L’achèvement de la conquête de la Morée par Muhammad al-Fatih et la Capture des Despotes Grecs

 

Comme nous l’a dit Mahmoud Bacha, il arriva un moment où les officiers et les soldats commencèrent à montrer des signes de mécontentement face aux campagnes militaires trop fréquentes du Sultan. Pour la défense de Fatih, Mahmoud Bacha répondit à leurs plaintes en disant que le Sultan avait été choisi par Allah pour accomplir le devoir du Jihad. Mahmoud poursuivit également en disant que la conquête du monde ne pouvait être accomplie sans verser de sang, et qu’il n’était pas non plus possible d’atteindre le pouvoir sans écraser les ennemis de l’état.

 

Lors du conseil concernant la prochaine campagne, le Sultan raisonna comme suit :

« Il ne reste qu’une seule forteresse à conquérir dans toute la Serbie. Sa capture pourrait être attribuée à un simple sancak-beg. La Morée par contre est un pays riche, à la fois lointain et difficile d’accès. Nous devons saisir l’occasion tant que nous l’avons. J’ai donc l’intention de marcher maintenant contre la Morée. »

Pendant ce temps, un nouveau sancak-beg fut nommé sur la Serbie tandis que les qadis et subashis furent nommés selon le système traditionnel.

 

Au printemps 863 (1459), le Sultan partit en campagne avec l’armée. Lorsque l’armée atteignit le voisinage de la Morée, le despote, Kir Dimitri, s’enfuit et se fortifia dans la forteresse de Mezistre (Mistra). Le Sultan choisit une force et les envoya à toute vitesse sous le commandement de Mahmoud Bacha pour assiéger la forteresse.

Voyant qu’il n’avait aucun moyen de résistance, le despote demanda l’amnistie (aman) et sortit de la forteresse. Mahmoud Bacha envoya des robes d’honneur et un cheval sur lequel Kir Dimitri lui fut amené puisque le despote avait rendu la forteresse sans combat en demandant quartier, il reçut un salaire pour son entretien et envoyé à Edirne.

 

Toute la Morée et ses habitants acceptèrent la domination ottomane. Seuls les châteaux bien fortifiés aidés par les Vénitiens tels que Salmenik (Salmenikon), Hulomuc (Khlomoutsi), Gardik (Gardhiki), Yildiz-Hissar, Mahlu (Machla), Levendar (Leondarion), Toprak-Hissar, Helidon, et quelques autres maintinrent leur résistance. Pendant son règne, tous furent pris l’un après l’autre. Certains d’entre eux furent pris par la force des armes tandis que d’autres se soumirent volontairement sans combat. La population masculine de ces forteresses prises de force fut passée par les armes, tandis que leurs enfants furent vendus et leurs biens saccagés. Bref, toutes les forteresses de la Morée se soumirent. Les monastères et églises furent convertis en mosquées. Le reste de la population fut maintenu intact et soumis aux impôts religieux et coutumiers. Des sancak-beg, des qoudates (pluriel de qadi), des commandants de garnison, des subashis et des sipahis furent nommés et le pays fut placé sous contrôle ottoman ferme. Après ces conquêtes, le butin était si abondant parmi les troupes qu’un mouton était vendu pour aussi peu que deux akca et un veau pour cinq akca. Chaque tente avait l’apparence d’un marché aux esclaves avec de jolies jeunes filles et garçons pullulant aux entrées.

 

La conquête de Semendere (Smederevo)

 

Au printemps 864 (1460), Fatih avec son armée établit un camp à Sofia. Par crainte de l’assaut du Sultan, les habitants de Semendere lui remirent volontairement les clés de la forteresse. Par la suite, une garnison de ‘azeb et de janissaires fut affectée à la garde sous les ordres d’un commandant et la forteresse fut affectée à un sancak-beg.

Le Sultan renvoya alors les troupes et retourna à Istanbul. La saison de la campagne n’étant pas encore terminée, le moment était venu pour une autre conquête.

Il y avait une petite forteresse appelée Amasra surplombant les abords de la Mer Noire qui était contrôlée par un certain seigneur qui payait un tribut au Sultan ottoman, mais les habitants du pays environnant se plaignirent du harcèlement constant des corsaires à cause de leurs liens avec la forteresse. Tout en faisant semblant d’être en tournée en Anatolie avec l’armée permanente, le Sultan se tourna soudainement vers cette forteresse.

Après qu’il s’approcha en passant par Khidr Bek-Ili et en traversant les montagnes près de Mengen, les habitants de la forteresse lui cédèrent la possession de la forteresse et de la campagne environnante. Une force de garnison et un commandant furent nommés ainsi qu’un qadi et la région fut annexée au Sancak de Bolu.

 

La conquête de la province d’Isfendiyar et la soumission d’Isma’il Bek

 

Après la double victoire en Serbie et à Amasra en 864, les préparatifs pour la préparation de la flotte furent ordonnés et une campagne annoncée.

Au printemps 865 (1461), des navires furent envoyés en Mer Noire pour la conquête de Trabzon. Un ordre fut adressé à Isfendiyar-oglu Isma’il Bek lui demandant de permettre à la flotte d’entrer dans le port à son arrivée à Sinope et aux troupes d’acheter tout ce dont elles avaient besoin en guise de provisions. Le Sultan lui-même arriva à Ankara. Avec lui, servant dans l’armée ottomane, se trouvaient Karaman-oglu Qasim et Isfendiyar-oglu Hasan Chalabi. Hasan Chalabi était retenu captif et livré aux cavouses. Il fut décidé de marcher contre Isfendiyar. Isma’il Bek entendit parler de ces développements et s’enfuit pour se réfugier dans la forteresse de Sinope. Al-Fatih entra à Kastamonu et envoya une force sélective sous le commandement de Mahmoud Bacha contre Isma’il Bek à Sinope. Lorsque Mahmoud entra sur le territoire d’Isfendiyar, les soldats et la population de cette terre vinrent lui prêter serment d’allégeance. Les noms de ceux qui appartenaient à la classe des ‘askeri furent inscrits dans un registre et reçurent l’ordre d’unir leurs forces dans l’assaut contre Sinope. Les troupes étaient maintenant prêtes à avancer sur la ville depuis la terre et la mer. A cette époque, j’étais secrétaire au diwan. Mahmoud Bacha ordonna que j’écrive une lettre à Isma’il Bek. Dans cette lettre, je lui ai adressé ce qui suit:

« Tu es maintenant encerclé terre et mer. Il n’y a aucune chance de s’échapper. Tu dois penser à ton honneur et à celui de ta famille. Ton peuple n’est pas encore la proie de l’armée. Ait pitié d’eux et abandonne tes forteresses et terres. En échange, le Sultan te donnera d’autres terres à administrer, et tu vivras une vie d’aisance sous sa protection. Dans le cas où tu ne te soumettrais pas, rappelle-toi qu’il n’y a rien qui puisse arrêté nos soldats. Considère cet avertissement comme un signe de notre amitié. »

 

Quand Isma’il reçut cette lettre, il sortit de la forteresse. Il rencontra Mahmoud Bacha et se mis d’accord, prêtant serment d’allégeance aux Ottomans. Muhammad al-Fatih arriva et Isma’il Bek fut emmené en sa présence avec honneur et respect. Le Sultan s’avança à quelques pas de la tente impériale pour le saluer, le serra dans ses bras et l’embrassa. Il se vit attribuer un timar composé de la ville de Yenishehir avec ses dépendances et fut immédiatement envoyé là-bas pour y résider. La province d’Isfendiyar ainsi que ses mines de cuivre furent entièrement soumises et un sancak-beg, des qoudat et des commandants de garnison y furent nommés. Le Sultan tourna ensuite ses énergies contre Ouzoun Hasan.

 

La conquête de Koyulhisar et les menaces contre Ouzoun Hasan

 

Le Sultan installa son camp à Koyulhisar, aux limites des territoires ottomans et en trois jours, la forteresse avait été prise.

De ce point, le Sultan déplaça le camp jusqu’au pâturage d’été à Yassi-Chimen au-delà de la plaine d’Erzincan. Ouzoun Hasan envoya sa mère avec certaines personnes de confiance au camp du Sultan pour plaider en faveur de l’intercession de Mahmoud Bacha auprès du Sultan. Muhammad al-Fatih lui accorda le pardon cependant, comme Ouzoun Hasan n’était pas venu en personne demander pardon, il demanda à sa mère et aux autres envoyés de l’accompagner pendant la campagne.

 

Le Sultan marcha sur Trabzon par la route de Baybourd pour empêcher l’Empereur de s’échapper. Il envoya Mahmoud Bacha en avant sur le flanc gauche avec une partie de l’armée, tandis qu’il s’approcha lui-même par la droite avec l’armée permanente et les troupes anatoliennes. Après avoir franchi les sommets escarpés des montagnes, il rejoignit les forces de Mahmoud Bacha. La flotte était déjà arrivée et encerclait la forteresse par la mer. Puisque le Takfour (empereur, prince) avait jugé l’approche de l’armée peu probable en raison de la rugosité du terrain, il avait déjà engagé les forces navales lorsque le Sultan arriva et encercla la forteresse par voie terrestre. Les canons furent mis en place et le Takfour, voyant qu’il n’avait aucun espoir de s’échapper, offrit sa reddition sans qu’un coup de feu ne soit tiré. Il fut amené en présence du Sultan et revêtu d’une robe d’honneur. Après avoir reçu un salaire pour son entretien, il fut envoyé à Istanbul avec sa famille et ses biens. La forteresse et toutes ses terres passèrent complètement sous le ferme contrôle ottoman tandis que des sancak-beg, des qoudat et des commandants de garnison y furent désignés. Les jeunes filles et garçons de la population chrétienne de Trabzon furent emmenés au service du Sultan, mais les autres furent laissés libres et en pleine possession de leurs biens. Les lourds bagages et les prisonniers furent chargés à bord de navire et envoyés à Istanbul, tandis que le Sultan rentra dans la capitale par la difficile route côtière. Chaque fois qu’en cours de route il avait besoin de provisions ou de fourrage, pour les animaux, les navires l’assistaient. Après de grandes pertes parmi les animaux de transport, ils arrivèrent finalement à Tokat d’où le Sultan rentra sans encombre à Istanbul. Cette année, les Ottomans eurent la chance de remporter trois conquêtes.

 

Les campagnes contre le Beg de Valachie, Kaziklu Voyvoda et Midillu

 

Comme de coutume, le Bek of Valachia payait tribut chaque année au Sultan. Il venait personnellement en présence du Sultan, chargé de cadeaux, pour délivrer le tribut. Le Sultan de son côté le revêtait d’une robe d’honneur, d’un chapeau de feutre rouge et d’un ilskuf doré (une autre sorte de chapeau de cérémonie) et le renvoyait dans son pays. Ce Kaziklu Voyvoda[1], cependant, était un homme très tyrannique. Si un individu d’un certain village commettait un crime, il punissait tout le village, hommes, femmes et enfants en les empalant sur des pieux. Dans sa capitale, Agach-Hisar, il avait un immense jardin s’étendant sur six milles de long et entouré de clôtures des deux côtés. Entre les clôtures étaient exposés les corps de tous les Hongrois, Valaques et Moldaves qu’il avait empalés. Mais sa cruauté ne s’arrêtait pas ici et le nombre de ceux qu’il avait pendus aux arbres à l’extérieur de la forteresse est indéterminé. Il interdit à quiconque de retirer les cadavres pour les enterrer affirmant que quiconque retirait un corps de la potence d’un arbre devait lui-même prendre la place de cet homme. C’est grâce à l’aide du Sultan qu’il put surpasser en nombre les Hongrois et les soumettre à tant de défaites, gagnant ainsi la prééminence parmi les autres beg et devint vaniteux et arrogant. Malgré tout cela, il montra l’audace d’attaquer les terres de l’Islam alors que le Sultan était en campagne contre Trabzon.

 

Après son retour de cette campagne, le Sultan décida de tester le degré de loyauté du Beg de Valachie en lui ordonnant de venir à Istanbul pour présenter son tribut annuel. Kaziklu Voyvoda, craignant la colère du Sultan, présenta diverses prétextes et excuses et refusa de comparaitre. Kaziklu Voyvoda affirma que le devoir de protection contre les Hongrois lui avait été confié et qu’il avait dépensé tout son argent dans les récents combats avec l’ennemi.

Par conséquent, a-t-il soutenu, il n’était ni en mesure de quitter le pays ni de payer de tribut cette année-là. Confirmant le cas, le Sultan entreprit une campagne contre lui et au printemps de l’année 866 (1462), il traversa le Danube avec une armée de 300000 et entreprit de frapper la Valachie. Chaque fois que le Sultan était présent au combat, l’issue était favorable.

 

Un jour, Mahmoud Bacha choisit soigneusement un lieu de halte où le Sultan devait camper. Lorsque le Sultan arriva à cette station, il fut informé qu’il n’y avait pas d’approvisionnement en eau disponible. Il devint très en colère car il était donc devenu nécessaire de marcher une étape supplémentaire.

 

Il se trouve que Kaziklu Voyvoda avait laissé une force sélective de sept mille hommes de garde dans cette région contre son ennemi, le prince de Moldavie, et que simultanément ‘Ali Bek-oglu Evrenouz Bek avait été envoyé dans cette direction pour un raid. Afin de frapper Evrenouz sur ses arrières lors de son retour, l’ennemi attendait à proximité en embuscade. En raison de la forêt profonde, ils ne remarquèrent pas que les forces du Sultan s’étaient également approchées et prirent ces troupes pour les akinci d’Evrenouz Bek. Le Sultan ordonna à Mahmoud Bacha de se déplacer contre l’ennemi. Mahmoud déploya l’armée dans un flanc droit avec Tourahan Bek-oglu ‘Omar Bek, ‘Ali Bek-oglu Ahmed Bek, Mihal-oglu ‘Ali Bek, Malkoch-oglu Bali Bek, et d’autres Beg (ou Bek) distingué, et un flanc gauche avec le Bek d’Albanie, Nasouh Bek, le Bek de Yanya, Develu-oglu Oumur Bek, Mihal-oglu Iskandar Bek et d’autres.

Lorsque l’ennemi sortit des bois et vit cette armée, ils réalisèrent leur erreur et commencèrent à fuir. Les forces ottomanes les poursuivirent, passèrent une partie d’entre eux par l’épée et capturèrent un très grand nombre. L’un des régiments ennemis en fuite rencontra Evrenouz Bek qui n’était pas au courant de la situation. Voyant que l’ennemi était ainsi mis en déroute, les ghazis ottomans se jetèrent dans la mêlée et, de la force valaque originelle de sept mille hommes, pas plus de sept cents s’échappèrent. Même après avoir chargé les chameaux et les mules avec des têtes ennemies coupées, il en restait assez pour que chaque ghazi parade avec une tête sur la pointe de sa lance. Plus de mille furent faits prisonniers, enchaînés et emmenés en présence du Sultan. Les janissaires et les membres de l’armée permanente tirèrent soudainement tiré leurs épées et en un instant abattirent les captifs. Pour résumer, l’armée ottomane se battit pendant une trentaine de jours en Valachie. Le camp ottoman regorgeait de butin et de captifs.

 

Une nuit, Kaziklu Voyvoda lanca une attaque surprise contre le camp du Sultan. Au début, il attaqua les troupes anatoliennes mais ne put pénétrer dans leurs rangs. Il tomba ensuite sur les tentes de l’armée permanente du Sultan et de certains des janissaires, mais ne fit pas beaucoup de dégâts. Ensuite, au milieu de la nuit, il s’enfuit, avec de nombreux blessés vers Ordu-Bazar. Cependant, en chemin, il tomba dans le camp des troupes rumilliennes. Dans chaque tente, des bougies brûlaient et Kaziklu Voyvoda fut complètement pris par surprise. Trois mille sept cents de ses hommes furent capturés et emmenés au Sultan qui ordonna l’exécution par éviscération. Le reste de l’armée valaque fuit avec Kaziklu Voyvoda en Hongrie où il fut fait prisonnier et rencontra sa fin. Le Sultan remplaça ensuite Kaziklu Voyvoda dans le rôle du Bek de Valachie par son frère, Radul, en l’investissant avec un étendard avec une tête d’or, une épée et une ceinture. Le Sultan congédia alors les troupes et retourna à Edirne.

 

C’était l’une des bonnes coutumes du Sultan que, si dans une année une campagne était facilement gagnée, grâce à Allah Exalté, il s’efforcerait d’obtenir une deuxième victoire. Il prépara donc la flotte et l’envoya contre Midillu (Mytilène) tandis qu’il se rendait par voie terrestre à Ayazmend. Le Sultan embarqua à bord d’un des navires et alla sur l’île. Il installa la tente impériale sur une colline surplombant la forteresse et commença le transport des troupes du continent à l’île par bateau. Des canons furent amenés des navires et immédiatement placés dans les tranchées pour commencer à bombarder les murs.

En quelques jours, des brèches s’ouvrirent dans les tours et dans les murs. Des passages souterrains de tranchées menant aux murs furent également construits et le Sultan retourna à Ayazmend, laissant la prise de la forteresse à l’armée permanente. La forteresse fut prise en quinze jours. Le prince (Takfour), sa suite et sa famille furent capturés et amenés en présence du Sultan. Les citadins et les paysans qui s’étaient réfugiés dans la forteresse pendant le siège furent pris prisonniers. Le Sultan revint sur l’île et les prisonniers furent divisés en trois groupes. Un groupe de plus d’un millier de combattants croisés furent exécutés tandis que certains des citadins et des paysans furent choisis pour être présentés comme esclaves aux hommes d’état, aux officiers et à certains soldats. Le reste des citadins et des paysans furent laissés en paix à leur place et soumis à la jizyah et à l’impôt de l’état. L’île entière fut soumise. Lorsque Midillu devint une partie du royaume ottoman, un sancak-beg, des qoudat, des commandants de garnison, des subashis et des sipahis furent nommés tandis que les églises furent converties en mosquées.

 

La conquête de la Bosnie

 

En l’an 867 de l’Hégire (1463), Muhammad al-Fatih décida de conquérir la Bosnie. La Bosnie était une vaste terre riche en gisements d’or et d’argent. Son roi payait la jizyah au trésor du Sultan. En raison de son mariage avec la fille du despote serbe décédé, le Roi de Bosnie revendiqua des droits sur Semendere. Par ces prétentions, il avait retardé la conquête ottomane de cette région en plus, d’avoir atteint sa royauté actuelle en assassinant son père et en prenant sa place. Muhammad lui proposa tout d’abord d’accepter l’Islam et, après avoir reçu son refus, marcha sur la Bosnie.

 

Bien que la Bosnie fût un pays lointain, les troupes ottomanes participèrent volontiers à cette campagne, attirées par l’espoir d’un riche butin. Lorsque l’armée atteignit la région frontalière, un groupe de raiders (d’akinci) attaqua la forteresse de Bobofca et réussit à la prendre avant que le Sultan n’arrive avec le corps principal de l’armée. Suite à cela, Visoka et plusieurs autres forteresses se rendirent de leur plein gré. Certains des ennemis qui étaient déterminés à maintenir la résistance se réfugièrent dans des tours et des refuges dans les montagnes. Au fur et à mesure que le Sultan avançait le long des sentiers de montagne escarpés, il s’arrêtait de temps en temps et ordonnait à Mahmoud Bacha ou à l’un des autres suppliants de chasser les résistants de leurs cachettes. Certains furent débusqués par la fumée ; d’autres virent leur approvisionnement en eau coupé tandis que d’autres furent subjugués par des incursions soudaines. De nombreux prisonniers furent faits car de grandes foules de gens s’étaient réfugiées dans ces cachettes.

 

Lorsque le Sultan installa son camp à Travnik, il apprit des prisonniers que le roi se trouvait actuellement dans la forteresse de Yayce. Il envoya immédiatement contre lui Mahmoud Bacha avec les forces rumilliennes. Lorsque Mahmoud atteignit la rivière Vrba, il apprit que le roi s’était réfugié dans la forteresse de Sokol. Il se tourna donc vers Sokol et de violents combats éclatèrent entre les camps opposés sur ce terrain escarpé. Le roi, cependant, n’y resta pas non plus et on apprit qu’il se trouvait maintenant dans la région autour de la forteresse de Klouc.

Mahmoud fut informé par le commandant des raiders, le Bek de Tirhala, Tourahan Bek-oglu ‘Omar Bek, que le roi était actuellement à l’intérieur de la forteresse et ignorait leur présence. Mahmoud Bacha ordonna aussitôt ses rangs et marcha contre la forteresse. Les éclaireurs d’avant-garde avancèrent. Puisque l’ennemi avait détruit le pont, ils traversèrent la rivière à la nage. Le roi prit ces éclaireurs pour des akinci. Il déploya ses troupes à cheval et d’infanterie en rangées et plaça au centre les arbalétriers, les mousquetaires et les canonniers. Il plaça ces forces autour des limites de la ville pendant qu’il regardait l’action depuis une tour. Les soldats ottomans attaquèrent cette force et de violents combats débutèrent devant la forteresse. Les tirs de mousquet et les flèches d’arbalètes remplirent l’air.

Avant que Mahmoud Bacha n’atteigne la bataille, les éclaireurs avaient complètement vaincu les forces ennemies. Ceux qui restaient s’étaient réfugiés dans le château. Lorsque Mahmoud Bacha arriva enfin, la forteresse était encerclée de tous côtés. La ville en dehors des fortifications fut incendiée. La forteresse, qui avait maintenant perdu tout espoir de survie, se rendit. Le roi sortit de la forteresse et, pour assurer sa propre sécurité, accepta de céder d’autres forteresses et de céder son trésor. Mahmoud Bacha l’envoya chez le Sultan et se tourna vers Izvecay où résidait le jeune frère du roi. Il encercla le château et les défenseurs, voyant qu’ils n’étaient pas en mesure d’offrir la bataille, soumirent leur reddition et remirent le frère du roi. À ce stade, le Sultan avançait contre Yayce. Quand ceux de la forteresse de Yayce virent que leur roi et son frère avait été capturé, ils se livrèrent volontairement au Sultan. Le Sultan donna quelques-uns des prisonniers de la forteresse de Yayce comme esclaves aux Begs et aux soldats tout en en maintenant d’autres dans la forteresse. Bref, ce vaste territoire avec toutes ses forteresses fut entièrement maîtrisé.

 

Suite à cela, le Sultan envoya Mahmoud Bacha contre Hersek (Stjepan Vukcic d’Herzégovine). Hersek s’enfuit sur le littoral et la plupart des forteresses de son territoire furent capturées. Plus tard, Hersek envoya son fils à la cour du Sultan comme otage et souhaita faire la paix. Son fils  devint un grand compagnon préféré et proche du Sultan. Il (Hersek-zade Ahmed bacha) épousa une des Sultana, devenant ainsi un parent du Sultan, et se vit déléguer le poste d’Anadolu Beylerbeyi et même pour un temps d’amiral. Après un an ou deux, Hersek mourut, et sa terre devint également une partie des dominions ottomans.

 

En plus de ces annexions, les terres appartenant aux principicules du nom de Kovac-oglu et Pavli-oglu, situées entre la Bosnie et les terres de l’Islam, furent jointes au royaume ottoman. Bref, au cours de cette campagne quatre provinces furent annexées et organisé sous l’administration de sancak-beg et qoudat.

Les mines furent placées sous le contrôle des amins et les ri’aya (résidents) furent soumis à la jizyah. Le Sultan retourna alors à Istanbul avec d’innombrables butins et richesses.

 

La nouvelle de la mort de Karaman-oglu Ibrahim Bek

 

Après son retour de cette campagne, le Sultan apprit que Karaman-oglu Ibrahim était mort et qu’avec l’aide d’Ouzoun Hasan son fils aîné, Ishaq, était devenu Beg de Karaman à sa place. Le deuxième fils d’Ibrahim, Pir Ahmed, s’était enfuit et trouvé refuge auprès du Sultan. Pir Ahmed fut envoyé contre son frère à Karaman avec une force sous le commandement du Sancak-beg d’Antalya, Kose Hamza Bek. Ishaq Bek, se rendant compte que la résistance était vaine, installa sa famille dans la forteresse de Silifke et se réfugia chez Ouzoun Hasan. Pir Ahmed devint ainsi Beg de Karaman. En échange de l’aide d’al-Fatih, Pir Ahmed donna plusieurs provinces aux Ottomans.

Après son succès, Hamza Bek revient au côté du Sultan. Cet événement eut lieu en l’an 868 de l’Hégire (1463-64).

 

L’alliance entre les états chrétiens et leur attaque contre les Ottomans

 

La Bosnie est limitrophe de la Hongrie. Grâce à la correspondance entre les dirigeants de divers états chrétiens, une alliance fut formée. En outre, les Vénitiens envoyèrent une flotte avec l’intention de reconstruire les murs de l’Isthme de Corinthe. La population musulmane de Morée se réfugia et s’enferma dans ses forteresses. D’autre part, les Hongrois envoyèrent une force importante en Bosnie pour assiéger la forteresse de Yayce. Enfin, même les Albanais commencèrent à se rebeller sporadiquement.

 

Face à cette situation, le Sultan estima que soumettre les Albanais était une chose facile. Les forteresses de Bosnie étaient fortement fortifiées et difficiles à conquérir pour l’ennemi mais laisser la Morée aux mains de l’ennemi était impensable. Les Musulmans piégés dans leurs forteresses devaient être secourus. Ainsi, tandis que des renforts étaient envoyés aux Begs en Albanie et en Bosnie, Mahmoud Bacha fut envoyé en Morée avec les forces rumilliennes. Le Sultan lui-même suivit ses traces avec les janissaires et l’armée permanente.

 

Après avoir achevé les fortifications de l’Isthme de Corinthe, les Vénitiens procédèrent au siège des forteresses l’une après l’autre, en commençant par Corinthe. Des canons furent placés sur la colline escarpée et commencèrent à bombarder les murs de la forteresse.

Le commandant, Elvan Bek-oglu Sinan Bek, se rendit compte qu’il n’y avait plus aucun espoir de tenir le coup. Résigné à mourir, il résolut de faire une dernière sortie dans l’obscurité de la nuit avec un groupe d’élite de soixante hommes. Ils surprirent l’ennemi dans leur sommeil et le camp ennemi tomba dans la confusion et la panique et s’enfuit dans l’Isthme, laissant derrière lui son artillerie. Lorsqu’ils apprirent que le Sultan s’approchait également avec ses forces, ils se replièrent sur leurs navires. Ces ouvriers et citoyens de la classe inférieure parmi l’ennemi pour qui il n’y avait pas de place sur les bateaux se dispersèrent dans les campagnes. Lorsque Mahmoud Bacha apprit que l’ennemi s’était enfui, il continua sa marche nuit et jour à un rythme soutenu. Au cours de cette marche, il m’envoya comme messager pour annoncer au Sultan la victoire. J’atteignis le camp du Sultan à la périphérie d’Izdin (Zituni) et rencontra Ishaq Bacha, le deuxième Vizir qui me conduisit en présence du Sultan à qui j’ai également relaté les développements. L’armée fut ravie d’apprendre la bonne nouvelle de cette victoire.



[1] Kazikli Voyvoda (prince empaleur en turc) n’était autre que Vlad IV, le prince de Valachie. C’était un dirigeant très cruel qui tyrannisait surtout les Turcs. Fils du prince Dracula. Il se battit contre les Ottomans durant le Sultanat de Muhammad al-Fatih. Il tua des captifs turcs en les torturant et en les empalant. Avec sa cruauté, il laissa un signe sanglant dans les Balkans. Il empala Vidin Bey et Hamza Bacha. Il tortura des gens de manière incroyable. Il écorcha, par exemple, la peau des captifs et saupoudra de sel leur corps, puis fit lécher le sel aux chèvres. Il cloua les turbans des ambassadeurs turcs sur leur tête. Il coupa les tétons des femmes et mis la tête de leurs bébés dans leur sein. Toutes ces méthodes de torture incroyables furent des inventions de Vlad. C’était un dirigeant sauvage. Le Sultan Muhammad al-Fatih tenta de l’attraper mais il s’échappa avant d’être finalement tué en 1462 par l’un de ses propres soldats.