Tarikh Abou al-Fath

 

L’histoire de la vie et des réalisations de Muhammad II, Conquérant d’Istanbul

Toursoun Bek.

 

L’histoire de Muhammad-al-Fatih
Le retour du Sultan sur le trône

 

Le père de Muhammad, Mourad, abdiqua volontairement le trône en faveur de son fils. Cependant, le remplacement de Mourad sur le trône s’effectua trop rapidement et Khalil Bacha, qui acquit le Vizirat par droit d’héritage et par sa propre compétence, était d’avis que, bien que le Sultan était jeune, il serait bientôt emporté par la volonté d’agir indépendamment. De plus, il pensait que deux dirigeants actifs dans un même état seraient inévitablement une source de problèmes. Les proches associés de Mourad s’efforcèrent tous de le réintégrer en tant que Sultan cependant, Mourad laissa toutes ces questions à la discrétion de Khalil Bacha. A ce stade, les Hongrois s’étaient avancés jusqu’à Varna. Khalil Bacha, avec l’approbation des commandants de l’armée, annonça à Muhammad qu’il était nécessaire de rappeler son père Mourad pour commander les troupes, avec la promesse que le Sultanat serait à nouveau le sien. Muhammad abdiqua le trône et avec son tuteur (atabek) Zaganoz Bek, il partit pour Manisa.

Au mois de Mouharram 855 (février 1451), le Sultan Mourad mourut.

 

L’intronisation de Muhammad al-Fatih et la campagne contre Karaman

 

Muhammad fut intronisé le jeudi 16 Mouharram 855 (18 février 1451).

Au printemps de cette année-là, Karaja Dayi Bek, le gouverneur général de Roumélie, fut laissé avec les troupes rumilliennes de garde à Sofia contre l’éventualité d’une attaque de la Hongrie, tandis que le Sultan lui-même partit avec l’armée permanente et les troupes d’Anatolie contre Ibrahim Karamanoglu. La raison apparente de la campagne était le non-respect par Ibrahim des règles en tant que vassal au moment de l’intronisation de Muhammad. Quand Muhammad campa avec son armée à Akshehir, Ibrahim s’enfuit à Tash-Ili et envoya Mawlana Wali pour négocier des conditions de paix. Il accepta d’abandonner Akshehir, Begshehri et Seydishehri, y compris les territoires qui les entouraient. De plus, il accepta d’envoyer chaque année un certain nombre de soldats pour servir dans l’armée ottomane.

A son retour de cette campagne, les janissaires manifestèrent. Debout avec leurs bras en deux rangées de chaque côté de la route, ils lui crièrent les mots suivants : « C’était la première campagne de notre Sultan, et il devrait nous récompenser avec la prime d’usage. » Cette manifestation déplacée des soldats courrouça Muhammad.

Lorsque le diwan se réunit, il convoqua les officiers qui après avoir été sévèrement battus, furent déchus de leur position. Suite à cette punition, les janissaires vinrent à craindre la colère de Muhammad et plus jamais pendant son Sultanat ils n’osèrent se rebeller contre lui. Suite à cet incident, Muhammad retourna à Edirne.

 

La construction de la forteresse de Bogaz-Kesen

 

Muhammad avait l’idée de conquérir Istanbul et insistait constamment sur la nécessité de prendre la ville sans tarder.

Des hommes d’état supérieurs mentionnèrent la force des fortifications et des mauvaises conséquences qui résulteraient d’un siège prolongé de la ville, mais Muhammad ne voulut pas écouter et commença immédiatement les préparatifs du siège. Dans cette intention, il ordonna la construction d’une forteresse sur le Bosphore.

 

Il était intolérable qu’Istanbul, entourée par les terres de l’Islam, puisse survivre sous un dirigeant chrétien, le soi-disant Qaysar-i Roum, d’autant plus qu’il offrait une protection à l’intérieur des murs de la ville aux prétendants au trône ottoman et essayait constamment de de susciter des conflits dans les territoires ottomans.

Au début de l’année 856 (1452), le Sultan Muhammad arriva à l’endroit où la forteresse devait être construite.

Un petit château avec vingt portails ouvrant sur la mer fut construit au-dessous Roumélie Hissari près du rivage et un canon fut placé à chaque ouverture. A travers l’eau au-dessous de la forteresse de Yenicekale, un petit château similaire fut construit et équipés aussi de canons. De cette manière, les détroits furent effectivement bloqués de sorte que le passage non autorisé entre la Méditerranée et la Mer Noire était désormais impossible.

Le Sultan abandonna toute pensée de détente et, grâce à ses efforts, les travaux de Roumélie Hissari furent achevés en peu de temps.

 

La conquête d’Istanbul

 

Une fois la construction de Roumélie Hissari achevée, le Sultan partit pour sa capitale, Edirne. Avant le départ de l’armée pour Edirne, une bagarre eut lieu entre quelques bergers et un groupe de soldats ottomans. Les gens à l’intérieur de la ville, prenant la bagarre pour le début des hostilités, fermèrent les portes de la ville et se préparèrent au combat. Certains des commandants du Sultan qui se trouvaient en congé dans la ville à ce moment-là restèrent à l’intérieur des murs. Le prince les traita bien et les renvoya avec un envoyé pour s’excuser auprès du Sultan, mais Muhammad se montra peu réceptif et exprima son hostilité en exprimant le défi : « Soumet la ville ou prépare toi à combattre. » Puis il retourna ensuite é à Edirne.

 

Au début de l’année 857 (1453), il quitta Edirne avec l’intention de capturer Istanbul. Il ordonna que les gros canons soient traînés par les yaya. Les maîtres nakkab, foreurs de pierre des mines de Roumélie, rejoignirent l’armée pendant que les forces navales attendaient à Gelibolu. Le Sultan procéda par terre et la marine par mer. Selon la coutume, le jour où ce camp devait être établi près d’Istanbul, l’armée fut ordonnée par régiment en rangées. Il plaça au centre de l’armée autour de sa propre personne les archers janissaire à coiffe blanche, les arbalétriers turcs et européens, et les mousquetaires et canonniers. Les ‘Azeb à coiffe rouge furent placés à sa droite et à sa gauche, joints à l’arrière par la cavalerie. Ainsi organisée, l’armée marcha en formation sur Istanbul.

 

De l’autre côté, l’Empereur Byzantin avait reçu des renforts de dirigeants chrétiens d’Europe. Il envoya ces chevaliers montés en armure devant les portes pour rencontrer l’armée du Sultan qui s’approchait. Les forces musulmanes les repoussèrent à l’intérieur des murailles et finalement le Sultan arriva sur les lieux à l’extérieur des murs. Selon la pratique ottomane, le Sultan dressa sa grande tente au milieu des rangs. Les janissaires montèrent leurs tentes en forme de cercle entourant le Sultan. Le Beylerbeyi (gouverneur général) d’Anatolie, Ishaq Bek, l’un des précédents Vizirs du Sultan Mourad, se plaça dans l’aile droite avec les forces anatoliennes, tandis que le Beylerbeyi de Roumélie, Karaja Dayi Bek, l’oncle du Prince ‘Ala' ad-Din, était à gauche. Des tranchées furent creusées pour mettre en place le canon, et des catapultes furent installées à plusieurs endroits. Ils érigèrent des barricades et des bunkers voûtés et montrèrent aux mineurs leur place. Les hostilités éclatèrent immédiatement devant les portes.

 

Cependant, le fait que la Corne d’Or était fermée présenta une difficulté. Le Sultan Muhammad ordonna que certains des plus petits navires et galères soient traînés sur la colline derrière Galata dans la Corne d’Or. Ainsi obligées de garder également le secteur des murs de la Corne d’Or, les forces ennemies seraient nécessairement dispersées. Ainsi, comme ordonné, les navires et les galères furent ornés de bannières de toutes les couleurs et traînés par voie terrestre jusqu’à la Corne d’Or. En amarrant les bateaux ensemble, un pont sécurisé fut formé sur lequel les soldats pouvaient traverser et la forteresse fut encerclée sur trois fronts.

 

Pendant ce temps, les canons et les catapultes continuèrent à bombarder les murs. Le choc des boulets secoua et déchira les murs. Les combats se poursuivirent tous les jours du lever au coucher du soleil mais les défenseurs faisaient confiance à la fermeté des fortifications même après que plusieurs tours aient été complètement détruites par des tirs de canon. A ce stade, deux navires remplis d’armes et de renforts arrivèrent d’Europe. Durant ce temps, les soldats et les troupes navales du Sultan se préparaient activement à tirer les navires vers la Corne d’Or. Avec l’aide d’un vent favorable, les navires commencèrent à approcher très rapidement. L’amiral Souleyman Baltaoglu Bek envoya contre eux tous les navires qu’il put rassembler, et une grande bataille eut lieu dans laquelle les Ottomans furent vaincus. Les Grecs ouvrirent la barrière à travers la Corne d’Or et laissèrent entrer les navires.

 

Après cette défaite navale, les Musulmans furent affligés et perdirent espoir cependant, l’arrivée des coques s’avéra en fait être un facteur qui contribua à la victoire finale des Ottomans. Entretemps, les murs faisant face aux janissaires et aux soldats du Sultan avaient été détruits et des passages furent préparés vers les tranchées. Les Grecs craignaient que la forteresse ne soit prise dans cette direction et voulaient être eux-mêmes responsables de sa défense. Cependant, les troupes européennes venues en renfort exigèrent que la défense de cette zone leur soit donnée, menaçant sinon de retirer leur soutien. Craignant qu’ils abandonnent effectivement la cause s’il ne cédait pas, l’Empereur exauça leur souhait. Ceci, à son tour, provoqua le mécontentement parmi les Grecs de la ville et les forces de défense de la ville tombèrent en désunion.

 

Le Sultan proclama un assaut général et donna aux troupes la permission de prendre le butin dans la ville. La nuit, les soldats se rendaient aux murs depuis les tranchées et, contre les défenseurs sur les murs, tentaient de grimper sous la protection de leurs boucliers. Au lever du jour, le Sultan s’approcha à cheval et l’attaque de la forteresse commença sérieusement. Les canons commencèrent à tirer, puis le cri de guerre retentit et l’assaut général fut lancé. Les assaillants firent pleuvoir des flèches sur les défenseurs. Dans les brèches qui avaient été ouvertes par le feu du canon, les soldats se battaient poitrine contre poitrine et épée contre épée. L’ennemi lanca du naphte sur les assaillants. Alors que la bataille se déroulait de cette manière, dans la section où les canons avaient ouvert des brèches dans les murs, les troupes européennes rencontrèrent les troupes ottomanes devant les plus petits murs extérieurs. Le commandant ennemi arriva à cet endroit et, alors qu’il luttait avec un soldat ottoman au sommet de la tour, un autre soldat lui perça le ventre par dessous. Lorsqu’ils virent que leur commandant avait été blessé, les troupes ennemies furent vaincues. Ils tentèrent de s’échapper en fuyant dans les forteresses intérieures, mais les défenseurs avaient barricadé la porte. Coincés entre les murs, ils furent tous passé par l’épée. Les troupes ottomanes prirent immédiatement d’assaut les murs intérieurs et repoussèrent les défenseurs. Le reste de l’armée commença alors à se répandre dans la ville au moyen de la brèche dans le mur tandis que les troupes ennemies fuyaient devant eux.

 

Tandis que l’armée permanente du Sultan, remportait cette victoire, les troupes anatoliennes, rumilliennes et de la marine continuaient à se battre sans se rendre compte des nouveaux développements. L’Empereur Byzantin et sa suite furent réduits à la panique lorsqu’ils virent les janissaires si près derrière eux, et se mirent à fuir eux aussi. Certains d’entre eux s’enfermèrent dans une tour tandis que d’autres périrent en chargeant désespérément leurs chevaux contre les troupes ottomanes. D’autres encore furent faits prisonniers.

 

À ce moment-là, l’Empereur fuyait furtivement vers la Corne d’Or avec l’intention de s’échapper dans l’un des navires. Il fut rencontré en chemin par un groupe de ‘Azeb. Ce groupe de ‘Azeb était entré dans la ville avec un groupe de janissaires, et plus tard, se séparant d’eux, s’était égaré dans une petite rue où ils rencontrèrent l’Empereur avec sa suite. Une bataille désespérée s’ensuivie. Le cheval de l’Empereur glissa alors qu’il attaquait un ‘Azeb blessé, sur quoi le Azeb se ressaisit et coupa la tête de l’Empereur. Quand le reste des troupes ennemies virent cela, ils perdirent espoir et les ‘Azeb réussirent à tuer ou capturer la plupart d’entre eux. Une grande quantité d’argent et de pierres précieuses en possession de la suite personnelle de l’empereur fut également saisie.

 

Après avoir complètement vaincu l’ennemi, les soldats commencèrent à piller la ville. Ils asservirent les garçons et les filles et prirent des vases en argent et en or, des pierres précieuses et toutes sortes de biens et de tissus de valeur du palais impérial et des maisons des riches. De cette manière, de nombreuses personnes furent délivrées de la pauvreté et enrichies.

Puis les portes de la forteresse furent ouvertes et le Sultan Muhammad visita la ville avec un groupe de commandants et de dignitaires religieux dans sa suite. Il visita les grands bâtiments et les bazars et exprima particulièrement son désir de voir Hagia Sofia. Au fil des ans, cette église s’était détériorée de sorte qu’à cette époque, seul son dôme était resté debout.

 

Lorsque le Sultan revint à son quartier général après cette tournée, un conseil eut lieu. Là, les Byzantins éminents furent amenés en sa présence. Il ordonna l’exécution de certains d’entre eux tandis que d’autres furent épargnés à des fins pratiques. Il nomma Souleyman Karishtiran Bek gouverneur d’Istanbul et lui confia le travail de reconstruction de la ville.

 

La capture d’Enoz (Ainos) et Tasoz (Thasos), et la Campagne Serbe

 

Au milieu de l’hiver, Muhammad ordonna à la force du palais et aux troupes régulières de sa Porte avec les janissaires de se rendre à Edirne. Parce qu’il n’était pas habituel d’être appelé pour le devoir durant cette saison, ils furent mécontents de l’ordre et souffrirent de nombreuses difficultés en cours de route à cause du froid. La raison pour laquelle il les appela pour une campagne à cette époque était sa décision de conquérir Enoz et Tagoz. En tant que vassal ottoman, leur seigneur était autorisé à obtenir des parts des revenus des mines de sel et d’autres sources qui étaient dues au trésor central ottoman. Il feignit de soutenir les Ottomans mais se comporta comme s’ils étaient ses ennemis. Il hébergeait des esclaves en fuite, refusant de les rendre et, lorsqu’un village ottoman fut soumis à l’une des fréquentes attaques de la mer, il se dégageait de toute responsabilité en disant : « Ces assaillants sont des navires corsaires. Nous n’avons aucune autorité sur eux. » Le château d’Enoz fut encerclé de terre par l’armée du Sultan et par mer par les navires en provenance de Gelibolu et se rendit sans un coup de feu.

Le Prince s’approcha du Sultan et lui remit les clés de la forteresse. Les églises furent converties en mosquées et un Qadi (militaire) et un gardien de la forteresse furent nommés. Cette victoire eut lieu en 858 (1454), et après son achèvement, le Sultan retourna à Edirne. Là, il exécuta certains de ses ennemis qui étaient en état d’arrestation.

 

Le vieux despote serbe mourut cet hiver-là et, n’ayant laissé aucun héritier, le Sultan décida de mener une campagne contre le pays qui commença au début de l’année (printemps) 858 de l’Hégire (1454).

La Serbie est une terre riche en gisements d’or et d’argent. Le Sultan conquit les forteresses de Novaberda, Trepqa et d’autres avec leurs mines. Certains d’entre eux se rendirent de leur plein gré tandis que d’autres furent prise de force. Dès lors, la production des mines appartint au trésor ottoman.

 

La Campagne de Belgrade 

 

Alors que le Sultan était occupé par la conquête de la Serbie, il apprit que les Hongrois avaient également l’intention d’attaquer cette région. De retour à Edirne, il ordonna que des préparatifs soient faits pour rencontrer les Hongrois. Cette année-là, il accorda cependant une période de repos aux troupes, bien que lui-même ait hâte d’entamer la campagne. Son objectif était la prise de Belgrade, clé de la conquête de la Hongrie. Il ordonna la préparation de gros canons, de catapultes et d’une flotte danubienne et partit au printemps de l’année 860 (1456). Dans cette campagne, les yaya furent employés pour transporter l’artillerie lourde d’Uskup (Skoplje).

 

Le Sultan installa le quartier général du camp près de Belgrade et attendit l’arrivée des forces navales. Les canons, les catapultes, les sapeurs et les mineurs chargés de détruire les défenses ennemies entamèrent leurs travaux contre les murs. La bataille se poursuivit tous les jours du matin au soir. Puis Yanko et son armée arrivèrent et s’établirent sur la rive opposée du Danube face à la forteresse.

Karajah Dayi Bek proposa qu’il soit autorisé à traverser la rivière et tente de disperser les forces, mais le plan fut rejeté par une partie des commandants et des Vizirs. Yanko avait également préparé une flotte sur le Danube supérieur qui s’approchait rapidement avec le courant rapide.

Les navires du Sultan purent capturer les quatre ou cinq premiers navires ennemis, mais suivait une force ennemie écrasante. Les navires ottomans furent contraints de s’éloigner des murs de la forteresse. Prenant ainsi le contrôle naval, les troupes de renforts de Yanko purent entrer dans la forteresse en toute sécurité. Quand le Sultan vit cela, il ordonna une attaque immédiate sur la forteresse avant que toutes les troupes ennemies ne s’y soient installées. Le lendemain matin, il mena un assaut sur la forteresse après que son approche eut été dégagée par des tirs de canon. Ses troupes repoussèrent les défenseurs et pénétrèrent dans la forteresse mais pendant que les troupes étaient occupées par le butin, l’ennemi, qui attendait en embuscade, attaqua. Les troupes ottomanes ne purent résister à l’attaque et furent contraintes de battre en retraite par la brèche des remparts par laquelle elles étaient entrées. Beaucoup furent tués au cours de cette retraite.

 

En un jour et une nuit, Yanko réussit à faire entrer dans la forteresse toutes ses troupes qui avaient campé sur la rive opposée du Danube et stationna un grand contingent en face de chaque ouverture dans les murs. Toutes les tentatives ottomanes de regagner la forteresse furent repoussées par ces contingents. Sur ce, il fut ordonné que les troupes ottomanes se retirent comme si elles étaient vaincues, dans l’espoir d’attirer l’ennemi hors de la forteresse à sa poursuite. Les troupes de Yanko se précipitèrent hors de la forteresse et tombèrent sur l’armée ottomane en retraite. Ils avancèrent jusqu’au point où se trouvait le Sultan. Les Vizirs et les commandants demandèrent au Sultan de reculer un peu plus, mais le Sultan n’écouta pas. « Tourner le visage à l’ennemi est le signe de la défaite. Allah m’a accordé une grande grâce. » Sur ces mots, il marcha contre l’avancée du contingent de l’armée et abattit trois soldats ennemis. Voyant cela, les troupes ottomanes reprirent courage et passant à l’attaque, ils repoussèrent l’avance ennemie sur la plaine. Pas un sur cent des soldats ennemis ne réussit à regagner la forteresse et la victoire fut célébrée avec enthousiasme dans le camp ottoman.

 

Ils auraient pu facilement reprendre la forteresse avec une petite charge, mais le soleil s’était couché et les troupes étaient fatiguées et beaucoup d’entre elles étaient blessées. Le Sultan retarda la prise de la forteresse et donna l’ordre de retour. La nouvelle parvint au camp que Yanko était mort des suite d’une flèche qui l’avait blessé quelques jours après son arrivée dans son pays. À ce stade, le Sultan retourna à Edirne.

 

Campagne du Sultan en Morée et l’expédition de Mahmoud Bacha en Serbie

 

Au printemps de l’année 862 (1458), Mahmoud Bacha fut envoyé en Serbie avec mille janissaires, les forces rumilliennes et un contingent d’akincis. Lorsque Mahmoud arriva à Filibe (Plovdiv), le Sultan marcha contre la Morée avec sa force de palais, l’armée permanente et le reste des akincis. Jusque-là, le Roi hongrois Yanko avait prêté son assistance militaire aux Serbes. Maintenant qu’il était mort, les Serbes envoyèrent des messagers et des lettres à la Porte exprimant leur désir de faire la paix. Le Sultan, ne voyant aucun besoin d’être présent lui-même, envoya Mahmoud Bacha en Serbie. Pendant ce temps, il s’occupa de Korinthos, porte de la Morée, qui tomba après quelques jours de combats. La forteresse de Balloubadra (Paléo-Patras) sur la côte et ses environs et plus tard de nombreuses autres forteresses et leurs terres environnantes furent également capturées. La conquête de certaines terres fut reportée en raison de la déclinaison et de l’inaccessibilité des routes et des cols.

 

Quant à Mahmoud Bacha, il se rendit de Filibe à Sofia. Les Serbes firent savoir qu’ils avaient promis de ne céder leurs terres qu’au Sultan lui-même. Le Sultan n’étant pas venu en personne, ils dirent qu’ils avaient l’intention de donner leurs terres aux Hongrois qui avaient promis de leur donner en retour des centaines de milliers de florin d’or et dix forteresses de l’autre côté du Danube. À la réception de ce message, Mahmoud Bacha tint une conférence avec les Begs. Ils firent valoir que l’ennemi était fort et que s’il soumettait les troupes de Mahmoud Bacha à une grave défaite, cela pourrait interférer avec les plans du Sultan en Morée. De plus, comme ils manquaient de toute façon d’armes et de munitions nécessaires pour un siège, le meilleur plan était de s’abstenir d’avancer au-delà de Sofia et de rester sur leur garde contre les attaques ennemies en Roumanie. Pour contrer ces arguments, Mahmoud Bacha déclara qu’il n’était pas juste de faire preuve de faiblesse envers l’ennemi et que, de plus, le Sultan n’avait donné aucun ordre spécifique de rester à Sofia et de garder la Roumélie. En bref, Mahmoud Bacha vit que la meilleure ligne de conduite était de marcher contre la Serbie. Il rassura les doutes des Begs et des troupes du Sultan en distribuant des primes et des robes d’honneur.

 

Des préparatifs furent donc faits pour entrer en territoire ennemi. Mahmoud rassembla des journaliers parmi les forestiers et ailleurs et, comme un faucon, tomba sur la Serbie. Les forteresses frontalières de Resava et d’Omol furent facilement capturées et des troupes de garnison établies. Il se tourna ensuite vers Semendere (Smederevo). Les unités akinci, chacune sous son propre drapeau et commandées par un tovica, avancèrent comme des unités organisées. Les forestiers, organisés en régiments d’infanterie, étaient placés à gauche et à droite de l’armée. Les janissaires, qui formaient un groupe distinct sous le commandement direct du Bacha, prirent leur place au centre des rangs. Le train de bagages et le troupeau, qui accompagnaient l’armée pour fournir de la viande aux troupes, suivaient de près leurs talons.

 

Ainsi déployée, l’armée ottomane sortit soudainement de la forêt en face de la forteresse de Semendere. Les tirailleurs de l’avant-garde ottomane repoussèrent la force envoyée pour s’opposer à eux.

Lorsque Mahmoud atteignit la forteresse, il proposa à ses habitants de se rendre. Ils répondirent que les Hongrois approchaient rapidement et donneraient aux Ottomans une bonne leçon dès leur arrivée. Mahmoud resta une semaine devant Semendere et détruisit toutes les récoltes autour de la forteresse.

 

Bien que les Begs s’opposèrent au plan de Mahmoud, lui rappelant la puissance de feu des canons et des mousquets ennemis, Mahmoud lança toutes les forces montées et d’infanterie rassemblées autour de lui contre la forteresse. Une deuxième demande de reddition de la forteresse fut présentée, cette fois délivrée par Ishak-oglu ‘Issa Bek et ‘Ali Bek-oglu Ahmed Bek, mais l’ennemi refusa de nouveau. Ils continuèrent à faire pleuvoir des boulets de canons et des balles de mousquets sur les troupes ottomanes qui attaquaient. Les défenses ennemies consistaient en une tranchée creusée complètement autour de la ville proprement dite entourée de deux murs séparés.

Mahmoud prit d’assaut ces murs et gagna l’entrée dans la ville. Les troupes ennemies fuyant devant lui furent passées par l’épée et la ville pillée. Seule la forteresse intérieure restait à prendre.

Après y être resté trois jours supplémentaires, Mahmoud déménagea dans la province de Machva, un district boisé prospère le long des rives de la rivière Sava. En plus des raids et des pillages généraux, Mahmoud captura Guzelce-Hissar (Avala), la clé de la défense des approches de Belgrade, et Sivrice-Hissar (Ostrovica), qui protégeait la mine d’argent de Rudnik. Il se rendit ensuite à Yellu-yurd dans le quartier de Nish où il décida de camper pendant le mois de jeûne de Ramadan.

 

Décidant de prendre la forteresse de Guverchinlik (Golubac), Mahmoud promis des timars (titre de propriétés) à son commandant de garnison et à d’autres Serbes et, en envoyant secrètement des robes d’honneur et d’autres cadeaux, gagna leur soutien. À la fin du mois de Ramadan 862 (13 juillet 1458), il donna l’ordre d’assaut sur Guverchinlik. Les navires arrivant de Vidin encerclèrent également la forteresse par eau et les Serbes se rendirent et présentèrent les clés de trois forteresses. Enfin, la forteresse intérieure de Guverchinlik elle-même fut forcée de céder en raison du manque d’eau.

 

Les troupes ottomanes continuèrent à faire escarmouche autour de la forteresse hongroise de Trnav sur la rive opposée du Danube tandis que Mahmoud retournait à Machva. En promettant des timars aux anciens martolos, il obtint des informations sur les cols dont dépendaient les Hongrois pour le passage de leurs troupes de l’autre côté de la rivière Sava. Au point où la Sava se divise, Mahmoud franchi la rivière avec ses akinci. Les akinci, réorganisés en sept régiments, furent envoyés en mission de raid sous le commandement du Minnet-oglu Muhammad Bek contre la grande île entre le Danube et la Sava. Je fus[1] personnellement député comme amin (agent responsable) par Mahmoud Bacha. Les pencikci et armaganci chargés de collecter la part du butin du Sultan furent envoyés avec les akinci tandis que Mahmoud Bacha lui-même revint au corps principal de l’armée. Les akinci réussirent à capturer une forteresse et envoyèrent deux cents prisonniers armés au camp de Mahmoud. Les akinci assiégèrent ensuite la forteresse de Dimitrofca (Mitrovica) et lorsque Mahmoud s’approcha de l’autre côté de la rivière, elle se rendit à lui.

 

De Dimitrofca, les akinci montèrent à bord des navires sur lesquels ils atteignirent la Serbie. Les Hongrois campaient en face d’eux avec une armée de dix régiments. Mahmoud leva le camp et retourna à Yellu-yurd.

À ce moment-là, le Sultan, revenant de la Morée, avait atteint Uskub (Skoplje) et convoqué Mahmoud Bacha en sa présence.

À l’arrivée de Mahmoud Bacha, le Sultan retourna à Edirne, la demeure du Sultanat.



[1] Toursoun Bek se trouvait dans l’armée de Muhammad-al-Fatih et assista donc personnellement aux évènements relatés qu’il rapporta.