La conquête d’Akcha-Hisar (Croia)

 

La forteresse d’Akcha-Hisar était encore plus résistante qu’Iskandariye.

Les Albanais s’étaient rebellés contre les Ottomans surtout parce qu’ils avaient confiance en l’invulnérabilité de cette forteresse. Elle avait été assiégée pendant six mois par le Sultan Mourad, qui avait finalement renoncé à la tentative sans lancer un dernier assaut. Le Sultan Muhammad prit tout d’abord le contrôle de toutes les routes maritimes et terrestres par lesquelles les approvisionnements ou les renforts pouvaient atteindre la forteresse et prévoya de l’assiéger et de la prendre.

À son retour d’Iskandariye, il marcha sur Akcha-Hisar. Les défenseurs de la forteresse demandèrent quartier mais lorsqu’il devint clair qu’ils s’étaient rendus à cause du manque de provisions, le Sultan ordonna que les défenseurs de la forteresse soient passé par l’épée.

 

La Mission de Ahmed Kadik à Pouilles et l’expédition de Massih Bacha à Rhodes

 

Tout ce que le Sultan s’était efforcé de réaliser pendant son règne se réalisa grâce à l’aide de d’Allah Exalté.

En l’an 884 (1479), il resta dans sa capitale et envoya des armées dans diverses régions. Il envoyé Ahmed Bacha Kadik avec une grande flotte à Boulya (Pouilles) où il captura la forteresse et converti les églises en mosquées.

 

En 855 (1480), Massih Bacha attaqua Rhodes avec une grande flotte et assiégea la forteresse. L’île fut subjuguée et pillée après de violents combats puis Massih Bacha retourna dans la capitale.

 

Les plans de Fatih pour la conquête de la Syrie et de l’Égypte

 

Bien que Fatih paraissait inactif, il se préparait en fait à une nouvelle grande entreprise. Au printemps 886 de l’Hégire (1481), il envoya aux provinces des ordres pour que les troupes se préparent pour une campagne lointaine. Il devint vite clair que la campagne devait être du côté anatolien de l’empire, mais personne ne savait si elle était contre l’Iran ou l’Arabie. Fatih traversa le Bosphore jusqu’à la côte anatolienne le 27 Safar 886 (27 avril 1481) et installa son camp. Lorsqu’il quitta son palais et traversa le Bosphore, sa maladie de longue date s’aggrava.

 

La mort du Sultan Muhammad

 

Lorsque le camp impérial fut installé dans un endroit appelé Takfour-Qaym, la maladie du Sultan s’aggrava et le jeudi 4 Rabi’ Awwal 886 (3 mai 1481), il décéda, puisse Allah Exalté lui faire miséricorde. Dès que le Sultan décéda, l’armée permanente et la maisonnée le chassèrent comme d’habitude de leur esprit et commencèrent à penser qui serait le prochain Sultan.

 

La situation pendant l’Interrègne et l’ascension de Bayazid

 

Afin d’éviter tout désordre jusqu’à l’arrivée du Sultan Bayazid de l’Eyalet de Roum, les responsables de l’état décidèrent de donner des pouvoirs temporaires à Korkoud, le fils de Bayazid, alors présent dans la capitale. Les troupes du Sultan furent ostensiblement envoyées pour garder Korkoud, mais en fait il protégeait le trône de son père. Par la suite, la situation se calma.

 

Le règne du Sultan Bayazid

 

Lorsque le Sultan Bayazid atteignit la région de Bolu, quelques Vizirs, Begs et hauts officiers de l’armée permanente allèrent à sa rencontre puis quand il arriva près d’Istanbul, tous les janissaires et la maison du Sultan sortirent et promirent leur allégeance au nouveau Sultan. Le Sultan les déploya à sa droite et à sa gauche et entra dans Istanbul en toute majesté le 22 Rabi’ Awwal 866 (21 mai 1481) pour prendre sa place sur le trône.

Des ambassadeurs vinrent de partout, d’Arabie, d’Iran, d’Europe, de Hongrie et de toutes les nations, pour le féliciter. Parmi eux, seul l’ambassadeur égyptien ne fut pas bien accueilli par le nouveau Sultan.

La raison de la froideur du Sultan était l’ingérence des Égyptiens dans les missions de bonne volonté envoyées par le dirigeant indien au père de Bayazid, le Sultan Muhammad. Les Indous avaient envoyé une mission avec de précieux cadeaux à Fatih. En retour, Fatih avait envoyé le Seyh Efdal ad-Din-oglu Muhammad Chalabi comme ambassadeur en Inde. A son retour de l’Inde, l’ambassadeur indien accompagna Muhammad Chalabi et ensembles, ils se rendirent au port de Jiddah chargés de cadeaux précieux pour le souverain ottoman. À ce moment-là, la nouvelle de la mort de Fatih et de l’accession de Bayazid atteignit l’Arabie et l’Iran.

Le Sultan d’Egypte retint les deux ambassadeurs, confisqua leurs biens et, en somme, ne montra pas le respect qui s’imposait au Sultan Bayazid, chose qu’il n’oubliera pas de sitôt. L’ambassadeur égyptien était venu demander pardon pour la détention de la mission indienne et restituer les biens saisis, mais ses excuses ne furent pas acceptées par le Sultan.

 

La conquête d’Ak-Kerman et Kili (Kilia)

 

La Moldavie, en raison de son incapacité à respecter les conditions de sa reconnaissance de la suzeraineté ottomane et de sa négligence à payer le tribut, méritait une forme de punition. Au printemps 889 de l’Hégire (1484), le Sultan partit par voie terrestre avec son armée tandis que la flotte procédait par mer avec des provisions et des forces navales.

 

Lorsque l’armée atteignit le Danube, un pont fut construit par lequel le Sultan et son armée passèrent de l’autre côté. Il marcha sur la forteresse de Kili, que feu le Sultan Muhammad n’avait pu assiéger et commença à bombarder ses murs avec des catapultes et des canons. Ceux du château demandèrent quartier et se soumirent aux Ottomans.

 

Après avoir ainsi facilement maîtrisé Kili, l’armée se dirigea vers Ak-Kerman, port prospère en raison de son rôle de point de passage des marchands de Kefe, de Russie, de la steppe ukrainienne (Dest), de Pologne et de Hongrie. Le fort fut complètement encerclé et ils commencèrent à marteler ses murs avec des coups de canon. L’ennemi rendit volontairement la forteresse après quatre ou cinq jours et fut donc gracié par le Sultan. Le prince de Moldavie s’enfuit en Pologne et son pays fut ainsi laissé vide et sans défense contre les ghazis ottomans qui attaquèrent dans tous les sens, faisant de nombreux prisonniers et un butin abondant.

Des qoudat et des sancak furent assignés et les deux forteresses furent intégrées aux terres de l’Islam.

Hormis Yildirim Bayazid Khan, aucun Sultan Ottoman n’avait remporté une victoire aussi remarquable sur ces terres. On dit que Yildirim nomma pour une courte période un qadi sur le territoire hongrois à Pragova. Après cette impressionnante victoire, la Pologne, la Bohême et la Hongrie craignirent tous l’avancée ottomane et se soucièrent de la sécurité de leur propre pays. Le Sultan ordonna également des raids contre leurs pays. Beaucoup de leurs forts et forteresses furent capturés et un butin important pris. Le Sultan retourna alors à Edirne.

 

La campagne contre les Mamelouks et la campagne moldave de ‘Ali Bacha

 

Au printemps 890 (1485) de l’Hégire, le Sultan envoya Karakoz Bek, qui était le gouverneur-tuteur du prince Shahinshah à Karaman, à la tête d’une armée renforcée par un contingent de l’armée du Sultan pour faire campagne en Arabie. Sur son chemin, Karakoz prit Adana, Tarse, Koulak, Alankoush et d’autres forteresses et réduit à la soumission les tribus turkmènes de Khoush-Timourlou, Kosounlou et Kara-Isalou.

 

Cette même année, le prince moldave lanca une attaque contre Kili. Le Sultan envoya donc ‘Ali Bacha, alors le Beylerbeyi de Roumélie, avec un contingent de l’armée régulière dans la capitale pour le punir. ‘Ali Bacha traversa le Danube avec l’aide de la flotte qui y attendait. Selon les ordres, il fortifia d’abord Kili, puis marcha sur la Moldavie. Le prince de Moldavie ne put résister à son assaut et se retira dans une région montagneuse. Profitant de son absence, ‘Ali Bacha donna aux troupes la permission de piller, et de nombreux prisonniers et beaucoup de butin furent saisis. La capitale du prince et son palais furent également incendiés. Après cette victoire, ‘Ali Bacha revint au côté du Sultan qui le nomma Vizir en retour de ses services.

 

Pour affronter le problème mamelouk, il fallait que le Sultan entreprenne lui-même une campagne contre eux, comme ses ancêtres l’avaient fait avant lui, mais Bayazid pensait qu’il était en dessous de sa dignité de commander personnellement une armée contre ces Sultans circassiens. Contre ces Sultans esclaves, il envoya ses propres esclaves. Indépendamment de son souhait de ne pas y aller, de grandes batailles eurent lieu.

 

Au printemps 893 (1488), il envoya ‘Ali Bacha contre les Mamalik ; Ahmed Bacha Hersek-zade fut envoyé à la tête d’une grande flotte. Dans cette flotte se rassemblèrent des navires à larges côtés tels que le mavuna et le ko’ke avec des galères rapides et d’autres navires plus petits. Les navires étaient chargés de canons, de mortiers, d’autres armes et la logistique de guerre. ‘Ali Bacha ne fut pas intercepté par l’ennemi lorsqu’il entra en territoire mamelouk.

Adana et Tarse furent de nouveau fortifiés et cinq ou six autres forteresses, dont Sis, furent prises. Pendant ce temps, Ahmed Bacha Hersek-zade arriva par la mer et captura la forteresse d’Ayas lors de pillages et de raids dans la région autour de Tarablous.

 

En raison du travail acharné dans la construction de forteresses et du climat insalubre dans la région, les soldats et les animaux furent épuisés. Lorsqu’ils furent consultés, certains des commandants pensèrent qu’il valait mieux faire demi-tour, mais ‘Ali Bacha décida de livrer bataille. Sur le champ de bataille, les Mamalik attaquèrent les deux flancs de l’armée ottomane. En raison de leur épuisement, les soldats ottomans ne purent repousser l’attaque. Les Mamalik  attaquèrent alors le centre des rangs ottomans qui était sous le commandement de ‘Ali Bacha. Cette fois, ‘Ali les repoussa et, se retournant contre la force qui avait attaqué ses deux flancs, les encercla et les passa par l’épée. À la tombée de la nuit, les Ottomans se retirèrent et leur train de ravitaillement fut attaqué par les Varsaks. Il fut donc décidé de retourner en direction de Karaman en raison d’un manque d’approvisionnement suffisant. Les troupes furent renvoyées à leur arrivée à Karaman, et ‘Ali Bacha retourna aux côtés du Sultan. Suite à cette bataille, les Mamalik approchèrent les Ottomans avec des propositions de paix. »

Fin de Tarikh Abou al-Fath

 

Ce n’est pas en vain que nous nous attardons sur la Biographie de Muhammad al-Fatih puisque c’est vraiment un exemple à suivre. Suivent donc plusieurs autres textes.

Il serait intéressant de voir le sujet du côté des occidentaux et la politique réelle derrière les biographies, un éternel conflit entre le Chrétienté et l’Islam. Bien que nous avons rapporté cela de manière détaillée dans notre Introduction à l’Histoire des Ottomans, j’ai choisi un document intéressant du fait qu’il confirme la tentative des Mamalik et des shiites de s’allier une nouvelle fois aux chrétiens pour détruire les Ottomans ainsi que la tentative de la prise de la Mecque et de Médine par les Chrétiens. Il est aussi intéressant du fait qu’il fait la jonction entre les deux Sultans Muhammad al-Fatih et Bayazid II.

Puisque mes ouvrages ne sont pas conventionnels et ne suivent pas les protocoles habituels, je n’ai rapporté aucune des sources mentionnées dans le texte qui suit cependant vous pouvez les trouver dans le texte original[1] et qui n’est pas de source musulmane, comme le titre l’indique.

 

Les Turcs Ottomans et les Croisades, 1451-1522

Muhammad le Conquéreur d’Empire, 1451-1481


Lors de l’accession de Muhammad II au trône en 1451, tous les ennemis des Ottomans étaient confiants, se souvenant de la condition désespérée de l’état turc lors de son premier sultanat (1444-1446). Les Balkans et l’Anatolie, ainsi que Byzance, proférèrent des menaces et lancèrent même des attaques contre les Ottomans. En Anatolie, Ibrahim Beg de Karaman prit non seulement pris le contrôle de plusieurs forteresses dans la région de Khamid, mais encouragea également les prétendants à intensifier leurs activités dans les provinces de Germiyan, Aydin et Menteshe. Dans ces circonstances menaçantes, Muhammad II se déplaça pour confirmer les traités conclus sous le règne de son père avec les Serbes et les Byzantins. Il accepta de céder Hisar Alaja (Krusevac) et quelques autres forteresses frontalières au despote serbe George Brankovich (1427-1456). Quant à l’Empereur Byzantin Constantin XI (1448-1453), non seulement il prit le contrôle de zones s’étendant jusqu’à Chorlu, mais il exigea également qu’un paiement annuel de 300000 akcha soit payé pour couvrir les dépenses du prétendant Orkhan Chelebi (Chalabi), qui était séquestré à Constantinople.


Muhammad envoya Karaja Bacha à Sofia pour contrer une éventuelle attaque des Hongrois, alors qu’il partit lui-même avec l’armée en mai pour faire face à la situation en Anatolie. Alors que Muhammad marchait vers l’est, les envoyés byzantins lui adressèrent de nouvelles exigences, menaçant de libérer le prétendant Orkhan Chelebi. En cédant le port et la forteresse d’Alanya, Muhammad chercha à conclure un règlement pacifique avec le Karamanide Ibrahim Beg et prépara un retour rapide à Andrinople (Edirne). Lorsque les janissaires demandèrent une augmentation des salaires, il réorganisa le corps, donnant une preuve décisive de sa résilience et de sa puissance. Mais en tant que chef ghazi, il avait besoin de victoires militaires rapides comme preuve de sa capacité et de son engagement à restaurer la supériorité islamique dans les Balkans.

Afin d’établir son autorité, Muhammad et son ancien précepteur Zaganos résolurent de prendre l’offensive. Au retour de la campagne Karaman, il donna des ordres à Khalil Bacha Chandarli en août 1452 pour la construction d’une forteresse, Hisar Roumélie, sur la rive européenne du Bosphore en face de Hisar Anadolu, comme un premier pas vers un siège de Constantinople. Ainsi, la ville était complètement coupée des sources de son approvisionnement alimentaire via la Mer Noire, et les renforts de l’armée ottomane pouvaient passer librement d’Anatolie.


Khalil Bacha Chandarli, un diplomate compétent, avait déjà pris des mesures pour assurer la neutralité de Venise en renouvelant les termes de l’accord vénitien-ottoman le 10 septembre 1451, et avait accueilli les demandes vénitiennes en ce qui concerne la question de l’exportation de blé, une question sensitive pour Venise. De même, un armistice de trois ans avec la Hongrie avait été signé le 20 novembre 1451, accordant à nouveau des concessions. À l’automne de 1452, les seigneurs de la frontière ottomane de la Morée prirent l’offensive, mais, bien que l’Empereur Byzantin ait envoyé un envoyé à Venise pendant l’hiver 1451-1452, il ne réussit pas à inciter l’Occident à l’action militaire. Il y avait une croyance générale dans l’Europe chrétienne à cette époque que les Ottomans n’assumeraient pas immédiatement le siège de Constantinople.


En fait, Muhammad II pensait que le grand Vizir, Khalil Chandarli, présentait le plus grand obstacle à son plan de conquête de Constantinople. Chandarli craignait qu’en cas de conquête réussie, il perde toute son influence, alors qu’un revers militaire majeur placerait l’État Ottoman dans une position dangereuse. Le jeune Sultan croyait que Chandarli pourrait ne pas coopérer pleinement avec lui dans son attaque. Dans un conseil de guerre avant le siège, la politique guerrière du Sultan fut accueillie avec enthousiasme par ceux comme Zaganos qui espéraient que leur propre pouvoir bénéficierait des changements qu’apporterait la victoire. Le parti le plus prudent, représenté par Khalil Chandarli mit l’accent sur l’imprégnabilité des murs, ainsi que sur les dangers de l’ouest, mais le parti de la guerre, avec le Sultan à sa tête, était majoritaire et Chandarli dû acquiescer.

 

Pendant le siège proprement dit, qui dura cinquante-quatre jours (du 6 avril au 29 mai), ces points de vue opposés allaient revenir au premier plan à deux moments critiques. Le résultat du siège dépendait en grande partie du facteur temps. Tant les Byzantins que les Ottomans furent influencés tout au long du siège par des rumeurs sur l’approche des forces terrestres ou navales pour aider la ville. Dans la dernière semaine de mai, le mot que Jean Hunyadi avait traversé le Danube et qu’une flotte de croisés s’était mise en route pour le Bosphore se répandit parmi l’armée ottomane. Ces rumeurs et les tentatives du Sultan pour obtenir la reddition de la ville par des offres de paix engendrèrent des inquiétudes et des troubles parmi les troupes ottomanes, qui critiquèrent le jeune Muhammad pour avoir « exposé son peuple et l’état à la destruction totale en s’engageant dans une entreprise dont l’accomplissement était impossible. » Dans le conseil de guerre qui fut alors convoqué, Chandarli attira de nouveau l’attention sur les dangers qu’impliquait la provocation du monde occidental et souligna la nécessité de mettre fin à cette dangereuse guerre en parvenant à une sorte d’entente avec les Byzantins. Les arguments de Chandarli furent contrés par Zaganos, qui déclara sa conviction que les dirigeants chrétiens échoueraient, comme par le passé, à s’unir pour une action commune, et que même s’ils étaient capables d’une manière ou d’une autre de déployer une armée, les forces ottomanes supérieures étaient égales à leur défi. Sur ce, la décision fut prise de lancer une attaque générale le 29 mai, et il fut laissé à Zaganos le soin d’organiser l’attaque. Le Sultan proclama en ces termes : « Les pierres [les bâtiments] et le terrain de la ville et ses dépendances m’appartiennent ; tous les autres biens et biens, prisonniers et denrées alimentaires sont un butin pour les troupes. Trois jours de sac ont été accordés. »


Les sources occidentales et turques conviennent que le succès éventuel des Ottomans est principalement le résultat de deux événements : la rupture des murs par le bombardement de l’artillerie ottomane et les disputes qui éclatèrent entre les Byzantins et les Latins défendant la ville. Après la blessure et le retrait du combat du commandant suprême génois Jean Giustiniani-Longo, toute la défense s’effondra. L’armée ottomane entra dans la ville par une grande brèche faite par bombardement dans le mur. L’Empereur Constantin fut tué au corps à corps (zerma !). Les sources ottomanes et byzantines s’accordent également à dire que Muhammad le Conquérant (Fatih) ressentit de la tristesse alors qu’il visitait la ville pillée, sa future capitale. Les habitants furent réduits en esclavage et emmenés, soit dans les tentes de l’armée à l’extérieur de la ville, soit sur des bateaux. Après avoir visité Hagia Sofia, il proclama « à ses Vizirs, ses commandants et ses officiers que désormais sa capitale serait Istanbul. »


La conquête de Constantinople ouvrit un nouveau chapitre dans l’histoire des activités de croisade en Europe. Jusqu’à la mort de Muhammad II en 1481, les papes firent tout leur possible pour convaincre les nations occidentales que l’organisation d’une croisade sous la direction papale était la tâche la plus immédiate et la plus urgente à laquelle l’Europe était confrontée. Dans cette nouvelle phase des activités de croisade, le discours principal était que la chrétienté occidentale elle-même était désormais directement en danger d’un Islam agressif et qu’une croisade, si elle était lancée, défendrait l’Europe et sa civilisation chrétienne. Le but immédiat d’une croisade n’était plus la délivrance des lieux saints mais de Constantinople et l’expulsion des Turcs d’Europe. Dans son vœu pour une croisade, Calixte III (1455-1458) demandera pardon pour avoir reporté pour un temps le but sacré de reprendre les lieux saints.


Le succès ottoman modifia radicalement la situation stratégique aux dépens de l’Europe chrétienne. Pour la chrétienté occidentale, la conséquence peut-être la plus importante de la conquête ottomane fut la perte du contrôle européen du détroit, qui priva l’occident d’un avantage stratégique important, la capacité de couper les communications entre les territoires européens et asiatiques de l’Empire Ottoman. Bien que cette stratégie ne se soit jamais révélée aussi efficace que les plans de croisade l’avaient demandé, en grande partie à cause de l’intransigeance génoise, elle eut néanmoins un effet restrictif sur les Ottomans. Plus important encore que son effet sur la stratégie militaire, le contrôle ottoman du détroit isola les colonies italiennes sur les rives de la Mer Noire et les laissa à la merci des Ottomans.

 

Dans ses plans pour construire un empire « universel, » Muhammad apprécia pleinement la signification stratégique du détroit en tant que contrôle de la puissance maritime vénitienne. Au cours de son règne de trente ans, il créa une série de lignes de défense de Ténédos à la Mer Noire pour rendre Istanbul invulnérable de la mer. Avec des bases à Gallipoli, Izmit (Nicomédie) et Istanbul, et protégée par ces solides défenses, sa marine renforcée devint un véritable défi pour la puissance navale vénitienne et un instrument efficace dans la construction de son empire. En 1454, Muhammad envoya sa marine, cinquante navires en tout, dans la Mer Noire pour y contraindre la soumission des états et des colonies. La marine attaqua d’abord Akkerman, forçant la soumission, le 5 octobre 1455, de Pierre III Aron, voïvode de Moldavie, au Sultan avec un tribut annuel de 2000 ducats d’or.


À la suite de sa prise du siège des Césars, Muhammad se considérait comme leur successeur et revendiquait tous les territoires que les empereurs byzantins avaient autrefois dirigés. L’inspiration de son empire élargi peut être liée à plusieurs sources, y compris le concept turco-mongol d’empire et le Califat Islamique, mais nous savons avec certitude que la possession du trône byzantin avait une grande signification personnelle pour Muhammad. En dirigeant ses conquêtes contre le monde chrétien de l’Occident, Muhammad pouvait maintenant justifier sa prétention d’être le successeur de l’empire romain. L’idée de fonder un empire « universel » fut toujours été derrière les plans de Muhammad dans ses efforts pour poursuivre ses conquêtes et campagnes militaires et pour élever la ville en ruine d’Istanbul au statut de grande et riche capitale, parfois aux frais des autres villes de son royaume.


En tant que successeur de l’empereur byzantin, Muhammad concentra ses efforts immédiats sur l’élimination, un par un, de tous les dynastes qui étaient en mesure de revendiquer le trône de Byzance. Il se débarrassa d’abord de David Comnène, dernier empereur de Trébizonde (1458-1461, décédé en 1463), ensuite des deux despotes de la Morée, puis de la famille Gattilusi à Lesbos et Aenos, dont les fils s’étaient mariés aux Paléologues.


Dans le concept et les méthodes des conquêtes de Muhammad Il, la caractéristique exceptionnelle fut son abandon du système beylik de régime semi-autonome par les magnats locaux et les princes en Roumanie et en Anatolie en faveur de l’annexion pure et simple, par laquelle il tenta d’accélérer le processus d’établir un empire centralisé. Ce faisant, Muhammad relança la politique agressive de Bayazid I (1389-1402), qui avait été abandonnée au profit d’une politique de compromis pendant la guerre civile de 1402-1413 et les Sultanats de Muhammad I (1413-1421) et Mourad II (1421-1451). La prise de Constantinople signifia la victoire finale du groupe de militaires qui menaient une politique de guerre et d’annexion sur le groupe favorisant la prudence et le compromis. Ce n’est qu’un peu plus tard dans son règne que Muhammad pu réaliser ses ambitions centralisatrices en Anatolie, mais il procéda sans découragement dans les Balkans.


Suivant l’ancienne politique ottomane, Muhammad incorpora dans la machine de guerre impériale, les groupes militaires pré-ottomans. Tant parmi les forces de cavalerie timariot que comme groupes séparés et intacts, les soldats chrétiens jouèrent un rôle important dans son armée (zerma !). La proportion de détenteurs de timar chrétiens dans les provinces des Balkans telle qu’enregistrée dans les registres d’enquête de l’époque de Muhammad Il variait de 3% à plus de 30%. Les Voyniks, qui avaient constitué un groupe de moindre importance en tant que paysan-soldats, étaient présents en Macédoine, en Albanie et en Serbie. Les registres montrent également que le système de récompense de certains groupes par une exonération fiscale en échange de services à l’état fut dans une large mesure préservé sous le régime ottoman. La raison pour laquelle Muhammad laissa intactes les institutions et groupes locaux dans certaines régions comme la Serbie et la Bosnie était son souci de préserver ces régions en tant que zones frontalières sûres et loyales le long des frontières avec la Hongrie.


Pendant le règne de Muhammad II plus qu’à tout autre moment, l’État Ottoman assuma le rôle de champion du Jihad contre le monde chrétien. Il était conscient qu’en Occident, l’idée d’unité européenne et de combiner les forces dans une croisade était incarnée par le Pape, que les Ottomans considéraient comme leur ennemi juré. La pierre angulaire de la stratégie de Muhammad était d’éviter une croisade venant de l’ouest, et en particulier d’échapper à la nécessité de se battre simultanément sur deux fronts, en Roumanie et en Anatolie.

 

La chute de Constantinople fut considérée comme un désastre majeur en Occident et suscita une forte réaction dans toute l’Europe. Le Pape Nicolas V (1447-1455) réussit à établir la paix et une ligue entre les États Italiens en 1454, et invita tous les gouvernements d’Europe à préparer une croisade. Il ne fait aucun doute que la cour ottomane était bien informée de ces initiatives. Muhammad agit rapidement pour signer un traité avec Venise le 18 avril 1454, afin de neutraliser la République et de s’assurer qu’elle ne fournirait pas l’appui naval dont dépendait si fortement le succès des plans des croisés. Venise, pour sa part, bénéficia du traité, qui reconnaissait ses privilèges commerciaux au sein de l’Empire Ottoman, avec seulement un droit de douane minimal de deux pour cent pour les marchandises entrant et sortant de l’Empire. La République conserva également le droit de maintenir un ambassadeur à Istanbul en tant que représentant permanent à la Porte pour défendre les intérêts vénitiens. En acceptant de payer un tribut à leurs colonies de la Mer Noire et de la Mer Égée, les Génois conclurent également un accord avec le Sultan. Cependant, les Chevaliers Hospitaliers de Rhodes, sur ordre direct du Pape, annoncèrent qu’ils ne paieraient jamais de tribut annuel. Une campagne navale ottomane de 1454 dans la Mer Égée sous le commandement de Hamza Beg accomplit peu.


Il semble qu’en janvier 1455, lorsque Mahmoud Bacha fut nommé Grand Vizir, une politique plus décisive envers les îles de la Mer Égée, visant un contrôle ottoman direct, fut adoptée. Muhammad avait déjà déclaré la guerre contre Rhodes et Chios, et maintenant, accusant Domenico Gattilusio, le seigneur de Lesbos, de se ranger du côté des Chians, il le menaça également d’invasion. Lesbos réussit à obtenir un sursis en acceptant d’élever son tribut à dix mille ducats. Poursuivant toujours la nouvelle politique plus agressive, les Ottomans occupèrent la Vieille Phocée en décembre 1455 et Aenos vers la fin janvier ou février 1456, en plus des îles d’Imbros et de Samothrace, qui appartenaient à une branche de la famille Gattilusi. L’initiative ottomane semble avoir été motivée à la fois par une rivalité dynastique pour la possession de ces îles et par l’inquiétude ottomane face à une attaque de la flotte croisée qui était préparée par le Pape. Sous l’eunuque Ismail, la flotte ottomane occupa également Lemnos sur l’invitation des insulaires grecs, qui se soulevèrent contre Nicolas Gattilusio en mai 1456. L’intervention infructueuse contre les insulaires du frère de Nicolas Domenico, prince de Lesbos, mit le Sultan en colère.


Le sort des îles du nord de la Mer Égée était également devenu une préoccupation majeure de la cour papale. Après la chute d’Imbros et de Samothrace, l’île de Lesbos elle-même était en danger imminent. Domenico envoya des appels urgents à l’aide à Gênes et au Pape. Gênes envoya un navire de guerre avec des renforts et Calixte III donna la priorité à cette question, donnant l’ordre d’accélérer le rythme des préparatifs de la flotte papale. Alarmée par les implications de l’avancée ottomane pour la sécurité de l’Eubée, Venise envisagea un instant l’occupation de Lemnos et d’Imbros pour elle-même. La nouvelle politique de contrôle direct du Sultan était évidemment motivée par son souci de sauvegarder son flanc ouest et Istanbul avant de se lancer contre Belgrade, comme prévu pour le printemps suivant. Le contrôle de ces îles devait être l’un des principaux problèmes entre les Ottomans et l’Europe chrétienne au cours des deux siècles suivants. En fait, les préparatifs d’une telle attaque navale étaient à l’étude depuis la chute de Constantinople en 1453.

 

Malgré la paix obtenue en Italie par le traité de Lodi le 9 avril 1454 et la conclusion d’une alliance défensive et agressive contre les Ottomans pendant une période de vingt-cinq ans entre les puissances italiennes le 25 février 1455, des hommes d’état réalistes tels que Francis Sforza, Duc de Milan (1450-1466), Cosme de Medici de Florence (1434-1464) et Alfonso I de Naples (1442-1458) n’étaient pas convaincus par les rapports exagérés d’une imminente invasion ottomane. En dehors de l’Italie, dans l’Europe chrétienne, on retrouve la même indifférence à l’appel du Pape à la croisade. Alors que Venise et la papauté voulaient accroître le zèle des croisades à leurs propres fins, ces potentats considéraient froidement la menace ottomane comme un frein aux ambitions de leurs puissants rivaux en Italie. Leur indifférence intrigua les historiens modernes, mais en réalité une invasion ottomane de l’Italie en 1453 n’était qu’une possibilité lointaine, compte tenu du fait que les puissances chrétiennes, principalement Venise et Aragon, avaient une nette supériorité navale dans le Méditerranée. En outre, les avant-postes chrétiens en Albanie, dans la Morée et dans la Mer Égée posaient un sérieux obstacle à toute avancée ottomane. La Hongrie, qui menaçait les Ottomans en Serbie, était également devenue la principale préoccupation de Muhammad à cette époque.


La préparation de la flotte papale, pour laquelle la date du départ avait été fixée au 1er mars 1456, fut comme d’habitude retardée par divers malheurs. La flotte, composée de seize galères avec 5000 soldats et 300 canons, ne put finalement prendre la mer qu’à la mi-juin 1456. L’un des objectifs de l’expédition était de détourner une partie des forces ottomanes du front hongrois, et un autre était de libérer Chios et Lesbos de leur soumission au Sultan et d’assurer leur coopération dans la reconquête des îles du nord de la Mer Égée occupées par les Ottomans. De cette manière, la renaissance de la Ligue chrétienne contre les Turcs dans la Mer Égée serait réalisée.


Chios, cependant, n’acceptera pas de renier son allégeance au Sultan et de rejoindre les forces papales. Elle avait déjà accepté de verser à Muhammad 30000 ducats à titre d’indemnité et de porter son tribut annuel à 10000 (ducats). Les Chians tenaient à ne pas compromettre leur commerce avec les dominions du Sultan, qui était vital pour leur existence.



[1] The impact of the Crusades on Europe (A History of the Crusades, volume, VI). Chap IX: The Ottoman Turks and the Crusades, 1451-1522. M Kenneth Setton.