Règne : 1336 - 1340 (1918-1922)

 

Nom du Père : ‘Abd al-Majid.

Nom de la Mère : Gulustu Kadinefendi.

Lieu et date de naissance : Istanbul. Le 21 Joumadah ath-Thani 1277 (4 janvier 1861).

Âge à l’accession au trône : 57 ans.

Cause et date de décès : Paralysie. Le 23 Shawwal 1344 (16 mai 1926).

Lieu de décès et de sépulture : Sanremo, Italie. Sa tombe est située dans le jardin de la Mosquée Souleyman Shah construite par le Sultan Souleyman le Magnifique à Damas.

Héritier : Shehzade Artoughroul Muhammad Efendi.

Héritières : Sultan Mounira, Sultan Fatma Ulviye et Sultan Rouqayyah Sabiha.

 

 

Muhammad Wahid ad-Din, le dernier Sultan ottoman monta sur le trône de manière assez inattendue comme ses trois frères aînés avant lui. Wahid ad-Din devint l’héritier du trône après la mort soudaine de Shehzade ‘Izz ad-Din Youssouf Efendi, le fils aîné du Sultan ‘Abd al-‘Aziz le 26 Rabi’ al-Awwal (1er février 1916), et après la mort de son frère Sultan Rashad, il devint le nouveau Sultan.

 

Muhammad Wahid ad-Din perdit sa mère alors qu’il n’avait que six mois, et son père à l’âge de quatre ans. Son frère le Sultan ‘Abd al-Hamid II (dix-neuf ans l’aîné) le prit en charge et en fait, ‘Abd al-Hamid II s’avéra être sa figure paternelle. Il était un bon compositeur et jouait du piano et du qanun, un descendant de la harpe égyptienne antique. Du moment où le Sultan Wahid ad-Din devint l’héritier du trône, la Première Guerre mondiale avait déjà éclaté et l’Empire Ottoman avait dérivé dans la guerre. Wahid ad-Din Efendi, l’héritier du trône, fit un voyage officiel en Allemagne entre le 1 et 21 Rabi’ al-Awwal 1336 (15 décembre 1917/4 janvier 1918. Mustafa Kamal, le destructeur du Califat et le fondateur de la future République de Turquie, l’accompagna en tant qu’assistant pendant son séjour là-bas.

 

Le Sultanat du Sultan Wahid ad-Din eut lieu dans les pires moments. Les nouvelles venant des champs de bataille étaient toutes des défaites et des pertes. Les Ottomans perdirent la Palestine et la Syrie et même l’Anatolie fut menacée par l’ennemi. Le Sultan résuma l’erreur de contraindre l’Empire à la guerre en disant : « L’imprudence du gouvernement (la cinquième colonne) nous a entraînés dans ce bourbier et nous a fait tomber. » Finalement, il dût subir les conséquences d’une guerre dans laquelle il n’avait pas souhaité entrer en premier lieu.

 

Une Commission Ottomane dirigée par le Ministre de la Marine Rauf Orbay Bey signa l’Armistice de Moudros dans le Port de Moudros sur l’île de Lemnos, au nord de la Mer Égée, le 24 Mouharram 1337 (30 octobre 1918).

 

En moins de quatre mois sur le trône, le Sultan Wahid ad-Din vit vu la signature de Moudros, qui dictaient des sanctions extrêmement sévères et paralysaient par conséquent l’Empire Ottoman. Le Sultan pensait que l’Empire et son armée ne pouvaient se rallier que s’il pouvait gagner du temps. Il pensait qu’un accord de paix n’entraînerait pas de conditions désastreuses avec le soutien de la Grande-Bretagne et de la France.

 

Pendant ce temps, les principaux membres de la cinquième colonne du Parti de l’Union et du Progrès, fuirent (à Paris) secrètement le pays les 27 et 28 Mouharram (2 et 3 novembre 1918), après avoir accompli leur mission de destruction. Dix jours plus tard, la marine alliée composée de soixante cuirassés s’amarra le long des rives d’Istanbul le 8 Safar 1337 (13 novembre 1918).

 

Le Sultan déclara que la responsabilité de la guerre perdue reposait uniquement sur l’Union et le Parti du Progrès, et il s’efforcerait de maintenir des relations étroites avec la Grande-Bretagne. Alors que le gouvernement et le parlement tombaient dans un conflit acharné pour juger les Unionistes, le Sultan Wahid ad-Din utilisa son pouvoir exécutif constitutionnel et mit fin au parlement le 17 Rabi’ al-Awwal 1337 (21 décembre 1918).

 

Le Sultan essaya de sauver son empire et de maintenir Istanbul en recherchant le soutien de la Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne et la France firent pression sur le gouvernement ottoman pour qu’il leur remette leurs agents, les Unionistes. Tawfik Bacha ne put résister à cette contrainte et démissionna. Le Sultan le remplaça par Farid Damad Bacha en tant que nouveau Grand Vizir. Alors les Unionistes commencèrent à être arrêtés et punis.

 

L’invasion grecque de la ville d’Izmir sur la côte ouest de l’Anatolie causa des massacres civils le 14 Sha’ban 1337 (15 mai 1919). Nous avons rapporté en détail ces opérations dans le second volume de notre Introduction à l’Histoire des Ottomans. Farid Damad présenta sa démission au Sultan lors de l’invasion cependant, le Sultan le garda à son poste.

 

Le Sultan nomma Mustafa Kemal, son ancien assistant, en tant qu’officier chargé d’inspecter la rébellion ponto-grecque dans la région de la Mer Noire. Confirmé également par des documents d’archives britanniques, cette nomination faisait suite à une rencontre entre le Sultan et Mustafa Kemal au cours de laquelle le Sultan lui avait dit qu’il pouvait sauver la patrie. Mustafa Kemal reçut une autorité extraordinaire de donner des ordres aux organes militaires, judiciaires et administratifs dans toute l’Anatolie. Finalement, il débarqua dans la ville de Samsun sur la côte nord de l’Anatolie.

 

Le Sultan rencontra le Conseil du Sultanat le 25 Sha’ban de cette même année 26 mai 1919. Le Conseil accepta le principe de l’indépendance unilatérale et décida qu’un conseil national devait être établi immédiatement pour laisser la nation déterminer son propre sort. Les Alliés réagirent vigoureusement à ces activités.

 

Le Sultan Wahid ad-Din ne faisait pas confiance à Farid Damad Bacha et par conséquent, il emmena Tawfik Bacha à la délégation ottomane qui représenterait l’Empire Ottoman à la Conférence de Paix de Paris, la principale plate-forme pour conclure les détails de l’armistice.

 

Dans une grande partie de l’Anatolie, les Ottomans commencèrent à mener une résistance armée contre les invasions en cours, en particulier l’invasion grecque d’Izmir. Les Britanniques faisaient pression sur le Sultan et le gouvernement pour qu’ils rappellent Mustafa Kemal Bacha, qui avait joué un rôle profond dans les mouvements de résistance plus larges en Anatolie (en fait c’est ce que l’on voudrait nous faire croire). Le Sultan resta distant face aux pressions. Bien que le gouvernement ait publié une note circulaire indiquant que Mustafa Kemal avait été démis de ses fonctions, il resta généralement silencieux. Mustafa Kemal Bacha télégraphia au Sultan ses plaintes concernant l’attitude hostile du gouvernement et lui dit qu’il démissionnerait s’il devait le faire, mais qu’il continuerait sa lutte dans l’esprit de la nation. La réponse du Sultan fut sympathique et il ne voulut pas qu’il retourne à Istanbul ou démissionne de son poste. Il lui recommanda seulement de faire une pause de deux mois et de se reposer un peu jusqu’à ce que les choses se clarifient.

 

Les Britanniques annoncèrent que le Sultan et son gouvernement étaient derrière le mouvement de résistance en Anatolie et ils adressèrent un avis officiel au Sultan, lui demandant d’arrêter et de ramener Mustafa Kemal à Istanbul. Le Sultan câbla à Mustafa Kemal Bacha le 12 Dzoul Qi’dah (9 juillet 1919) à Erzurum et lui dit qu’il avait été démis de ses fonctions et que les Britanniques voulaient qu’il rentre immédiatement à Istanbul (nous verrons dans le chapitre, la destruction du califat, les véritables raisons de ces manipulations ficitves). Afin de ne causer aucun problème au Sultan Wahid ad-Din et au gouvernement, il démissionna de ses fonctions officielles et continua à travailler individuellement pour le Sultan et l’état.

 

Le Sultan Muhammad Wahid ad-Din indiqua clairement à la Grande-Bretagne qu’il n’avait rien à voir avec la résistance. Il les informa en outre que, depuis que son armée avait été dissoute, il ne pouvait pas réprimer les troubles civils, qui avaient tous commencé avec l’oppression grecque des indigènes dans le pays, et qu’il serait impossible de mettre le peuple d’Anatolie en attente, tant que la folie grecque n’avait pas pris fin.

 

Le Congrès d’Erzurum se réunit sous la direction de Mustafa Kemal Bacha le 26 Dzoul Qi’dah (23 juillet 1919). La correspondance du congrès qui se tint à Erzurum dans l’est de l’Anatolie montra une allégeance manifeste au Sultan et une réaction au gouvernement. Lorsque les Britanniques demandèrent au gouvernement de traiter Mustafa Kemal comme un rebelle (pour le valider en fait), le gouvernement exhorta à amener Mustafa Kemal Bacha et Rauf Bey à Istanbul pour arrestation. Les ministres patriotes, qui critiquaient le gouvernement à ce sujet et soutenaient en fait la lutte nationale, démissionnèrent du gouvernement. Le Congrès de Sivas suivit le cours de ces événements et se tint à Sivas en Anatolie centrale le 8 Dzoul Hijjah (4 septembre 1919). Le gouvernement empêcha Mustafa Kemal Bacha et le Sultan de communiquer par télégraphe. Lorsque le Bacha envoya une lettre au Sultan et demanda la mise en place d’un gouvernement national, le Sultan Muhammad Wahid ad-Din exigea la démission du gouvernement actuel et nomma ‘Ali Riza Bacha comme nouveau Grand Vizir.

 

Le nouveau gouvernement soutint le Kuvayi Milliye, ou les Forces nationales. De plus, ils rencontrèrent Mustafa Kemal dans la ville d’Amasya, parvinrent à un accord total et signèrent un protocole avec lui le 27 Mouharram (22 octobre 1919).

 

Après les élections, le nouveau parlement ouvrit ses portes à Istanbul le 13 Joumadah al-Oula 1340 (12 janvier 1922). Les renseignements britanniques rapportèrent que le Sultan avait d’abord vu Wasif Kara, un agent travaillant pour Mustafa Kemal, puis avait ordonné l’inauguration du parlement, mais n’avait pas assisté à la cérémonie en personne pour qu’il ne soit pas fermé par les Britanniques. Le Sultan annonça que sa maladie ne lui permettait pas d’assister à l’inauguration tandis que Mustafa Kemal Bacha ne put non plus se rendre à la première réunion du parlement à cause du mandat d’arrêt. Le Bacha télégraphia au Sultan ses meilleurs vœux, et le Sultan lui répondit par des salutations.

 

Moufit Mazhar Kansou rencontra le Sultan au nom du Comité des représentants. Il rapporta que le Sultan posa des questions sur Mustafa Kemal, que le Sultan comparait métaphoriquement aux pierres précieuses sur le dessus de sa couronne, et que le Sultan avait vraiment manqué de converser avec lui.

 

Le Sultan admit également une délégation du parlement. Il leur recommanda de garder leurs paroles car les Britanniques étaient des manipulateurs de sang-froid et pouvaient utiliser leurs paroles contre eux. Lorsque les représentants dirent au Sultan que la nation gardait toujours son allégeance au Sultan et que les Britanniques ne pouvaient rien faire pour changer cela, le Sultan leur répondit que les Britanniques pourraient avancer jusqu’à Ankara en un jour s’ils le voulaient.

 

Les Alliés placèrent le Sultan dans le palais d’Ylddiz sous haute surveillance parce qu’ils s’inquiétaient du mouvement de résistance en Anatolie. De cette façon, ils visaient à le protéger contre un coup d’état et aussi à l’empêcher de se rendre en Anatolie pour rejoindre la résistance.

 

Le dernier parlement ottoman reconnut le Misak-i Milli, le Pacte National, le 16 Joumadah al-Oula 1337 (17 février 1919). Avec ce Pacte, le parlement déclara sa position sur les frontières de l’état, les droits des minorités et le statut des Musulmans et des détroits. À leur avis, les frontières antérieures à l’armistice de Moudros étaient de facto des frontières étatiques. Les Alliés présentèrent une réaction agressive au Pacte National et occupèrent officiellement Istanbul et usurpèrent toutes les institutions officielles dans le but de manœuvrer le Sultan dans un coin le 25 Joumadah ath-Thani 1338 (16 mars 1920). Le Sultan fut informé que l’occupation était temporaire mais que sa durée pouvait changer étant donné qu’une agitation civile sévissait en Anatolie. De nombreux patriotes furent arrêtés et envoyés en exil.

 

L’occupation déconnecta Istanbul de l’Anatolie. Renommé comme Grand Vizir et soumis à la pression des Britanniques, Farid Damad ordonna aux Juges d’émettre des fatwas, légitimant et ordonnant les massacres des nationalistes en tant qu’infidèles perfides. Les fatwas furent imprimées sur papier et les avions britanniques les larguèrent au public. Après l’occupation, le Sultan Muhammad Wahid ad-Din referma le parlement.

 

Après la révocation du parlement à Istanbul, le Comité des représentants ouvrit la Grande Assemblée Nationale Turque (TGNA) le vendredi 4 Sha’ban 1338 (23 avril 1920), après la prière du Vendredi. Cette assemblée commença à renforcer efficacement l’unité nationale et à mener la lutte nationale. La Grande Assemblée Nationale Turque câbla une note de loyauté au Sultan et expliqua que la lutte nationale se battait pour libérer le Sultan.

 

À la fin de la Première Guerre mondiale, l’Empire Ottoman fut contraint de signer le 25 Dzoul Qi’dah (10 août 1920) le Traité de Sèvres, qui proposait des conditions inacceptables pour les Ottomans. Avant le Traité, le Sultan considérait les termes du Traité comme « la compilation du mal. » Le Conseil du Sultanat se réunit pour discuter des termes et conditions du Traité. Bien que le conseil ait signé le Traité par crainte d’une occupation grecque d’Istanbul s’il ne l’avait pas fait et reconnu le Traité avec la règle de la majorité, le Sultan ne ratifia jamais le Traité.

 

La plus grande réaction à la signature du Traité de Sèvres vint de la Grande Assemblée Nationale Turque à Ankara.

Les Alliés savaient que l’application des Sèvres serait trop difficile face à une résistance étendue en Anatolie ; par conséquent, ils demandèrent au Sultan d’établir un gouvernement qui pourrait s’entendre avec l’Anatolie. Le Sultan fit à nouveau de Tawfik Bacha le Grand Vizir. Le nouveau gouvernement eut des réunions à Ankara. À peu près à la même époque, juste après que les Turcs aient écrasé les forces grecques lors de la bataille d’Inonu près d’Eskisehir le 21 Rabi’ ath-Thani 1339 (10 janvier 1921), les Alliés invitèrent le gouvernement d’Istanbul et la Grande Assemblée Nationale Turque à revoir les articles du Traité de Sèvres à la Conférence de Londres. La conférence ne produisit aucun résultat tangible.

 

Suite aux réalisations de la lutte nationale et de la signature de l’armistice de Mudanya le 19 Safar 1341 (11 octobre 1922), Rafat Bacha vint à Istanbul au nom de la Grande Assemblée Nationale Turque et rencontra le Sultan Wahid ad-Din. Rafat Bacha demanda au Sultan de ne pas envoyer de délégation d’Istanbul à la Conférence de Paix à venir, de destituer le gouvernement d’Istanbul et de publier un avis officiel indiquant qu’il reconnaissait la Grande Assemblée Nationale Turque. Le Sultan dit à Rafat Bacha que le représentant de facto du trône était le gouvernement ottoman. Il était le Sultan de la monarchie constitutionnelle et ne pouvait pas démettre le gouvernement. Il rejeta donc l’offre de Rafat Bacha.

 

Lorsque le gouvernement d’Istanbul annonça qu’il assisterait à la Conférence de Lausanne au mois de Rabi’ al-Awwal (novembre), la Grande Assemblée Nationale Turque abolit le Sultanat le 11 Rabi’ al-Awwal 1341 (1er novembre 1922) et déclara que la Grande Assemblée Nationale Turque TGNA nommerait le calife. En outre, le 12 Rabi’ al-Awwal (2 novembre) fut convenu d’être célébré comme une fête nationale. Le Sultan réagit à l’idée et déclara que le califat était identique au Sultanat. Les membres de la dynastie ottomane le soutinrent.

 

La Grande Assemblée Nationale Turque décida que le Sultan devait être jugé. Les médias publièrent des informations sur le Sultan « traître » et il y eut des protestations contre lui. Tawfik Bacha démissionna le 14 Rabi’ al-Awwal (4 novembre 1922), expliquant que le Sultan avait le droit de se défendre devant la nation. Le Sultan dira plus tard que Tawfik Bacha démissionna et le laissa seul dans ses jours les plus difficiles.

 

Pendant ce temps, le lynchage de l’auteur et journaliste ‘Ali Kemal, ancien ministre de l’Intérieur et l’un des principaux opposants à la lutte nationale, alors qu’il se rendait d’Ankara à Izmit, surprit Istanbul. Ceux qui avaient des visas de voyage fuirent et d’autres trouvèrent refuge auprès des soldats britanniques. Le fait que ceux qui manquaient d’argent pour s’échapper vinrent voir le Sultan et lui demandèrent de les aider offensa le Sultan. Voyez-vous des traitres qui demandent à l’état qu’ils ont trahi de les aider à s’enfuir chez leurs amis les singes. C’est le comble de la décence !

 

Après l’abolition du Sultanat, le Sultan se présenta dans son premier Jumu’a selamligi ; la cérémonie qui avait lieu en public tous les vendredis. C’était la première fois que le nom du Sultan ne fut pas mentionné dans la khoutbah, ou le Sermon du Vendredi. Le Sultan Muhammad Wahid ad-Din envisagea le cas de feu ‘Ali Kemal, le fait qu’il soit laissé seul dans la cérémonie de prière bondée du Vendredi, les résumés quotidiens dans les journaux contre lui et la forte possibilité que sa vie soit en danger. Finalement, il décida de quitter Istanbul. Il envoya son aide personnel le colonel Zaki Bey auprès du général Harrington pour lui transmettre son message selon lequel il voyait sa vie menacée, et il s’attendait à ce que la Grande-Bretagne le protège à la condition qu’il maintienne tous ses droits sur le Sultanat et le califat. Il signa la demande écrite non pas en tant que Sultan mais en tant que « Muhammad Wahid ad-Din, le Calife des musulmans. »

 

Le Sultan n’emballa que ses effets personnels du palais. Quand quelqu’un lui recommanda d’emporter les fiducies sacrées de l’Islam avec lui, le Sultan refusa gentiment, disant qu’il s’agissait de cadeaux à la nation turque de ses ancêtres. Le Sultan fut emmené au palais d’Yildiz et renvoyé avec une cérémonie par les troupes britanniques. Son navire quitta Istanbul pour Malte.

 

Les journaux britanniques écrivirent que le Sultan Wahid ad-Din était raisonnable et avait terminé tranquillement les dernières Prières du Vendredi en dépit des manifestations contre lui, mais il avait dû s’échapper car il allait être assassiné lors de la cérémonie suivante le 27 Rabi’ al-Awwal (17 novembre 1922). Le Décret appelé la « Trahison de la Nation » émise par la Grande Assemblée Nationale Turque fut invoqué comme une autre raison de son départ.

 

Dans ses mémoires, le Sultan Muhammad Wahid ad-Din écrivit ce qui suit : « Il me restait à accepter ou à rejeter un Califat sans Sultanat. Je n’ai pas pu contester cela. J’étais entouré d’aveugles et d’ingrats, alors j’ai décidé de m’arrêter jusqu’à ce que les choses s’éclaircissent. Je ne me suis pas échappé mais j’ai émigré. J’en suis venu à choisir Malte comme le choix le moins désagréable pour partir en voyage vers les Terres Sacrées. J’ai suivi les traces du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam). Je n’ai jamais renoncé à mon droit au Sultanat et au Califat hérité de mes ancêtres. »

 

La Grande Assemblée Nationale Turque proclama le 19 novembre 1922 que ‘Abd al-Majid Efendi, héritier et fils du Sultan ‘Abd al-‘Aziz, était le calife élu. Le nouveau calife accusa Wahid ad-Din de trahir son pays et de ternir l’honneur de la dynastie ottomane.

 

Le Sharif Hussain, le gouverneur ottoman de La Mecque, invita le vieux Sultan au Hijaz. Il informa les Britanniques qu’il n’était pas allé au Hijaz sur l’invitation de Sharif Hussain mais en tant que calife du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et avec la conviction que la bonté spirituelle l’attendait là-bas.

 

Muhammad Wahid ad-Din voyagea de Malte à La Mecque. Bien qu’il ait déclaré vouloir se rendre à Chypre ou à Haïfa, les instructions britanniques données au Sharif Hussain lui ordonnèrent de résider à Ta’if, ou il se rendit. La déclaration qu’il y fit fut censurée par le Sharif Hussain, mais les médias contemporains s’y intéressèrent beaucoup et la publièrent. L’ancien Sultan expliqua la raison de son départ comme suit : « La raison pour laquelle j’ai abandonné le Sultanat et quitté ma patrie n’était pas la peur de la responsabilité devant ceux qui devaient eux-mêmes être jugés pour ce qu’ils avaient fait après la Guerre Mondiale, en particulier en ses conséquences. Au contraire, je suis parti pour m’abstenir de soumettre ma vie entre les mains de ceux qui étaient sans loi, impitoyables et privés même de la vertu de reconnaître le droit de défendre. Comme il comprenait qu’il ne pouvait pas rester longtemps au Hijaz, il voulut se rendre en Palestine cependant, les britanniques déclinèrent son souhait. Sa demande d’aller à Chypre fut également rejetée. Les Britanniques voulaient qu’il se rende en Suisse avec les frais de voyage à sa charge, mais la Conférence de Lausanne se poursuivait et sa présence en Suisse risque d’être mal interprétée. Finalement, les Britanniques lui offrirent l’Italie comme sa meilleure option.

 

Muhammad Wahid ad-Din s’installa à Villa Magnolia, Sanremo. Ses demandes consécutives à la Grande-Bretagne pour aller dans un pays musulman comme Chypre ou Haïfa reçurent une réponse négative, principalement parce que les Britanniques pensaient que l’insistance persistante de l’ex-Sultan sur le fait qu’il était le calife causerait des problèmes s’il vivait dans un pays musulman. Le Califat fait toujours peur ! En outre, sa demande d’obtenir des passeports pour lui et 12 autres membres de sa famille fut rejetée sur le motif que les passeports ne pouvaient être accordés qu’aux citoyens britanniques ou aux personnes sous protection britannique.

 

Le Sultan vécut seul pendant seize mois. Le seul membre de sa famille avec lui était Shehzade Muhammad Artoughroul Efendi. Ce n’est qu’après l’accord de la Grande Assemblée Nationale Turque le 26 Rajab 1342 (3 mars 1924), date à laquelle tous les membres de la dynastie ottomane durent être déportés, que le dernier Sultan retrouva sa famille. La réunion des membres de la dynastie déportés, en particulier à Sanremo, amenèrent Wahid ad-Din, déjà en difficulté financière, à épuiser toutes ses économies.

 

Après l’abolition du califat le 26 Rajab 1342 (3 mars 1924), Muhammad Wahid ad-Din découvrit qu’un congrès du Califat allait se tenir en Egypte. Il écrivit une lettre au Sheikh d’al-Azhar au Caire et déclara qu’il était vivant et qu’il n’avait pas renoncé à son droit au Califat. Il demanda en outre demandé au Sheikh de trouver une résidence au calife déjà existant dans un pays musulman au lieu d’en chercher un nouveau. Il envoya un manifeste au comité directeur du Congrès du Califat et protesta contre leur préparatif. Il précisa une fois de plus qu’il ne renonçait pas et ne renoncerait jamais à son droit au Sultanat et au Califat. C’est pendant les jours où se tenait le Congrès que le dernier Sultan Ottoman décéda le 4 Dzoul Qi’dah 1344 (16 mai 1926). Le Sultan avait quitté Istanbul avec 20000 livres britanniques. Ce montant lui permis de vivre suffisamment pendant trois ans. Cependant, il connut des difficultés financières, surtout après l’arrivée de sa famille à Sanremo. En peu de temps, Wahid ad-Din commença à vendre tous ses biens et finalement, il mit même mis en vente son insigne doré de Sultanat. Il découvrit alors que sa médaille était fausse et devint très bouleversé, se souvenant de ceux qui auraient pu lui faire ça. A moins qu’on lui ai fait croire ainsi pour diminuer sa valeur.

 

Après la mort de Muhammad Wahid ad-Din, les marchands de Sanremo demandèrent la séquestration des dettes qu’il avait laissées pour un montant de 200000 francs. Les agents de séquestration vinrent chez lui, scellèrent tous ses biens et le corps embaumé du Sultan décédé ensemble dans une pièce, et fermèrent la maison. Les Italiens ne permirent une cérémonie funéraire jusqu’à ce que toutes ses dettes aient été remboursées et rendirent la dépouille seulement un mois plus tard.

 

Pendant ce temps, la Mosquée Souleyman Shah à Damas, une terre musulmane, fut choisi comme lieu de sépulture du Sultan. Sous la supervision de Shehzade ‘Omar Farouk Efendi, sa dépouille navigua sur un navire à destination de Beyrouth, puis par chemin de fer de là à Damas et atteignit sa destination finale le 23 Mouharram 1345 (3 juillet 1926), 48 jours après sa mort.

 

Le Sultan Muhammad Wahid ad-Din passa ses années de règne à souffrir des conséquences amères de la Première Guerre Mondiale, à laquelle il avait toujours dit en premier lieu que c’était une erreur de cathédrale pour les Ottomans que d’y participer. Le dernier Sultan ottoman pensait pouvoir sauver son empire par une diplomatie pro-britannique à un moment où l’Empire Ottoman était envahi et déchiré, ses armées dispersées, la main-d’œuvre considérablement diminuée et le peuple appauvri et épuisé par les guerres en cours. Quel mécréant accepterait le retour du Calife ou l’aiderait à l’établir quand ils ont tout fait justement pour le détruire ?

 

Le Sultan Muhammad Wahid ad-Din était de taille moyenne, mince, à la peau claire et au visage pâle. Il était intelligent et avait une très bonne compréhension. Son tempérament était naturel et ses émotions étaient sincères. Il avait un caractère doux et patient. Il détestait les commérages et ne les laissait pas arriver autour de lui. Il ne parlait pas beaucoup, préférant écouter. Son image faciale visible reflétait une série de sourcils froncés et des expressions faciales dures et sérieuses. Puisse Allah lui faire miséricorde et à tous les Sultans Ottomans, Amine.

 

L’empiètement de la Russie en Asie Centrale

 

Un incident qui mérite d’être signalé fut la première apparition de la Russie dans le domaine de la diplomatie turque. Un ambassadeur fut envoyé à Bayezid II par le Tsar Ivan III. Il fut chargé de refuser de plier le genou devant le Sultan ou de concéder la préséance à tout autre ambassadeur. Bayezid céda docilement sur ces points d’étiquette. Telle fut l’attitude de la Russie qui, deux siècles plus tard, menaça l’existence de l’Empire Ottoman.

 

L’avancée russe en Asie Centrale débuta en 1197 (1783) avec l’annexion des Khanats de Crimée (capitale Khiva ou Khwarizm) qui étaient sous les gouverneurs perses depuis que Nadir Shah les avait  conquis en 1153 (1740). Entre 1216 et 1244 (1801 et 1829), ils déplacèrent plus bas dans la région entre les Caspienne et Mer Noire dans le Trans-Caucase, qui forme maintenant les républiques soviétiques de Géorgie, d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Dans le nord de cette région se trouve le Caucase du Nord (anciennement Circassie et Daghestan) où les Russes se heurtèrent à une vive résistance. Le gouvernement perse céda la région à la Russie en 1244 (1813) par le Traité de Gulistan, mais le peuple se souleva contre la domination coloniale. Le défi fut relevé par la confrérie mouride des soufis, un corps local de soufis Naqshabandi. Les montagnards épris de liberté du Daghestan se rallièrent à l’appel de l’Imam Ghazi Muhammad qui se battit contre les Russes de 1243 à 1248 (1828 à 1832), suivit par l’Imam Hamzat Bey, 1249-1250 (1833-1834), et du plus grand de tous, l’Imam Shamil, 1250-1275 (1834-59). Comme le montre le mot Imam, les chefs de la lutte armée étaient aussi les chefs religieux du peuple et tout le mouvement était fondamentalement religieux. Les bastions des Mouride étaient leurs Khanqahs ou monastères où ils se livraient à des activités militaires et religieuses. L’ensemble du Daghestan était administré comme un État Islamique et il y eut une réforme religieuse et renaissance parmi les féroces montagnards qui étaient auparavant en proie à de nombreux maux sociaux tels que l’alcool et les querelles. Le Tsar russe dû envoyer une force importante pour engager les moujahidin et la renommée des exploits de l’Imam Shamil se répandit dans le monde entier. Cependant, lorsque le Daghestan fut coupé par l’avancée des Russes vers le sud, à savoir la Trans-Caucase, l’Imam Shamil fut maîtrisé et capturé en 1275 (1859). Il fut libéré de captivité en 1286 (1869) et mourut à La Mecque où il était allé effectuer le pèlerinage. La lutte fut menée par Muhammad Amin jusqu’à ce que les Russes conquièrent finalement le Daghestan en 1281 (1864).

 

Après la révolution russe de 1917, quatre républiques musulmanes indépendantes furent formées dans cette région, à savoir l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Arménie et le Caucase du Nord, mais en 1921, la domination russe fut de nouveau imposée. Les peuples d’Azerbaïdjan et du Caucase du Nord reprirent de nouveau la lutte pour l’indépendance sous Haider Bammate qui tenta d’obtenir de l’aide des régions musulmanes du sud. Au Congrès Islamique tenu à Jérusalem en décembre 1931, un rapport saisissant sur la situation des Musulmans de la région fut présenté par Lyadh Ishaqi, président du Comité pour l’indépendance des Musulmans de la Volga et de l’Oural. Sa’id Shamil fit également un rapport similaire sur la persécution massive des Musulmans sous le régime communiste ou des millions de Musulmans furent envoyés au Goulag ou ils périrent. Cependant, avant la Seconde Guerre mondiale, la politique des Russes envers les Musulmans s’assouplit considérablement. Ils nommèrent même un grand mufti des Musulmans de la Volga et de l’Oural, ‘Abd ar-Rahman Rasoulov.

 

À l’est de la Caspienne, dans les vastes territoires musulmans dont le centre était autrefois Samarkand et Boukhara, les Musulmans se battirent longuement et durement contre les Russes du milieu des années 1256 à 1292 (1840 à 1875) lorsque les Khanats de Kokand et de Boukhara (dans l’actuelle République ouzbèke) furent finalement conquis par la Russie.

 

Après la Révolution russe, il y eut une brève période où les communistes accordèrent généreusement la liberté aux anciennes colonies du tsar. Au cours de cette période, le mouvement des Jeunes Boukharite émergea, s’inspirant des Jeunes Turcs. Ils exigèrent des réformes sociales et constitutionnelles du Khan de Boukhara qui dirigeait le pays en tant que protectorat des Russes. ‘Abd ar-Rauf Fitrat était leur idéologue. Les Jeunes Boukharite purent supprimer le Khan de Boukhara en 1338 (1920) et établir une République Populaire. Cependant, cela ne dura pas longtemps car elle fut bientôt absorbée par l’U.R.S.S. en 1342 (1924). Fitrat devint Ministre de la République Populaire mais quitta bientôt et devint professeur à l’Université de Tachkent. En 1356 (1937), il fut arrêté et disparu totalement. En 1411 (1991), les États Musulmans d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, de Kirghizie, du Tadjikistan, du Turkménistan et d’Ouzbékistan déclarèrent leur indépendance après le retrait de la Russie d’Afghanistan.