Souleyman Bacha, le seigneur de la frontière ottomane à Smederevo, demanda au Hongrois de Machva, Nicolas d’Ujlak, un adversaire du Roi Ladislas VI (1490-1516), de reconnaître la suzeraineté ottomane, et de rendre Belgrade, promettant d’ajouter à ses possessions les forteresses ottomanes de Hisar Alaja (Krusevac) et de Zvornik. Bayazid, qui lui-même n’accorda pas beaucoup de crédit à la disposition apparemment favorable du Hongrois et suggéra qu’au cas où il changerait d’avis sur la reddition de Belgrade, l’armée devrait changer sa destination vers la Mer Adriatique pour écraser les rebelles albanais et subjuguer Monténégro. Lorsqu’il se trouva à Sofia à la tête de son armée, il apprit que l’interdiction hongroise avait en effet changé d’avis et que les Hongrois s’étaient unis pour résister au Sultan, il partit donc avec le gros de son armée pour envahir le nord de l’Albanie. Sur le front hongrois, les raids sous les Begs frontaliers, ‘Ali Mihaloghlu et Souleyman Bacha, ainsi que le blocus de Belgrade, furent déjoués par une résistance hongroise acharnée.


Avant de quitter Istanbul pour cette campagne le 6 avril 1492, Bayazid montra son intention de maintenir la paix avec le Pape en envoyant un envoyé à Innocent VIII avec 40000 ducats d’or ainsi que de précieuses reliques, y compris la présumée tête de fer de la lance qui perça les flancs de Jésus (Paix sur lui et sa mère) lors de la crucifixion, qu’Innocent avait spécifiquement demandée par l’intermédiaire de son ambassadeur Bocciardi. La remise des 40000 ducats et les dons généreux étaient en effet une indication positive de la politique d’apaisement de Bayazid envers le Pape et de l’existence d’un accord entre les deux parties sur la garde de Jem et le maintien de la paix.


Venise, la seule puissance maritime capable de freiner les Ottomans, choisit d’éviter les conflits et continua à honorer l’accord de 1479. C’est sans doute Venise parmi toutes les puissances occidentales qui exploita le mieux la situation de Jem vis-à-vis des Ottomans. Tout en fonctionnant comme une source d’information indispensable pour le Sultan concernant la position de Jem en Europe, Venise utilisa le conflit entre les Ottomans et les Mamelouks, suzerains nominaux de Chypre, et en 1489 réussit à mettre l’île sous son règne direct. Les Mamelouks ni les Ottomans, qui étaient en guerre les uns avec les autres, étaient en mesure de remettre en cause la prise du contrôle vénitien de Chypre. Alors que le Pape fut encouragé par la République à entrer en négociations avec le Sultan Mamelouk pour la livraison de Jem, un ambassadeur vénitien, Peter Diedo, fut envoyé à la hâte au Caire pour expliquer au Sultan Mamelouk Qaytbay que la revendication vénitienne de souveraineté sur Chypre était une mesure prise uniquement pour empêcher que l’île ne tombe entre les mains des Ottomans. En outre, Diedo affirma que puisque les Mamelouks n’avaient pas de flotte pour protéger Chypre, la possession vénitienne de l’île serait bénéfique aux deux parties. Venise accepta toutes les conditions qui avaient été imposées par les Mamelouks à la dynastie Lusignan de Chypre, y compris le paiement d’un tribut annuel de 8000 ducats d’or.

La perte de Chypre au profit de Venise fut, jusqu’en 1571, un revers irréparable pour les Ottomans de la Méditerranée orientale. Par ailleurs, Venise renforça sa position sur la voie navigable vitale entre Avlona et l’Italie en obligeant la Porte à reconnaître la souveraineté vénitienne sur l’île de Zante par un accord conclu le 22 avril 1494. Elle renforca également les fortifications de Corfou, point clé de l’empire maritime vénitien. Ainsi, une opération navale contre les possessions vénitiennes dans la Morée et la Mer Adriatique, ainsi qu’une attaque ottomane contre l’Italie, furent rendues stratégiquement impraticables, et la menace d’Avlona, ​​la seule base ottomane importante en dehors des Dardanelles, fut considérablement réduite.

 

À partir de 1491, cependant, les relations vénitiennes-ottomanes devinrent de plus en plus tendues. La rivalité pour le contrôle de la côte albanaise et montagnarde, ainsi que la situation difficile dans la Morée, où Vénice contrôlait les ports et les bases navales les plus importants, y compris Navarin, Modon, Coron, Monemvasia et Nauplie, étaient parmi les facteurs qui créèrent une atmosphère explosive. L’arrivée de la flotte ottomane sur la côte albanaise et l’invasion inattendue de l’Albanie par une armée sous le commandement du Sultan lui-même constituaient une menace directe pour l’Italie et les possessions vénitiennes de la Mer Adriatique. Une flotte vénitienne fut envoyée à Corfou et les fortifications de l’île furent considérablement renforcées. Le débarquement d’une force frontière ottomane à Gasha, à seulement quinze milles de Senj lui-même, provoqua l’alarme à Venise, et la République demanda au Pape d’exiger, en utilisant la menace de Jem, que le Sultan évacue la forteresse. La crainte d’une invasion ottomane de l’Italie rapprocha Venise, Milan et la papauté, et une ligue fut formée le 25 avril. Venise soutenait maintenant activement le Pape dans son effort de croisade et l’assura de sa pleine participation. Elle demanda même que le Pape mentionne dans l’accord que Jem serait remis à Venise. La République promit d’ouvrir les hostilités dès que Maximilien déclarerait la guerre aux Ottomans, car selon la stratégie vénitienne, l’Autriche avait remplacé la Hongrie comme la puissance terrestre la plus forte dans une telle croisade.


La reprise des activités de ghazwa par les Ottomans agaça non seulement Venise mais aussi Maximilien, qui après la mort de Matthias Corvin en 1490 était devenu le protecteur des terres chrétiennes en Europe centrale. Maximilien, à la suite des attaques à grande échelle des forces de la frontière ottomane contre les terres voisines du Danube, devint un ardent défenseur d’une croisade contre les Ottomans. À la veille de l’invasion française de l’Italie, il favorisa même l’idée de la livraison de Jem au Sultan mamelouk en échange de promesses de rejoindre la ligue chrétienne.


L’agressivité ottomane après 1492 peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Les Ottomans avaient conclu la paix avec l’Égypte en 1491, à la demande urgente du dirigeant Hafside Zakariyyah II de Tunisie, alarmé par la reconquête espagnole. La chute de Grenade le 31 janvier 1492, célébrée comme une riposte chrétienne à la conquête de Constantinople, donna lieu à une intensification de l’esprit ghazi dans le Monde Islamique en général. De plus, après la mort de Matthias Corvin et les confusions internes qui s’ensuivirent en Hongrie, les Ottomans espéraient prendre Belgrade, augmentant ainsi la pression à travers les opérations des forces frontalières contre les dominions autrichien et hongrois.


En 1492, lors d’un raid à grande échelle en Croatie, de lourdes pertes ottomanes, soit dix mille hommes, furent subies lorsque l’armée tomba dans un piège près de Villach. Mais le raid réussi en 1493 sous l’habileté général Ya’qoub Bacha, gouverneur de Bosnie, en Slovénie, en Croatie et en Basse-Styrie fut couronné par sa victoire à Corbova (Krbava) le 9 septembre. L’année suivante, les raids à grande échelle se poursuivirent en Croatie et en Transylvanie, et Paul Kinizsi, commandant de la frontière hongroise, fit des raids de représailles sur la Serbie ottomane. Ainsi, une situation grave se posa également en Europe centrale, au sujet de laquelle le Pape Alexandre VI (1492-1503) se déclara très préoccupé lors de ses négociations avec la Porte. Une trêve entre la Hongrie et les Ottomans ne fut conclue qu’au début de 1495, lorsque l’invasion de l’Italie par Charles VIII provoqua une réaction générale contre la France en Europe. Les Ottomans concentrèrent alors leurs forces contre la Pologne.


En 1494, le Pape et le Roi de Naples s’étaient unis contre les Français pour tenter d’arrêter Charles VIII dans son invasion de l’Italie et avaient utilisé la menace d’une intervention ottomane. À présent, la politique italienne d’Alexandre était en conflit ouvert avec le plan de croisade. En réponse, les adversaires du Pape, Charles VIII et les cardinaux pro-français, dénoncèrent le Pape pour avoir trahi les intérêts de la chrétienté en établissant des liens secrets avec le Sultan Ottoman. En effet, la politique papale consistant à tenter d’utiliser le pouvoir ottoman contre ses ennemis immédiats, tout en poursuivant ses plans de croisade, est un exemple spectaculaire de la diplomatie pragmatique de l’équilibre des pouvoirs de l’Italie de la Renaissance.


Menacé par une invasion française, le nouveau roi de Naples, Alfonso II (1494-1495), désormais soutenu par le Pape, précipita son agent Camillo Pandone à Istanbul pour demander une aide militaire, un contingent de six mille soldats ottomans. Il s’est dit prêt à les payer, c’est-à-dire à les employer comme mercenaires, une pratique employée pendant des siècles par d’autres gouvernements chrétiens à Byzance et dans les Balkans.


L’envoyé d’Alexandre, le Génois Giorgio Bocciardi, était déjà à Istanbul. Sous prétexte qu’il avait besoin d’argent immédiatement pour préparer la résistance contre l’invasion française de l’Italie, le pape demanda que l’indemnité annuelle pour Jem soit envoyée à l’avance. L’envoyé du Pape déclara à Bayazid que le Roi de France prévoyait de capturer Jem, de prendre le royaume de Naples et, de là, d’attaquer l’Empire Ottoman. Alexandre appela également Bayazid en tant que véritable ami à faire pression sur Venise pour qu’elle abandonne sa neutralité et rejoigne la résistance contre les Français. Bayazid réagit promptement et envoya trois ambassadeurs en Italie pour encourager la papauté, Naples et Venise à résister à Charles VIII. Les ambassadeurs arrivèrent en Italie en novembre 1494, au moment où Charles entrait à Florence (17 novembre). A Venise, le 21 novembre, l’envoyé ottoman, qui était surveillé avec inquiétude par l’ambassadeur de France Philippe de Commines, critiqua la République pour sa neutralité et menaça de lancer une attaque ottomane contre l’Italie si Venise refusait de rejoindre la résistance.


Le 20 novembre, Qasim Chawoush, qui avait été envoyé avec l’argent demandé pour Jem (40000 ducats d’or), accompagné de Bocciardi, fut attaqué par des partisans français près d’Ancône. Tout l’argent et les lettres du Sultan au Pape furent capturés. Le lendemain à Florence, le roi de France, tentant de rivaliser avec Maximilien, fit une déclaration avant sa marche vers Rome que son but dans cette campagne était de combattre le Turc et de délivrer les lieux saints. Pour humilier Alexandre, les lettres saisies, au nombre de cinq, ainsi que le témoignage de Bocciardi sur l’accomplissement de sa délégation, furent aussitôt publiées à Florence. Le document le plus incriminant pour le chef de l’église était la lettre du Sultan proposant que le Pape assassine Jem et offrait 300000 ducats pour la livraison du cadavre aux hommes du Sultan dans l’un des ports ottomans. Bayazid promettait également qu’aucun état chrétien ne ferait l’objet d’attaques, et pour montrer sa bonne foi, le Sultan avait même prêté serment sur le Coran en présence de Bocciardi. S’il n’y a aucun doute sur l’authenticité des autres lettres, écrites en grec avec le monogramme du Sultan, celle, en latin, est considérée par certains savants comme un faux.

 

Déserté par les puissances chrétiennes, le Pape dut finalement se mettre d’accord, le 15 janvier 1495, sur tous les points sur lesquels le Roi de France avait insisté, comme préalable à son plan de croisade contre les Ottomans : la délivrance de Jem et le libre passage sur le territoire papal pour l’occupation du royaume de Naples. Charles VIII entra triomphant à Naples le 22 février. Trois jours plus tard, Jem mourut subitement, évoquant les accusations habituelles de meurtre ; la base du confinement de Bayazid mourut avec lui. Charles abandonna les plans de croisade contre les Turcs et tourna son attention vers ses ennemis européens, mais ce n’est qu’en 1499 que le corps de Jem fut rendu à Bayazid par Frederick, roi de Naples (1497-1501).


La coalition anti-française du 31 mars 1495, liant le Pape Alexandre VI, l’Empereur Maximilien, Venise, Milan et Ferdinand et Isabella d’Espagne dans une soi-disant Sainte Ligue contre l’Islam, fut suivie par le déclenchement des guerres d’Italie, impliquant la chrétienté occidentale dans une longue lutte interne dont le Sultan Souleyman Ier, « le Magnifique » (1520-1566), profiterait en étendant son empire en Europe centrale. Le nouveau modèle de diplomatie en Occident, introduit dans l’Italie de la Renaissance au XVe siècle, amènera au XVIe l’Empire Ottoman dans le système d’état européen dans une alliance avec la France contre les Habsbourg.


Après la mort de Jem, les Ottomans continuèrent d’être l’un des éléments importants de l’équilibre des pouvoirs en Italie. Ils suivirent avec une grande inquiétude les progrès des négociations pour une alliance entre Venise et Louis XII contre Milan, pour une alliance entre la grande puissance navale, Venise et la France pourrait en effet conduire à la réalisation d’une croisade. Bayazid adopta une attitude de soutien envers les dispositions anti-vénitiennes de Naples, Mantoue et Florence, rivales de la république. En échange d’une assistance militaire ottomane, c’est-à-dire de l’approvisionnement en forces mercenaires, ces états offrirent de payer annuellement 50000 ducats d’or.


Le gouvernement ottoman appliqua strictement son interdiction d’exportation de céréales vers Venise, ce qui était d’une importance vitale pour la République. Soucieuse d’éviter le déclenchement d’une guerre avec l’Empire Ottoman, Venise présenta plusieurs propositions de conciliation. En 1497-1498, l’ambassadeur de Venise Andrew Zanchani offrit un tribut annuel de 3000 ducats d’or pour la possession pacifique de Céphalonie et Cattaro (Kotor), tout en acceptant de renoncer à ses prétentions sur le territoire de Monténégro. Cependant, pour confirmer sa souveraineté sur les zones côtières du Monténégro, Venise envoya une flotte dans la baie de Cattaro en juin 1497.


Les Ottomans réalisèrent tout au long de la période de l’affaire Jem que sans une marine forte, ils ne pourraient pas se sentir en sécurité dans leur position dans les Balkans et exercer une influence effective sur le cours des événements en Italie. Après 1489, les Ottomans poursuivirent fébrilement leurs efforts pour renforcer leur flotte. En 1497, ils commencèrent la construction aux chantiers navals d’Istanbul de deux énormes koke (coques ou nefs) de 1800 tonnes, considérés comme les plus grands navires de guerre de l’époque. Le 16 juin 1499, la flotte ottomane se mit enfin en route des Dardanelles vers Ténédos (Bozja-ada), provoquant la propagation de l’alarme de Rhodes à l’Egypte et Venise. Après l’arrestation de tous les sujets vénitiens dans les dominions ottomans, ce qui signifiait une déclaration de guerre contre Venise, on apprit que le véritable objectif de l’expédition était la Morée. Tandis qu’une force de grande taille était envoyée comme distraction contre les possessions vénitiennes en Dalmatie et en Albanie sous Iskandar Bacha, le commandant de la frontière en Bosnie, une autre armée sous le commandement du Beglerbeg de Roumélie, Mustafa, était simultanément dirigée vers Lépante.


Le succès des opérations militaires dépendait de la capacité de la marine ottomane à repousser les forces navales vénitiennes et à achever l’encerclement de Lépante depuis la mer. Le Sultan lui-même, sur les pâturages d’été de la Grèce, attendait avec impatience la nouvelle de l’arrivée de la flotte. Comme les Ottomans n’avaient pas de base dans la Morée, la flotte éprouva de grandes difficultés et des retards dans l’approvisionnement et les renforts sur le chemin de Lépante. Lors de la bataille navale, qui eut lieu près de l’île de Prote (Prodano ou Barak-ada) le 12 août 1499, les Vénitiens ne réussirent pas à intercepter la flotte ottomane et subirent des pertes. À trois reprises, la flotte vénitienne, renforcée par les escadrons français et rhodien, tenta de bloquer la progression de la marine ottomane vers le golfe de Corinthe. De chacune de ces escarmouches, les Ottomans sortirent avec succès. Le 25 août, après trente-trois jours de poursuite constante par la flotte alliée, les forces navales ottomanes atteignirent finalement Lépante et la flotte vénitienne se replia sur sa base de Corfou. En voyant l’arrivée de la marine turque et le retrait de la flotte vénitienne, le commandant de la place se rendit le 28 août 1499. La victoire fut particulièrement importante puisque c’était la première fois que la marine ottomane avait réussi à défier les Vénitiens en pleine mer.

 

La chute de Lépante suscita de vives inquiétudes concernant le danger ottoman en Europe. En automne 1499, le Pape Alexandre VI appela les états européens à s’unir pour une croisade et, en mai 1500, ordonna la collecte d’une dîme de croisade. Dans sa bulle de croisade du 1er juin 1500, il insista sur le danger de l’invasion de l’Italie par les Ottomans, car il dit que les Ottomans avaient désormais une marine plus forte et commencé à s’emparer de tous les ports stratégiques sur les côtes. Les Vénitiens, pour leur part, faisaient tout leur possible pour convaincre Ladislas, le Roi de Hongrie, de se joindre à la croisade et d’impliquer pleinement le Roi de France Louis XII, leur allié (1494-1500), dans la guerre de Venise contre le Sultan ; une escadre française avait déjà coopéré avec Venise contre les Ottomans en 1499. Les diplomates vénitiens tentèrent également d’inciter John Albert, Roi de Pologne (1492-1501), à rejoindre la croisade, car à la suite des ambitions du roi en Moldavie, la Pologne avait été envahi à deux reprises par de grandes armées sous le commandant de frontière Bali Beg en 1498. Bayazid pensa pouvoir déjouer les plans de croisade par la diplomatie, envoyant un envoyé faire pression sur le roi hongrois pour qu’il signe un traité de paix et un autre à Rome en février 1500 pour essayer de voir le Pape.


L’année suivante, lorsque les Vénitiens et les Français firent des propositions de paix, les Ottomans répondirent hautainement, exigeant le paiement d’un tribut annuel ainsi que la reddition de Coron, Modon et Nauplie en Morée. Face à ces demandes excessives, Venise chercha à convertir sa guerre contre les Ottomans en une croisade européenne à grande échelle. Du fait, le Pape entrepris des étapes sérieuses pour sa préparation parmi les nations chrétiennes, y compris la Valachie, la Moldavie et même la Russie. De son côté, Bayazid encouragea les rivaux de Venise en Italie et permit l’établissement d’un consul florentin à Istanbul, en plus de promettre une grande aide militaire à Naples, mais en insistant en retour pour qu’ils rendent Otrante. Ainsi, après avoir éliminé la question de Jem, les Ottomans revinrent sans hésiter à la politique expansionniste du temps de Muhammad le Conquérant.


Dans la saison de campagne suivante, le but ottoman était la capture des forteresses de Modon et Coron dans la Morée. En raison des retards dans l’arrivée de l’artillerie lourde transportée par les navires, le siège de Modon, lourdement fortifié par les Vénitiens, fut prolongé. Bien que le siège ait commencé en mars, la flotte n’arriva que le 17 juillet ; ce n’est qu’après son arrivée que la forteresse fut encerclée par terre et mer. Malgré l’intervention de la flotte vénitienne, Modon tomba après un dernier assaut le 10 août 1500. Suite à la capture ottomane de Modon, Coron se rendit sans résistance une semaine plus tard.


À l’arrivée de la nouvelle de la chute de Modon et Coron, le Pape envoya trois légats aux gouvernements européens pour les exhorter à se joindre à la croisade et à coopérer à la collecte des dîmes de croisade. Alexandre particulièrement désireux de rejoindre les Français à Naples contre le Roi Frédéric (1497-1501) pour la partition du royaume de Naples, rejoignit donc la Ligue franco-espagnole le 29 juin 1501. Les alliés déclarèrent que le la partition était une étape nécessaire pour assurer la paix et l’unité contre les Ottomans, tandis que Frédéric plaçait ses espoirs dans l’intervention et l’aide du Sultan. Lodovico, Duc de Milan, également connu comme le protégé du Sultan, tenta de rompre l’alliance vénitienne-française en promettant à Venise ses bons offices pour une paix avec la Porte.

 

Une flotte croisée composée de navires français, vénitiens, papaux et espagnols partit à l’automne et s’empara facilement de l’île de Céphalonie et de la forteresse de Navarin (le 3 décembre 1500), qui étaient aux mains des Ottomans depuis août. Cependant, les Ottomans étaient en alerte et avaient assigné ‘Ali Khadim à la garde de la Morée pendant qu’Iskandar Bacha attaquait les possessions vénitiennes en Dalmatie.


En 1501, les flottes chrétiennes entreprirent individuellement des raids, causant des difficultés aux Ottomans. Les forces vénitiennes, qui tentaient de débarquer à Avlona, ​​furent d
étruites le 15 août 1501 par les Ottomans, qui conquirent alors Durazzo. Un escadron allié de quatre-vingts navires, dont quarante galères, débarqua des forces sur Lesbos et commença le siège de Mytilène, sa capitale. Cette décision menaçait Istanbul elle-même. Les navires français, au nombre de vingt-six, s’embarquèrent pour les Dardanelles pour bloquer l’arrivée de la marine turque, selon un rapport ottoman. Les Ottomans éprouvèrent de grandes difficultés à apporter des renforts aux assiégés d’Anatolie. Et, comme c’était en dehors de la saison régulière de campagne, il fut difficile pour les Ottomans de mobiliser la marine. Finalement, lorsqu’une armée de terre sous Hersekzade et le Beglerbeg d’Anatolie atteignit les côtes opposées à l’île, ils découvrirent que l’ennemi avait déjà levé le siège et quitté l’île avec sa flotte. Pendant ce temps, le 28 mai, une flotte ottomane, sous le commandement du célèbre marin Kemal Re’is (Raïs), captura Navarin en coopération avec les forces terrestres. Dans cette bataille, trois galères et un galion furent capturés aux chrétiens. La flotte espagnole sous le commandement de Gonsalvo Fernando, attaquant les côtes anatoliennes, infligea de gros dégâts en incendiant et en pillant. Des sources ottomanes rapportent qu’en juillet 1501, la flotte chrétienne débarqua à Cheshme près de Smyrne et massacra la population.


Il est à noter qu’au cours de ces années, les nations chrétiennes attaquant la patrie ottomane et les Dardanelles démontrèrent, dans l’ensemble, leur supériorité navale et leur contrôle des mers. En 1502, cela devint encore plus prononcé. Alors qu’une flotte vénitienne effectuait une attaque surprise contre Thessalonique et Makri (sur la côte thrace), la principale flotte alliée, Rhodes, France, le Pape et Venise, fit un débarquement sur l’île de Leucas (Santa Maura) et s’empara de la forteresse. Dans ces circonstances, les Ottomans furent bien disposés à accepter les offres de paix vénitiennes. En 1502, alors que Bayazid menaçait Venise de préparer une immense armada de cinq cents navires, ses Vizirs mentionnèrent à Valerio Marzello, le bailli vénitien, maintenant libéré de prison, les avantages de la paix. Au même moment, l’ambassadeur hongrois d’Istanbul exerçait des pressions sur le Sultan pour la paix et un traité fut conclu à Istanbul le 10 août 1503.


Un accord avec Venise fut rédigé en septembre 1502 et signé le 14 décembre, mais en raison de l’insistance ottomane sur le retour de Leucas et sur le paiement d’une indemnité de guerre, l’acte de ratification final fut retardé jusqu’au 10 août 1503. Finalement Venise accepta de rendre Leucas et, comme dans le traité de 1479, de payer une somme annuelle de 10000 ducats d’or aux Ottomans. En échange, les Ottomans acceptèrent de permettre la résidence d’un bailli permanent dans la capitale ottomane et de restituer les biens confisqués pendant la guerre, ainsi que de céder l’île de Céphalonie aux Vénitiens. Les Ottomans, cependant, conservèrent leurs conquêtes en Morée, Lépante, Modon, Coron et Durazzo en Albanie.


La conclusion de l’accord de paix entre les Ottomans et les Vénitiens rencontrèrent la désapprobation du Pape et du reste du monde chrétien. Sans Venise, la croisade ne pourrait se poursuivre. Malgré les efforts du Pape Jules II (1503-1513), Venise resta fidèle à la paix avec le Sultan. Au même moment, suivant les traces de Timour et de Hasan Ouzoun, Shah Ismaël (1501-1524), fondateur de la dynastie safavide (shiite) en Perse et rival acharné des Ottomans (sounnites) en orient, s’approcha de Venise pour une attaque conjointe contre l’Empire Ottoman. En 1508, l’ambassadeur du shah à Venise fut bien accueilli par le Doge Leonard Loredan (1501-1521). Tout en exprimant son intérêt pour une coopération future avec la Perse, le Doge expliqua que ce n’était pas le moment pour Venise de rompre l’accord de paix avec les Ottomans.