1709.
[11]
Marine B7/4 F° 258. Lettre du 27 janvier 1710.
[12]
Marine B7/5 F° 155, Lettre de Malaga, 22 avril 1710.
[13]
Marine B7/7 F° 163, Lettre de Livourne, 23 octobre 1710.
[14]
Marine B7/4 F° 11 v°, Lettre du consul de France à Malaga,
10 octobre 1710.
[15]
Marine B7/8 F° 294, Lettre de Livourne, 12 mars 1711.
[16]
Marine B7/93, Lettre du 4 mars 1716.
[17]
Marine B7/49 p. 535, Lettre de mai 1724.
[18]
A.N.Aff.Etr. B III, 303, Cahier 101.
[19]
Traité signé du temps d’Ibrahim Pacha, Copie en français aux
A.N. Aff.Etr. B III, 322.
[20]
A.N. Aff.Etr. B III, 305, p. 37.
[21]
Vallière (J.A.), Observations... in « Textes... »,
p. 70
[22]
A.C.C.M. Lettre de MM. les Conservateurs de la Santé
Publique adressée à MM. les membres composant la Chambre de
Commerce de Marseille, 25 août 1814
[23]
Marine B7/49, Lettre de d’Herbault, Secrétaire
d’Etat, Alger, 12 décembre 1626.
[24]
Devoulx, Tachrifât, p. 42.
[25]
Sur les présents de l’Algérie,voir :
Ghazawât, al
Zahhar, Mudhakkirât,
Devoulx, Tachrifât.
A titre d'exemple :
en 1233 (1817) et malgré les difficultés dans lesquelles se
débattait la Régence, le Sultan reçut une quantité d’or,
d’argent, des haïks, de la soie, des chevaux, des bijoux,
des pistolets de luxe, des fusils ornés, des tapis, des
draps, des chapelets en corail, des montres en or, des
yatagans en or, des oiseaux rares, des peaux de lions... des
nègres et négresses et captifs. »
Le Grand Amiral de
la flotte ottomane, Kusrev Pacha, reçut à lui seul, deux
manteaux de pourpre, une paire de pistolets, trois chapelets
de corail, trois autres d'ambre, une ceinture ornée, une
montre, une peau de lion, une de tigre et un esclave noir.
(Archives turques, Registre 78, F° 2 v°).
[26]
Etat des Royaume de
Barbarie... p. 231.
[27]
A N. B III, 303, Cahier 101.
[28]
A.C.C.M Série J 1364,
Lettre d’Alger, 15 janvier 1750.
[29]
Résine de colophane (Ville d’Asie Mineure), jaune, solide et
transparente.
[30]
Substance résineuse, agglutinante tirée du pin et du sapin.
[31]
Chacune des voiles triangulaires établies à l’avant d'un
navire.
[32]
Tachrifât, pp.
40-41.
[33]
Plus exactement, en 1215 de l’Hégire (1801).
[34]
Berbrugger, R.A.. 1875, p. 12.
[35]
A.N.Aff.Etr. B 1. 115 (1668).
[36]
A.N. Aff.Etr B III 41.
Lettre d’Alger le 19 décembre 1718.
[37]
A.N. Aff.Etr. B III 24 F° 30.
[38]
A.C.C.M. Série J. 1881, Lettre du 13 octobre 1727.
[39]
A.C.C.M. Série J. 1366, Lettre d’Alger, le 15 février 1758.
[40]
Le fer avait été battu à froid au lieu de passer à la forge.
[41]
A.N. Aff.Etr. B III 72 F° 125
[42]
Rosalem (N.), in R.A., 1952, p. 85.
[43]
A.N.Aff.Etr. B III 98 F0 166 (1781).
[44]
A.C.C.M., Série B/76
[45]
A.D.B.R. IX- B ; F° 395 v°.
[46]
A.G.G.A. Série Al 41-398, «1,775.
[47]
Devoulx, Tachrifât, p. 83.
[48]
A.N.Aff.Etr. B2 111.
[49]
A.N.Aff.Etr. B III, registre 41.
Dans sa lettre au
Régent, la Chambre de Commerce trouvait la chose « de toute
utilité pour le bien du commerce. »
[50]
Grammont, Correspondance des Consuls... p. 21. Lettre
du 20 mai 1692.
[51]
A.N.Marine B7/89 F° 14, Lettre du 21 janvier 1711.
[52]
A.C.C.M. Série B/80, Lettre du 28 avril 1711. Sur la
contrebande, Marmol, II, p. 56.
[53]
Turbet-Delof, B.C. p. 74.
Par cette voie, la
Régence se procurait bois, voiles, armes et agrès. Haëdo va
jusqu’à prétendre que Khayr aad-Dîn reçut de Fra Juanas (un
Français) un canon qui lui permit de s’emparer du Penon en
1529 (Histoire des Rois d’Alger, 42-43), ce qui est
difficile à concevoir : un chevalier de Malte, protégé de
Charles Quint faisant un pareil cadeau à Barberousse pour
déloger les Espagnols !
[54]
A.NAff.Etr. B III 3 F° 273.
[55]
Vovard, « La Marine des Puissances Barbaresques, »
B.S.G. de Paris, 1951, p. 204.
[56]
Dan, Histoire, p. 315.
[57]
D’Arvieux, Mémoires, V, p. 263.
[58]
La Motte, Voyage, p. 105.
[59]
Histoire d’Alger, pp. 260-261.
[60]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, 1.13 (Algérie),
octobre 1720.
[61]
A.C.C.M. Série J. 1364, Journal.
[62]
A.C.C.M. Série J. 1365, Journal.
[63]
A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, T. 13 (Algérie)
1720-1789.
[64]
A.C.C.M. Série J. 1364, Lettre de Lemaire, 17 février
1753.
[65] A.C.C.M.
Série J. 1365, année 1753.
[66]
A.C.C.M. Série J. 1365, mai 1755.
[67]
Dan, Histoire... p. 322.
[68]
Haëdo, Topo. R.A., 1871, p. 42.
[69]
Devoulx, Tachrifât, p.
82 ; Napoléon, Correspondance in R.A. 1875, p. 141.
[70]
Braudel, La méditerranée... II, 204.
Monlau, Les
Etats Barbaresques, p. 93.
[71]
Devoulx, « La Marine de la Régence, » R.A., 1869.
[72]
Grammont, « Relations entre la France et la Régence
d'Alger, » R.A., 1879, p. 139.
Cassis seule
perdit, entre 1628 et 1643, 40 barques et 3 vaisseaux (La
Roncière, Histoire, II, 373).
[73]
in R.A., 1957, pp. 85-128.
[74]
Marine B 7/58 F° 138 et F° 162.
[75]
A.N.Aff.Etr. B III 303, cahier 101.
[76]
Planche courbée qui entre dans la construction des tonneaux.
[77]
A.C.C.M. E/57 (1749).
Aff.Etr. B 111 305,
p. 37, Lettre du consul Lemaire, 20 décembre 1749.
Cieslak, « Les
Firates d’Alger, » R.H.E.S. 1/1972, p. 111.
Le célèbre bâtiment
était appelé « Auguste III, Roi de Pologne. »
[78]
A.G.G.A. Série A-1A 65, 27 juillet 1756.
[79]
A.C.C.M. Série E 53 et 57.
[80]
Desfeuilles. Scandinaves et Barbaresques... p. 330.
Il faut signaler
que la ville de Saint Malo avait pu ramener entre 1688 et
1697, grâce à ses deux cents corsaires , quelques
deux-mille-cinq-cents bateaux de commerce et
trois-cent-cinquante de course.
[81]
A.G G.A. Série A 1A 69, Certificat en date du 25 avril 1760.
[82]
Coup d’œil sur la Régence d’Alger, Savone 1° Fructidor an X.
[83]
Devoulx : Un exploit des Algériens en 1802 [8 mai],
R.A., 1825. pp. 126-129.
[84]
Az-Zahhâr, Mudhakkirât, p. 72.
[85]
AC.G.F. Série 1 A 7, Déclaration du 4 janvier 1695.
[86]
Ibid Série 1 AA10, Acte du 29 mai 1695.
[87]
ACf.Etr. B m 305, p. 75.