Dimanche 25, al-Amir Qansouh al-‘Adli, l’inspecteur
de Sharqiyah, revint. Le Sultan l’avait envoyé, lorsqu’ils
arrivèrent près de Salahiyah, pour collecter des
informations sur les forces d’Ibn ‘Othman. Lorsque l’émir
Qansouh arriva à Salahiyah, il vit qu’un
groupe d’hommes d’Ibn ‘Othman était là. Il en captura deux,
les décapita et apporta leurs têtes devant le Sultan. Avec
eux se trouvait un homme d’Alep, appartenant à Khayr Bey, le
gouverneur, qui avait intrigué contre le Sultan al-Ghawri et
rejoint Ibn ‘Othman. Cet homme donna les informations
suivantes au Sultan, Touman Bey :
« Khayr Bey, le gouverneur d’Alep, arrive contre vous avec
Ibn Souwar et un certain nombre d’émirs d’Ibn ‘Othman et une
avant-garde de 8000 hommes de sa cavalerie. Mais leurs
chevaux sont épuisés par la fatigue et la faim, et la
nourriture est rare parmi les troupes. Sur cet homme, on
trouva un certain nombre de lettres de Khayr Bey, le
gouverneur d’Alep, au chef des émirs en Égypte. Alors le
Sultan prit les lettres et mit l’homme dans les fers.
Il fut rapporté que le commandant de la force d’Ibn ‘Othman,
en entrant à Bilbeis, avait proclamé grâce et sécurité,
promettant qu’aucun des habitants, ni les paysans, ne
seraient maltraités par les soldats turcs. Vint ensuite la
nouvelle que les troupes d’Ibn ‘Othman étaient à’ Ikrishah.
En apprenant cela, le Sultan eut hâte de sortir avec les
troupes et de les engager sur-le-champ, mais il fut empêché
par les émirs. C’aurait été pour le mieux s’il l’avait fait,
car leurs chevaux étaient à l’arrêt de fatigue et de faim et
la plupart des forces d’Ibn ‘Othman avaient marché à pied
depuis le moment où ils avaient quitté la Syrie et étaient
extrêmement fatigués. Le Sultan aurait probablement été en
mesure de les vaincre avant qu’ils ne puissent atteindre
Khankah, trouver des réserves de fourrage et de boisson et
pourraient se reposer de leurs fatigues. Mais les émirs ne
voulurent pas cela, et les Turcs réussirent à entrer à
Khankah.
Puis le Sultan ordonna à ses troupes de passer cette nuit-là
devant le camp en selle, pleinement habilitées, et de ne
dormir qu’à tour de rôle de peur d’une attaque nocturne. Une
peur intense des forces d’Ibn Othman régnait désormais parmi
les Circassiens.
A l’approche de son armée à Khankah, la plupart des
habitants partirent avec leurs familles et leurs biens, et
allèrent au Caire par crainte du pillage et du massacre par
les Turcs. Puis les bédouins Salimi commencèrent à s’emparer
de tous les Turcs qu’ils purent attraper et, les décapitant,
amenèrent leurs têtes au Sultan, qui leur ordonna de les
suspendre au Bab an-Nasr et à Bab Zawilah.
Le Sultan inspecta les troupes de Ridaniyah, pleinement
habilitées, avec le chef et les émirs subordonnés ; les
premiers étaient accompagnés des tambours et des fifres, et
ce fut un jour important. Le Sultan se rendit alors à Birkah
al-Hajj avec les émirs et toutes les troupes avant de
retourner au camp précédé de torches, de tambours et de
fifres.
Les colonnes de troupes s’étendaient du Jabal al-Ahmar
jusqu’aux champs de Matariyyah, toute la plaine était
couverte. On rapporta que le Sultan, en apprenant qu’Ibn
‘Othman était à Bilbeis, ordonna que les greniers là-bas et
dans le voisinage, et même ceux de Khankah, soient
incendiés. De grandes quantités de paille, de son, de blé,
d’orge et de haricots furent brûlées pour les sauver des
troupes d’Ibn ‘Othman, qui en avaient besoin pour eux-mêmes
et leurs chevaux, et auraient ainsi été renforcées pour le
combat.
L’incident suivant aurait eu lieu avant la fin de cette
année 922. Le Sultan était assis dans sa tente quand un
Turcoman entra portant une coiffe rouge et un carquois, un
cache-nez sur le visage. Le Sultan avait avec lui
quelques-uns de sa suite. En approchant du Sultan, il fut
repoussé par certains des eunuques, qui se tenaient à côté,
et quand sa poitrine fut touché, une paire de longs seins
fut sentit, et lorsque le cache –nez fut retiré, une femme
turcomane fut révélée. Le Sultan, soupçonnant qu’elle était
venue l’assassiner, lui ordonna de sortir. Ils découvrirent
alors que la femme portait une cotte de mailles sous ses
vêtements et portait une grande dague. Les Mamalik importés,
voyant cela, la frappèrent avec leurs épées. Ils furent
persuadés qu’elle avait l’intention d’assassiner le Sultan.
Après qu’elle fut tuée, le Sultan ordonna de la pendre à Bab
an-Nasr.
Le mercredi 28, la nouvelle arriva que l’avant-garde d’Ibn
‘Othman était à Birkah al-Hajj, ce qui mit les
militaires du Caire dans un état de grande consternation.
Ils fermèrent Bab al-Foutouh, Bab an-Nasr, Bab
ash-Shar’iyyah, Bab al-Bahr, Bab al-Qantarah et
d’autres portes de la ville. Les marchés du Caire furent
fermés, les moulins arrêtés si bien que le pain et la farine
devinrent rares.
Dès que le Sultan eut confirmation des informations selon
lesquelles l’armée d’Ibn ‘Othman était arrivée à Birkah al-Hajj,
il sonna l’alarme dans le camp. Toutes les troupes et le
chef des émirs, les émirs ainsi que Qasim Bey Ibn ‘Othman
montèrent. Le total des forces rassemblées, y compris les
Mamalik royaux et les bédouins s’élevait à quelque 20000
cavaliers, avec une trentaine d’étendards. Les tambours et
les fifres sonnèrent pour la bataille. Le Sultan Touman Bey
fit le tour, posta personnellement les émirs selon leurs
rangs et rassembla ses forces du Jabal Ahmar aux
champs de Matariyyah.
Une force immense se rassembla et le Sultan fit preuve d’un
grand courage. Si le Sultan al-Ghawri avait été vivant, il
n’aurait pas fait une fraction de ce que le Sultan Touman
Bey fit. Mais Allah ne lui accorda pas la victoire sur Ibn
‘Othman. Aucune bataille n’eut lieu ce jour-là entre les
forces adverses, aucune d’entre elles ne sortit à la
rencontre de l’adversaire. Ce jour-là, quelques têtes Turcs
furent tranchées et envoyées pour être suspendues aux portes
de la ville.
Le jeudi 29 eut lieu un formidable engagement dont la simple
mention suffit à semer la terreur dans le cœur des hommes et
ses horreurs à démentir leur raison.
Pour résumer, on peut dire que le Sultan Touman Bey, après
avoir campé à Ridaniyah, la fortifia avec des canons et des
fusils, aménagea une ligne de boucliers et de défenses en
bois pour eux puis creusa une tranchée de Jabal Ahmar
aux champs de Matariyyah. À l’arrière des fusils, il plaça
environ mille chars de chameaux de sacs de fourrage, et sur
les selles, il fixa des bannières blanches et rouges qui
flottaient dans la brise. Il collecta également un certain
nombre de bœufs pour tirer les véhicules. Il s’attendait à
une longue bataille entre lui et Ibn ‘Othman, voire à un
long siège cependant, les choses se déroulèrent
différemment. Les forces d’Ibn ‘Othman s’arrêtèrent deux
jours à Birkah al-Hajj, mais le Sultan Touman Bey
n’osa pas avancer contre elles ; il aurait dû le faire et
leur livrer bataille là-bas, avant qu’ils ne puissent entrer
à Ridaniyah.
Jeudi, l’armée d’Ibn ‘Othman arriva et son avant-garde
atteignit Jabal Ahmar.
En apprenant cela, le Sultan sonna l’alarme dans le camp et
ordonna aux troupes d’engager l’armée d’Ibn ‘Othman. Les
tambours battaient au combat, le chef des émirs et toute la
force monta et s’étendit à travers la plaine. Les soldats
d’Ibn ‘Othman arrivèrent comme des sauterelles en multitude
et étaient supérieurs en nombre. Les deux armées se
rencontrèrent dans les faubourgs de Ridaniyah, et une
terrible bataille s’ensuivit, qu’il faudrait longtemps pour
décrire, une bataille plus grande que celle qui eut lieu à
Marj Dabiq. Un nombre incalculable de Turcs furent tués,
dont Sinan Basha, l’ancien tuteur d’Ibn ‘Othman et son chef
Vizir, ainsi qu’un grand nombre de ses émirs. Puis les Turcs
récupérèrent, remontant de toutes les directions comme des
nuages. Ils se divisèrent en deux forces, l’une avançant
sous Jabal Ahmar et l’autre par le camp de Ridaniyah.
Le bruit de leur mousquets était assourdissant et leur
attaque furieuse. En peu de temps, un nombre incalculable de
troupes égyptiennes étaient tombées, y compris un grand
nombre des chefs émirs, parmi lesquels l’artilleur Azbak.
L’Atabek Soudoun, le Dawadar, fut grièvement blessé,
certains disent que sa cuisse fut brisée et qu’il se cacha
dans un champ. L’émir ‘Allan, le Dawadar, fut également
blessé. En l’espace de soixante minutes environ, l’armée
égyptienne fut vaincue et en pleine retraite.
Touman Bey tint environ quatre-vingts minutes après cela, et
se battit avec quelques-uns de ses esclaves armés et des
Mamalik, infligeant de grandes pertes aux hommes d’Ibn
‘Othman. Enfin, quand les Turcs furent trop nombreux pour
lui, se trouvant déserté par ses troupes et craignant d’être
capturé, il replia l’étendard royal, courut et se cacha ;
certains disent qu’il alla vers Tara. Ce fut la troisième
défaite subie par l’armée égyptienne.
La force turque qui avait avancé sous le couvert du Jabal Ahmar,
descendit sur les tentes du Sultan, pillant tout,
équipement, armes, chevaux, chameaux et bœufs, y compris les
fusils que le Sultan avait mis en place là, avec les
boucliers et palissades, et les véhicules sur lesquels le
Sultan avait passé tant de temps, de travail et d’argent, et
dont il ne tira aucun avantage. Tout dans le camp fut pillé.
Tel fut le décret du destin.
Après la fuite du Sultan et le pillage du camp, de nombreux
Turcs portèrent l’épée et la violence au Caire. Certains se
rendirent à Maksharah, brûlèrent les portes et firent sortir
les prisonniers, y compris un certain nombre de Turcs que le
Sultan avait emprisonnés quand il était à Ridaniyah. Ils
relâchèrent également tous ceux de Dilam et Rahbah.
Ibn Souwar fut tué à Ridaniyah dans cet engagement et
enterré dans la tombe de son grand-père, en face de la tombe
du Dawadar Yashbak. Sinan Basha, le vizir d’Ibn ‘Othman, fut
également tué.
Le Sheikh Badr ad-Din az-Zaytouni écrivit cette complainte :
Nous pleurons sur l’Egypte et son peuple
Ses lieux prospères sont devenus désolés,
Et le glorieux est devenu déshonoré !
Lundi, dernière semaine de l’année 922, l’émir des croyants,
Muhammad al-Moutawakkil ‘ala Allah, entra au Caire,
accompagné des ministres d’Ibn ‘Othman et d’une importante
armée de soldats turcs. Le calife entra par Bab an-Nasr et
traversa Le Caire, précédé de porteurs de flambeaux. Il
annonça une grâce publique, une sécurité générale et la
poursuite du commerce. Personne ne devait être agressé par
les soldats turcs. On proclama en outre que la porte de
l’oppression était fermée et que celle de la justice était
ouverte, et que quiconque se trouverait hébergeant un
mamelouk circassien serait immédiatement pendu.
Le cri « Vive le roi victorieux Salim Shah ! » fut élevé de
tous côtés.
Vendredi, la Khoutbah fut délivrée au nom du Sultan Salim
Shah des chaires d’Égypte et du Caire. Certains des
prédicateurs dans leurs allocutions le mentionnèrent comme
suit : « Allah protège le Sultan, Ibn as-Sultan, roi des
deux continents et des deux mers ; conquérant des deux
armées, Sultan des deux ‘Irak, serviteur des deux villes
sacrées, le roi victorieux Salim Shah. Ô Seigneur des deux
mondes, accorde-lui la victoire à jamais. »
Ceci met un terme à notre récit des événements de l’année
922.
Tout cela leur est arrivé conformément au décret du destin.
Puis commença l’année 923, le premier jour de Mouharram
fut un samedi.
Aujourd’hui, le Sultan Salim Shah envoya un corps de
janissaires et les posta aux portes de la ville pour
empêcher le pillage des maisons.
Le lundi 3, le Sultan forma une cavalcade et entra au Caire
par le Bab an-Nasr. Il traversa la ville, précédé d’un
nombre immense de chevaux menés et d’une grande force
d’infanterie et de cavalerie, qui occupa l’ensemble des
rues. La procession passa par la porte az-Zawilah sous le
Rab’ et continua vers Boulak, jusqu’au camp sous le talus.
Alors que le Sultan traversait la ville, il fut acclamé par
toute la population. Il fut décrit comme ayant un teint
clair, un menton bien rasé, un nez et des yeux larges, de
petite taille et portant un petit turban.
En passant par Le Caire, il fut précédé par le calife, les
quatre juges et un certain nombre de dirigeants. Il publia
quotidiennement des proclamations au Caire, assurant au
public la sécurité.
Fin
|