Ghazi et Ghazwa
Aux huitième et neuvième siècles (XIIIe et XIVe) en
Anatolie, une littérature turque apparut comme un moyen
d’enseigner aux gens la religion de l’Islam et les règles de
Ghazwa. Cette littérature fut, sans aucun doute, une réponse
aux besoins du public et un moyen d’éduquer des groupes de
personnes. Le but principal de cette simple littérature
turque était d’éduquer le peuple turcoman ordinaire, nomades
ou installés dans les villes et villages, et les combattants
luttant dans les régions frontalières. Certains de ces
ouvrages didactiques (ilm-i hal) visaient à enseigner
aux frontaliers la religion de l’Islam et les pratiques
religieuses quotidiennes. Il y avait aussi des œuvres sous
forme d’épopée, expliquant les règles de batailles et
encourageant les gens au jihad. Les sources contemporaines
montrent sans aucun doute l’existence d’un groupe social lié
par un certain nombre de règles et réglementations
similaires à la frontière. Ce groupe s’appelait Gazivan ou
Alplar.
Au huitième siècle (XIIIe), l’esprit de combat était la
principale source d’activités dans les pays musulmans qui
combattaient, d’une part, les croisés d’Occident et, d’autre
part, les Mongols. C’est à cette époque que l’esprit de
combat atteignit son apogée dans le Sultanat Mamelouk et
chez les Turcomans d’Anatolie. Pris entre les Croisés et les
Mongols, ces deux pays musulmans furent repris par des
régimes militaires. Une aristocratie militaire d’origine
kiptchak s’empara du Sultanat Mamelouk en Égypte et en
Syrie, tandis que les États Turcomans combattants étaient en
hausse en Anatolie. Vers la fin du 14ème siècle, tous ces
États Turcomans s’unirent sous l’égide de la dynastie
ottomane.
Ce processus historique marque le début de la
caractéristique fondamentale du combattant (Ghazi) de l’État
Ottoman. Il y a un chapitre intéressant sur le combat dans
un dogme appelé
Risalat al-Islam écrit dans l’un de ces états ghazi.
Selon Sheikh Takin, qui le publia, le livre fut écrit en
Karasi dans la première partie du 14ème siècle, c’est-à-dire
à l’époque de ‘Uthman ou d’Orkhan. Les Beys de Karasi
étaient les chefs de raids préparant le chemin pour le
passage en Roumélie. Takin note que l’ouvrage susmentionné
était basé sur un traité arabe d’Abou Leyth as-Samarkandi,
écrit à la fin du quatrième siècle de l’Hégire.
Ce genre d’ouvrages décrit le combat dans la voie d’Allah
comme un devoir religieux de l’Islam, lié par des règles
strictes. Dans les terres ottomanes, jusqu’à la diffusion de
l’œuvre d’Ibrahim Halabi, écrite en 883 (1478), le
principal texte utilisé pour la loi islamique était, d’abord
ceux de Sheikh Badr ad-Din,
Tashil, puis
Mollah Khousrou, Dourar (kitab
al-jihad). Tout comme dans la
Risalat, ces
œuvres expliquaient les règles de la Shari’ah pour le jihad
(combat dans la voie d’Allah Exalté).
Un ghazi est généralement défini comme un combattant
musulman recherchant les bénédictions de l’autre monde. Ici,
le combat (gaza, ghaza) est présentée comme un devoir
religieux islamique. Par conséquence, le butin gagné au
combat était considéré comme une récompense religieuse. Les
Manakibs ottomans soulignent surtout le caractère légitime «
halal » du combat et du butin. Les études
occidentales sur le sujet perçoivent généralement et
sciemment à tort, le combat comme un moyen de justifier le
meurtre et le pillage, poussant ainsi à faire ignorer la
signification et la fonction réelles du combat pour la
société musulmane et l’individu.
Ce n’est pas la tâche de l’historien de discuter de la
signification éthique des actes du combat mais plutôt de
déterminer les raisons et les croyances qui les
sous-tendent.
Risalat al-Islam
énumère neuf conditions religieuses pour devenir ghazi :
1. Le consentement des parents.
2. Etre clair de tout « amanat » (par exemple, être libre de
dettes, etc.).
3. De laisser un moyen de subsistance à sa famille.
4. Pour pouvoir continuer à vivre pendant le combat (en
pensant qu’ils peuvent devenir des pillards de chemin).
5. D’avoir l’ordre du dirigeant musulman, c’est-à-dire que
la guerre doit être approuvée par l’Émir al-Mou’minin comme
une guerre juste pour le bien de la société musulmane.
6. Aider ses compagnons (solidarité et unité).
7. Ne blesser personne en cours de route (le pillage et les
blessures des populations musulmanes ou des non-musulmanes
Dhimmi par des soldats en marche a toujours été une
préoccupation pour les dirigeants, à tel point que certains
prononcèrent des peines de mort pour l’empêcher).
8. Ne pas fuir la bataille en combattant l’ennemi et rester
jusqu’à la fin du combat. L’Islam accorde le statut de
martyr, de shahid, à ceux qui sont tués et de « Ghazi » à
ceux qui survivent.
9. Ne pas tricher sur le butin. La Loi Islamique attache une
importance suprême à la répartition équitable du butin.
Selon les principes de l’Islam, le combat est généralement
considéré comme fard kifaya, c’est-à-dire un devoir
religieux qui ne peut être accompli que par un nombre limité
de personnes pour le reste de la société. Mais dans les cas
où le pays islamique est en grand danger, le dirigeant peut
déclarer que le combat est fard ‘ayn, c’est-à-dire
obligatoire pour chaque membre masculin de la société. Ceux
qui ne peuvent pas se joindre à la bataille doivent payer
une redevance au Trésor Public. Lorsque les croisés
envahirent la Roumélie et arrivèrent à Varna en 848 (1444)
et lorsque les terres ottomanes furent envahies de tous
côtés en 1097 (1686), le combat fut déclaré obligatoire pour
tout le monde et la mobilisation générale fut émise.
Après la prise d’Edirne en 762 (1361), il y eut une
augmentation considérable du nombre de prisonniers de
guerre, en raison de l’expansion rapide réalisée par Hajji
Ilbayi dans la Vallée de Merich et par Ghazi Hajji
Evrenouz Bey de Karasi sur Via Egnatia vers Salonique. Les
combattants devaient payer un cinquième de la valeur de
chaque prisonnier de guerre. Mawlana Kara Roustam de Karaman
lanca un avertissement concernant l’introduction de cette
importante source de revenus pour le Trésor. Dans les
travaux politiques, la meilleure politique était
généralement de laisser tout type de butin aux soldats. À la
demande du Vizir Chandarli, Mourad I ordonna de faire « tout
ce qu’Allah Exalté a commandé. » Comme il fut approuvé par
les ‘ulémas, Kara Roustam reçut le pouvoir de collecter un
cinquième dans le passage Gelibolu. Le cinquième commença à
être collecté, prenant soit un prisonnier de chaque
prisonnier vivant, soit un cinquième de la valeur de chaque
prisonnier. Les soldats manifestement n’aimèrent pas cette
« invention » des deux savants. Ceux qui revenaient de
Roumélie avec leurs prisonniers commencèrent à emprunter des
voies différentes pour éviter cette nouvelle taxe. En
réponse à cela, Ghazi Evrenouz fut ordonné de percevoir le
cinquième de la taxe à la frontière et un qadi (juge) fut
désigné pour le collecter. L’idée de former une nouvelle
armée composée du cinquième de ces recrues naquit du nombre
croissant de prisonniers de guerre entre les mains du
gouvernement. Ces prisonniers, appelés « oglan, » furent
envoyés à Bursa et dans ses environs pour apprendre le turc
et embrasser l’Islam. Ensuite, ils furent rassemblés dans un
corps militaire pour former une armée permanente sous le
commandement direct du Sultan, qui jeta les bases de l’armée
des janissaires.
L’intention du ghazi doit être sincère et il ne doit pas
oublier qu’il se bat pour l’Islam et les autres Musulmans.
Il ne devrait pas y avoir de « cupidité et d’hypocrisie »
dans la bataille, c’est-à-dire qu’ils ne devaient pas partir
en guerre pour le butin et devaient toujours rester dans les
limites de la religion dans leur attitude. Comme nous
l’avons souligné, cette dernière règle sous-tend la base
religieuse-idéologique de ghaza. Il n’était bien entendu pas
possible de déterminer qui était sincère et qui ne l’était
pas.
Dans la tradition turque, les combattants ghazi étaient
censés obéir à dix caractéristiques morales. Ces qualités
furent comparées à certaines qualités chez les animaux,
telles que le courage, la persévérance, la confiance en soi,
la force et la combativité, la puissance, l’endurance, la
capacité à rester calme, la patience, la capacité à profiter
des opportunités et la loyauté envers son compagnon, qui
furent toutes mentionnés dans des légendes turques telles
que Dede Korkud et Danishmendname. Ces qualités résument ce
que l’on attendait d’un soldat professionnel dans le
Garibname d’Ashik
Bacha (669-722/1271-1332), dont le principal public était le
peuple turcoman anatolien et les ghazi des frontières. Ces
attentes sont certainement différentes de celles des livres
islamiques et reflètent les traditions communes autour des
ghazi.
Puisque le combat était considéré comme le devoir de tous
les Musulmans, dans certains cas, les Sultans avaient
l’habitude de convoquer toute la population pour la guerre.
Les Musulmans pieux prirent le combat dans la voie d’Allah
au sérieux et donnèrent de grosses sommes d’argent. À Bursa
(Brousse, Pruse), un riche du nom de Khoudjah Ibrahim
engagea 20 soldats de cavalerie pour 20000 akcha pour
contribuer à la campagne militaire de Muhammad
al-Fatih contre les Hongrois en 881 (1476), en disant
« laissez-moi participer aux bénédictions du jihad. »
Bayazid II, dans son édit adressé au peuple d’Anatolie, leur
demanda de rejoindre le commandant de frontière Bali Bey,
dans sa campagne contre la Pologne, en leur promettant des
dinars et d’autres récompenses. Les Sultans Ottomans
continuèrent de préférer le titre de Ghazi, jusqu’au dernier
Sultan.
La bataille de Pelekanon (Eskihisar) 729 (1329)
Les années 730 (1330) marquent l’un des tournants de
l’histoire ottomane. Entre 704 et 731 (1305 et 1331), les
Ottomans s’installèrent à Adapazari et à l’est de Sapanca
puis mirent Bursa, Iznik et Izmit sous pression par un
blocus continu, à tel point que la ville d’Iznik fit face à
la famine. Cela créa un sentiment d’alarme à Byzance. À
l’époque d’Orkhan, les Ottomans conquirent le 2 Joumadah
al-Oula 726 (6 avril 1326) la première Bursa et tentèrent
une dernière fois de capturer Iznik et Izmit, les deux
villes les plus importantes près d’Istanbul.
Il ne fait aucun doute que la victoire ottomane de Pelekanon
en 729, comme la conquête d’Istanbul en 857 (1453), fut
décisive dans l’histoire de l’État Ottoman et de l’Empire
Byzantin. C’est après cette victoire que la ville d’Iznik se
rendit en 731 (1331) et Izmit seulement six ans plus tard.
Dans le même temps, de nombreuses petites forteresses, y
compris Hereke, furent capturées et cela amena les Turcs
dans les environs d’Istanbul du côté anatolien.
Les deux armées se rencontrèrent au printemps 729 (1329)
dans un endroit appelé Pelekanon près du port de Gebze, à
l’est de l’actuel Eskihisar. Le commandant en chef
des forces ottomanes était Orkhan lui-même, tandis que
l’armée byzantine était sous le commandement d’Andronic III,
dont les forces étaient composées d’environ 2000 soldats.
L’Empereur arriva à Pelekanon avec l’espoir de protéger
Iznik des Ottomans qui assiégeaient la ville depuis 27 ans.
Après la prise de Bursa, la pression ottomane était devenue
plus intense que jamais.
L’Empereur parvint à Pelekanon par Uskudar. Son plan était
de traverser de l’autre côté du Golfe d’Izmit et de
traverser la vallée de Yalakdere jusqu’à Iznik. Ayant
découvert le plan, Orkhan occupa les collines entourant Eskihisar.
L’armée byzantine ne fut donc pas autorisée à traverser la
mer et fut vaincue à Pelekanon. L’Empereur fut blessé et
contraint de fuir. La victoire de Pelekanon est décrite dans
Hammer, et d’autres historiens après lui, comme la bataille
de Maltepe, alors que Maltepe est loin de Pelekanon.
Les sources byzantines donnent la date exacte de cette
bataille comme fin mai et début juin 1329. Le premier
résultat de cette victoire fut la reddition d’Iznik, par
laquelle les Ottomans atteignirent l’objectif de ‘Uthman,
depuis 1300. La prise de Bursa et Iznik fit des Ottomans une
menace sérieuse pour l’Empire Byzantin. C’est pour cette
raison que nous considérons la victoire de Pelekanon comme
un tournant dans l’histoire des Ottomans.
Cette bataille n’a pas été détaillée dans les chroniques
ottomanes. La seule information dont nous disposons est
celle d’une défaite de l’armée byzantine face à ‘Abd ar-Rahman
Ghazi en collaboration avec Orkhan Ghazi. Domesticos
Cantacuzène, qui était présent lors de la bataille, en donne
une description détaillée. Nous nous concentrerons ici sur
cet événement décisif.
La bataille de Pelekanon se déroula en deux temps. Au cours
de la première étape, l’Empereur Byzantin prit la décision
suivante devant sa cour militaire : « Nous allons attirer
les Ottomans hors des collines vers les vallées et les
affronter là-bas. » Et ils décidèrent de quitter la scène si
cette stratégie ne fonctionnerait pas. Par conséquent, les
Ottomans avaient déjà la supériorité stratégique.
Orkhan continua d’observer le champ de bataille depuis les
collines, son plan étant d’encercler l’armée byzantine sur
le terrain vallonné. Pour cela, avec une partie de ses
forces, il tendit une embuscade dans une vallée. C’était la
tactique de combat classique des Ottomans ; la même qui fut
également appliqué contre les Hongrois lors de la bataille
de Mohács.
Selon les détails donnés par Cantacuzène, le premier jour de
la bataille, le 1er juin, Orkhan Ghazi envoya environ 300
cavaliers contre les positions byzantines afin d’attirer
l’ennemi vers les collines. Ils s’approchèrent des forces
byzantines, lancèrent leurs flèches puis se retirèrent. Le
but était clairement de tirer les forces byzantines de leurs
positions et de les attirer vers les collines. La même
tactique fut répétée à plusieurs reprises.
Au début, les forces byzantines ne quittèrent pas leurs
positions tout comme forces d’Orkhan sur les collines. Mais
le deuxième jour de la bataille, l’Empereur envoya un groupe
de ses forces en avant pour détruire les assaillants. Orkhan
envoya immédiatement certains de ses soldats, sous le
commandement de son frère Pazarlu, dans la plaine. En
réponse à cela, l’armée byzantine se manifesta également et
la confrontation se transforma en un affront total entre les
deux armées. Au cours de la bataille, l’Empereur Byzantin
fut blessé. Les soldats byzantins commencèrent à s’enfuir
dans un état de panique. L’Empereur, malgré ses blessures,
fit de son mieux pour empêcher la panique, mais en vain.
Puisque cette région était un passage vers l’Anatolie, les
Byzantins y avaient construit une série de forteresses au
cours des siècles. Il y en avait quatre principales :
Flokrinia ou Flokren à Kaleburnu, Nikitiaton près de
Flokren, Darica (Daritzion) et Eskihisar. La dernière
d’entre elles survécut jusqu’à aujourd’hui, se tenant en
plein milieu du passage.
Dans un état de panique, les soldats byzantins tentèrent de
se réfugier dans ces forteresses alors que les forces
d’Orkhan les poursuivaient. Voyant qu’il ne pourrait pas
arrêter la panique, l’Empereur Byzantin s’enfuit à Istanbul,
porté sur un tapis.
Ce fut une grande victoire pour les Ottomans. Cantacuzène
tenta de décrire cette défaite comme une victoire des
Byzantins. Contrairement à son récit, l’autre historien
contemporain Nicéphore Grégorius, donne une narration
complètement différente et plus véridique de la bataille.
Après la défaite de l’empereur, les habitants d’Iznik
n’eurent aucun espoir de persévérer et alors que les
Ottomans intensifiaient le siège, la ville se rendit à
Orkhan le 21 Joumadah al-Oula 731 (2 mars 1331).
753 (1352) Les Ottomans en Europe
Le passage des Ottomans en Europe est toujours enveloppé
jusqu’à nos jours de contes et sornettes légendaires, nées
d’infinis mensonges, dans la littérature historique
d’ailleurs toute comme l’histoire des Musulmans en général.
Nous avons particulièrement détaillé cela dans notre
Introduction à
l’Histoire des Ottomans : Les Désistoriens.
En fait, nous avons tous les détails de cet événement dans
les sources historiques contemporaines. La légende de la
traversée des Dardanelles en radeaux doit avoir été le
reflet de diverses attaques menées par les ghazi de Karasi
avec leurs bateaux. Sur la base des archives historiques
ottomanes, il est certain qu’un jeune grec, qui fut capturé
puis embrassa l’Islam, était l’un des trois fils d’Asen, le
commandant byzantin de Gallipoli. Ayant des désaccords avec
ses frères, il se réfugia dans les territoires ottomans,
embrassa l’Islam et guida les ottomans vers les territoires
européens. À l’instar de la conquête d’Istanbul, la colonie
de Roumélie fut un événement historique. Sans la colonie
ottomane au-delà du détroit, les Ottomans, comme les autres
états frontaliers turcomans, seraient restés un petit état
en Anatolie. Grâce aux efforts du fils aîné d’Orkhan,
Souleyman Bacha, les Ottomans capturèrent une tête de pont
sur les sols européens.
Les événements historiques qui précédèrent les conquêtes de
Souleyman Bacha en Thrace peuvent être résumés de la manière
suivante. En fait, Aydinoglu ‘Umur Bey fut le premier Ghazi
Bey à ouvrir la voie aux conquêtes balkaniques avec ses
expéditions maritimes continues depuis Izmir, entre les
années 729 et 744 de l’Hégire (1329-1344). Dans ces
expéditions, il collabora avec Cantacuzène, son allié qui
combattait en Thrace contre Jean V Paléologue à Istanbul.
Avec sa marine légère, ‘Umur débarqua en Thrace et lanca des
attaques dans les zones serbe et bulgare en tant qu’allié de
Cantacuzène puis retournait chaque fois à Izmir avec ses
navires remplis de butin.
En 744 de l’Hégire (1344), une puissante marine croisée
s’empara de la forteresse d’Izmir et détruisit les navires
de ‘Umur. ‘Umur fut tué en 748 (1348) en essayant de
reprendre la forteresse. Il est à noter qu’Ibn Battouta
entendit parler de son martyre en Syrie et partagea la
douleur au monde islamique. Après la chute d’Izmir, les
Ottomans devinrent les leaders du combat (ghazwa) et les
groupes combattants commencèrent à se battre sous la
bannière ottomane, lançant des attaques contre Thrace à
travers les Dardanelles. Avant sa mort, ‘Umur Bey avait
conseillé à Cantacuzène de conclure une alliance avec
Orkhan.
L’aide turque était l’aide militaire la plus cruciale pour
Cantacuzène, à la fois contre ses rivaux à Istanbul et
contre le Roi serbe Stefan Dushan, qui avait l’intention de
capturer Andrinople et Istanbul.
‘Umur et Orkhan considéraient une telle alliance comme
essentielle pour leurs activités en Roumélie. Les Ottomans
avaient déjà atteint les Dardanelles après avoir envahi le
Karasi Beylik en 735 (1335). Des leaders Karasi Ghazi comme
Ece Bey, Ghazi Evrenouz, Hajji Ilbayi et Ghazi Fazil
encouragèrent les Ottomans à s’installer de l’autre côté des
Dardanelles.
En 746 de l’Hégire (1346), Cantacuzène cimenta son alliance
avec le souverain ottoman en donnant sa fille Théodora à
Orkhan comme épouse. L’année suivante, Cantacuzène, avec le
soutien d’Orkhan, entra à Istanbul et fut proclamé
coempereur avec Jean V.
On peut dire que l’Empire Byzantin tomba sous la protection
d’Orkhan. En utilisant les forces ottomanes, l’Empereur
Cantacuzène put maintenir la souveraineté byzantine en
Thrace contre le roi serbe. En 753 (1352), Souleyman Bacha,
tout en marchant pour soutenir les forces byzantines
détruisit une armée serbe en Thrace.
Puis, il se rendit à Andrinople et fut accueilli par
Cantacuzène comme un sauveur. Dans les sources ottomanes,
cette victoire de Souleyman Bacha fut généralement confondue
avec la conquête d’Andrinople de 762 (1361) et la bataille
de Chirmen (Sirpsindigi) de 772 (1371).
La victoire de Souleyman Bacha en 753 (1352) lui permit de
s’installer en Roumélie. Avant de retourner en Anatolie, il
laissa un groupe de soldats dans une forteresse appelée
Tzympe du côté européen des Dardanelles afin de préparer la
campagne militaire de l’année prochaine. Il en fit une tête
de pont pour sa conquête ce qui provoqua l’alarme à
Istanbul. La proposition de Cantacuzène de racheter
l’endroit fut rejetée par Souleyman Bacha qui au contraire,
fortifia cette forteresse avec plus de forces qu’il apporta
d’Anatolie. Les Beys Karasi qui s’étaient installés en
Roumélie avaient déjà commencé leurs conquêtes dans la
péninsule de Gallipoli d’une part, et dans le sens
Rodosto-Malkara d’autre part. Les colonies turques semèrent
la panique à Istanbul et les Byzantins réalisèrent à quel
point leur ville était désormais encerclée à la fois du côté
anatolien et du côté européen.
Entre-temps, Souleyman Bacha, après avoir débarqué à
Kozludere, captura Bolayir avec une armée de 3000 soldats,
qu’il avait amenés du port anatolien de Kemer près de Biga.
Le 5 Safar 755 (1er mars 1354), suite à un tremblement de
terre, les murs de nombreuses forteresses, à Gallipoli et
aux alentours, s’effondrèrent. Les forces ottomanes
occupèrent immédiatement ces lieux. Ce tremblement de terre
fut enregistré par toutes les sources historiques
contemporaines. Ayant interprété le tremblement de terre
comme un signe d’Allah Exalté, les Ottomans devinrent encore
plus résolus à ne pas quitter Roumélie et les nouvelles
forces et les immigrants de Karasi commencèrent à
s’installer du côté européen. Les gens d’Istanbul forcèrent
Cantacuzène à quitter le trône l’accusant d’être responsable
de l’installation ottomane en Thrace. En plus de cela, le
Roi serbe, Stephen Dushan mourut et l’Empire Serbe
s’effondra en 756 (1355). Ainsi, le plus grand rival des
Ottomans dans le Balkans quitta la scène.
Grâce à ces événements extraordinaires et aux efforts
résolus de Souleyman Bacha et des Ghazis de Karasi, la
colonisation turque dans les Balkans devint un fait
indéniable. Le seul espoir que l’Empereur byzantin Jean V
avait était une armée de croisés d’Europe. Vers la fin de
l’an 756 (1355), l’Empereur envoya ses représentants auprès
du Pape Innocent VI et demanda l’envoi d’urgence d’une armée
de croisés, promettant en même temps l’union avec l’Église
catholique romaine. En 758 (1357), les événements se
retournèrent soudainement contre les Ottomans.
Le fils d’Orkhan, âgé de 12 ans, Khalil, fut capturé par les
pirates grecs de Phocée en été 758 (1357). Entre-temps,
Souleyman Bacha, le conquérant de Roumélie, décéda. Ces
événements malheureux se révélèrent être un tournant dans
les relations ottomane-byzantines. Le Sultan vieillissant
Orkhan plaida auprès de l’Empereur Byzantin pour la
libération de son fils Khalil. Profitant de la situation, la
diplomatie byzantine força Orkhan à signer un traité, qui
stipulait qu’Orkhan arrêterait ses attaques sur les terres
byzantines, paierait toutes les dépenses des navires envoyés
à Phocée pour son fils et annulerait toutes les dettes de
l’Empereur Byzantin. Orkhan promit également de ne plus
aider le fils de Cantacuzène, Matthew en Thrace et de
soutenir à la place l’Empereur.
Avec ce traité, les Ottomans furent contraints de renoncer à
leur alliance avec la famille Cantacuzène, qui avait rendu
possible leur expansion en Europe et entrèrent donc dans une
période de récession. En fait, l’expansion ottomane s’arrêta
complètement jusqu’à la libération de Khalil en 760 (1359).
En 759 (1358), l’allié ottoman Matthew Cantacuzène fut pris
prisonnier à Dimetoka avec l’aide des forces serbes. Cela
donna un avantage relatif à l’état byzantin en Thrace. Le
traité signé par Orkhan mentionnait les anciennes dettes de
l’Empereur, ce qui peut indiquer que l’Empire Byzantin
payait tribut aux Ottomans dès la première partie du
huitième (XIVe) siècle. En fait, en 734 (1334), l’Empereur
avait accepté de payer un tribut annuel aux Ottomans pour ne
pas avoir assiégé la ville d’Izmit (Nicomédie). On sait avec
certitude qu’après 772 (1371) suite à la bataille de
Maritsa, les Byzantins furent contraints de payer au Sultan
ottoman 15000 hyperpères, soit 7500 ducats vénitiens. Dans
l’intervalle, cependant, la diplomatie byzantine
intensifiait ses efforts pour mobiliser une armée croisée,
comme le contrôle le plus efficace contre les Ottomans.
Selon l’histoire, Souleyman Bacha, afin d’éviter la
possibilité d’abandonner Roumélie, ordonna que son corps
soit enterré à Bolayir et que sa place soit gardée secrète.
Comme le rapporte l’anonyme
Tarikh Al-i ‘Uthman,
les ghazi confrontés à la nouvelle situation, furent dans un
état de désespoir. Pourtant, les ghazi de Karasi devaient
être contre l’idée de quitter Roumélie. Après la prise de
Tzympe et Gallipoli, de nombreuses personnes de Karasi
avaient commencé à migrer vers la Roumélie et s’établirent
dans des villages. Après la mort de Souleyman, Orkhan envoya
son autre fils Mourad à Gallipoli, en tant que commandant
expérimenté avec son tuteur Shahin. Cependant, Mourad ne put
s’impliquer dans aucune activité sérieuse entre les années
758 et 760 (1357-1359), jusqu’à la libération de Khalil.
En 759 (1358), afin de sauver Khalil, l’Empereur Byzantin se
rendit à Phocée avec ses trois navires. L’ami d’Orkhan,
Ilyas, le dirigeant de Saroukhan, marcha sur la ville et
l’assiégea sans succès. L’Empereur retourna à Istanbul sans
consulter Orkhan. Kalothetos, le seigneur grec de Phocée,
insista pour recevoir une grosse rançon pour Khalil. Dès
qu’Orkhan menaça d’abolir le traité, l’Empereur demanda une
rencontre avec lui et ils se rencontrèrent dans le port de
Prikonisos. L’Empereur dû se rendre à Phocée une fois de
plus la même année. Cette nouvelle expédition n’apporta
aucun succès non plus. Au printemps
760 (1359), des négociations commencèrent entre
Orkhan, arrivé de Kadikoy par terre et l’Empereur, qui y
était arrivé avec ses navires. Désireux de profiter
pleinement de la situation difficile dans laquelle se
trouvait Orkhan, l’Empereur Byzantin força Orkhan à accepter
de nouvelles conditions.
Pour la rançon, Orkhan paya une importante somme d’argent et
Khalil fut libéré, amené à Istanbul et fiancé à la fille
cadette de l’Empereur. Khalil se rendit ensuite à Izmit.
L’Empereur reçut également la promesse que Khalil serait le
prochain Sultan après Orkhan. Apparemment, les Byzantins, en
utilisant Khalil, espéraient avoir une nouvelle période de
paix et d’équilibre avec les Ottomans. Le prince héritier
Mourad était contre cet accord et déterminé à poursuivre la
politique de ghaza et d’expansion en Thrace avec son tuteur
et ses ghazi de Karasi. Après tout, la guerre et le succès
contre les Byzantins en Thrace lui garantiraient le trône.
Il convient de noter ici que suivant la tradition
turco-mongole, les Ottomans n’avaient pas de règle de
succession établie pour le trône. Les événements étaient
généralement les principaux facteurs pour déterminer le
prochain souverain. En tant que fils aîné de la famille,
Mourad fut envoyé dans la région frontalière la plus
éloignée en tant que commandant en chef de l’armée. Cette
situation lui garantit de facto le trône. Ceci, cependant,
dépendait de ses réelles réalisations en tant que conquérant
en Roumélie.
Au cours de ces deux années, la migration d’Anatolie vers
Roumélie se poursuivit et la frontière rumillienne se
renforca. Le registre de waqf d’un hospice fondé par Orkhan
pour Souleyman 761 (1360) mentionne de nombreux villages et
fermes de la région aux noms turcs. C’est au cours de ces
quelques années que la Roumélie ottomane émergea comme une
vaste zone de peuplement.
Grégoras confirme que Souleyman façonnait alors la politique
générale de l’état. Sa mort et les efforts byzantins pour
mobiliser les croisés d’Europe contre les Ottomans mirent
tout en danger. La situation constituait une menace sérieuse
pour l’avenir de l’État Ottoman. En signant un traité avec
Orkhan, l’Empereur espérait en même temps avoir une armée de
croisés envoyée contre les Ottomans.
Une partie de la stratégie consistait à bloquer les détroits
avec l’aide des croisés et à détruire une fois pour toutes
les Turcs de Roumélie, en les séparant de l’Anatolie.
C’était une situation très grave et critique pour les
Ottomans. Le même plan devint alors la stratégie principale
de tous les croisés aux huitième et neuvième (14 et 15e)
siècles.
L’Empereur commença ses efforts pour mobiliser les croisés
immédiatement après la chute de Gallipoli en 756 (1355) en
promettant au Pape Innocent VI (1352-1262) l’union des
Églises. Il demanda l’envoi immédiat d’une marine de cinq
navires à suivre par une grande armée de croisés. Pour s’en
assurer, l’Empereur accepta même d’envoyer son fils Manuel
en otage au Pape à Avignon. L’année suivante, l’Empereur
tenta de mobiliser des états méditerranéens tels que Venise,
la République génoise et les chevaliers rhodiens contre les
Ottomans. Cependant, tous ces plans échouèrent.
En 758 (1357), Venise, une force cruciale pour la croisade,
débuta une nouvelle guerre contre la Hongrie à propos de la
Dalmatie. Le Sénat n’était pas au courant des conditions
critiques de la capitale byzantine. Depuis Istanbul,
l’ambassadeur vénitien rapporta la gravité de la situation
et nota même que les Grecs envisageaient d’entrer sous la
protection de Venise. Le Pape envoya son représentant, le
nonce Pierre Thomas en Hongrie et à Istanbul pour préparer
la formation d’une armée de croisés.
Thomas, qui devait devenir un héros croisé en Europe,
travailla jour et nuit et se rendit à Buda pour mettre fin
au conflit entre Venise et la Hongrie. À présent, la papauté
devint consciente des dangers des avancées ottomanes en
Europe et décida de lancer une attaque croisée pour
reprendre Gallipoli, qui était considérée comme le passage
clé vers Istanbul.
Grâce aux efforts incessants de Thomas, la première attaque
des croisés contre les Ottomans eut lieu en 760 (1359). |