4. Ruse militaire: Astuce Subtile sur le champ de bataille
La désinformation était de la plus haute importance pour les
opérations militaires où l’information atteignait sa valeur
maximale en raison du facteur de contingence. Sur le champ
de bataille, des événements aléatoires d’importance par
ailleurs mineure pourraient déterminer le vainqueur et les
commandants firent donc tout pour se tromper mutuellement et
faire des erreurs. Les livres d’histoire rapportent quelques
commandants clairvoyants tels que l’Empereur romain Trajan
qui essaya d’entraîner ses troupes à élaborer des réponses
impromptues aux renseignements reçus en demandant à ses
éclaireurs d’apporter des informations fabriquées. Pourtant,
il était une exception et la plupart des armées n’étaient
pas préparées au problème de la contingence et à la menace
de la désinformation.
Un stratagème commun que les Ottomans utilisaient était de
créer le mécontentement parmi les différents groupes
ethniques de l’armée ennemie en forgeant des lettres
contenant des informations qui les retourneraient les uns
contre les autres. Ces lettres étaient soit transportées
dans le camp ennemi par des espions ottomans, soit
localisées de manière à ce que le contre-espionnage ennemi
puisse les intercepter. Après la chute de Szigetvâr en 1566,
par exemple, les Ottomans cherchèrent à capitaliser sur les
dissensions internes de l’armée impériale. Le chancelier
Faridoun Ahmed, l’Interprète Ibrahim et Mustafa
Kethouda, l’Intendant de Lala Mustafa Bacha, forgèrent un
certain nombre de lettres en croate, allemand, hongrois et
latin. Adressés à différents régiments du camp ennemi,
celles-ci favorisaient la discorde entre eux.
Au cours de la même expédition, le Grand Vizir Sokullu Muhammad
Bacha montra sa compétence en désinformation en utilisant
les taupes de son armée pour créer des frictions entre les
soldats ennemis. Au lieu d’exécuter ces apostats hongrois et
autrichiens qui nourrissaient régulièrement leur ancien
coreligionnaire avec des informations du camp ottoman, il
leur offrit l’amnistie à la condition qu’ils écriraient des
lettres aux soldats impériaux. Il dicta ensuite à une taupe
hongroise d’écrire aux soldats hongrois de l’armée impériale
et de les avertir que les Ottomans entreprenaient
d’importants préparatifs pour continuer l’expédition. De
plus, Sokullu lui fit rapporter qu’un noble autrichien était
arrivé dans le camp ottoman pour se plaindre des voleurs
hongrois dont les déprédations irréversibles avaient
déclenché cette guerre en premier lieu. Le noble était là
pour demander une paix séparée. Sokullu fit alors accuser
une taupe autrichienne des Hongrois de la même manière.
Selon Faridoun Ahmed, cette astuce subtile força
l’Empereur à rompre son camp et à se retirer plus au nord, à
Gyor. Ce fut un grand soulagement au moment le plus instable
pour l’armée ottomane : le Sultan Souleyman I venait de
décéder et afin d’éviter un désordre ou une mutinerie, le
Grand Vizir dut cacher sa mort pendant plus d’un mois
jusqu’à l’arrivée du nouveau Sultan.
Une ruse similaire s’avéra efficace trente-cinq ans plus
tard, lorsque cette fois les Ottomans étaient sur la
défensive pendant le siège impérial de Nagykanizsa (1601).
Au lieu d’exécuter les espions ennemis capturés comme
ordonné par le commandant du château Tiryaki, Hassan
Bacha les libéra, se faisant passer pour un renégat hongrois
sympathique : « Je suis aussi l’un des vôtres, »
déclara-t-il, « Je suis arrivé quand j’étais petit et devint
un serviteur du Bacha. Déclarant à quel point il aurait été
heureux si le château était tombé aux mains des Chrétiens,
il ajouta ensuite avec regret que les chances de succès
étaient maigres car les Ottomans avaient encore mille hommes
d’armes avec des provisions sans fin.
Dans un autre cas du même siège, lorsque deux renégats
hongrois firent défection du camp ottoman et dirent aux
impérialistes que les Ottomans souffraient de problèmes
d’approvisionnement, ‘Omar Agha recourut à un stratagème
similaire. Sous le couvert habituel du renégat sympathique,
il libéra quelques espions ennemis sans oublier de leur dire
que les deux transfuges hongrois étaient en fait des agents
doubles, envoyés par Tiryaki à des fins de désinformation.
Selon l’histoire de ‘Omar, le duo avait pour instruction de
dire aux commandants ennemis que la garnison ottomane avait
peu de fournitures ; leur objectif était de les inciter à
continuer le siège en hiver, pour devenir la proie de
l’armée ottomane qui viendrait de Szigetvar. Simultanément,
les Ottomans laissèrent une lettre près du camp impérial.
Tiryaki aurait écrit au commandant en chef ottoman Yemishchi
Hassan Basha qu’il avait des relations secrètes
(ittifak) avec des soldats hongrois de l’armée impériale et
qu’il avait envoyé deux de ses hommes dans le camp ennemi
pour répandre de fausses informations. Il est difficile de
savoir laquelle de ces astuces, sinon les deux, convainquit
les Autrichiens de tuer les deux Hongrois et de mettre leurs
têtes coupées sur des poteaux pour montrer aux assiégeants
que leur stratagème avait échoué. On ne peut qu’imaginer le
sourire sur le visage de Tiryaki.
Enfin, au milieu d’une nuit, les soldats ennemis entendirent
des bruits venant du château ottoman : des canons furent
tirés et la fanfare militaire joua en démonstration de joie.
Alors Tiryaki Hassan Bacha prépara une lettre pour le
commandant en chef ottoman qui serait arrivé à Szigetvar. La
lettre disait que l’ennemi n’avait pas pu détecter les
renforts (350 janissaires, 100000 pièces d’or, de la poudre
à canon, des balles et biscuits) qui avaient atteint le
château la nuit dernière. Tiryaki remercia le commandant en
chef Yemishch pour ces renforts même s’il avait assez de
poudre et de provisions pour un an. Il lui demanda alors de
donner à son intendant Iskandar 15000 soldats et de nouveau
mentionna ses relations secrètes avec les Hongrois ; il
prévoyait une triple attaque contre l’armée impériale :
lui-même du château, Iskandar Bacha avec 15000 soldats de
Szigetvar et 30000 soldats hongrois faisant défection de
l’armée impériale. La lettre fut larguée près du camp
ennemi, pour être récupérée par un cavalier qui la donna à
l’Empereur, affirmant l’avoir prise de force à un soldat
ottoman, un mensonge très probablement dit dans l’espoir
d’une plus grande récompense. Convaincu d’une attaque
ennemie, l’Empereur décida de mettre toutes les tentes en un
seul endroit et de faire creuser des fossés autour de leur
camp.
Tiryaki employa alors un stratagème final. Il fit attraper
deux soldats ennemis et les interrogea personnellement.
Lorsque les soldats parlèrent de la lettre et annoncèrent la
nouvelle que les Autrichiens avaient pillé les tentes des
soldats hongrois et les mis en fuite, le Bacha feignit le
chagrin en mettant ses mains sur son visage et en se
frottant les yeux avec une serviette noire immergée dans du
jus d’oignon. Puis il ordonna l’exécution des deux captifs
et le reste est une histoire ordinaire : ‘Omar Agha les
libéra, accentuant ses sympathies chrétiennes et ajoutant
que les impériaux devraient faire attention dimanche lorsque
l’attaque aurait lieu et que les soldats hongrois étaient
encore dans les environs. Les deux soldats retournèrent dans
leur camp et informèrent leurs commandants.
À la suite de ces astuces subtiles, les Ottomans assiégèrent
et obtinrent des avantages tactiques cruciaux sur le champ
de bataille : les soldats hongrois quittèrent l’armée
impériale, les assiégeants furent trompés en pensant que les
Ottomans avaient suffisamment de provisions, les soldats
ennemis furent démoralisés et l’armée impériale mise sur la
défensive, réduite à creuser des fossés autour du camp et à
attendre une attaque ennemie. Quelques jours plus tard, la
nouvelle de l’arrivée de l’armée ottomane à Szigetvar sema
le chaos parmi les soldats qui commencèrent à déserter en
grand nombre. Réalisant l’occasion, Tiryaki entreprit une
attaque surprise depuis le château, forçant l’armée ennemie
à rompre le siège et à fuir, laissant derrière lui ses
canons, ses armes et sa poudre à canon. Sa belle stratégie
de désinformation sauva la mise.
Alors que les Ottomans utilisaient fréquemment les espions
qu’ils attrapaient pour diffuser de fausses informations, ce
sont parfois des espions ottomans qui trompaient leurs
ravisseurs pour se sauver. En 1514, alors que l’armée
ottomane marchait vers l’est pour combattre les Safavides,
un espion appelé Sheyh Ahmed fut envoyé en
Iran par l’un des émirs turcomans pro-ottomans et capturé
par l’ennemi. Interrogé par Shah Ismaël, l’espion dit qu’il
avait été envoyé par le Turcoman et d’autres éléments
pro-safavides de Roumélie et d’Anatolie qui voulaient forger
une alliance avec le Shah, promettant de changer de camp
pendant la bataille. Il n’était pas rare que des espions
capturés prétendent qu’ils avaient une sorte de mission
diplomatique pour sauver leur peau. Lorsque des saboteurs
des Habsbourg furent détectés à Istanbul en 1576, par
exemple, leur chef se fit passer pour un envoyé non officiel
envoyé de Madrid. S’il s’agissait d’une réponse impromptue,
la ruse de Sheyh Ahmed devait être préméditée
car il pourrait produire des lettres écrites par des
commandants turcomans et kurdes. Celles-ci suffirent à
convaincre le Shah de donner plusieurs cadeaux à Ahmed
et de lui renvoyer des lettres pour ses nouveaux alliés.
Une rumeur soigneusement propagée par des espions ennemis
pourrait donner des résultats décisifs, en particulier à des
moments critiques où des événements incontrôlables
pourraient déterminer le vainqueur. Lors de la bataille de
Marj Dabiq, par exemple, Hayirbay et Canberdi Gazali, des
grands mamelouks de mèche avec les Ottomans, annoncèrent la
mort du Sultan Qansouh Ghawri. Ils exhortèrent en
outre les soldats mamelouks de fuir à Alep afin d’élire un
nouveau Sultan. Entendant cette fausse rumeur de leurs
commandants, les soldats mamelouks commencèrent à fuir vers
le château. Même si Ghawri se montra et essaya d’arrêter le
désordre, ses efforts furent vains : il allait être tué sur
le champ de bataille et l’armée ottomane en sortit
victorieuse.
Diminuer la force de l’ennemi, son état de préparation à la
guerre, ses points faibles et ses plans militaires exigeait
une analyse approfondie des preuves extérieures. Ainsi, la
tromperie physique et la dissimulation pouvaient conduire
l’ennemi à faire des erreurs majeures sur le champ de
bataille. Changer de vêtements, par exemple, était une
méthode fréquemment utilisée. En 1506, le commandant de
l’île de Lero sauva sa forteresse sous-habitée de l’attaque
ottomane en faisant porter des uniformes maltais avec des
croix blanches aux habitants de l’île, hommes et femmes. Les
Ottomans ne jugèrent pas utile de combattre des soldats
expérimentés, ce que les chevaliers maltais étaient sans
aucun doute. Une ruse similaire fonctionna contre les
amiraux ottomans ‘Oulouj ‘Ali et Kara Koca en 1570. La
petite garnison de Curzola trompa les corsaires autrement
rusés en habillant toutes les femmes en tenue de soldat et
en les faisant se déplacer derrière les murs avec leurs
piques et leurs casques.
Ce ne sont pas seulement les garnisons de château qui
changèrent leur apparence pour tromper leurs adversaires.
Après la bataille de Lépante en 1571, Istanbul envoya des
ordres à ses commandants les avertissant que les galères
chrétiennes naviguaient sous le déguisement de navires
musulmans et qu’elles ne devaient pas les laisser entrer
dans leurs ports.
Si on ne peut tromper, on peut au moins dissimuler ; enlever
les signes qui informeraient l’ennemi était particulièrement
important pendant la bataille. Avant la bataille de Lépante,
le commandant de l’aile gauche ottomane ‘Oulouj ‘Ali exhorta
le Grand Amiral Mouezzinzade à retirer les drapeaux et les
lanternes afin que l’ennemi ne puisse pas reconnaître sa
galère. C’est ce à quoi pensa le commandant de l’aile droite
chrétienne Gian Andrea Doria en enlevant le grand globe
cristallin qui lui servait de lanterne. Contre les
accusations de lâcheté, il dit simplement que c’était un
cadeau de sa femme et qu’il l’avait gardé par sentiment.
Comme il n’était pas connu pour sa personnalité
émotionnelle, il va sans dire que peu furent convaincus.
Tout le monde savait que le fait était qu’il ne voulait pas
que ses ennemis, les corsaires ottomans, le repèrent pendant
la bataille.
Les armées et les marines étaient particulièrement fragiles
lors des retraites. Les commandants firent tout pour le
faire de manière ordonnée et secrète. En 1557, alors qu’il
se retirait de Fès après une bataille indécise avec le
Sharif marocain, le gouverneur général d’Algérie Hassan
Bacha s’assura que les forces espagnoles voisines n’eussent
pas vent de son départ. Il se retirera silencieusement à
minuit, laissant des piquets qui pouvaient rester allumés
jusqu’au coucher du soleil dans son camp militaire. Le
Sharif marocain se rendit compte que l’armée ottomane était
partie que lorsqu’il vit les montagnes vides le matin.
Les Ottomans eux-mêmes se méfiaient de la tromperie ennemie.
Au moment de décider d’une stratégie militaire basée sur
l’arrivée de renseignements, ils s’appuyèrent rarement sur
une seule source et comparèrent toujours des informations
provenant de différents endroits. Un bon exemple est une
fois de plus de la guerre de Chypre. En juin 1570, le grand
amiral Mouezzinzade et le commandant en chef Piyale Bacha
reçurent l’ordre de rester à l’écart de la flotte ennemie.
En retour, ils envoyèrent des nouvelles que la flotte alliée
composée de 90 galères et 20 nefs approchait de la Crète et
offrit de les bloquer au cas où ils entreraient dans un
port. Istanbul, cependant, rejeta leur demande sur la base
des renseignements contradictoires qu’elle avait reçus
d’autres sources. Kaya Bey venait de rentrer d’une mission
de reconnaissance avec les lettres du Zabit de l’île
d’Andros, des autorités de Raguse et de l’agent du
gouverneur d’Eubée qui signalèrent tous des nombres
inférieurs, ce qui signifiait que la flotte ennemie ne
pouvait pas naviguer vers l’est. Selon Istanbul, la flotte
ottomane ne devait attaquer l’armada ennemie que si elle
était certaine qu’elle passait en Crète. La capitale mit en
garde contre le danger d’opérer avec des renseignements
contradictoire parce que le mécréant fourbe pourrait
naviguer dans une direction pour montrer la flotte et
revenir pour apparaitre ailleurs, le tout pour que les
Ottomans surestiment la taille de leur flotte. En fin de
compte, il s’avéra qu’Istanbul avait raison ; la flotte
ennemie ne put atteindre le port de Souda en Crète que trois
mois plus tard, le 31 août.
Istanbul devint encore plus réticente au risque après la
défaite désastreuse de Lépante. En 1572, ‘Oulouj ‘Ali envoya
à Istanbul une série de renseignements importants : l’Amiral
d’Habsbourg Don Juan allait mettre le cap sur Tunis avec 40
galères, laissant 40 autres derrière pour rejoindre la
flotte vénitienne ; les Vénitiens avaient 30 galères à
Messine ; la relation entre l’Espagne et la France s’aigrit
et le roi de France allait rappeler ses 40 galères. Istanbul
fut à nouveau prudente : le 18 août, ils avertirent le Grand
Amiral ‘Oulouj ‘Ali que la flotte ennemie pouvait se cacher
quelque part alors qu’une partie de celle-ci apparaissait çà
et là pour l’attirer vers l’ouest dans un piège. De plus, le
commandant du château d’Holomich avait envoyé des nouvelles
que la flotte ennemie mouillait au port de Zante. Le Grand
Amiral ne doit pas oublier que ces Francs impies étaient des
imposteurs ; surtout les Vénitiens, les Seigneur des
maudits, eurent toujours eu recours à la ruse et à la
tromperie.
Même si Don Juan devra attendre l’année suivante pour
conquérir Tunis, les renseignements de ‘Oulouj ‘Ali furent
au moins partiellement exacts cette fois. L’amiral
d’Habsbourg avait bien eut l’intention de mettre le cap sur
Tunis mais son frère Philippe II lui avait interdit de le
faire. Puis, il divisa la marine des Habsbourg et ordonna à
Don Juan, le 4 juillet, de laisser 39 galères pour Gian
Andrea Doria qui patrouillerait sur les côtes italiennes à
la recherche de corsaires nord-africains jusqu’à la mi-août
et, si rien ne se passerait à ce moment-là, alors vous
rejoindrez le reste de la flotte.
Une grande flotte chrétienne sous le commandement de
l’amiral papal Marcantonio Colonna navigua vers l’est sans
l’escadre de Don Juan. Il quitta Messine le 7 juillet avec
56 galères ; de ces galères, 13 appartenaient au Pape, 18 à
l’Espagne et 25, non 30 comme ‘Oulouj l’avait prétendu, aux
Vénitiens (les Français n’eurent jamais une seule galère
présente). Il atteignit Corfou le 20 juillet et Zante le 2
août ; donc les informations d’Holomich furent correctes.
Lorsque la flotte atteignit Cerigo le 4 août, elle s’était
déjà jointe à la flotte Adriatique de Venise et s’était
agrandie : 145 galères, 6 galéasses, 25 galliots[1]
et 22 voiles. Elle rencontra la flotte ottomane au large de
la rive nord-est de Cerigo entre les îles de Servi
(Elafonisi) et Dragonera le 7 août, 11 jours avant
qu’Istanbul envoie le commandement qui avertit son Grand
Amiral d’une éventuelle désinformation ennemie. Le résultat
fut un match nul alors que le rusé ‘Oulouj ‘Ali se retira de
la bataille et chercha refuge dans les ports ottomans. En
attendant, Don Juan arriva à Corfou avec ses 50 galères, 5
galliots et 2 galéasses le 9 août et y attendit le retour de
la flotte de Colonna jusqu’au 31 août. Le fait que les deux
flottes ne purent pas se rejoindre, comme ‘Oulouj l’avait
deviné, paralysa l’opération alliée : Colonna et son
collègue vénitien Foscarini refusèrent d’attendre Don Juan à
Corfou, puis le prévirent plus tard de ne pas naviguer seul
vers l’est pour les rejoindre ; à la fin, lorsque ‘Oulouj
refusa la bataille, ils durent retourner à Zante pour unir
leurs forces à l’escadre de Don Juan. Toutes ces manœuvres
infructueuses leur +coûtèrent plus d’un mois sans recevoir
d’objectifs stratégiques dans les eaux ottomanes.
5. Conclusion
Comme cela fut montré ci-dessus, les Ottomans réussirent à
tromper, dissimuler et manipuler efficacement à la fois dans
les sphères diplomatique et militaire. Ils dissimulèrent
leur stratégie, cachèrent leurs préparatifs militaires et
induisirent en erreur la prise de décision de l’ennemi en
leur fournissant des informations adaptées. Cette campagne
active de désinformation les aida à résoudre le dilemme du
renseignement auquel Istanbul était confronté. Dans un tel
centre culturel, commercial, politique et diplomatique, des
personnes d’origines géographiques, ethniques, culturelles
et religieuses différentes se mêlèrent avec facilité et hors
de contrôle. Aucune autre ville européenne, pas même Venise,
ne put revendiquer une telle pluralité chaotique. Si cette
pluralité fit de la capitale ottomane un centre
d’information par excellence vers laquelle des informations
circulèrent des quatre coins du monde, elle créa également
une fuite constante d’informations. Avec les techniques de
surveillance et de contre-espionnage de l’époque, les
Ottomans ne pouvaient pas surveiller efficacement une
myriade de formes d’interactions entre ambassadeurs,
marchands, espions, pèlerins, marins, soldats de fortune,
missionnaires et vagabonds de tous bords déambulant dans les
ports, les bazars et les rues animées de leur capitale. Ce
qu’ils pouvaient faire, à la place, c’était de contrôler le
marché de l’information en l’inondant d’informations
contradictoires et en rendant de plus en plus difficile le
tri des rumeurs et des spéculations.
Sur le champ de bataille, où les malentendus étaient
fréquents dans la mesure où le vaincu pouvait se considérer
comme le vainqueur, les Ottomans réussirent également réussi
à tromper leurs adversaires. Les commandants compétents et
chevronnés apprécièrent les avantages que la dissimulation
et la manipulation pouvait offrir. Le double standard des
sources ottomanes en ce qui concerne l’aspect éthique de la
tromperie prouve qu’ils étaient conscients de son importance
sur le champ de bataille. Alors qu’ils accusaient les rivaux
des Ottomans d’avoir un penchant pour la ruse de la
duplicité, les mêmes sources virent des commandants ottomans
employer des stratagèmes similaires des commandants
militaires astucieux et compétents dans leur art. L’exemple
le plus emblématique de cette attitude est la façon dont
Tiryaki Hassan Bash fut salué dans les sources
ottomanes. La tromperie était mauvaise lorsqu’elle était
utilisée par leurs rivaux mais comme la fin justifiait les
moyens, elle n’était louable que lorsque les Ottomans y
avaient recours.
[1]
Les galliots étaient des petits vaisseaux à rames
avec 16 à 20 bancs au lieu de 25 comme d’habitude
dans les galères ordinaires. Les galliots utilisés
par les corsaires ottomans ne doivent pas être
confondus avec les galliots chrétiens. Ceux-ci
pouvaient avoir eu jusqu’à 24 bancs et leur
différence avec les galères ordinaires n’était pas
le nombre de bancs, mais le manque de gaillard avant
ou arrière. |