Ouhoud

 

Par cette ferme décision, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) réussi à calmer les esprits et à faire régner l’ordre dans les rangs de ses Compagnons sérieusement secoués. Puis, il poursuivit sa marche vers Ouhoud avec sept cents combattants seulement qui allaient livrer bataille à trois mille Qourayshi supérieurs dans tous les domaines sauf dans celui de la foi.

 

Comme les Qouraysh les précédèrent et installèrent leur camp dans la Sabkha de la vallée de Qanat, les Musulmans contournèrent les troupes ennemies pour arriver sur une hauteur dominant le champ de bataille. Le plan du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) en surplombant Qouraysh était conçu, d’après nous, pour pallier au déséquilibre des forces et faire face à cette multitude de guerriers bien équipés et soutenus par 200 cavaliers.

 

Pour occuper cette position idéale pour la suite des opérations, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) qui ne connaissait pas la région, fit appel à  Abou Khaythama l’Ansari, qui guida ses Compagnons à travers l’erg et les jardins des Banou Haritha avant de se diriger droit au nord vers Ouhoud, en laissant à gauche le camp de Qouraysh.

 

Sur place, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et ses 700 Compagnons s’adossèrent à la montagne. De là, ils pouvaient voir les troupes polythéistes un peu plus bas. Plus loin, se devinait Médine qui était une ville pratiquement ouverte car, plus rien ne venait s’interposer entre elle et Qouraysh : tous les hommes étaient sortis avec le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam). Il n’y avait à ce moment dans la ville, que les Juifs, les hypocrites ainsi que les femmes et les enfants des Musulmans.

 

Ouhoud, montagne très connue des montagnes de la région, est située à quatre kilomètres au nord de Médine. En réalité, c’est une masse de roches granitiques soudées les unes aux autres qui s’étendent sur six mille mètres d’Est en Ouest et dont les hauteurs se répartissent entre plateaux et sommets séparés en plusieurs endroits par des cols étroits. Quant au mont de ‘Aynayn, le fameux Jabal des Archers, il se trouve près de la rive sud de la vallée de Qanat. C’est sur cette hauteur d’aspect rougeâtre que cinquante archers musulmans prirent position au début de la bataille pour contenir les charges de la cavalerie de Khalid Ibn al-Walid.

 

Dernières recommandations avant la bataille

 

Dans le camp de l’Islam, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) en tant que commandant de l’armée, organisa ses Compagnons en rangs et les sermonna en  encourageant à combattre et à lutter contre les difficultés pour la cause d’Allah. Il leur dit entre autre ce jour : « Je vous ai ordonné de faire toute les bonnes œuvres que je connais et qui rapproche d’Allah Très-Haut et je vous ai interdit toutes les autres œuvre que je connais aussi et qui rapproche de l’Enfer. Jibril m’a insufflé cela afin que je vous le dise : « Nulle âme ne mourra qu’après avoir reçu totalement son dû et s’il tarde, alors craignez Allah, persévérez dans sa recherche et ne vous impatientez pas sinon, vous risquez de désobéir à Allah. Le croyant au croyant est ce que la tête est au corps: si elle se plaint, tout le corps se plaint aussi[1]. »

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) choisit alors les cinquante meilleurs archers à qui il confia la mission, comme tout Musulman sait, à protéger uniquement les arrières de leurs Compagnons du haut du mont ‘Aynayn situé à cent cinquante mètres seulement du poste de commandement de l’armée musulmane.

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) savait que les Qouraysh avait une importante cavalerie commandée par Khalid Ibn al-Walid pouvant à elle seule peser tout son poids sur l’issue de la bataille si elle arrivait à contourner sa petite armée. Ce fut pour cette raison qu’il insista fortement sur la consigne : « Repoussez les cavaliers avec vos flèches ! Ne les laissez pas nous attaquer par derrière ! »

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) répéta de nouveau la consigne a ‘AbdAllah Ibn Joubayr et ses archers alors qu’ils se dirigeaient vers leur position : « Protégez nos arrières ! Ils ne doivent pas nous surprendre par derrière ! Tenez-les en respect avec vos flèches car les cavaliers n’avanceront pas sous la menace de flèches. Nous resterons maitres de la situation tant que vous maintiendrez votre position. »

Et pour leur faire comprendre qu’ils avaient une lourde responsabilité directement liée à l’issue de la bataille, il conclut ses avertissements en disant : « O Allah, sois Témoin. »

 

Selon d’autres sources, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) dit à ses archers : « Même si vous voyez le pire danger s’abattre sur nous, ne quittez surtout pas votre position sauf dans le cas où je vous rappelle. Si vous nous voyez prendre le dessus sur ces gens, ne quittez pas non plus votre position sauf dans le cas où je vous rappelle. Si vous nous voyez prendre le butin, ne venez pas vous associer à nous. Et si vous nous voyez entrer dans l’affrontement, ne venez pas à notre secours et ne cherchez pas à nous protéger[2]. »

 

Après cela, il disposa ingénieusement les rangs de sa petite armée, définit la tâche de chacun de ses lieutenants et choisit les meilleurs de ses Compagnons qu’il plaça dans la première ligne, dont Hamza Ibn ‘Abd al- Mouttalib, ‘Ali Ibn Abou Talib, ‘Umar Ibn al-Khattab, az-Zoubayr Ibn al-‘Awam, ‘Abou Bakr as-Siddiq, Mous’ab Ibn ‘Oumayr, Talha Ibn ‘Oubayd Allah, ‘Abdallah Ibn Jahsh, Sa’d Ibn Mou’ad, Sa’d Ibn ‘Oubadah, Sa’d Ibn ar-Rabi’, Abou Doujana, Anas Ibn an-Nazar. Enfin, il confia à az-Zoubayr Ibn al-‘Awam, al-Miqdad Ibn al-Aswad et à leur détachement la tâche de suppléer au bas de la montagne les archers si jamais des cavaliers qourayshi arrivaient à forcer le passage au début de la bataille.

Il fit ainsi car la situation l’imposait. Tout était en déséquilibre et en faveur des Qouraysh (effectif et armement). Le rapport était d’un Musulman contre quatre polythéistes. Quant à la cavalerie, il n’y a pas lieu de faire une comparaison car chez les Musulmans, elle était inexistante. De plus, cent musulmans se protégeaient de boucliers pour sept cents pour les Qourayshi ce qui revient à dire, que les troupes de Qouraysh étaient très bien équipées en plus du soutien des 200 cavaliers.

Quand le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) s’assura que tout était en place, il tira alors d’un mouvement brusque un sabre de son fourreau (sabre qu’il avait ramené avec lui), regarda ses Compagnons puis comme pour les pousser à la concurrence, leur dit : « Qui prendra ce sabre en échange de son prix ? »

Plusieurs hommes s’avancèrent pour le prendre mais l’un après l’autre revinrent à leur place les mains vides puis, quand Abou Doujana s’avança, il demanda au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « Et quel est son prix, ô Messager d’Allah ? » Ce dernier (comme s’il avait désigné ce sabre pour Abou Doujana) répondit : « De frapper jusqu’à ce qu’il s’émèche. » Alors, Abou Doujana dit : « Je le prends. »

 

Abou Doujana, pour celui qui ne le connait pas, est un Ansari très courageux, craint des Arabes et connu pour sa démarche un peu spéciale quand il s’en allait en guerre. Il était aussi connu pour son turban de la mort et quand il s’en coiffait, cela signifiait qu’il allait combattre à mort.

C’était probablement pour ces raisons que le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) lui avait offrit le sabre et dès qu’il le prit, il sortit son turban rouge, l’attacha sur sa tête puis marcha fièrement comme à son habitude entre les rangs. Quand le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) le vit marcher ainsi, il dit : « C’est une démarche réprouvée par Allah excepté dans cette circonstance. »

 

Alors que le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) était occupé à donner les dernières consignes, dans le camp des Qouraysh, on se préparait aussi en vue de la bataille. En effet, le commandant sonna l’ultime mobilisation dans le lit de la vallée, près du camp, à l’endroit même où ses troupes furent contraintes d’accepter la bataille et lui qui était venu pour surprendre les Musulmans sur un terrain plat, voilà qu’il se trouva lui-même surplombé par ces derniers.

Cette fois, les Mecquois adoptèrent le combat en rangs et retinrent la leçon de Badr où les Musulmans usèrent justement cette technique ; les chefs Qouraysh organisèrent leurs troupes en un flanc droit commandé par Khalid Ibn al-Walid et un flanc gauche commandé par ‘Ikrimah Ibn Abou Jahl tandis que le poste de commandement d’Abou Soufyan fut placé au cœur de l’armée et leur étendard confié aux Banou ‘Abd ad-Dar qui, au début de la bataille, furent commandés par Talha Ibn ‘Abou Talha al-‘Abd-Dar.

 

Dans ses dernières consignes, Abou Soufyan Ibn Harb n’oublia d’insister sur la lourde responsabilité de l’étendard. En tant que commandant en chef et surtout en tant que provocateur fin et rusé, il trouva une astuce par laquelle il se convainquit que les ‘Abd-Dar ne laisseraient pas l’étendard tomber à terre.

« Oh Banou ‘Abd-ad-Dar !, » s’écria-t-il, « à Badr, vous avez abandonné notre étendard et vous avez vu ce qui nous était arrivé. Les hommes sont ainsi faits. Si leur étendard tombe, ils tomberont aussi. Par conséquent, ou vous assumez votre responsabilité en le gardant haut, ou bien vous nous le remettez, nous sommes capables de mener à bien cette tâche. » « Nous te cédons jamais notre étendard et tu verras ce que nous ferons quand nous les rencontrerons » fut la réponse des Banou ‘Abd-ad-Dar, profondément choqués par les propos provocateurs de leur commandant en chef. Fous ou vaillants ? En tout cas, ils tinrent leur parole au point où ils furent tous exterminés sur le champ de bataille.

 

Les femmes des seigneurs jouèrent aussi leur rôle dans l’excitation des hommes à aller au combat. Le rappel d’un parent mort à Badr, la honte d’une seconde défaite avaient suffi à ranimer l’esprit de vengeance parmi les guerriers. Leurs paroles et leurs poésies étaient principalement destinées aux porteurs de l’étendard mecquois car elles savaient très bien que le sort des troupes dépendait de l’attitude des gardiens de l’étendard.

 

Elles passèrent même entre les rangs, tambourin à la main et poèmes fusant, tantôt menaçants tantôt prometteurs. Chantant au nom de toutes les femmes de Qouraysh, elles dirent entre autres :

« Si vous allez au combat,

Vaillants ou courageux,

A votre retour victorieux,

Baisers et traversins

Prenez alors bien le pas.

Mais si fuite il y aura,

Nous ne répondrons de rien.

Froideur et indifférence

Et nous ne céderont point. »

 

Parmi ces femmes qui incitèrent et excitèrent était Hind Bint ‘Outbah qui perdit son père ‘Outbah, son frère al-Walid, son oncle paternel Shaybah et son fils Handalah à Badr.

Malgré tous ces préparatifs et toute cette mobilisation, son mari Abou Soufyan trouva encore le moyen de provoquer les Musulmans, comme s’il voulait mettre le maximum d’atouts de son côté. En effet, avant la bataille, il essaya deux fois de corrompre les Ansar mais sans arriver à son objectif.

D’abord, il envoya un émissaire avec ce message, que d’ailleurs personne au monde ne peut accepter : « Laissez-nous régler nos comptes avec notre cousin (le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam)) et nous vous laisserons. Nous n’avons nul besoin de vous combattre. »

Ensuite, et par réaction à l’échec de sa première tentative, il permit à Abou ‘Amir ar-Rahib, un Aws polythéiste de parler aux Aws de l’armée musulmane afin de les persuader du soi-disant bienfondé de la proposition des Qouraysh. Mais cet Aws reçut de la part des Compagnons du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) cette réponse cinglante : « Félon ! Tu es un homme indésirable parmi nous. »

 

La bataille

 

Alors vint l’heure du fracas des armes. Qouraysh, forte de ses 3000 guerriers y compris ses 200 cavaliers aurait-elle raison du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et de ses 700 Compagnons ? Les Musulmans parviendraient-ils à contourner cette multitude de bras, de sabres, de lances et de flèches de telle sorte qu’à la fin de la bataille Qouraysh sortirait diminuée de ses forces ou aurait au moins l’air d’une force sans âme et sans corps aux yeux des tribus arabes ?

Cependant n’anticipons pas. Ces deux questions trouvèrent évidemment leur réponse un peu plus tard sur le champ de bataille.

 

Qouraysh, qui avait tiré leçon de son premier échec lança immédiatement ‘Amir al-Awsi et ses hommes aidés par ‘Ikrimah et sa troupe de cavaliers sur le flanc gauche des Musulmans mais, tous furent repoussés énergiquement grâce à la position occupée par les Musulmans tout près du passage menant vers le haut des crêtes.

Par trois fois, ils essayèrent de forcer un passage dans cette solide ligne de défense mais à chaque fois ils durent revenir à cause de la résistance des archers sur le mont ‘Aynayn et les fantassins d’az-Zoubayr et d’al-Miqdad qui gardaient le passage un peu plus bas. Il faut dire qu’au début, la consigne était seulement la défense et les initiatives personnelles étaient momentanément interdites. Les Musulmans respectèrent les ordres du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « Personne ne doit engager le combat tant que je n’ai pas donné expressément l’ordre[3]. »

 

Ces trois essais consécutifs élevèrent un peu plus la tension et ce fut le choc frontal. A l’offensive générale déclenchée par Qouraysh, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) répondit par une contre-offensive. Le poids de la bataille tourna essentiellement autour des Banou ‘Abd ad-Dar, les porteurs du drapeau qourayshi car si ce symbole venait à tomber, cela précipiterait à coup sur la débâcle des Qouraysh.

 

Le bélier des Qouraysh

 

Bien qu’il eut l’avantage, le premier à tomber fut le porteur du drapeau lui-même, Talha Ibn Abou Talha qui montait ce jour-là un chameau alors que tous les Musulmans étaient à pied. Ce fut peut-être pour cette raison que les Musulmans le surnommèrent le bélier et hésitèrent à relever son défi avant qu’az-Zoubayr Ibn al-’Awam (radhiyallahou ‘anhou) ne sorte l’achever.

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) qui suivit le duel d’un peu plus loin vu comment son cousin[4] mis fin à l’arrogance du prétentieux duelliste. Appréciant son agilité à sauter sur le chameau et sa rapidité d’exécution, il lança le Takbir à haute voix « Allahou akbar » que les Musulmans reprirent après lui pour montrer leur joie et leur satisfaction. Il (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) dit à ce propos : « Tout prophète a des disciples. Mon disciple à moi est az-Zoubayr. » Et il  (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) dit aussi après le duel : « Si az-Boubayr n’avait pas relevé le défi, je l’aurais relevé tant j’ai vu les gens hésiter[5]. »

 

Après la mort du Bélier, ce fut une série de victoires pour les Musulmans. A chaque fois qu’un ‘Abd-Dar relevait le drapeau de Qouraysh, un Compagnon l’achevait rapidement.

 

Voici dans l’ordre les Musulmans qui se chargèrent de l’exécution et leurs victimes.

1. Hamza Ibn ‘Abd al-Mouttalib/ Abou Shaybah ‘Uthman Ibn ‘Abou Talha tué par sabre.

2. Sa’d Ibn ‘Abou Waqqas/ Abou Sa’d Ibn Abou Talha tué par flèche.

3. ‘Assim Ibn Thabit Ibn al-Aflah/ Moussa’f Ibn Talha Ibn ‘Abou Talha tué par flèche.

4. Az-Zoubayr Ibn al-‘Awam/ Kilab Ibn Talha Ibn Abou Talha tué par sabre.

5. Talha Ibn ‘Oubaydallah/ Al-Joullas Ibn Talha Ibn Abou Talha tué par sabre.

6. ‘Ali Ibn Abou Talib (d’autres disent Hamza Ibn ‘Abd al-Mouttalib)/Arta’a Ibn Shourahbil tué par sabre

7. Qouzam (un hypocrite)/ Shourayh Ibn Qarid tué par sabre.

8. Qouzam/ Abou Zayd ‘Amrou Ibn ‘Abd al-Manaf

9. Qouzam/ Le fils de Shourahbil Ibn Hisham

10. Quzman (certains disent Ali Ibn ‘Abou Talib, d’autres disent Sa’d Ibn Abou Waqqas)/ Sa’b, un esclave abyssin (appartenant aux Banou ‘Abd ad-Dar).

 

Hamza Ibn ‘Abd al-Moutalib

 

Tandis que flèches et sabres s’acharnaient sur les portes étendards des Qouraysh, le corps-à-corps se propagea à travers le champ de bataille excepté là où les archers tenaient encore en respect la cavalerie ennemie, chaque guerrier guettait le faux pas de son vis-à-vis. Les plus en vue dans le camp des Musulmans furent Hamza Ibn ‘Abd al-Mouttalib et Abou Doujana l’Ansari, l’homme au turban rouge. Ces deux valeureux combattants étaient au cœur de la bataille et provoquaient les Qouraysh en duel en allant où bon leur semblait.

 

Hamza, qui défiait la mort, cherchait dans les rangs un des Qouraysh réputé les plus forts parmi les siens quand il vit Saba’ Ibn ‘Abd al-‘Ouzzah al-Ghabashani qu’il provoqua eu duel avec moquerie dans le but de le contraindre à relever le défi. Piqué au vif et pris au piège devant ses Compagnons, ce dernier n’eut d’autre choix que d’accepter le duel et se jeta alors rageusement sur Hamza mais ne tarda pas à mordre la terre et pour toujours.

Cet exploit de Hamza fit son effet parmi les Qouraysh qui se mirent alors à douter de leurs capacités alors qu’avant la bataille, ils se montrèrent confiants et rassurés par le nombre ayant oublié que la quantité des forces ne suffit pas toujours à remporter une victoire.

 

Quelle confiance et quelle assurance gardèrent-ils quand ils virent leur cavalier défait aussi facilement et aussi rapidement ? Quelle maitrise de soi eurent-ils quand ils virent au loin leur drapeau à terre, jonché avec tous les ‘Abd-Dar qui avaient pourtant juré de ne pas le laisser tomber ? Avec quel courage auraient auraient-ils pu s’armer d’autant plus que leurs meilleurs guerriers tombaient les uns après les autres ?

 

Avec la mort sur eux, ils n’eurent pour sortie de secours que la retraite dans un mouvement de panique indescriptible et c’est précisément ce qu’Abou Soufyan appréhendait lorsqu’il dit aux Banou ‘Abd ad-Dar : « Les hommes sont ainsi faits. Si leur étendard tombe, ils tomberont aussi. » Et c’est ce qui arriva après la chute de l’étendard.

 

La situation resta incontrôlable pour le commandant qourayshi tant la panique était générale mais il put reprendre les choses en main juste au moment où survint la catastrophe des archers. A ce moment précis, les fuyards virent leur étendard relevé, ce qui les encouragea à revenir sans savoir que c’était une femme, ‘Amra al-Harithiya qui avait repris l’étendard.

 

Plus tard, Le poète de l’Islam Hassan Ibn Thabit fera allusion au fait de femme qui sauva les Qouraysh d’une véritable débâcle et comme pour les tourner en dérision, il dit dans un de ces poèmes :

« Ils auraient été vendus aujourd’hui comme des chameaux

Si la Harithiya n’avait pas pris leur drapeau. »

 

Les Musulmans perdirent, alors qu’ils étaient au sommet de la victoire, Hamza Ibn ‘Abd-al-Mouttalib, l’oncle du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et aussi son frère de lait, un de leurs valeureux et courageux combattants. Ils le perdirent non dans un duel ou au combat mais par traitrise. Le « Lion de l’Islam » fut tué par un Abyssin esclave du nom d’Abou Dasma, surnommé aussi al-Wahshi, avec sa lance.

 

Avec cette tragique et douloureuse mort du Shahid de l’Islam, laissons son assassin en personne relater son forfait : « A l’époque, j’étais un esclave appartenant à Joubayr Ibn Mout’im, le neveu de Ta’im Ibn Ouday qui avait été tué justement par Hamza à Badr. Quand Qouraysh s’apprêta à marcher pour Ouhoud, il m’appela et me proposa un marché : « Si tu tues Hamza, l’oncle de Muhammad pour mon oncle, je te rendrais ta liberté. » J’ai donc évidemment accepté puis je suis sorti avec les Qouraysh. Il faut dire que j’étais très adroit à la lance comme tout Abyssin d’ailleurs et je ratais rarement mon objectif. Lorsque la bataille commença, je cherchai Hamza et le trouvai au milieu d’hommes en armes, tel un lion, en train de les fracasser avec son sabre. Je me déplaçais discrètement derrière un arbre ou derrière un rocher pour l’avoir mais Saba’ Ibn ‘Abd al-‘Ouzzah se rapprocha et Hamza l’appela : « Viens donc fils de l’exciseuse, qui fais la guerre à Allah et à son Messager » et il le passa par le tranchant de sa lame. Sur le moment, j’eu l’impression qu’il rata sa tête tellement son coup fut rapide. Je pris alors ma lance tout en la dirigeant sur l’objectif puis la lançais et elle pénétra dans son bas-ventre pour ressortir entre ses jambes.

Je l’ai laissé jusqu’à ce qu’il meure puis je me suis rapproché pour retirer ma lance. Ce n’est qu’après que j’ai regagné le camp sans rien fait d’autre. Je l’ai tué pour être libre. De retour à La Mecque, je devins libre et suis resté jusqu’au Fath avant de m’enfuir à Ta’if. Et quand la délégation d’at-Ta'if contacta le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) pour annoncer leur Islam, j’ai pensé m’enfuir en Syrie, au Yémen ou n’importe où.

Par Allah, je ne savais pas quoi faire. J’étais vraiment préoccupé et alors que j’étais tiraillé par l’anxiété, un homme me dit : « Malheur à toi ! Ne sais-tu pas que le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) ne tue pas la personne qui embrasse sa religion et qui atteste la formule de l’Islam ? »

Je pris alors la route de Médine. Le Messager d’Allah n’eut que le temps de me voir debout devant lui en train de prononcer la formule de l’Islam. En me voyant, il me dit : «  N’es-tu pas Wahshi ? »

- « Oui, Messager d’Allah, » lui ai-je répondu.

- «  Assieds-toi et raconte-moi comment tu as tué Hamza. »

Je me suis donc assis et je lui ai raconté toute l’histoire mais dès que je terminai, il me dit : « Malheur à toi! Ne te montre plus devant moi. » Ce que je fis jusqu’au moment où Allah le rappela à lui. »

Cependant, il faut reconnaitre que Wahshi apporta plus tard son concours à la cause de l’Islam. Il était courageux et ses jets de lance meurtriers. Comment il le dit, ces tirs ne rataient jamais ses ennemis. Il fit l’expédition d’al-Yarmouk contre les Byzantins et c’est lui qui tua Moussaylimah le Menteur.

Dans le Sahih al-Boukhari, Wahshi dit : « Quand le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fut rappelé à Allah et que Moussaylimah fit son apparition, je jurai de tuer ce Menteur pour compense mon erreur (celle de Hamza).

Et, le jour où les gens sortirent contre lui, je les ai accompagnés. Et il (Moussaylimah) eu ce qu’il méritait... Ma lance se logea dans sa poitrine et ressortie entre ses épaules. Puis un Ansari sauta sur lui et l’acheva d’un coup de sabre. »

Après ce fait d’armes, Wahshi ne cessa pas de répéter : « Si j’ai réussi à tuer Moussaylimah le Menteur, c’est que j’ai tué le meilleur des hommes (Hamza) après la mort du Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam). Cependant, j’ai aussi tué le plus nuisible d’entre eux (Moussaylimah le Menteur). »

 

Ainsi, les Musulmans perdirent en Hamza (radhiyallahou ‘anhou) un homme de valeur, un homme qui pouvait à lui seul peser sur le cours de n’importe quelle bataille. A Badr, il fut une étoile scintillante et inaccessible sur le champ de bataille. A Ouhoud, il fut redouté et craint, personne n’osa se rapprocher de lui. Il était une faux tranchante. Si sa mort fut considérée comme une perte, elle survint alors que les Musulmans avaient le haut sur les troupes mecquoises. A ce moment, aucun musulman ne sut la tragédie et sa mort ne fut réalisée qu’à la fin de la bataille.

 

Abou Doujana l’Ansari

 

Quant à l’homme au turban rouge, Abou Doujana al-Ansari (radhiyallahou ‘anhou), le deuxième pilier de l’armée musulmane, il prouva concrètement par ses exploits le bon choix du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) quand il lui offrit son sabre. A Ouhoud, aucun mécréant ne put lui faire face. Sa lutte fut décisive dans la défaite de Qouraysh dans la première partie de la bataille.

 

Az-Zoubayr Ibn al-‘Awam (radhiyallahou ‘anhou) nous raconte ses impressions et ses sentiments concernant cet homme exceptionnel : « Je ressenti quelque chose en mon for intérieur quand le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam)  me refusa le sabre qu’il donna à Abou Doujana. Je me suis dit à cet instant : « Moi qui suis de Qouraysh, le fils de Safiyah, sa tante, quand je lui ai demandé le sabre, il le donna à Abou Doujana et me délaissa ? Par Allah, je vais voir ce qu’il va faire ! »

Alors, je l’ai suivi. Quand je l’ai vu prendre un turban rouge et le mettre autour de sa tête, les Ansar ont dit : « Abou Doujana a mis le turban de la mort ! »  Je compris alors que les Ansar disaient cela chaque fois qu’il mettait son turban et en vérité, aucun polythéiste qui le rencontra n’échappa à son sabre[6]. »

 

Ka’b Ibn Malik (radhiyallahou ‘anhou) témoigna aussi : « J’étais aussi avec les Musulmans. Quand je vis ce que les polythéistes faisaient sur les dépouilles des Musulmans après le dur revers, je retirai un peu plus loin. L’un d’entre eux, passait entre les corps à la recherche des blessés qu’il achevait mais il y avait aussi un homme qui l’attendait. Alors, je me suis rapproché de lui à une distance appréciable et les regardais. Le mécréant était bien équipé et avait meilleure allure et j’ai patiemment attendu jusqu’à ce qu’ils passent aux actes. Le Musulman le frappa d’un coup de sabre qui le trancha littéralement en deux puis, il découvrit son visage en me disant : « Qu’en dis-tu, Ka’b ? Je suis Abou Doujana[7] ! »

 

Sur un autre lieu du champ et par une de ces extraordinaires coïncidences, Abou Doujana faillit tuer Hind Bint ‘Outbah, la femme d’Abou Soufyan qu’il rencontra alors qu’elle portait des habits d’homme. La croyant un guerrier, il brandit son sabre et au moment où il allait frapper, ses cris de femme la sauvèrent. Abou Doujana racontera cet incident en ces termes : « A Ouhoud, je vis une personne qui excitait les gens au combat. Lorsque je levais mon sabre, elle cria. C’était une femme ! Je fis alors honneur au sabre du Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) en épargnant la femme et cette femme était Hind Bint ‘Outbah. »

Az-Zoubayr Ibn al-‘Awam (radhiyallahou ‘anhou) dit aussi : « J’ai vu Abou Doujana lever le sabre sur Hind Bint ‘Outbah puis le sabre s’écarter d’elle. »

 

Aucune chance ni aucune occasion ne furent donc laissées aux polythéistes pour rassembler leurs forces ou réorganiser leurs rangs. Le champ de bataille assista vit à ce moment des individus hagards, apeurés, fuyant jambes au cou dans toutes les directions chacun d’eux voyant pourtant son horizon se rétrécir à chaque enjambée.

 

Qouraysh était méconnaissable à l’image de ses hommes mis en déroute, courant à la recherche d’une cachette provisoire. Mouvements désarticulés, imagination paralysée, elle voyait sa défaite qui prenait forme. Une défaite honteuse : 700 Musulmans seulement qui allaient battre à plate couture une armée de 3000 hommes. Une défaite dont l’histoire ne manquerait pas de raconter les moindres détails à l’image de l’idole ramenée depuis La Mecque sur un chameau, qui, avant la bataille était juchée tel un géant craint et respecté et qui en ces instants était tombé à terre comme un mort inanimé, solitaire et abandonné. En bref, la défaite de Qouraysh fut tellement catastrophique que tout fut abandonné aux Musulmans : étendard, camp et même les femmes.

 

Dans as-Sirah al-Halabiya, Ibn Bourhan ad-Din rapporta : « Quand tous les porteurs de l’étendard des polythéistes furent tués l’un après l’autre et que personne ne put se rapprocher de lui, les polythéistes s’avouèrent vaincus et s’enfuirent en abandonnant tout dans leur fuite. Leurs femmes, qui étaient venues pour les encourager, furent aussi abandonnées ainsi que chants et tambourins pour regagner les hauteurs, jambes découvertes et robes soulevées. Les Musulmans se lancèrent alors à la poursuite des polythéistes tout en s’occupant du butin. »

 

Le revers

 

L’Islam emporta une nouvelle fois une autre victoire sur les mécréants bien que ses fervents défenseurs étaient désavantagés sur tous les plans mais cette victoire ne dura que peu de temps, avant que les mécréants ne reprennent l’initiative afin qu’Allah Exalté donne une leçon aux gens.

 

Comme le dit si bien le proverbe : « Il y a loin de la coupe aux lèvres » il suffit d’une seule action d’indiscipline militaire pour que la victoire des Musulmans se transforme en une catastrophe qui faillit emporter à jamais l’Islam.

 

L’erreur, par laquelle tout changea en faveur des Qouraysh, vint de la part des archers qui, comme nous l’avons précédemment mentionné, reçurent l’ordre clair l’ordre de ne pas quitter leur position sur le mont ‘Aynayn), le seul endroit où la cavalerie ennemie pouvait passer sur les lignes arrières de l’armée musulmane.

 

La quarantaine d’archers qui prirent part à la victoire de leurs Compagnons sur le champ de bataille en repoussant à plusieurs reprises Khalid Ibn al-Walid et sa cavalerie, se montrèrent malheureusement inconscients et irresponsables quand ils abandonnèrent par avidité leur position, ouvrant ainsi gratuitement le passage aux cavaliers de La Mecque.

 

Et alors que l’armée musulmane poursuivait l’ennemi défait, sur le mont, les archers discutèrent de la grave erreur qu’ils allaient commettre pour de simples raisons matérielles. L’un des archers déserteurs ne dit-il pas : « Pourquoi resterez-vous ici à ne rien faire alors qu’Allah a vaincu votre ennemi et que vos frères, regardez-les, sont déjà dans leur camp en train de prendre le butin ? Descendez et allez donc prendre votre part ! »

Les discussions furent si vives que le commandant du détachement ‘AbdAllah Ibn Joubayr s’opposa énergiquement avec une dizaine de ses Compagnons à l’idée même de désobéir aux ordres du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam). Mais, malheureusement la majorité n’écouta pas. « Et certes, Allah a tenu Sa promesse envers vous, quand par Sa permission vous les tuiez sans relâche, jusqu’au moment où vous avez fléchi, où vous vous êtes disputés à propos de l’ordre donné, et vous avez désobéi après qu’Il vous eut montré (la victoire) que vous aimez! Il en était parmi vous qui désiraient la vie d’ici-bas et il en était parmi vous qui désiraient l’au-delà. Puis Il vous a fait reculer devant eux, afin de vous éprouver. Et certes Il vous a pardonné. Et Allah est Détenteur de la grâce envers les croyants. » (Qur’an 3/152)

 

Avec le départ de la majorité des archers, l’armée médinoise se retrouva le dos exposé même si ‘AbdAllah Ibn Joubayr et ses dix Compagnons restèrent sur leur position attendant courageusement leur sort tragique. Cette désertion commise avec désinvolture fut l’occasion inespérée pour Khalid Ibn al-Walid et ‘Ikrimah Ibn Abou Jahl qui ne se firent pas alors inviter.

Ils se lancèrent aussitôt à l’assaut de la position où ils éliminèrent d’abord sans peine ‘AbdAllah Ibn Joubayr et tous ses Compagnons. Après quoi, ils fondirent sans attendre un seul instant sur l’arrière de l’armée des Musulmans en criant un mot de passe signifiant que la cavalerie avait réussi à éliminer le principal obstacle ce qui permit à ‘Amra al-Harithiya de relever l’étendard, aux troupes Qouraysh de se ressaisir et aux Musulmans de se retrouver entre deux feux, entre une multitude de fantassins qui revenus subitement leur firent face et une cavalerie chargeant à toute vitesse dans leur dos.

 

« Que nous arrive-t-il » se demandèrent certainement les Musulmans à cet instant précis mais devant une telle situation, ce genre de question se dissipa rapidement car tout était à refaire et le plus vite possible. C’est comme si le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et ses Compagnons entraient dans une nouvelle bataille mais cette fois, sans plan tactique, sans mobilisation préalable et surtout sans commandement dirigeant les opérations.

Chaque combattant musulman, qui était dans le camp de l’ennemi, avait déjà lâché sa prise de guerre et décidait, selon sa propre vision des choses, de la mesure à suivre qui lui semblait être la meilleure. Chacun essaya par ses propres moyens de desserrer l’étau qui le menaçait. En fait, personne ne savait quoi faire en ces moments difficiles surtout après les cris de joie des Qouraysh qui annoncèrent la mort du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

Tout bascula alors. La cohésion des rangs s’effondra et les combattants devinrent désorientés.

Dans ce désordre et cette panique générale, nombre de musulmans furent malheureusement tués sans intention volontaire par d’autres musulmans. D’autres s’enfuirent vers Médine tandis que d’autres encore pensèrent à capituler[8].

Ce fut une épreuve très dure à surmonter et les lions de l’Islam ne se laissèrent pas aussi facilement prendre  au piège. Après avoir non sans difficultés traversé les nuées de flèches et la multitude de sabres et de lances, ils réussirent individuellement à rejoindre le poste de commandement dès qu’ils entendirent l’appel du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam)



[1] (1) As-Sirah al-Halabiya, t.II. p.17

[2] As-Sirah al-Halabiya, t.II. p.18. Da’irat al-Ma’arif, t.I, p.86.

[3] Sirah Ibn Hicham, t.II. p.65.

[4] Az-Zoubayr Ibn al-‘Awam (radhiyallahou ‘anhou) a pour mère Safiyah (radhiyallahou ‘anha), la tante paternelle du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

[5] As-Sirah al-Halabiya, t.II. p.18

[6] Al-Bidayah wan-Nihayah, t.IV, p.17.

[7] Al-Bidayah wan-Nihayah, t.IV, p.17.

[8] Al-Bidayah wan-Nihayah, t.IV, p.23.