H. Emploi de renégats et d’agents doubles
Les Ottomans, bien sûr, employaient des agents doubles pour
révéler l’identité de leurs collègues. En 1564, l’un des
espions que le Vice-roi de Sicile envoya à Constantinople,
Amerigo Balassa, fut frustré de ne pas être payé ce qui lui
était dû. Lorsqu’il décida de se venger, il proposa au Grand
Amiral Ottoman d’attraper Balthasar Prototico à Corfou, et y
réussit presque. Aurelio Santa Croce et son frère étaient
également soupçonnés d’être des agents doubles. En 1577, un
espion grec au service de Philippe II, nommé Esteban,
s’enfuit de Naples pour Constantinople où il devint musulman
et identifia trois espions des Habsbourg que Martin de Acuna
amena et provoqua presque l’effondrement de tout le réseau
de renseignement espagnol à Constantinople.
En 1578, l’un des scribes de Don Juan, devenu musulman sous
le nom de Sinan et intronisé dans le cadre militaire de
sipahioglan, collectait pour les Ottomans l’argent, les
armes et les victuailles que Don Juan distribuait dans le
village de Kalamata et le quartier de Manya. Il semblait
avoir été assez efficace ; en peu de temps, il rassembla
100000 akche, 300 fusils, 2 drapeaux et un tambour. Enfin,
un ancien agent espagnol, Bartolemeo Brutti, informa son
proche Sinan Bacha de l’arrivée d’un autre agent espagnol
Antonio Sanz en 1582 à Constantinople. Heureusement pour
Sanz, il avait un sauf-conduit donné par ‘Oulouj ‘Alî;
pourtant, il dut encore quitter la ville, sa femme et ses
enfants aussitôt.
En 1608, le renégat Andrea Vintimiglia persécuta pour les
Ottomans quatorze espions espagnols. Les Ottomans
utilisèrent également les services de ses alliés. Les
Ragusains informèrent les Ottomans que le chef de la
collecte d’informations espagnole à Constantinople, Giovanni
Maria Renzo, avait quitté Raguse pour Constantinople en
1567, et remit aux autorités ottomanes les deux espions
qu’ils avaient attrapés essayant de passer à Constantinople.
En 1595, Pedro Brea, ancien esclave de ‘Oulouj ‘Ali et
espion de longue date à l’emploi des Habsbourg, dut se
retirer des rues de Constantinople lorsqu’il se rendit
compte que les ambassadeurs français et anglais tentaient
d’avertir secrètement les Ottomans de sa présence. Enfin, en
1606, le Bailo vénitien aida les Ottomans à révéler
l’identité de quatre espions espagnols à Constantinople.
Le plus intéressant de ces cas fut celui d’un renégat
français et agent des Anglais, le Baron de la Fage, qui
révéla l’identité d’un certain nombre d’espions espagnols de
premier plan à Constantinople en 1592. C’était un espion
habile et un escroc. Auparavant, il s’était rendu à Rome, où
il prétendit s’être réconcilié avec le Christianisme et
s’adressa au pape Innocent IX et au Collège des cardinaux
avec ses plans pour ramener le gouverneur de Négroponte au
Christianisme et s’emparer de plusieurs galères ottomanes
sur lesquelles les Chrétiens renégats naviguaient. Il se
rendit également, probablement avec des conceptions
similaires, à Florence où il fut chaleureusement accueilli
et contacta le Duc de Florence et l’ambassadeur du roi de
France, Henri IV. Finalement, toutes ses machinations
n’étaient qu’une ruse, une dissimulation pour lui de voyager
librement en Italie et d’espionner les Ottomans. Il alla
également à Venise où il contacta l’ambassadeur des
Habsbourg pour de l’argent et qui réalisa sa vraie nature et
sauva les quatre garçons chrétiens que Fage avait trompé
pour l’accompagner au Levant sous prétexte de leur montrer
l’Empire Ottoman, néanmoins avec l’intention de soit les
vendre en esclavage, soit en faire des renégats. Sur le
chemin du retour, il frauda le capitaine du navire qu’il
embarqua pour Cattaro et prit ses 450 escudos ainsi que
d’autres marchandises en lui promettant de lui acheter des
chevaux. À son retour à Constantinople, il se moqua du pape
et du Cardinal de Santa Severina en exhibant des brevets et
des sauf-conduits qu’il avait acquis d’eux. Malheureusement
pour les Ottomans, il mourut en automne dans une épidémie de
peste.
Parfois, les Ottomans se donnèrent beaucoup de mal pour
recruter des Chrétiens qu’ils considéraient utiles. L’une de
ces personnes était Carlo Cicala, le frère du Grand Amiral
ottoman Djighalazade Youssouf Sinan Bacha. Il résidait à
Chios pour recueillir des informations pour les Habsbourg et
négocier la défection de son frère vers le camp des
Habsbourg. Les Ottomans, conscients de sa présence et de son
potentiel, mais peut-être pas de ses liens avec les
Habsbourg, décidèrent de l’empêcher de quitter l’île.
Lorsque Carlo contacta son frère, le Sultan lui fit part des
grands services que son frère pouvait offrir à l’empire.
Afin de convaincre Carlo de changer de religion, le favori
du Sultan, Muhammad Agha lui envoya même un livre
intitulé Apologia écrit par un ancien moine augustin génois,
devenu lui-même musulman.
En fin de compte, les Ottomans auraient pu réussir à
l’attirer dans leur camp, sinon à se convertir. Un document
vénitien daté de 1600 rapporte que Carlo fut secourut par
son frère le gouverneur de l’archipel égéen et navigua de
Messine accompagné d’un ingénieur espion-militaire qui
offrira les plans de la forteresse de Corfou aux Ottomans.
I. Enquêtes, interrogatoires et sanctions
Les Ottomans menaient soigneusement leurs enquêtes ; même la
paranoïa des années de guerre ne changea pas leur vigilance.
Dans certains cas, lorsque les accusés étaient prouvés
innocents, justice était rendue. En 1570, certains
Ragusains, soupçonnés d’intelligence avec l’ennemi, furent
emprisonnés et leur argent séquestré par Dervish Chavoush et
le Qadi de Filibe (Plovdiv). À l’instigation de
l’ambassadeur Ragusain, les Ottomans ordonnèrent leur
libération et le retour de leur argent. Ils ne devaient pas
être agressés car ils voyageaient avec les documents
nécessaires.
Dans un autre exemple, le gouverneur de Morée reçut l’ordre
d’enquêter sur une affaire en 1572. Trois sujets chrétiens
ottomans d’Arkadya et de Kalamine furent accusés par cinq
autres d’être des espions vénitiens. Le rapport des juges
suggéra leur innocence et avertit Constantinople qu’il y
avait d’autres problèmes entre les deux parties. Les cinq
avaient tenté de saisir illégalement les biens des trois
accusés en témoignant à tort mutuellement devant les
tribunaux locaux ; ainsi, leur accusation n’était qu’un
moyen d’atteindre leurs fins. Les Ottomans ordonnèrent une
enquête approfondie sur ces cinq personnes, qui devaient
être exilées à Chypre au cas où les accusations portées
contre eux seraient justes.
Une fois qu’un suspect était arrêté, les Ottomans
l’interrogeaient non seulement pour déterminer son crime,
mais aussi pour révéler d’autres agents ennemis et combattre
les réseaux de renseignement ennemis. Dans cet effort, ils
n’étaient pas miséricordieux ; la torture était une
technique d’interrogatoire courante. L’importance des
informations fournies par ces suspects lors de
l’interrogatoire du contre-espionnage ottoman est évidente
au niveau de l’intérêt que le gouvernement central porta à
ces interrogatoires. Ils insistèrent pour interroger
eux-mêmes les suspects détenus et envoyèrent plusieurs
ordres aux gouverneurs locaux d’envoyer les détenus dans la
capitale avec leurs biens et leurs lettres pour complément
d’enquête.
Les méthodes de punition variaient. Souvent, les Ottomans
exécutaient des espions ennemis. En 1536, ils décapitèrent
le précité Marco Nicolo qui, selon eux, était un agent
double. Quatre ans plus tard, c’est un agent des Habsbourg
envoyé de Sicile, Pedro Secula, qui perdit la vie aux mains
des Ottomans. Ils ordonnèrent en outre aux gouverneurs
locaux d’exécuter leurs sujets chrétiens qui envoyaient des
informations aux Habsbourg sur les défenses ottomanes et la
marine.
En 1570, les Ottomans interrogèrent d’abord puis empalèrent
vivants les saboteurs que les Habsbourg engagèrent parmi les
ouvriers de l’Arsenal pour avoir allumé un incendie dans
l’entrepôt.
En 1573, un groupe de 23 personnes, qui avoua sous la
torture avoir eu une correspondance avec Don Juan, fut
exécuté à Constantinople. Un autre confiant du prince des
Habsbourg, un gentilhomme de Lépante fut décapité par les
Ottomans ; son fils se réfugia chez les Habsbourg avec son
frère et reçut une petite grâce. Les Ottomans autorisèrent
même des mesures secrètes telles que des exécutions fondées
sur de fausses accusations ou des assassinats. Comme
mentionné précédemment, le gouverneur d’Amasya, par exemple,
reçut l’ordre de noyer secrètement ou d’exécuter, sur la
base de fausses accusations, la safavide, Souleyman Fakikh.
Cependant, l’exécution ne fut pas toujours le cas. Les
chances d’un espion d’échapper à l’exécution étaient liées à
un certain nombre de facteurs : le type d’activité dans
laquelle il était engagé (espionnage, reconnaissance,
sabotage, corruption, etc.) et par conséquent la gravité des
dommages qu’il causa, ses relations à la fois avec l’élite
ottomane et les étrangers dans la capitale ottomane, les
moyens financiers à sa disposition, sa volonté de coopérer
et l’utilité de ses futurs services pour les Ottomans.
Il était possible de rançonner les espions détenus hors de
prison en soudoyant des fonctionnaires. L’aumônier du
vénitien Bailo Marc’antonio Barbaro fut racheté de prison,
même s’il mourut peu après. Le génois Cassano Giustiniani de
Chios, de la masse salariale espagnole, dépensa une fortune
pour se libérer de prison. L’histoire de l’Albanais
Hieronimo Combi, au service vénitien, est un autre bon
exemple. Il fut asservi pendant la campagne de Chypre et
amené à Constantinople. Là, il fut racheté par un
gentilhomme grec avec lequel il s’engagea dans un commerce
très profitable. Pendant ce temps, il ajouta le turc au
latin, au grec et à l’albanais et se lia d’amitié avec des
officiers ottomans tels que les secrétaires de Sokullu et
les chefs de cuisine de l’Arsenal. Outre de nombreux
services qu’il prétendit avoir rendus pour le Christianisme,
dont le rachat de 30 Chrétiens de sa propre poche, il
contacta également Givoanni Maria Renzo, seulement pour
avoir été détecté par les Ottomans qui saccagèrent sa maison
et le placèrent en détention. Au bout de trois mois, il
réussit à acheter sa liberté pour 400 ducats à l’un des
officiers de Sokullu.
Plus tard, il jouera un rôle important pour les Habsbourg
dans sa terre natale.
Au siècle suivant, un autre agent espagnol / papal, Andrea
Rinaldi d’Ancône, fut emmené de la prison ottomane par
l’ambassadeur anglais qui paya 1000 zecchini.
Les protagonistes d’une autre histoire intéressante du
renseignement, le complot d’Ansalon, réussirent également à
se faire libérer de prison. Deux frères, Scipion et Luis
d’Ansalon, négocièrent avec des officiers ottomans
dissidents leur défection et la sous-mission de Tripolis à
l’approche de la marine espagnole. Lorsque le gouverneur
général de Tunisie apprit leurs desseins et informa son
collègue de Tripoli, les frères Ansalon, ainsi que leurs
complices, caïds Ferhad et Hassan furent emprisonnés
en 1575. Ferhad réussit à s’échapper et se rendit à
Constantinople où il s’assura sa liberté. Il revint en tant
que gouverneur d’al-Mahdiyyah (Afrique) et se vit même
promettre le poste de gouverneur général de l’Algérie par
Sokullu Muhammad Bacha. Les frères Ansalon évitèrent
la torture en prison, seulement grâce à 800 escudos que Hassan
paya. Luis s’évada également de prison et se rendit à Tunis
où il implora le gouverneur général de le libérer de prison,
lui et son frère. Le gouverneur général devait être d’accord
puisque Ferhad était déjà arrivé avec les ordres de
Constantinople pour la libération de deux frères quelques
jours auparavant. Scipion retourna en Sicile, tandis que
Luis resta à Tripoli pour payer ses dettes. Il continua à
envoyer des informations et à négocier avec Ferhat.
Il semblait également possible d’éviter la punition en se
convertissant à l’Islam. Les milanais suspects qui furent
arrêtés en 1571 et le ragusain qui l’amena à Constantinople
choisirent cette voie pour éviter le sort de leur compagnon,
un marchand anconite envoyé aux galères. Cette stratégie ne
fonctionna cependant pas tout le temps. En 1610, deux
frères-rançons que les Andalous exilés de Constantinople
identifièrent comme des espions espagnols se virent refuser
l’opportunité de se convertir.
L’exil fut également une forme de punition, du moins pour
ceux qui avaient des liens importants dans le palais
ottoman. David Passi, un courtisan influent du Sultan
Ottoman ainsi qu’un informateur des Habsbourg, fut exilé à
Rhodes en 1591. Sa punition parut indulgente puisqu’il
réussit à revenir plus tard. Cependant, il perdit toute son
influence politique dans la capitale ottomane. De même,
Brutti fut libéré par Sokullu, uniquement à cause de
l’intervention de son parent Sinan Bacha, mais même alors
avec la stipulation qu’il parte pour Naples.
Il y a un dossier d’archive intéressant qui nous donne un
certain nombre de possibilités sur le sort d’un espion
détenu. Selon cela, le gouverneur de Solnuk (Szolnok) ‘Ali,
envoya un groupe de 25 espions armés à Constantinople. L’un
de ceux qui se converti à l’Islam fut intronisé dans l’armée
ottomane en devenant un boruzen, nous montrant la
possibilité d’une défection rapide. Un autre fut gardé à
l’imâret-i’âmire, à Edirne. Les autres devaient être envoyés
à l’Arsenal où ils furent placés en garde à vue, à
l’exception de leur chef dont la punition fut l’exécution.
Il devait être jeté à la mer, avec une pierre attachée à son
cou.
III. Conclusion : quelle efficacité ?
En général, les Ottomans semblaient disposer d’un appareil
de contre-espionnage efficace, ce qui rendait plus
difficile, voire impossible, l’opération des espions
ennemis. Dans la mesure du possible grâce à la logistique et
à la technologie du 16e siècle, ils réussirent à protéger
les informations importantes contre les espions ennemis en
employant diverses méthodes. Ils surveillaient efficacement
leurs frontières, patrouillaient fréquemment les routes,
surveillaient de près les éléments dangereux tels que les
renégats de l’appareil militaire et administratif ottoman,
les marchands étrangers, les ambassadeurs et les pèlerins,
surveillaient la correspondance entrante et sortante et
utilisaient leur propre réseau de renseignement complexe
pour révéler l’identité des espions ennemis.
Il est vrai que plusieurs agents ennemis pénétrèrent dans
l’Empire Ottoman et envoyèrent des rapports à leurs
employeurs. Le meilleur exemple est le réseau que les
espions des Habsbourg établirent à Constantinople à partir
des années 1560. Pourtant, l’efficacité de ce réseau est un
sujet de débat. Premièrement, les Ottomans étaient en partie
conscients de leurs activités et avaient peut-être
l’intention de les utiliser comme agents doubles. Par
exemple, Aurelio Santa Croce était également un
intermédiaire entre les Ottomans et les Habsbourg dans
l’échange de prisonniers de guerre ; ses bonnes relations
avec les Habsbourg à Naples auraient-elles échappé à
l’attention des Ottomans ?
Guillermo Saboya, l’un des espions espagnols dont l’identité
fut révélé par le Baron de la Fage, ne prétendit pas, lors
de son interrogation à Constantinople, qu’il ne pouvait pas
être un espion espagnol, puisqu’il espionnait pour les
Ottomans ?
Deuxièmement, à des fins de désinformation, les Ottomans
peuvent également les avoir nourris avec des informations
incorrectes pour détourner l’attention de leurs ennemis vers
d’autres cibles. Le Cardinal Granvela, toujours furieux
contre Giovanni Maria Renzo et ses amis, fut étonné qu’ils
ne se souciaient même pas d’utiliser des pseudonymes et
signaient leurs rapports avec leurs propres noms. C’était
soit qu’ils étaient des agents doubles, soit que les
Ottomans toléraient leur présence pour nourrir les Habsbourg
avec des informations erronées.
Troisièmement, un autre officier des Habsbourg, le
Commendador Mayor de Castille, fut déçu de la qualité
globale des informations qu’ils transmettaient également.
Les informations qu’ils envoyaient n’étaient pas
concluantes, imprécises, se contredisaient et donc inutiles.
Ils affirmèrent avoir intercepté la correspondance ottomane
et envoyé des fausses lettres prétendument écrites par le
Sultan. Ils envoyaient des informations sur des événements
qui s’étaient déjà produits en mettant une vieille date sur
les lettres et en blâmant ensuite la lenteur des courriers.
Le seul but de Renzo et de ses hommes également trompeurs,
était d’extraire de l’argent qu’ils ne méritaient pas ;
aucune des informations qu’ils envoyèrent ne valait une
tourne. « Meilleur sans eux, » se plaignit le Commendador
Mayor et demanda à l’ambassadeur des Habsbourg à Venise d’y
chercher des hommes de qualité.
En fin de compte, le réseau des Habsbourg à Constantinople
produisit des résultats mitigés en matière de collecte
d’informations. Tous les autres projets des Habsbourg dans
l’Empire Ottoman furent encore plus frustrés car leurs
espions ne purent pas vraiment accomplir leurs plans de
mettre le feu à l’Arsenal, de saboter la flotte ottomane, au
combat, de soudoyer d’importants responsables ottomans, tels
que le Grand Amiral ‘Oulouj ‘Ali et Muhammad Bacha[1],
inciter une rébellion chrétienne dans les Balkans et les
commandants de châteaux ottomans de céder leurs châteaux aux
Habsbourg. Les Ottomans réussirent à empêcher ces efforts
espagnols coûteux de porter leurs fruits.
La tromperie, dissimilation et manipulation de l’information dans l’Empire Ottoman du 16e siècle
Cet article se livre aux méthodes de tromperie, de
dissimulation et de manipulation employées par l’Empire
Ottoman au 16e siècle. Il montre comment les Ottomans
induisirent leurs ennemis en erreur dans les domaines de la
diplomatie et de la guerre en les nourrissant d’informations
adaptées. Ils dissimulèrent non seulement avec succès la
cible de leurs préparatifs militaires aux espions ennemis et
aux ambassadeurs étrangers mais recoururent également à la
désinformation pour manipuler les négociations
diplomatiques. De plus, les commandants ottomans utilisèrent
un certain d’astuces et de ruses pour prendre le dessus sur
le champ de bataille.
1. Introduction
En raison des difficultés logistiques et de communication de
l’époque, les premiers décideurs modernes furent contraints
d’opérer avec des informations imprécises, sujettes à la
manipulation et souvent trompeuses. Des informations
précises étaient une denrée précieuse en pénurie pour
laquelle les gouvernements étaient toujours prêts à dépenser
des fortunes. En fait, le 16e siècle vit la première
expérimentation de services secrets institutionnalisés mais
avec des résultats médiocres. Les informations manipulées et
fabriquées l’emportaient souvent, entraînant de mauvaises
décisions aux conséquences militaires et politiques graves.
Alors que les services secrets du 16e siècle luttaient pour
acquérir et transmettre des renseignements précis en temps
opportun, les décideurs des capitales et les commandants sur
les champs de bataille cherchaient à prendre le dessus dans
la guerre de l’information en essayant avec des informations
adaptées pour tromper leurs adversaires. Cet article traite
de ces efforts. Puisant dans un large éventail de sources
primaires d’archives ottomanes et européennes, les pages
suivantes tenteront d’étudier les méthodes et techniques de
désinformation, de tromperie et de dissimulation employées
par l’un des états les plus puissants des 16e et 17e
siècles, l’Empire Ottoman. Nous ne rapportons aucune source
cependant le document original est en ligne pour ceux qui
voudraient plus de détails.
Bien que récemment des historiens ottomanistes turques aient
commencé à examiner comment les premiers Ottomans modernes
acquirent les renseignements, ils ne se sont pas concentrés
sur leurs manœuvres et manipulations. La seule exception est
un article récent traitant de la question de la rumeur et de
la désinformation en se concentrant sur la confusion qui
régnait sur le champ de bataille à la frontière
ottomane-autrichienne en 1663-1664. D’une part, il analyse
comment les commandants, les soldats et les décideurs furent
déconcertés par de fausses rumeurs concernant l’issue de
batailles décisives ; de l’autre, il montre comment des
factions rivales et des groupes mécontents des deux empires
profitèrent de cette confusion à leurs propres fins
politiques. Cela ne concerne pas, cependant, une stratégie
impériale délibérée de désinformation visant à contrôler la
sortie du renseignement et à tromper l’ennemi, l’objectif
principal de cet article.
De plus, les négociations quotidiennes entre les diplomates
européens et les décideurs ottomans furent rarement
examinées car la documentation d’archives à Istanbul
confinait les étudiants en histoire diplomatique ottomane à
la critique textuelle des noms, des traités commerciaux avec
les accords de paix entre les Ottomans et les Européens. En
élargissant la base de sources avec une correspondance
diplomatique régulière et des rapports d’espionnage
conservés dans les archives espagnoles et vénitiennes, nous
examinerons ces négociations et éclairerons les nature de la
diplomatie, de l’espionnage et de la prise de décision.
En trois parties, nous tenterons de démontrer comment les
Ottomans du XVIe siècle développèrent une stratégie
d’information cohérente afin d’atteindre leurs objectifs
diplomatiques et militaires. La première partie montrera
comment ils dissimulèrent leur cible militaire afin de
refuser à leurs ennemis la possibilité de commencer tôt les
préparatifs nécessaires. Dans la deuxième partie, nous nous
concentrerons sur le milieu diplomatique d’Istanbul et
analyserons comment les Grands Ottomans utilisèrent la
désinformation pour tromper les diplomates étrangers et
atteindre leurs objectifs dans les négociations
diplomatiques. Enfin, nous décrirons les astuces et les
ruses sur le champ de bataille qui déterminèrent le
vainqueur.
[1]
Le gouverneur général de l’Algérie (1567-1568) et le
fils du célèbre corsaire Sâlih Reis qui fut
également le gouverneur de l’Algérie entre 1552 et
1556. Muhammad Basha tomba prisonnier lors de
la bataille de Lépante et fut racheté avec l’agence
de Bartolomeo Brutti avec qui il conspira plus tard. |