La flotte papale occupa Lemnos et Imbros par accord, Thasos
par la force et laissa des garnisons pour leur défense. La
marine turque avait été absente durant toutes ces
opérations, manifestement parce qu’elle était engagée sur la
Mer Noire pendant la campagne de Belgrade en été et en
raison de l’abandon annuel de leurs navires par les marins à
l’automne. Malgré une tendance des historiens occidentaux à
minimiser l’importance de cette intervention papale dans la
Mer Égée, les sources indiquent qu’elle créa une grave
situation pour les Ottomans, en particulier au vu des
développements à Lesbos. À l’arrivée de la marine des
croisés à Mytilène, Domenico et Nicholas Gattilusio, comme
nous le dit Critobulus, déclarèrent leur répudiation de
l’autorité du Sultan. Nicolas, qui avait été expulsé de
Lemnos par Muhammad, préconisa une politique de
résistance aux Ottomans. Douze trirèmes de la flotte papale
restèrent à Mytilène.
Muhammad envoya une puissante flotte sous Ismail,
gouverneur de Gallipoli et amiral de la flotte, contre les
Gattilusi au printemps de 1457. À en juger par les grands
préparatifs de la flotte ottomane, on peut dire que le
Sultan avait en tête d’annexer Lesbos comme il l’avait fait
pour les autres îles du nord de la Mer Égée. L’escadre
papale se retira à Chios. L’amiral ottoman assiégea la
forteresse de Molybdos sans résultat et quitta ensuite
l’île, revenant à Gallipoli le 9 août. Domenico, déclarant
que la marine papale était incapable de le protéger, se
tourna vers le Sultan et offrit sa soumission en envoyant un
tribut ; en 1458, Nicolas l’accusa d’avoir aidé Muhammad
et le fit exécuter. Au cours de 1457, les Chians et
Guillaume II Crispo, Duc de l’archipel, suivirent les traces
de Lesbos et acceptèrent de se soumettre aux Ottomans.
Lemnos et Thasos, toujours aux mains des Chrétiens, furent
placés par le Pape sous la protection du grand maître des
Hospitaliers après le retour de la flotte papale en Italie
en 1458. Les Vénitiens et les Catalans voulaient chacun ces
îles stratégiques pour eux-mêmes, mais Calixte III refusa
leur demande. Après la mort de Calixte, le nouveau Pape, Pie
II (1458-1464), prévoyait de les placer sous les génois. En
tout cas, en 1457-1459, les Latins essayèrent de créer sur
ces îles des bases de défense et d’attaque contre les
Ottomans, mais en 1459-1460 Muhammad les occupa,
mettant fin aux querelles. Un compromis avec la population
grecque, qui en voulait à l’occupation latine, permit au
Sultan de s’emparer facilement de ces îles : il agréa que le
despote Démétrius Paléologue, un protégé ottoman en Morée,
prendrait possession des îles en échange d’une
reconnaissance de suzeraineté ottomane, avec le paiement
d’un tribut annuel de trois mille ducats. A la conclusion de
l’accord, Zaganos Bacha, le nouvel amiral ottoman, arriva
avec la flotte et occupa sans difficulté Thasos et
Samothrace avec la coopération des notables grecs locaux. En
1460, lorsque le Sultan conquit la Morée, les quatre îles et
Aenos furent accordés en apanage à Démétrius.
Bien qu’il payait tribut au Sultan pour empêcher une
attaque, Nicholas Gattilusio, le nouveau maître de Lesbos,
prit toutes les mesures nécessaires pour mettre l’île en
état alors qu’il demandait d’urgence l’aide de Gênes. Le
Sultan, accusant Nicolas de conclure des accords secrets
avec les Italiens et de laisser les corsaires catalans
utiliser l’île comme base, lança une attaque décisive sur
Lesbos en 1462. Tandis que le Grand Vizir Mahmoud
arriva avec une flotte puissante et commença le siège de la
ville fortifiée de Mytilène, le Sultan lui-même arriva par
voie terrestre avec l’essentiel de l’armée et établit son
campement sur le continent à Ayazmend en août. Les murs ne
furent pas capables de résister à la puissante artillerie de
Muhammad, et une fois que la forteresse inférieure
Melanoudion succomba, Nicolas se rendit. L’île entière fut
immédiatement placée sous la domination ottomane directe. Il
avait reçu pour ordre d’éviter une confrontation directe
avec les forces ottomanes.
Pie II se montra aussi enthousiaste et déterminé que Calixte
III pour une croisade générale de toutes les nations
chrétiennes « pour libérer l’Europe de la disgrâce de la
domination turque. » Selon Ferdinand Gregorovius, « la
délivrance de Constantinople était l’idéal de son
pontificat. » Le congrès convoqué par le Pape à cet effet se
réunit au moment où les Ottomans étaient en train d’expulser
les forces papales du nord des îles de la Mer Égée. La
nouvelle de la chute du despotat serbe en juin 1459 et
l’arrivée à Mantoue des envoyés des royaumes directement
menacés de Hongrie et de Bosnie galvanisa une alliance
chrétienne européenne de courte durée. Rassembler les forces
nécessaires pour vaincre l’armée désormais puissante des
Ottomans était considéré comme impossible, mais, incité par
le cardinal Bessarion, un réfugié grec à Rome, la décision
fut prise de déclarer une croisade générale des nations
européennes pendant trois ans à partir de 1460. Cependant,
avant de se lancer dans sa campagne contre Trébizonde, Muhammad
put signer un armistice avec les Chevaliers Hospitaliers de
Rhodes.
Pendant ce temps, en Albanie, la lutte contre les Ottomans
se poursuivait. Jusqu’en 1463, lorsque Venise prit
ouvertement les rebelles albanais sous sa propre protection,
le roi de Naples et le Pape étaient activement impliqués sur
ce front. Ils fournirent au chef rebelle Scanderbeg de
l’argent et des fournitures et envoyèrent même des troupes.
Avant de se lancer dans la campagne de Trébizonde,
cependant, Muhammad négocia également un accord
d’armistice avec Scanderbeg.
Le Pape avait convaincu la Hongrie, le principal rival des
Ottomans en Europe, qu’elle devait participer pleinement à
la croisade prévue. Le conflit entre les Ottomans et la
Hongrie était inévitable en raison du conflit sur la Serbie.
En 1451, lorsque Muhammad II monta sur le trône, le
despote serbe George Brankovich s’était emparé de la
forteresse Hisar Alaja (Krusevac) et de ses environs, mais
en apprenant la prise de Constantinople par les Ottomans, il
offrit de la rendre. Le Sultan répondit en envoyant un
ultimatum dans lequel il revendiqua héréditairement tous les
anciens territoires de Knez Lazar dans la vallée de la
rivière Morava, y compris Smederevo et Golubats, mais promis
de céder à Brankovich la région de Vuchitrn-Lab (Vilk-ili),
qui avait appartenu au père du despote, Vuk.
Pendant la campagne de Muhammad dans la vallée de la
rivière Morava en 1454, les forteresses d’Omol (Omolridon)
et de Hisar Sifrije (Ostrovitsa) furent capturées par les
Ottomans, et le despote se réfugia en Hongrie. Lorsque
l’armée ottomane se retira, Jean Hunyadi de Belgrade et les
Serbes de la région de Kossovo passèrent à l’offensive à
l’automne 1454. Hunyadi dévasta la région de Vidin-Nish mais
les Serbes furent battus dans le sud.
Dans la deuxième campagne serbe de Muhammad en 1455,
il concentra ses forces contre le sud de la Serbie et
Vilk-ili. Il prit possession de plusieurs villes
productrices d’argent, Trepcha, Novo Brdo (1 juin 1455) et
la vallée du Lab. L’appel désespéré du despote pour une
croisade ne donna aucun résultat et il dû renoncer à tout
espoir de récupérer les mines d’argent de Novo Brdo, source
de sa richesse et de son pouvoir. En limitant ses
revendications au retour de Vilk-ili aux Ottomans, Muhammad
réussit à conclure un accord de paix unilatéral avec
Brankovich à l’exclusion des Hongrois. Le despote accepta
également de payer un très grand tribut annuel et de fournir
des troupes.
Une fois le despotat serbe neutralisé, Muhammad II
prépara une grande campagne pour évincer les Hongrois de
Belgrade et envahit la Hongrie en 1456. Vingt et un canons,
ainsi qu’une flotte de deux cent vaisseaux, dont
soixante-quatre galères, furent utilisés dans la campagne.
Bien que les dissensions internes et l’hostilité avec
l’Empereur Frédéric III (1452-1493) aient affaibli la
défense de la Hongrie, celle-ci reçut un fort soutien de la
papauté avec la déclaration d’une croisade contre les
Ottomans et l’envoi d’une flotte papale en Mer Égée. Les
prêches enflammés du frère franciscain Jean de Capistrano et
l’arrivée des croisés qu’il avait recrutés parmi la
population de Hongrie et d’Allemagne donnèrent beaucoup au
mouvement l’apparence des premières croisades. L’immense
armée de Muhammad sema la panique en Italie, où
beaucoup pensaient que la Hongrie ne pouvait pas résister à
l’attaque du Sultan et qu’il avait l’intention de déplacer
son armée en Italie après avoir conquis la Hongrie.
Bien que les armes de Muhammad aient démoli les
défenses de Belgrade et qu’un groupe de janissaires soit
effectivement entré dans la ville, Hunyadi put apporter des
renforts en brisant le blocus sur le Danube (14 juillet).
Ainsi l’assaut général fut repoussé (21 juillet) et le
Sultan fut contraint de battre en retraite (23 juillet).
Cette victoire majeure envoya de puissantes vibrations dans
toute l’Europe chrétienne. Le Pape Calixte III écrivit qu’il
attendait maintenant avec impatience « non seulement le
rétablissement de Constantinople mais aussi la libération de
l’Europe, de l’Asie et de la Terre sainte. » L’activité de
la flotte du Pape dans la Mer Égée en 1457 était considérée
comme un préliminaire à la délivrance de Constantinople. Le
Pape Pie II prit contact avec Hasan Ouzoun, souverain
des Turcomans d’Aq Qoyunlu (1466-1478), et les Géorgiens
dans une tentative d’encercler les Ottomans par l’est.
En 1456, George Brankovich mourut et une dispute sur la
succession serbe provoqua une nouvelle crise, Muhammad
soutenant le fils de George, Grégoire, contre son frère
Lazar II (1456-1458). Vers cette époque, un autre différend
qui avait surgi entre les deux despotes grecs de la Morée,
Démétrius et Thomas Paléologue, avait rendu confuse la
situation dans le sud, de sorte que Venise intervint et
revendiqua la Morée comme faisant partie de sa propre sphère
d’influence. En Albanie aussi, la situation s’était
détériorée pour les Ottomans en 1457, lorsque Scanderbeg
battit les forces ottomanes à Albunlena. En réponse à ces
menaces, le Sultan, au printemps de 1458, envoya ‘Issa Beg
avec des renforts contre Scanderbeg, alors qu’il partit
lui-même pour la Morée avec une armée. Il envoya de même, le
prétendant Grégoire en Serbie avec une armée sous le
commandement de Mahmoud Bacha. En réponse à un
certain nombre de concessions de la part de Mahmoud
Bacha, les Serbes rendirent quelques forteresses dans
diverses régions du pays, y compris les Golubats. Cependant,
une armée sous le commandement personnel du roi hongrois
Matthias Corvin (Hunyadi, 1458-1490) dans la ville voisine
de Smederevo continua à représenter une menace et Mahmoud
retira ses forces dans la région autour de Nish.
À ce stade, le Sultan, ayant conquis ces régions de la Morée
autrefois soumises à l’Empereur Constantin XI, arriva avec
ses forces à Skoplje (Uskub) et rencontra Mahmoud
Bacha. Matthias, suivant l’exemple de son père, attendit
pour agir jusqu’au début de l’automne et au démantèlement
annuel attendu de l’armée ottomane. Cependant, Muhammad
II répondit par des mesures exceptionnelles et resta à
Skoplje au moins jusqu’en novembre 1458. Le roi, qui
traversa le Danube et attaqua Tahtalu, fut contraint par les
Ottomans de se retirer. Au printemps de l’année suivante, le
Sultan mena lui-même une armée sur le terrain contre
Smederevo. Les Serbes vinrent à Sofia en juin 1459 pour
remettre les clés de la forteresse ; le despotat serbe fut
de nouveau annexé à l’empire ottoman. Ensuite, Muhammad
passa en Anatolie et prit Amasra (Amastris) sur la Mer Noire
aux Génois sans bataille.
Le Pape Pie II reçut la nouvelle de la reddition de
Smederevo comme un désastre absolu pour l’Occident et, par
conséquent, lors des délibérations au Congrès de Mantoue en
1459, le lancement d’une croisade fut officiellement
annoncé. À la suite de l’établissement du contrôle du
despote Thomas sur la Morée avec le soutien de l’Ouest, Pie
considérait la Morée comme une excellente base pour les
opérations contre les Ottomans. Le Sultan, cependant,
envahit la Morée en 1460 et envahit toute la région, à
l’exception de quelques forteresses sur les côtes qui
appartenaient à Venise. La prise d’Argos par les Ottomans
convainquit finalement les Vénitiens de la nécessité de
déclarer la guerre (28 juillet 1463).
Pendant ce temps, de nouveaux développements en Valachie et
en Bosnie avaient rendu inévitable le déclenchement d’un
conflit ouvert entre les Hongrois et les Ottomans. En 1461,
Muhammad chercha à regagner l’allégeance du Voïvode
de Valachie, mais Vlad III Tepesh (l’Empaleur) répondit en
s’alliant avec le roi de Hongrie à la place, et alla même
jusqu’à profiter de l’absence du Sultan pendant la campagne
de Trébizonde pour attaquer les avant-postes ottomans à
travers le Danube. Par conséquent, en été 1462, Muhammad
envahit la Valachie et nomma à la place de Vlad son frère
Radu III (le Beau), qui vivait dans le palais ottoman. Le
roi de Bosnie, Stephen Mashevich (1461-1463), qui épousa la
cause catholique occidentale contre les Ottomans, n’hésita
pas à remettre des forteresses aux Hongrois (1462). Mais à
cause de la division religieuse interne, sa situation était
sans espoir et la Bosnie aussi fut conquise par le Sultan en
1463.
En 1463, cette série ininterrompue d’ouvertures (futuhat)
convainquit les deux grands rivaux des Ottomans, la Hongrie
et Venise, que le moment était venu pour une action décisive
de leur part. Enfin, les efforts du Pape portèrent leurs
fruits et Venise et la Hongrie signèrent un pacte offensif
et défensif mutuel. Le Pape crut alors que la croisade
deviendrait une réalité. Signant un accord avec Venise et la
Bourgogne, il fixa à mai 1464 la date du départ d’une
croisade. Un plan fut même préparé pour diviser les terres
de l’Empire Ottoman entre les états chrétiens en cas de
victoire. Il prévoyait que Venise prendrait la Morée, la
Béotie, l’Attique et la partie côtière de l’Épire ;
Scanderbeg prendrait la Macédoine ; les parties restantes
des anciennes terres de l’Empire Byzantin (principalement la
Thrace et la Thessalie) seraient divisées entre les dynastes
grecs et la Hongrie prendrait toute la Serbie, la Bosnie, la
Bulgarie et la Valachie.
Les puissances occidentales, promirent un soutien financier
à Scanderbeg et le poussèrent à passer à l’offensive,
ignorant ainsi les termes de son accord avec le Sultan. Le
principal rival du pouvoir ottoman en Anatolie orientale,
Hasan Ouzoun, dirigeant des Turcomans d’Aq Qoyunlu,
entama des négociations avec Venise pour un pacte contre le
Sultan. Dès l’automne 1463, les alliés entamèrent leur
offensive. Venise reprit Argos en septembre et les murs de
l’Hexamilion furent rapidement renforcés. Un certain nombre
de villes de la Morée se soulevèrent dans la révolte et se
rangèrent du côté des Vénitiens. Les Musulmans restés dans
la péninsule durent se réfugier dans quelques forteresses
sur lesquelles ils maintinrent le contrôle. Le 16 décembre,
le roi de Hongrie attaqua et captura la capitale bosniaque
Yaytse (Jajce). La flotte vénitienne patrouillait dans les
eaux à l’extérieur des Dardanelles, menaçant de frapper à
tout moment.
Muhammad, confronté à ces menaces de toutes parts,
prit des mesures drastiques. Malgré le fait que l’hiver
était déjà proche, il envoya immédiatement Mahmoud
Bacha avec une armée forte en Morée. Afin de renforcer les
forces navales de l’empire, il établit un nouveau chantier
naval à Kadirga-limani à Istanbul, et afin d’assurer la
sécurité d’Istanbul, il ordonna que des forteresses
correspondantes soient construites de chaque côté des
Dardanelles à Kilidulbahr et Sultaniye (Chanakkale). Les
Vénitiens furent vaincus dans la Morée, et furent de nouveau
contraints de céder la péninsule aux Ottomans. Alors que le
Sultan lui-même était en route vers la Morée pour renforcer
Mahmoud Bacha, en atteignant Zeitounion, il apprit le
succès de la campagne et changea la direction de sa marche
vers la Bosnie. Au cours de l’été 1464, il assiégea Yaytse
pour tenter d’expulser les Hongrois, mais sans succès. À son
retour à Sofia en septembre, il apprit l’entrée du roi
hongrois en Bosnie et envoya une force sous le commandement
de Mahmoud Bacha, qui força Matthias à se retirer.
Ainsi Muhammad réussit à faire face aux menaces
alliées sur tous les fronts. Le Pape Pie II, qui avait
espéré diriger l’armée croisée en personne, mourut à Ancône
le 15 août 1464 et la croisade s’effondra.
Au cours de 1465, Muhammad ouvrit des négociations de
paix avec Venise et la Hongrie en raison de la nécessité de
faire face à la situation confuse en Karaman, mais aucun
accord ne put être trouvé. Au printemps 1466, il partit
contre l’Albanie pour punir Scanderbeg. Après avoir mené des
opérations contre les Albanais dans les hautes terres, il
construisit une puissante forteresse, Elbasan, dans le bas
pays du centre de l’Albanie, comme base contre les Albanais
qui continuaient de résister depuis leurs bastions dans les
montagnes. Après le départ du Sultan, Scanderbeg, avec des
troupes de soutien envoyées par Venise, vainquit Balaban
Beg, qui pressait la forteresse de Croia, et assiégea la
forteresse nouvellement construite d’Elbasan. Indigné par
les actions de Scanderbeg, le Sultan entreprit lui-même sa
deuxième campagne d’Albanie en 1467. Afin d’intimider ses
ennemis, il attaqua les Albanais sans pitié et envoya des
raids contre les ports vénitiens, dont Scutari et Durazzo.
Ainsi l’Albanie devint l’une des principales arènes de la
guerre vénitienne-ottomane. Venise obtint peu d’avantages
militaires de l’alliance avec le roi Matthias, mais à la
suite des accords conclus avec Hasan Ouzoun et Ahmed
Pir, l’émir de Karaman, il était maintenant possible de
mobiliser une grande force terrestre en Asie contre le
Sultan.
Avant que Hasan Ouzoun ne devienne un allié, Venise
avait profité de la campagne de Karaman du Sultan en 1468.
En 1469, Venise avait envoyé sa flotte d’Eubée et frappé à
plusieurs reprises les côtes rumilliennes. Les îles de
Lemnos et Imbros furent occupées, et les centres commerciaux
importants d’Aenos et de Nouvelle Phocée furent pillés et
incendiés. Ensuite, la flotte vénitienne se déplaça vers la
Morée et, après avoir capturé la forteresse de Vbstitsa, la
renforça comme base pour de futures actions. A cette époque,
la flotte ottomane avait été occupée dans des opérations en
Mer Noire contre les Génois.
Cette attaque audacieuse conduisit Muhammad à une
décision de riposter avec un coup majeur contre l’ennemi, et
il choisit Negroponte sur Eubée comme cible de son attaque.
Pendant cette campagne, les Ottomans atteignirent la
supériorité tactique, et tandis que sa flotte surveillait
les mouvements de la flotte vénitienne, une force terrestre
sous le commandement personnel du Sultan construisit un pont
reliant l’île au continent ; il put ainsi faire venir son
armée, qui réussit à soumettre la forteresse le 11 juillet
1470. La perte de Negroponte suscita une grande inquiétude
non seulement parmi les Vénitiens mais dans tout l’occident,
et il y eut une crainte générale que les Ottomans avaient
maintenant établi le contrôle complet de la Mer Égée. Le
jour de Noël 1471, le Pape Sixte IV (1471-1484) assigna six
cardinaux à la tâche de stimuler l’intérêt en Europe pour le
lancement d’une croisade contre les Turcs. Un pacte fut
signé entre Venise et Naples pour la formation d’une flotte
de croisés, mais le reste de l’Europe resta à l’écart.
Conscient de la situation dangereuse lors de ses campagnes à
l’est, le Sultan tenta de neutraliser ses rivaux occidentaux
par des offensives de paix. En juillet 1471, il envoya un
envoyé à Venise pour offrir la paix. Comme il insistait sur
le contrôle complet des îles de la Mer Égée, de la Morée et
de l’Albanie, et en particulier sur le paiement d’un tribut
annuel, les négociations échouèrent en mars 1472.
Hasan Ouzoun, engagé dans une lutte à mort avec les
Ottomans, dont l’issue déterminerait l’avenir de l’Anatolie
orientale, se prépara au combat avec toutes les armes
militaires et diplomatiques à sa disposition. Au cours de
l’hiver 1470 -1471 une ambassade d’Aq Qoyunlu visita Venise,
Rome et Naples pour chercher un accord contre les Ottomans.
Sous l’impact de la chute de Negroponte, et malgré
l’offensive de paix du Sultan en 1471 et 1472, Venise
parvint à un accord avec Hasan Ouzoun qui comprenait
les points cardinaux suivants. Pour aider Hasan
Ouzoun avec des armes à feu, les navires vénitiens
apporteraient des armes et une petite équipe de débarquement
sur la côte de Karaman, pour y être rencontrés par les
forces envoyées par Hasan Ouzoun. Après sa victoire
attendue, Hasan Ouzoun devait devenir le maître de la
majeure partie de l’Anatolie et faire promettre au Sultan
Ottoman de s’abstenir de construire des forteresses sur les
côtes et de permettre l’accès libre à la navigation
vénitienne dans la Mer Noire. En plus de cela, il devait
assurer le retour à Venise de la Morée et de l’Eubée ainsi
que de Lesbos. Les Vénitiens assurèrent à Hasan
Ouzoun qu’ils étaient capables d’entrer dans le détroit et
de capturer Istanbul. En
été 1472, une armée Aq Qoyunlu-Karamanide envahit le
territoire ottoman jusqu’à Akshehir dans le centre de
l’Anatolie, mais le 14 août, l’armée d’invasion fut mise en
déroute par les Ottomans.
La grande flotte croisée, composée d’environ 87 galères de
Venise, Naples, Rhodes, la papauté et Chypre, avait fait des
ravages le long des rives méditerranéennes des territoires
ottomans tout l’été. Adalia (Antalya) fut mise à sac et
incendiée en août et Smyrne (Izmir) le 13 septembre. Au
printemps de 1473, la flotte, en coopération avec les forces
du Karamanide Qasim Beg, prit les forteresses de Corycus,
Sigin et Séleucie (Silifke). Le Sultan prit toutes les
mesures possibles pour contrer l’attaque Aq
Qoyunlu-chrétienne. En hiver, il envoya à la hâte une force
de raiders (akinji) de Roumélie dans la région autour de
Sivas, et au printemps il arriva en personne avec sa grande
armée et s’avança en direction d’Erzinjan contre Hasan
Ouzoun. Les Aq Qoyunlu furent coupés de la communication
avec la force chrétienne qui avait débarqué à Corycus, près
de Tarse sur la côte méditerranéenne.
Lors de la bataille décisive de Bashkent le 11 août 1773, Muhammad
sortit triomphant et imposa des conditions sévères à Hasan
Ouzoun. Ce dernier devait céder la forteresse de Hisar Kara
et promettre de ne plus jamais violer le territoire ottoman.
Muhammad prit une position défensive face à la
Hongrie dans la période 1471-1473. Malgré les tentatives
d’intervention de Matthias, le Sultan réussit à construire
un château fortifié sur le Danube à Shabats (Bogurdelen)
pour assurer la sécurité de la Bosnie. Dans les années qui
suivirent 1471, il envoya ses forces de raid non contre la
Hongrie mais contre les terres autrichiennes de l’empereur
rival de Matthias, Frédéric III, et envoya même une lettre à
Matthias pour proposer la paix. En 1473, un envoyé hongrois
fut envoyé en retour, mais il attendit jusqu’à l’achèvement
de l’affaire Hasan Ouzoun et ne reçut pas d’audience
avec le Sultan.
Après sa victoire contre Hasan Ouzoun, Muhammad
entendit les demandes de l’envoyé, notamment l’abandon ou la
démolition des deux forteresses sur le Danube, les remparts
d’Avala (Havale) en face de Belgrade et la forteresse de
Golubats (Gugerjinlik). Non seulement ces demandes furent
rejetées par le Sultan, mais il riposta par une demande de
sa part pour la cession de la forteresse de Yaytse en Bosnie
et ordonna un raid contre le territoire hongrois. Lors de ce
raid (hiver 1474), Ali Mihaloghlu s’avança jusqu’à Varad. En
raison de sa guerre en cours avec la Pologne, Matthias ne
fut pas en mesure de profiter de l’occasion en 1473 et dû
laisser le raid de 1474 sans réponse. Ce n’est qu’en 1475
que le roi fut libre de lancer sa contre-attaque et captura
la forteresse de Chabats le 15 février 1476.
Pendant ce temps, le Sultan, qui préparait activement une
campagne contre la Moldavie, fit une offre de paix. Sans
tenir compte de l’offre, le roi hongrois entreprit de
construire trois forts en bois sur le Danube dans le but de
prendre le contrôle de la région de Smederevo. Le Sultan, à
son retour de la campagne moldave, partit aussitôt pour
Smederevo, sans tenir compte de l’épuisement de ses troupes,
et démolit les trois forts. Par la suite, la Hongrie fut
neutralisée par la guerre de Matthias contre les Habsbourg.
Non seulement Matthias refusa son soutien aux Vénitiens,
mais il laissa son beau-père, le roi de Naples, conclure un
accord avec le Sultan. Mais après avoir officialisé la paix
avec Venise en 1479, les raids ottomans contre la Hongrie
reprirent. Alors que les Begs frontaliers suppliaient
d’attaquer la Transylvanie, le nouveau gouverneur de Bosnie,
Daoud Bacha, accompagné d’une importante force akinci (ou
akinji), franchit la rivière Sava et effectua de vastes
raids en Hongrie.
A partir de 1474, le Sultan intensifia la guerre contre
Venise. En 1477, Souleyman Bacha fut envoyé contre la
possession vénitienne de Lépante, mais à la suite de
l’arrivée opportune de l’assistance navale, elle put
résister à la capture. Ahmed Evrenuz-Oghlu bloqua la
forteresse vénitienne de Croia en Albanie et réussit à
repousser les renforts navals alors qu’ils tentaient de
débarquer sur le rivage. En automne 1477, Iskandar Bacha, le
gouverneur de la Bosnie, dirigea une armée contre le
territoire vénitien dans le nord de l’Italie et s’avança sur
les rivières Isonzo et Tagliamento, faisant des ravages dans
la plaine en face de la ville de Venise elle-même. L’année
suivante, un raid similaire fut mené contre Frioul.
Finalement, en avril 1478, le Sultan partit lui-même en
campagne contre les Vénitiens en Albanie. Se rendant
directement à Scutari, il assiégea immédiatement la
forteresse, qui résista à tous les assauts. Après lui avoir
coupé l’accès de la mer par un blocus, Muhammad
revint avec la majeure partie de l’armée. Impuissante à
sauver Scutari et effrayée à cause des récents raids contre
Venise elle-même, la République reprit les négociations de
paix en décembre 1478. Le 15 janvier 1479, un traité de paix
fut signé, mettant fin à cette longue guerre ; ses
principales dispositions étaient que Venise acceptait
d’évacuer Scutari et de la remettre aux Ottomans, renonçait
aux revendications de Croia et des îles de Lemnos et
d’Eubée, et acceptait de payer un tribut annuel de 10000
ducats d’or, en retour duquel, elle put jouir de la liberté
de faire du commerce.
Puisque le Sultan avait effectivement neutralisé par ce
traité de paix la principale puissance maritime ennemie, il
pouvait maintenant tourner ses attaques contre Rhodes,
l’Italie et la papauté sans souci. Les rivalités existant
entre Naples, Venise et Milan, ainsi que leur opposition
générale aux politiques de la papauté, jouèrent en faveur de
Muhammad, et Venise l’encouragea à prendre des
mesures immédiates contre le royaume de Naples.
Au printemps 1480, il envoya Massih Bacha avec une
flotte contre Rhodes tout en lançant simultanément Ahmed
Bacha Gedik avec une autre flotte contre le sud de l’Italie,
ouvrant ainsi une nouvelle phase dans ses conquêtes. Après
un siège féroce de quatre-vingt-dix jours à partir du 23 mai
1480, les Ottomans furent forcés de se retirer de Rhodes
avec de graves pertes.
Ahmed Gedik, le conquérant de Karaman et de la
Crimée, réussit à capturer les îles de Leucas (Santa Maura),
Céphalonie et Zante appartenant à la dynastie Tocco, et
trouva également l’occasion de se mêler de la politique
intérieure du royaume de Naples en 1479. Au cours de l’été
1480, il partit d’Avlona avec une flotte de 132 navires
transportant 18000 hommes et, le 11 août, captura Otrante.
Après avoir renforcé la forteresse et l’avoir transformée en
base d’opérations, il entreprit des raids. La capture
d’Otrante fut considérée comme la première étape vers la
prise de Rome, et le Pape tomba dans la panique, pensant
même à fuir vers la sécurité hors d’Italie. Ahmed
Gedik retourna en Roumanie afin de rassembler des troupes
fraîches pour de nouvelles attaques, mais au printemps de
1481, alors qu’il se préparait à traverser l’Adriatique avec
des renforts, la nouvelle de la mort de Muhammad fut
envoyée par son fils, le nouveau Sultan Bayazid II (
1481-1512), ainsi qu’une demande urgente de retour dans la
capitale pour faire face à la menace posée par le frère de
Bayazid, Jem (Chem) Sultan. Otrante fut rapidement repris
par les Napolitains et l’Italie fut épargnée par de
nouvelles invasions ottomanes.
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