Souleyman Bacha, le seigneur de la frontière ottomane à
Smederevo, demanda au Hongrois de Machva, Nicolas d’Ujlak,
un adversaire du Roi Ladislas VI (1490-1516), de reconnaître
la suzeraineté ottomane, et de rendre Belgrade, promettant
d’ajouter à ses possessions les forteresses ottomanes de
Hisar Alaja (Krusevac) et de Zvornik. Bayazid, qui lui-même
n’accorda pas beaucoup de crédit à la disposition
apparemment favorable du Hongrois et suggéra qu’au cas où il
changerait d’avis sur la reddition de Belgrade, l’armée
devrait changer sa destination vers la Mer Adriatique pour
écraser les rebelles albanais et subjuguer Monténégro.
Lorsqu’il se trouva à Sofia à la tête de son armée, il
apprit que l’interdiction hongroise avait en effet changé
d’avis et que les Hongrois s’étaient unis pour résister au
Sultan, il partit donc avec le gros de son armée pour
envahir le nord de l’Albanie. Sur le front hongrois, les
raids sous les Begs frontaliers, ‘Ali Mihaloghlu et
Souleyman Bacha, ainsi que le blocus de Belgrade, furent
déjoués par une résistance hongroise acharnée.
Avant de quitter Istanbul pour cette campagne le 6 avril
1492, Bayazid montra son intention de maintenir la paix avec
le Pape en envoyant un envoyé à Innocent VIII avec 40000
ducats d’or ainsi que de précieuses reliques, y compris la
présumée tête de fer de la lance qui perça les flancs de
Jésus (Paix sur lui et sa mère) lors de la crucifixion,
qu’Innocent avait spécifiquement demandée par
l’intermédiaire de son ambassadeur Bocciardi. La remise des
40000 ducats et les dons généreux étaient en effet une
indication positive de la politique d’apaisement de Bayazid
envers le Pape et de l’existence d’un accord entre les deux
parties sur la garde de Jem et le maintien de la paix.
Venise, la seule puissance maritime capable de freiner les
Ottomans, choisit d’éviter les conflits et continua à
honorer l’accord de 1479. C’est sans doute Venise parmi
toutes les puissances occidentales qui exploita le mieux la
situation de Jem vis-à-vis des Ottomans. Tout en
fonctionnant comme une source d’information indispensable
pour le Sultan concernant la position de Jem en Europe,
Venise utilisa le conflit entre les Ottomans et les
Mamelouks, suzerains nominaux de Chypre, et en 1489 réussit
à mettre l’île sous son règne direct. Les Mamelouks ni les
Ottomans, qui étaient en guerre les uns avec les autres,
étaient en mesure de remettre en cause la prise du contrôle
vénitien de Chypre. Alors que le Pape fut encouragé par la
République à entrer en négociations avec le Sultan Mamelouk
pour la livraison de Jem, un ambassadeur vénitien, Peter
Diedo, fut envoyé à la hâte au Caire pour expliquer au
Sultan Mamelouk Qaytbay que la revendication vénitienne de
souveraineté sur Chypre était une mesure prise uniquement
pour empêcher que l’île ne tombe entre les mains des
Ottomans. En outre, Diedo affirma que puisque les Mamelouks
n’avaient pas de flotte pour protéger Chypre, la possession
vénitienne de l’île serait bénéfique aux deux parties.
Venise accepta toutes les conditions qui avaient été
imposées par les Mamelouks à la dynastie Lusignan de Chypre,
y compris le paiement d’un tribut annuel de 8000 ducats
d’or.
La perte de Chypre au profit de Venise fut, jusqu’en 1571,
un revers irréparable pour les Ottomans de la Méditerranée
orientale. Par ailleurs, Venise renforça sa position sur la
voie navigable vitale entre Avlona et l’Italie en obligeant
la Porte à reconnaître la souveraineté vénitienne sur l’île
de Zante par un accord conclu le 22 avril 1494. Elle
renforca également les fortifications de Corfou, point clé
de l’empire maritime vénitien. Ainsi, une opération navale
contre les possessions vénitiennes dans la Morée et la Mer
Adriatique, ainsi qu’une attaque ottomane contre l’Italie,
furent rendues stratégiquement impraticables, et la menace
d’Avlona, la seule base ottomane importante en dehors des
Dardanelles, fut considérablement réduite.
À partir de 1491, cependant, les relations
vénitiennes-ottomanes devinrent de plus en plus tendues. La
rivalité pour le contrôle de la côte albanaise et
montagnarde, ainsi que la situation difficile dans la Morée,
où Vénice contrôlait les ports et les bases navales les plus
importants, y compris Navarin, Modon, Coron, Monemvasia et
Nauplie, étaient parmi les facteurs qui créèrent une
atmosphère explosive. L’arrivée de la flotte ottomane sur la
côte albanaise et l’invasion inattendue de l’Albanie par une
armée sous le commandement du Sultan lui-même constituaient
une menace directe pour l’Italie et les possessions
vénitiennes de la Mer Adriatique. Une flotte vénitienne fut
envoyée à Corfou et les fortifications de l’île furent
considérablement renforcées. Le débarquement d’une force
frontière ottomane à Gasha, à seulement quinze milles de
Senj lui-même, provoqua l’alarme à Venise, et la République
demanda au Pape d’exiger, en utilisant la menace de Jem, que
le Sultan évacue la forteresse. La crainte d’une invasion
ottomane de l’Italie rapprocha Venise, Milan et la papauté,
et une ligue fut formée le 25 avril. Venise soutenait
maintenant activement le Pape dans son effort de croisade et
l’assura de sa pleine participation. Elle demanda même que
le Pape mentionne dans l’accord que Jem serait remis à
Venise. La République promit d’ouvrir les hostilités dès que
Maximilien déclarerait la guerre aux Ottomans, car selon la
stratégie vénitienne, l’Autriche avait remplacé la Hongrie
comme la puissance terrestre la plus forte dans une telle
croisade.
La reprise des activités de ghazwa par les Ottomans agaça
non seulement Venise mais aussi Maximilien, qui après la
mort de Matthias Corvin en 1490 était devenu le protecteur
des terres chrétiennes en Europe centrale. Maximilien, à la
suite des attaques à grande échelle des forces de la
frontière ottomane contre les terres voisines du Danube,
devint un ardent défenseur d’une croisade contre les
Ottomans. À la veille de l’invasion française de l’Italie,
il favorisa même l’idée de la livraison de Jem au Sultan
mamelouk en échange de promesses de rejoindre la ligue
chrétienne.
L’agressivité ottomane après 1492 peut s’expliquer par
plusieurs facteurs. Les Ottomans avaient conclu la paix avec
l’Égypte en 1491, à la demande urgente du dirigeant Hafside
Zakariyyah II de Tunisie, alarmé par la reconquête
espagnole. La chute de Grenade le 31 janvier 1492, célébrée
comme une riposte chrétienne à la conquête de
Constantinople, donna lieu à une intensification de l’esprit
ghazi dans le Monde Islamique en général. De plus, après la
mort de Matthias Corvin et les confusions internes qui
s’ensuivirent en Hongrie, les Ottomans espéraient prendre
Belgrade, augmentant ainsi la pression à travers les
opérations des forces frontalières contre les dominions
autrichien et hongrois.
En 1492, lors d’un raid à grande échelle en Croatie, de
lourdes pertes ottomanes, soit dix mille hommes, furent
subies lorsque l’armée tomba dans un piège près de Villach.
Mais le raid réussi en 1493 sous l’habileté général Ya’qoub
Bacha, gouverneur de Bosnie, en Slovénie, en Croatie et en
Basse-Styrie fut couronné par sa victoire à Corbova (Krbava)
le 9 septembre. L’année suivante, les raids à grande échelle
se poursuivirent en Croatie et en Transylvanie, et Paul
Kinizsi, commandant de la frontière hongroise, fit des raids
de représailles sur la Serbie ottomane. Ainsi, une situation
grave se posa également en Europe centrale, au sujet de
laquelle le Pape Alexandre VI (1492-1503) se déclara très
préoccupé lors de ses négociations avec la Porte. Une trêve
entre la Hongrie et les Ottomans ne fut conclue qu’au début
de 1495, lorsque l’invasion de l’Italie par Charles VIII
provoqua une réaction générale contre la France en Europe.
Les Ottomans concentrèrent alors leurs forces contre la
Pologne.
En 1494, le Pape et le Roi de Naples s’étaient unis contre
les Français pour tenter d’arrêter Charles VIII dans son
invasion de l’Italie et avaient utilisé la menace d’une
intervention ottomane. À présent, la politique italienne
d’Alexandre était en conflit ouvert avec le plan de
croisade. En réponse, les adversaires du Pape, Charles VIII
et les cardinaux pro-français, dénoncèrent le Pape pour
avoir trahi les intérêts de la chrétienté en établissant des
liens secrets avec le Sultan Ottoman. En effet, la politique
papale consistant à tenter d’utiliser le pouvoir ottoman
contre ses ennemis immédiats, tout en poursuivant ses plans
de croisade, est un exemple spectaculaire de la diplomatie
pragmatique de l’équilibre des pouvoirs de l’Italie de la
Renaissance.
Menacé par une invasion française, le nouveau roi de Naples,
Alfonso II (1494-1495), désormais soutenu par le Pape,
précipita son agent Camillo Pandone à Istanbul pour demander
une aide militaire, un contingent de six mille soldats
ottomans. Il s’est dit prêt à les payer, c’est-à-dire à les
employer comme mercenaires, une pratique employée pendant
des siècles par d’autres gouvernements chrétiens à Byzance
et dans les Balkans.
L’envoyé d’Alexandre, le Génois Giorgio Bocciardi, était
déjà à Istanbul. Sous prétexte qu’il avait besoin d’argent
immédiatement pour préparer la résistance contre l’invasion
française de l’Italie, le pape demanda que l’indemnité
annuelle pour Jem soit envoyée à l’avance. L’envoyé du Pape
déclara à Bayazid que le Roi de France prévoyait de capturer
Jem, de prendre le royaume de Naples et, de là, d’attaquer
l’Empire Ottoman. Alexandre appela également Bayazid en tant
que véritable ami à faire pression sur Venise pour qu’elle
abandonne sa neutralité et rejoigne la résistance contre les
Français. Bayazid réagit promptement et envoya trois
ambassadeurs en Italie pour encourager la papauté, Naples et
Venise à résister à Charles VIII. Les ambassadeurs
arrivèrent en Italie en novembre 1494, au moment où Charles
entrait à Florence (17 novembre). A Venise, le 21 novembre,
l’envoyé ottoman, qui était surveillé avec inquiétude par
l’ambassadeur de France Philippe de Commines, critiqua la
République pour sa neutralité et menaça de lancer une
attaque ottomane contre l’Italie si Venise refusait de
rejoindre la résistance.
Le 20 novembre, Qasim Chawoush, qui avait été envoyé avec
l’argent demandé pour Jem (40000 ducats d’or), accompagné de
Bocciardi, fut attaqué par des partisans français près
d’Ancône. Tout l’argent et les lettres du Sultan au Pape
furent capturés. Le lendemain à Florence, le roi de France,
tentant de rivaliser avec Maximilien, fit une déclaration
avant sa marche vers Rome que son but dans cette campagne
était de combattre le Turc et de délivrer les lieux saints.
Pour humilier Alexandre, les lettres saisies, au nombre de
cinq, ainsi que le témoignage de Bocciardi sur
l’accomplissement de sa délégation, furent aussitôt publiées
à Florence. Le document le plus incriminant pour le chef de
l’église était la lettre du Sultan proposant que le Pape
assassine Jem et offrait 300000 ducats pour la livraison du
cadavre aux hommes du Sultan dans l’un des ports ottomans.
Bayazid promettait également qu’aucun état chrétien ne
ferait l’objet d’attaques, et pour montrer sa bonne foi, le
Sultan avait même prêté serment sur le Coran en présence de
Bocciardi. S’il n’y a aucun doute sur l’authenticité des
autres lettres, écrites en grec avec le monogramme du
Sultan, celle, en latin, est considérée par certains savants
comme un faux.
Déserté par les puissances chrétiennes, le Pape dut
finalement se mettre d’accord, le 15 janvier 1495, sur tous
les points sur lesquels le Roi de France avait insisté,
comme préalable à son plan de croisade contre les Ottomans :
la délivrance de Jem et le libre passage sur le territoire
papal pour l’occupation du royaume de Naples. Charles VIII
entra triomphant à Naples le 22 février. Trois jours plus
tard, Jem mourut subitement, évoquant les accusations
habituelles de meurtre ; la base du confinement de Bayazid
mourut avec lui. Charles abandonna les plans de croisade
contre les Turcs et tourna son attention vers ses ennemis
européens, mais ce n’est qu’en 1499 que le corps de Jem fut
rendu à Bayazid par Frederick, roi de Naples (1497-1501).
La coalition anti-française du 31 mars 1495, liant le Pape
Alexandre VI, l’Empereur Maximilien, Venise, Milan et
Ferdinand et Isabella d’Espagne dans une soi-disant Sainte
Ligue contre l’Islam, fut suivie par le déclenchement des
guerres d’Italie, impliquant la chrétienté occidentale dans
une longue lutte interne dont le Sultan Souleyman Ier, « le
Magnifique » (1520-1566), profiterait en étendant son empire
en Europe centrale. Le nouveau modèle de diplomatie en
Occident, introduit dans l’Italie de la Renaissance au XVe
siècle, amènera au XVIe l’Empire Ottoman dans le système
d’état européen dans une alliance avec la France contre les
Habsbourg.
Après la mort de Jem, les Ottomans continuèrent d’être l’un
des éléments importants de l’équilibre des pouvoirs en
Italie. Ils suivirent avec une grande inquiétude les progrès
des négociations pour une alliance entre Venise et Louis XII
contre Milan, pour une alliance entre la grande puissance
navale, Venise et la France pourrait en effet conduire à la
réalisation d’une croisade. Bayazid adopta une attitude de
soutien envers les dispositions anti-vénitiennes de Naples,
Mantoue et Florence, rivales de la république. En échange
d’une assistance militaire ottomane, c’est-à-dire de
l’approvisionnement en forces mercenaires, ces états
offrirent de payer annuellement 50000 ducats d’or.
Le gouvernement ottoman appliqua strictement son
interdiction d’exportation de céréales vers Venise, ce qui
était d’une importance vitale pour la République. Soucieuse
d’éviter le déclenchement d’une guerre avec l’Empire
Ottoman, Venise présenta plusieurs propositions de
conciliation. En 1497-1498, l’ambassadeur de Venise Andrew
Zanchani offrit un tribut annuel de 3000 ducats d’or pour la
possession pacifique de Céphalonie et Cattaro (Kotor), tout
en acceptant de renoncer à ses prétentions sur le territoire
de Monténégro. Cependant, pour confirmer sa souveraineté sur
les zones côtières du Monténégro, Venise envoya une flotte
dans la baie de Cattaro en juin 1497.
Les Ottomans réalisèrent tout au long de la période de
l’affaire Jem que sans une marine forte, ils ne pourraient
pas se sentir en sécurité dans leur position dans les
Balkans et exercer une influence effective sur le cours des
événements en Italie. Après 1489, les Ottomans poursuivirent
fébrilement leurs efforts pour renforcer leur flotte. En
1497, ils commencèrent la construction aux chantiers navals
d’Istanbul de deux énormes koke (coques ou nefs) de 1800
tonnes, considérés comme les plus grands navires de guerre
de l’époque. Le 16 juin 1499, la flotte ottomane se mit
enfin en route des Dardanelles vers Ténédos (Bozja-ada),
provoquant la propagation de l’alarme de Rhodes à l’Egypte
et Venise. Après l’arrestation de tous les sujets vénitiens
dans les dominions ottomans, ce qui signifiait une
déclaration de guerre contre Venise, on apprit que le
véritable objectif de l’expédition était la Morée. Tandis
qu’une force de grande taille était envoyée comme
distraction contre les possessions vénitiennes en Dalmatie
et en Albanie sous Iskandar Bacha, le commandant de la
frontière en Bosnie, une autre armée sous le commandement du
Beglerbeg de Roumélie, Mustafa, était simultanément dirigée
vers Lépante.
Le succès des opérations militaires dépendait de la capacité
de la marine ottomane à repousser les forces navales
vénitiennes et à achever l’encerclement de Lépante depuis la
mer. Le Sultan lui-même, sur les pâturages d’été de la
Grèce, attendait avec impatience la nouvelle de l’arrivée de
la flotte. Comme les Ottomans n’avaient pas de base dans la
Morée, la flotte éprouva de grandes difficultés et des
retards dans l’approvisionnement et les renforts sur le
chemin de Lépante. Lors de la bataille navale, qui eut lieu
près de l’île de Prote (Prodano ou Barak-ada) le 12 août
1499, les Vénitiens ne réussirent pas à intercepter la
flotte ottomane et subirent des pertes. À trois reprises, la
flotte vénitienne, renforcée par les escadrons français et
rhodien, tenta de bloquer la progression de la marine
ottomane vers le golfe de Corinthe. De chacune de ces
escarmouches, les Ottomans sortirent avec succès. Le 25
août, après trente-trois jours de poursuite constante par la
flotte alliée, les forces navales ottomanes atteignirent
finalement Lépante et la flotte vénitienne se replia sur sa
base de Corfou. En voyant l’arrivée de la marine turque et
le retrait de la flotte vénitienne, le commandant de la
place se rendit le 28 août 1499. La victoire fut
particulièrement importante puisque c’était la première fois
que la marine ottomane avait réussi à défier les Vénitiens
en pleine mer.
La chute de Lépante suscita de vives inquiétudes concernant
le danger ottoman en Europe. En automne 1499, le Pape
Alexandre VI appela les états européens à s’unir pour une
croisade et, en mai 1500, ordonna la collecte d’une dîme de
croisade. Dans sa bulle de croisade du 1er juin 1500, il
insista sur le danger de l’invasion de l’Italie par les
Ottomans, car il dit que les Ottomans avaient désormais une
marine plus forte et commencé à s’emparer de tous les ports
stratégiques sur les côtes. Les Vénitiens, pour leur part,
faisaient tout leur possible pour convaincre Ladislas, le
Roi de Hongrie, de se joindre à la croisade et d’impliquer
pleinement le Roi de France Louis XII, leur allié
(1494-1500), dans la guerre de Venise contre le Sultan ; une
escadre française avait déjà coopéré avec Venise contre les
Ottomans en 1499. Les diplomates vénitiens tentèrent
également d’inciter John Albert, Roi de Pologne (1492-1501),
à rejoindre la croisade, car à la suite des ambitions du roi
en Moldavie, la Pologne avait été envahi à deux reprises par
de grandes armées sous le commandant de frontière Bali Beg
en 1498. Bayazid pensa pouvoir déjouer les plans de croisade
par la diplomatie, envoyant un envoyé faire pression sur le
roi hongrois pour qu’il signe un traité de paix et un autre
à Rome en février 1500 pour essayer de voir le Pape.
L’année suivante, lorsque les Vénitiens et les Français
firent des propositions de paix, les Ottomans répondirent
hautainement, exigeant le paiement d’un tribut annuel ainsi
que la reddition de Coron, Modon et Nauplie en Morée. Face à
ces demandes excessives, Venise chercha à convertir sa
guerre contre les Ottomans en une croisade européenne à
grande échelle. Du fait, le Pape entrepris des étapes
sérieuses pour sa préparation parmi les nations chrétiennes,
y compris la Valachie, la Moldavie et même la Russie. De son
côté, Bayazid encouragea les rivaux de Venise en Italie et
permit l’établissement d’un consul florentin à Istanbul, en
plus de promettre une grande aide militaire à Naples, mais
en insistant en retour pour qu’ils rendent Otrante. Ainsi,
après avoir éliminé la question de Jem, les Ottomans
revinrent sans hésiter à la politique expansionniste du
temps de Muhammad le Conquérant.
Dans la saison de campagne suivante, le but ottoman était la
capture des forteresses de Modon et Coron dans la Morée. En
raison des retards dans l’arrivée de l’artillerie lourde
transportée par les navires, le siège de Modon, lourdement
fortifié par les Vénitiens, fut prolongé. Bien que le siège
ait commencé en mars, la flotte n’arriva que le 17 juillet ;
ce n’est qu’après son arrivée que la forteresse fut
encerclée par terre et mer. Malgré l’intervention de la
flotte vénitienne, Modon tomba après un dernier assaut le 10
août 1500. Suite à la capture ottomane de Modon, Coron se
rendit sans résistance une semaine plus tard.
À l’arrivée de la nouvelle de la chute de Modon et Coron, le
Pape envoya trois légats aux gouvernements européens pour
les exhorter à se joindre à la croisade et à coopérer à la
collecte des dîmes de croisade. Alexandre particulièrement
désireux de rejoindre les Français à Naples contre le Roi
Frédéric (1497-1501) pour la partition du royaume de Naples,
rejoignit donc la Ligue franco-espagnole le 29 juin 1501.
Les alliés déclarèrent que le la partition était une étape
nécessaire pour assurer la paix et l’unité contre les
Ottomans, tandis que Frédéric plaçait ses espoirs dans
l’intervention et l’aide du Sultan. Lodovico, Duc de Milan,
également connu comme le protégé du Sultan, tenta de rompre
l’alliance vénitienne-française en promettant à Venise ses
bons offices pour une paix avec la Porte.
Une flotte croisée composée de navires français, vénitiens,
papaux et espagnols partit à l’automne et s’empara
facilement de l’île de Céphalonie et de la forteresse de
Navarin (le 3 décembre 1500), qui étaient aux mains des
Ottomans depuis août. Cependant, les Ottomans étaient en
alerte et avaient assigné ‘Ali Khadim à la garde de la Morée
pendant qu’Iskandar Bacha attaquait les possessions
vénitiennes en Dalmatie.
En 1501, les flottes chrétiennes entreprirent
individuellement des raids, causant des difficultés aux
Ottomans. Les forces vénitiennes, qui tentaient de débarquer
à Avlona, furent détruites
le 15 août
1501 par les Ottomans, qui conquirent alors Durazzo. Un
escadron allié
de quatre-vingts navires, dont quarante galères, débarqua
des forces sur Lesbos et commença le siège de Mytilène, sa
capitale. Cette décision menaçait Istanbul elle-même. Les
navires français, au nombre de vingt-six, s’embarquèrent
pour les Dardanelles pour bloquer l’arrivée de la marine
turque, selon un rapport ottoman. Les Ottomans éprouvèrent
de grandes difficultés à apporter des renforts aux assiégés
d’Anatolie. Et, comme c’était en dehors de la saison
régulière de campagne, il fut difficile pour les Ottomans de
mobiliser la marine. Finalement, lorsqu’une armée de terre
sous Hersekzade et le Beglerbeg d’Anatolie atteignit les
côtes opposées à l’île, ils découvrirent que l’ennemi avait
déjà levé le siège et quitté l’île avec sa flotte. Pendant
ce temps, le 28 mai, une flotte ottomane, sous le
commandement du célèbre marin Kemal Re’is (Raïs), captura
Navarin en coopération avec les forces terrestres. Dans
cette bataille, trois galères et un galion furent capturés
aux chrétiens. La flotte espagnole sous le commandement de
Gonsalvo Fernando, attaquant les côtes anatoliennes,
infligea de gros dégâts en incendiant et en pillant. Des
sources ottomanes rapportent qu’en juillet 1501, la flotte
chrétienne débarqua à Cheshme près de Smyrne et massacra la
population.
Il est à noter qu’au cours de ces années, les nations
chrétiennes attaquant la patrie ottomane et les Dardanelles
démontrèrent, dans l’ensemble, leur supériorité navale et
leur contrôle des mers. En 1502, cela devint encore plus
prononcé. Alors qu’une flotte vénitienne effectuait une
attaque surprise contre Thessalonique et Makri (sur la côte
thrace), la principale flotte alliée, Rhodes, France, le
Pape et Venise, fit un débarquement sur l’île de Leucas
(Santa Maura) et s’empara de la forteresse. Dans ces
circonstances, les Ottomans furent bien disposés à accepter
les offres de paix vénitiennes. En 1502, alors que Bayazid
menaçait Venise de préparer une immense armada de cinq cents
navires, ses Vizirs mentionnèrent à Valerio Marzello, le
bailli vénitien, maintenant libéré de prison, les avantages
de la paix. Au même moment, l’ambassadeur hongrois
d’Istanbul exerçait des pressions sur le Sultan pour la paix
et un traité fut conclu à Istanbul le 10 août 1503.
Un accord avec Venise fut rédigé en septembre 1502 et signé
le 14 décembre, mais en raison de l’insistance ottomane sur
le retour de Leucas et sur le paiement d’une indemnité de
guerre, l’acte de ratification final fut retardé jusqu’au 10
août 1503. Finalement Venise accepta de rendre Leucas et,
comme dans le traité de 1479, de payer une somme annuelle de
10000 ducats d’or aux Ottomans. En échange, les Ottomans
acceptèrent de permettre la résidence d’un bailli permanent
dans la capitale ottomane et de restituer les biens
confisqués pendant la guerre, ainsi que de céder l’île de
Céphalonie aux Vénitiens. Les Ottomans, cependant,
conservèrent leurs conquêtes en Morée, Lépante, Modon, Coron
et Durazzo en Albanie.
La conclusion de l’accord de paix entre les Ottomans et les
Vénitiens rencontrèrent la désapprobation du Pape et du
reste du monde chrétien. Sans Venise, la croisade ne
pourrait se poursuivre. Malgré les efforts du Pape Jules II
(1503-1513), Venise resta fidèle à la paix avec le Sultan.
Au même moment, suivant les traces de Timour et de Hasan
Ouzoun, Shah Ismaël (1501-1524), fondateur de la dynastie
safavide (shiite) en Perse et rival acharné des Ottomans
(sounnites) en orient, s’approcha de Venise pour une attaque
conjointe contre l’Empire Ottoman. En 1508, l’ambassadeur du
shah à Venise fut bien accueilli par le Doge Leonard Loredan
(1501-1521). Tout en exprimant son intérêt pour une
coopération future avec la Perse, le Doge expliqua que ce
n’était pas le moment pour Venise de rompre l’accord de paix
avec les Ottomans.
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