Le Trente-cinquième Sultan Ottoman
 

 

 

Règne : 1327 - 1336 (1909-1918)

 

Titres honorifiques et pseudonymes : Ghazi

Nom du Père : ‘Abd al-Majid.

Nom de la Mère : Kadinefendi Guljamal.

Lieu et date de naissance : Istanbul. Le 20 Shawwal 1260 (2 novembre 1844).

Âge à l’accession au trône : 65 ans.

Cause et date du décès : Arrêt cardiaque. Le 25 Ramadan 1336 (4 juillet 1918).

Lieu de décès et de sépulture : Istanbul. Il fut enterré dans la tombe sous son nom à Ayyoub, Istanbul.

Héritiers : Muhammad Ziya ad-Din, Mahmoud Najm ad-Din et ‘Omar Hilmi.

 

 

Comme ses frères aînés, le Sultan Muhammad Rashad fut intronisé à la suite d’un coup d’état. Alors que le Sultan Muhammad IV, l’un de ses arrière-grands-pères, était, à sept ans, le plus jeune sultan de l’histoire de la dynastie ottomane à monter sur le trône, Muhammad Rashad fut le plus âgé.

 

À la suite de la contre-révolution du 21 Rabi’ al-Awwal 1327 (13 avril 1909), le parlement sous le contrôle du Comité Union et Progrès décida de détrôner ‘Abd al-Hamid II et de porter son héritier Muhammad Rashad sur le trône. L’arrivée de l’armée d’opération à Istanbul et son extinction de la contre-révolution du 31 mars fut considérée comme la deuxième conquête d’Istanbul par les membres de l’Union et du Progrès. En outre, ils décernèrent à Muhammad Rashad, le titre Sultan Muhammad V, tandis que le public connaîtrait le Sultan plus populairement sous le nom de Sultan Rashad.

 

Le Sultan accéda au trône à un âge très avancé. Si cela n’avait pas été lui, il se serait éloigné du trône et se serait engagé à prier. Des années turbulentes épuisèrent le Sultan inexpérimenté et déjà âgé. Le principal agent du gouvernement était le Grand Vizir, car le système était toujours une monarchie constitutionnelle. Le Sultan avait le pouvoir de nommer le Grand Vizir, mais il n’avait pas la permission de prendre des décisions souveraines. Ainsi, l’impact du Sultan sur l’administration fut considérablement réduit et le contrôle de facto de l’administration revint à l’Union et au Progrès (la Division et la Destruction), au Grand Vizir et au gouvernement. Il apprit cela quelques jours seulement après que son frère aîné ‘Abd al-Hamid II fut emmené à Salonique par Muhammad Sevket Bacha, le commandant draconien de l’armée d’opération.

 

Le Sultan Muhammad Rashad voulut en savoir plus sur les terres ottomanes et effectua des visites dans les villes d’Anatolie. Le Parti de l’Union et du Progrès, qui avait proclamé la monarchie constitutionnelle et était devenu très influent dans l’administration centrale, n’était pas prêt et trop inexpérimenté pour diriger l’empire. Il y avait aussi ceux au sein du parti qui exploitaient la constitution pour leurs propres intérêts. Leurs liens étroits avec le gouvernement de facto annonçaient les jours iniques et instables de règne à venir.

 

L’ingérence de l’Union et du Progrès dans toutes les branches administratives et le remplacement des fonctionnaires anti-unionistes existants par de nouveaux responsables pro-unionistes firent tomber les départements administratifs entre les mains d’un groupe amateur, sans instruction, inexpérimenté et partisan.

 

De nombreuses rébellions suivirent les opérations politiques étranges et incohérentes des Unionistes. Des méthodes coercitives furent mises en pratique lors de la répression de la rébellion en Albanie. Finalement, le comportement violent du gouvernement aggrava le mécontentement populaire. « La question de l’Église » prévalait toujours dans les Balkans. Les unionistes publièrent une nouvelle loi exécutive pour régler la question. ‘Abd al-Hamid II avait continuellement travaillé pour éviter l’unification des États des Balkans contre l’Empire Ottoman, mais le Sultan Muhammad Rashad ne prit pas pris en compte les avertissements éclairés du Patriarche Grec d’Istanbul et approuva la loi.

Il ne fallut pas longtemps aux États des Balkans pour s’unir contre l’Empire Ottoman. Dans le même temps, le voyage du Sultan en Roumanie ne put atténuer les troubles dans la région.

 

Hakki Bacha, chef du gouvernement et ancien ambassadeur ottoman à Rome, transféra les troupes ottomanes, que ‘Abd al-Hamid II avait déployées pour avertir d’éventuelles attaques italiennes, de Tripoli et Benghazi vers d’autres régions. Peu de temps après, les forces italiennes se mobilisèrent et l’Italie voulut que Tripoli soit délivrée et déclara la guerre à l’Empire Ottoman le 5 shawwal 1329 (29 septembre 1911).

 

Pendant ce temps, un nouveau parti appelé Parti de la liberté et de l’Unité fut formé en opposition au Parti de l’Union et du Progrès. De sévères luttes bipartites éclatèrent au parlement. À ce moment, le parlement prit fin avec l’approbation du Sénat, ou Mejlis-i Ayan (Délégation choisie), le 28 Mouharram 1330 (18 janvier 1912). Plus tard, le Parti de la Liberté et de l’Unité fut éliminé lors des élections tenues sous le contrôle du Parti de l’Union et du Progrès. Le nouveau parlement était majoritairement composé des unionistes, à l’exception de quinze délégués.

 

Alors que les élections parlementaires et les changements constitutionnels étaient en cours, les Italiens occupèrent les îles du Dodécanèse dans le sud-est de la Mer Égée. De plus, les forces italiennes bombardèrent les Dardanelles et avancèrent près d’Istanbul tout en continuant à combattre les forces ottomanes à Tripoli. Certains officiers de l’armée unioniste se rendirent à Tripoli et lancèrent un mouvement de résistance local. La résistance maintint effectivement l’avance italienne le long de la baie pendant un certain temps, mais ne put les combattre hors de la région.

 

En Roumanie, les petits états balkaniques nouvellement établis se préparèrent à la guerre contre l’Empire Ottoman. Chose intéressante, certains officiers de l’armée, qui s’étaient déplacés dans les Balkans pour réprimer la révolte albanaise, se révoltèrent contre le gouvernement unioniste. Se faisant appeler les Halaskaran (sauveurs), ces officiers firent exactement la même chose au gouvernement unioniste ce que les Unionistes avaient fait autrefois à l’autorité ottomane. Leurs demandes furent satisfaites, suite à la lettre d’avertissement qu’ils donnèrent au gouvernement. Avec la démission du Grand Vizir Sa’id Bacha, le Parti de l’Union et du Progrès perdit le pouvoir.

 

Le Sultan Rashad annonça que l’implication des forces armées dans la politique était perfide et le 9 Ramadan de cette même année (22 juillet 1912), il nomma Grand Vizir Ahmed Ghazi Moukhtar Bacha, qui était également populaire parmi les soldats. Une structure étrange se forma au sein du gouvernement ottoman. Tandis que le cabinet se composait de ministres neutres, le Parti de l’Union et du Progrès dominait au parlement en forte opposition au cabinet. Cette dualité déstabilisa le fondement politique de l’administration. À la demande du nouveau Grand Vizir, le Sultan Muhammad Rashad abolit le parlement.

 

Dans les Balkans, les agents clandestins de la Russie fonctionnèrent efficacement. La Grèce, la Bulgarie, la Serbie et le Monténégro unirent leurs forces contre l’Empire Ottoman, leur seul ennemi commun. La Première Guerre des Balkans éclata lorsque le Monténégro déclara la guerre à l’Empire, les autres suivirent le 26 Shawwal (8 octobre 1912). Pour l’armée ottomane, il s’avéra impossible de continuer à se battre pendant la guerre de Tripoli alors qu’elle devait se mobiliser également dans les Balkans. Alors qu’un accord bien meilleur pouvait être conclu en l’absence de la guerre des Balkans, les Ottomans soumirent et signèrent par la suite le Traité d’Ouchy avec l’Italie le 7 Dzoul Qi’dah 1330 (18 octobre 1912). Le Traité donna Tripoli et Benghazi à l’Italie. En outre, les îles du Dodécanèse restèrent temporairement en possession des Italiens et elles ne se réintègrent pas dans les terres ottomanes.

 

L’armée était exceptionnellement impliquée dans la politique et fourmillait de partisannerie. De plus, la lutte entre les officiers instruits et les officiers de base fit des ravages au sein des divisions de l’armée. Finalement, l’ordre hiérarchique de l’armée se brisa à contrecœur et les forces ottomanes subirent une défaite écrasante de la part des peuples des Balkans, qui avaient vécu sous la domination ottomane pendant de nombreux siècles. L’Empire Ottoman perdit tous ses territoires balkaniques. Le Grand Vizir Ahmed Ghazi Moukhtar Bacha démissionna et fut remplacé par Kamil Bacha de Chypre. Les Musulmans déportés des terres perdues des Balkans commencèrent à affluer vers l’Anatolie. L’objectif principal du nouveau Grand Vizir était de minimiser le coût de la guerre. Un groupe d’unioniste dirigé par un jeune Enver Bacha répandit la rumeur selon laquelle le Grand Vizir donnerait Edirne aux Bulgares et marcha vers la Sublime Porte, le gouvernement ottoman. Ils s’engagèrent dans un coup d’état, tuèrent un grand nombre de personne sur le route et obtinrent une note de démission du Grand Vizir Kamil Bacha le 14 Safar 1331 (23 janvier 1913). Ils firent pression et convainquirent le Sultan de nommer Mahmoud Sevket Bacha comme nouveau Grand Vizir. Appelé « le coup d’état de la Sublime Porte, » cette rébellion symbolisait le premier coup d’état pour renverser le Grand Vizir et le gouvernement, contrairement aux traditionnels contre le Sultan.

 

Les Unionistes renversèrent le Grand Vizir sous le prétexte qu’Edirne serait bientôt sacrifiée cependant, ils signèrent le Traité de Londres le 23 Joumadah ath-Thani (30 mai 1913) lorsqu’ils arrivèrent au pouvoir, abandonnant toute la région de Roumélie, y compris l’ancienne capitale d’Edirne. La perte de territoires en Roumélie, qui faisait partie du cœur ottoman depuis des siècles, provoqua une vague d’indignation parmi le public. Dans la tourmente civile qui suivit, Mahmoud Sevket Bacha, qui avait joué un rôle important dans la fin du règne du Sultan ‘Abd al-Hamid II, fut assassiné. Le commandant draconien de l’armée d’opération et celui qui exila ‘Abd al-Hamid II, Mahmoud Sevket Bacha, mourut à Istanbul.

 

Les Unionistes utilisèrent l’assassinat de Mahmoud Sevket Bacha comme excuse pour terroriser Istanbul. En quelques jours, des centaines de personnes furent arrêtées et vingt-neuf d’entre elles furent pendues. Salih Bacha, le mari de la nièce du Sultan, Sultan Mounira, était l’un d’eux. Le Sultan ne put pas utiliser son droit de lui accorder l’amnistie principalement parce qu’il avait fui la furie des Unionistes.

 

Les Bulgares sortirent de la première guerre des Balkans en tant que plus grand état des Balkans, de sorte que les autres états des Balkans unifièrent cette fois leurs forces contre la Bulgarie. L’Empire Ottoman profita de cette occasion pour reprendre Edirne le 16 Sha’ban (21 juillet 1913). Le Lieutenant-Colonel Enver devint le nouveau ministre de la guerre, Jamal Bacha le ministre de la marine et Tal’at Bacha le ministre des affaires intérieures. Le triumvirat Enver-Jamal-Tal’at forma la seule agence à rester en contact avec le Sultan et le gouvernement.

 

Le Grand Vizir Halim Dit Bacha avait depuis longtemps perdu ses moyens et son autorité. Le 10 Ramadan 1332 (2 août 1914), le triumvirat ci-dessus signa un accord secret avec les Allemands, supposant que les Ottomans pourraient reconquérir les territoires perdus dans les Balkans dans une guerre potentielle, qu’ils pensaient que les Allemands gagneraient certainement. L’accord avait été signé lorsque le parlement était en suspension. Quatre mois plus tard, le 22 Dzoul Hijjah 1332 (11 novembre 1914), l’Empire Ottoman se retrouva en guerre, sa dernière. Conscient ni de l’accord irréversible avec les Allemands ni de la guerre qui s’ensuivit, le Sultan Rashad fut contraint de déclarer la guerre, fait accompli, aux Alliés (Grande-Bretagne, Russie et France). En tant que calife de tous les Musulmans, il exhorta ses sujets à se joindre à l’effort de guerre, car l’armée ottomane combattait « la Grande Guerre » (Jihad al-Akbar).

 

Heureux des victoires remportées par l’armée ottomane dans les Dardanelles et en Irak, le Sultan prononça un discours d’espoir lors de l’inauguration du parlement en 1334 (1916).

Il écrivit en outre écrit un poème optimiste publié dans le Mejmuasi Harb (le Journal de Guerre). Cependant, il cessa de faire référence aux victoires après la séquence de batailles perdues qui suivie. Pendant ce temps, ‘Izz ad-Din Youssouf Efendi, le fils du Sultan ‘Abd al-‘Aziz et héritier du trône, fut retrouvé mort. Le dossier indiquait qu’il s’était suicidé cependant, sa mort resta mystérieuse comme celle de son père et l’affaire fut close.

 

À la démission de Halim Sa’id Bacha, dont les relations avec les Unionistes étaient devenues tendues, Tal’at Bacha, le ministre des Affaires intérieures devint le nouveau Grand Vizir le 10 Rabi’ ath-Thani 1336 (3 février 1917).

 

Emporté par les lourdes conséquences de la Première Guerre mondiale, le Sultan devint affligé par la nouvelle des défaites continues et se retira dans son palais. Il se présenta également aux cérémonies impériales pour saluer les Empereurs Allemand et Austro-hongrois.

 

Le vieux Sultan diabétique, épuisé par le protocole en l’honneur de l’Empereur Autrichien, termina avec peine sa visite au Saint-Manteau du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) au mois de Ramadan. Trois jours après cette visite, le vieux Sultan rencontra son destin à l’aube de Laylat al-Qadr (la Nuit de la Destinée, la nuit la plus bénie de l’année) le 27 Ramadan 1336 (3 juillet 1918).

 

Le Sultan ‘Abd al-Hamid II et le Sultan Muhammad Rashad virent les défaites de l’armée ottomane lors de la dernière guerre, mais tous deux moururent, sans voir les ramifications du Traité de Montreux, la même année, à seulement cinq mois d’intervalle.

 

Le Sultan Rashad avait ordonné à l’architecte Kamal ad-Din Bey de construire sa tombe à Ayyoub avant sa mort. Le Sultan fut le seul Sultan à être enterré à Istanbul en dehors des murs de la ville, et peut-être aussi le seul à assumer le trône à contrecœur. Si cela ne tenait qu’à lui, il se serait probablement engagé dans la prière et n’aurait pas passé ses dernières années en tant que Sultan. Les sources le qualifient de Musulman pieux et de Sultan aimable et gentil.

 

Dès son jeune âge, le Sultan devint membre de l’ordre soufi Mevlevi et relut lecture après lecture le Mathnawi de Rumi pendant ses longues années de Shehzade. Fasciné par l’histoire ottomane, le Sultan visita les tombes du Sultan Muhammad al-Fatih et du Sultan Salim I chaque fois qu’il en avait la chance. Il resta également préoccupé par le soufisme et la littérature. Il construisit une mosquée à Karapinar, Konya, sous son nom.

 

Le Sultanat de Muhammad Rashad fut circonscrit par les activités du Parti de l’Union et du Progrès, la cinquième colonne qui recevait ses ordres de l’étranger, qui interprétait la constitution de manière à ce que le Sultan ne s’immisce pas dans les affaires de l’état. Le Sultan détestait l’esprit partisan et les Unionistes, mais il ne put pas faire grand-chose. Il semble que son caractère calme et froid ait évité de violents affrontements avec ses adversaires et évité ainsi d’éventuels conflits au sein de l’état. Il était économe et ce n’est que dans les quartiers d’habitation du palais et dans les Haramayn qu’il fit de magnifiques dépenses.

 

L’Empire Ottoman entra dans la Première Guerre mondiale sous le règne du Sultan Rashad. Pour l’Empire, la guerre signifiait vivre ou mourir, et la seconde arrivera. Malgré cela, des réformes importantes entreprises au cours de cette période constitueraient un tremplin vers la fondation de la République de Turquie.