Lutte pour le pouvoir et la victoire de Kilij Arsalan II

 

Après avoir vaincu l’armée byzantine avant Konya et les armées de la deuxième croisade, qui menaçaient le Monde Musulman, à l’intérieur de ses frontières, le Sultan Mas’oud devint l’un des dirigeants les plus puissants de son temps. Avec ces victoires, la période de crise prit fin pour les Turcs d’Anatolie, et une ère de stabilité et de progrès commença. Le calife abbasside envoya les emblèmes de souveraineté au Sultan Seljouk, tels qu’une robe d’honneur, un étendard et d’autres cadeaux, avec sa bénédiction. Suite à ces victoires, Sultan Mas’oud vainquit les croisés en Syrie et par ses campagnes de 544 et 545 (1149 /1150), et la conquête de Mar’ash, Göksun, Ayntab, Raban et Delouk, conduisit les croisés loin de ces régions.

 

Le Malik (Roi) de Sivas, Yaghi-Basane, avait, quant à lui, élargi ses frontières vers la Mer Noire et capturé Bafra (Pabra). Après avoir pris les Danishmand de Sivas et Malatya sous sa suzeraineté, le Sultan Mas’oud entra en Cilicie avec leur soutien et en 549 (1154) captura plusieurs villes arméniennes. La conquête planifiée de l’ensemble de Cilicie fut empêchée par une épidémie de peste, qui fit immédiatement revenir le Sultan. Il mourut en 551 (1155). Le Sultan Mas’oud qui, pendant son long règne, sauva l’État Seljouk de l’anéantissement par sa politique clairvoyante et ses efforts patients, le transforma également d’un état confiné aux environs de Konya en une puissance dominant l’Anatolie. Grâce à son administration juste et efficace, il gagna même certains Chrétiens de Byzance. La politique de construction et la mise en place de services sociaux dans l’État Seljouk commencèrent également sous son règne.

 

Son fils Kilij Arsalan II, 551-88 (1155-92), qui lui succéda sur le trône, poursuivit la politique de son père et travailla pour l’unité politique et l’amélioration économique et culturelle de l’Anatolie. Kilij Arsalan II, qui occupe une place exceptionnelle parmi les Sultans Seljouk, fut menacé d’alliances hostiles dans ses premières années. Il dû d’abord se battre contre son frère Shahinshah, le Malik de Kastamonu et Ankara, et le Malik Danishmand Yaghi-Basane. Profitant de ce conflit interne, l’Empereur Manuel et l’Atabeg Nour ad-Din Zanki formèrent une alliance contre Kilij Arsalan en 1159. Le prince arménien Thoros ne manqua pas non plus cette occasion d’attaquer les Seljouk. Face à tant d’ennemis et d’alliances, Kilij Arsalan se rendit à Constantinople, le centre de ces manœuvres politiques. L’Empereur, conformément à la politique byzantine d’encourager la destruction mutuelle des dirigeants turcs, signa un traité avec le Sultan Seljouk et lui fournit une aide financière. Après son retour de Constantinople, Kilij Arsalan marcha immédiatement pour se battre avec Yaghi-Basane et le vainquit massivement en 559 (1163). Il se débarrassa ensuite de son frère et d’autres émirs Danishmand. L’émir Zanki fut également contraint de retourner au Sultan les lieux qu’il avait conquis. Le Menqouchek beylik reconnut la domination du Sultan, et ainsi la monarchie Seljouk s’étendit de nouveau du Sakarya à l’Euphrate.

 

L’Empereur Manuel, qui était occupé dans les Balkans, fut troublé lorsqu’il se rendit compte que Kilij Arsalan avait considérablement augmenté ses forces en se débarrassant de tous ses ennemis. Sous prétexte de contrôler les attaques et les conquêtes turcomanes en Anatolie occidentale, l’Empereur organisa une armée pour expulser les Turcs d’Anatolie et marcha sur Konya. Il refusa également l’offre du Sultan de renouveler le traité, qui avait duré douze ans. Kilij Arsalan conduisit donc son armée devant Akshehir, et rencontra les forces byzantines à Myriokephalon, un col escarpé et étroit au nord du lac Eğridir, où en Rabi’ al-Awwal 572 (septembre 1176), il leur infligea un coup désastreux. Il fut possible de capturer l’Empereur et d’anéantir l’armée byzantine, comme à Manzikert, mais pour une raison inconnue, le Sultan accepta la demande de paix de l’Empereur et se contenta de réajuster favorablement ses frontières. Il fournit même à l’Empereur trois émirs Seljouk comme escorte, pour le protéger contre les attaques turcomanes lors de son voyage de retour. Avec cette deuxième grande victoire après Manzikert, Kilij Arsalan mit fin aux illusions byzantines séculaires de récupérer l’Anatolie des Turcs et de la traiter comme faisant partie de l’Empire byzantin. L’empire qui avait été à l’offensive et en progression depuis la première croisade, revint alors à un déclin et une retraite continue, comme dans la première période des conquêtes turques. L’importance de cette victoire, comme celle de Manzikert, fut appréciée en son temps, et les poètes de Bagdad la célébrèrent comme une bonne nouvelle.

L’Anatolie était vraiment devenue une terre des Turcs. À la fin du XIIe siècle, on l’appelait déjà « Turquie » dans les sources occidentales.

 

Après cette victoire, Kilij Arsalan envoya ses forces d’invasion jusqu’à la mer dans l’ouest de l’Anatolie, conquit les régions d’Uluborlu, Kütahya et Eskishehir en 578 (1182) et assiégea Denizli et Antalya. Grâce à ces victoires, l’unité politique, la loi et l’ordre furent établis en Anatolie et une période de progrès économique et culturel débuta. Après une longue vie de lutte, Kilij Arsalan, qui se sentait fatigué et vieux, partagea son royaume entre ses onze fils, suivant la politique traditionnelle turque, et se retira en 582 (1186) à Konya en tant que Sultan reconnu. Ces Moulouk (Pluriel de Malik) qui régnaient indépendamment dans les provinces, poursuivirent leurs conquêtes contre l’Empire Byzantin affaibli. Le Malik de Tokat, sous Souleyman, marcha sur la rive de la Mer Noire et conquit Samsun. Le Malik d’Ankara, Mas’oud, conquit les régions de Bolu et le Malik d’Uluborlu, Kay-Khousraw, conquit la vallée de la Menderes.

 

Lorsque Frédéric I Barbarossa, l’Empereur allemand, entra en territoire Seljouk à la tête de la troisième croisade en 1190, le vieux Kilij Arsalan avait déjà perdu son pouvoir et fut témoin de la rivalité entre ses fils. Il y eut des alliances hostiles entre Kilij Arsalan et l’Empereur Allemand et entre l’Empereur Byzantin et Salah ad-Din (al-Ayyoubi). Lorsque la troisième croisade fut organisée, à la suite de la prise de Jérusalem par Salah ad-Din et de la défaite du royaume latin, Frédéric obtint de son ami Kilij Arsalan la permission de traverser l’Anatolie. Mais à la frontière Seljouk, la grande armée allemande fut d’abord impliquée dans la guérilla turcomane, puis à Akshehir avec les armées de Malik Shah et Mas’oud, les fils du Sultan. Bien que l’intention de Frédéric fût d’atteindre la Syrie en passant directement par la Cilicie, il fut contraint pour des raisons de sécurité et de ravitaillement d’avancer vers Konya. Les Moulouk Seljouk ne purent pas arrêter l’armée croisée. La périphérie de Konya fut occupée, les marchés pillés et détruits. Le Sultan qui vivait dans son palais envoya un ambassadeur auprès de l’Empereur lui proposant la paix, avec l’excuse que la responsabilité et le pouvoir étaient entre les mains de son fils Malik Shah. L’Empereur lui répondit que sa cible n’était pas l’Anatolie, mais Salah ad-Din et Jérusalem. Un traité fut donc signé et il quitta l’Anatolie.

 

L’âge d’or des Seljouk d’Anatolie

 

Les querelles entre les fils de Kilij Arsalan, qui commencèrent en 584 (1188), se poursuivirent après la mort de leur père en 588 (1192) et prirent fin avec l’occupation de Konya par Souleyman, en 593 (1196). Plus prudent et énergique que ses frères, il était resté en dehors de leurs disputes et puis, le moment venu, il rétablit l’unité Seljouk soit en les prenant sous son pouvoir, soit en s’en débarrassant. Il imposa un tribut à l’Empereur Alexis III, dont les hommes avaient pillé les marchands turcs sur la rive de la Mer Noire pendant les conflits internes. Il vainquit également le roi arménien, Léon II, qui avait violé la frontière turque, et le chassa des territoires qu’il avait reconquis. Quand il réalisa que les Saltouk, qui régnaient à Erzurum, étaient en déclin, et la route turco-persane menacée par les Géorgiens, qui s’étaient avancés jusqu’à Erzurum, le Sultan Seljouk marcha en 1201, soutenu par les Menqouchek et quelques Artouqid. Après avoir subjugué l’État de Saltouk, il marcha à la hâte vers la Géorgie mais lui et son armée furent surpris par l’armée géorgienne-Kipchak près de Sankamish et durent se retirer, laissant un grand nombre de soldats prisonniers. Bien qu’il organisa une autre campagne pour conquérir la Géorgie, après avoir repris Ankara de son frère Mas’oud, il décéda sur le chemin, en 1204, sans accomplir ce projet.

 

Après la mort de Souleyman, son frère, Kay-Khousraw I, qui avait déjà régné un certain temps avant l’accession de Souleyman, regagna son trône. Il planifia ses opérations militaires selon une politique économique et commerciale. Grâce à la sécurité et à la paix établies sous le règne de Kilij Arsalan, un commerce de transit florissant se concentra en Turquie. Mais la conquête latine de Constantinople en 1204 menaça la sécurité des routes qui conduisaient aux ports de la Mer Noire et de la Méditerranée. Les Comnène, qui cherchaient à occuper la rive de la Mer Noire, bloquèrent les débouchés vers les ports de Samsun et Sinop, étranglèrent Sivas avec un grand nombre de marchands venant de pays musulmans et chrétiens, et causèrent beaucoup de dégâts. Dans ces circonstances, le Sultan Seljouk forma une alliance avec l’Empereur Théodore Lascaris de Nicée et ouvrit la sortie de la Mer Noire en battant les Comnène dans une campagne en 1206. En 603 de l’Hégire (1207), il conquit Antalya avec le même but, fournir un port aux Turcs pour le commerce méditerranéen, et organisé l’installation des marchands turcs là-bas. Il signa également un pacte commercial avec les Vénitiens. En 606 (1209), il punit les Arméniens. Quand il conquit Denizli et les régions supérieures des Menderes, une guerre avec l’Empereur de Nicée était devenue inévitable.

Bien qu’il ait vaincu l’armée byzantine près d’Alashehir (Philadelphie), il fut tué par un soldat ennemi alors que l’armée turque était occupée à ramasser le butin.

 

Kaykaous I, 607-16 (1211-20) poursuivit la politique de son père et conquit Sinop en 611 (1214). Il invita plusieurs marchands d’autres villes turques à s’y installer, et en fit ainsi un port de transit. Il fit également construire de grands murs autour de la ville pour des raisons de sécurité, et en fit la base de sa flotte nouvellement construite sur la Mer Noire. Il relâcha Alexis, l’Empereur de Trébizonde, qu’il avait fait prisonnier, lui ayant d’abord fait accepter les liens de vassalité et de tribut. Il expulsa ensuite d’Antalya le roi de Chypre, qui avait conquis la ville lors des disputes du Sultan avec son frère Kaykoubad pour le trône, et en 613 (1216) fit la guerre au roi arménien pour sa violation de la frontière turque. Conscient qu’il ne serait pas en mesure de résister aux armées turques qui avançaient le long de la côte d’Antalya, le roi arménien fut contraint de signer un traité de vassalité avec les conditions qu’il paye un lourd tribut annuel, reconnaisse le droit du Sultan de frapper la monnaie à son nom, de le mentionner dans la khoutbah et de rendre ses forts frontaliers. Le Sultan annexa également les parties nord de la Syrie en 1218, profitant des conflits internes entre les Ayyoubi. À la suite du dirigeant Artouqid Mahmoud, le dirigeant d’Erbil, Mouzaffar ad-Din Koukbouri reconnut également sa souveraineté. Kaykaous, qui est enterré dans le grand hôpital qu’il construisit à Sivas, accorda une importance considérable à la construction et aux activités culturelles en plus de ses victoires militaires et politiques.

 

Le règne de ‘Ala' ad-Din Kaykoubad I, 616-34, (1220-37) fut la période la plus prospère et la plus glorieuse de la domination Seljouk en Anatolie.

À une époque où l’Asie était bouleversée par la conquête mongole, ce Sultan puissant et clairvoyant entreprit de contrer un probable danger mongol en fortifiant des villes comme Konya, Kayseri et Sivas avec des murs et des forteresses. Il reconstruisit et agrandit la forteresse de Kalonoros sur la côte méditerranéenne, qu’il avait capturée, la rebaptisa ‘Ala'iyya après lui-même, et en fit sa capitale d’hiver. Il renforca également la puissance navale Seljouk en y faisant construire un chantier naval. Son expédition à Soughdak (Crimée) en 622 (1225) avec sa flotte de la Mer Noire donne une idée de la puissance navale Seljouk. Alors qu’il était impliqué dans cette opération à l’étranger, il envoya également des armées vers la Petite Arménie depuis l’est, le nord et la côte d’Antalya. La réaction nationale arménienne contre les aristocrates, en raison de leur tendance à se latiniser, permit à Hethoum, seigneur de Lampron et ami des Seljouk, d’être déclaré roi. Le royaume arménien fut encore réduit et devint un état vassal. Les Turcomans qui s’installèrent dans la région nouvellement conquise d’Ichel formèrent la base du beylik Karaman qui devait y être fondé plus tard.

 

Lorsque Jalal al-Din Minkobarti Khwarazm-Shah, au cours de sa lutte contre les Mongols, apparut à la frontière orientale de l’Anatolie et prit les émirs de cette région sous son autorité, le centre de l’activité politique se déplaça vers l’est. Pendant ce temps, le Sultan Kaykoubad, en battant les Ayyoubi et les Artouqid, captura les forteresses de Hisn Mansour (Adıyaman), Kahta et Chemishkazek. En 625 (1228), il subjugua le beylik de Menqouchek. A cette époque, les Comnène de

Trébizonde, convaincu du soutien du Khwarazm-Shah, se révoltèrent contre les Seljouk et attaquèrent les ports de Samsun et Sinop. Kaykoubad envoya ses forces de la Mer Noire depuis la côte et conquit la région jusqu’à Unye. En dehors de ces forces, l’armée d’Erzinjan avança à travers Machka et la ville de Trébizonde fut assiégée. Lorsque la ville fut violemment attaquée, de fortes pluies et des inondations provoquèrent la retraite de l’armée Seljouk, et un prince Seljouk fut fait prisonnier par les Grecs alors qu’il traversait les forêts. Malgré cela, les Grecs furent contraints de renouveler le traité de vassalité, prévoyant un tribut annuel et une aide militaire.

 

Kaykoubad, qui plus que tout autre dirigeant contemporain vit et prépara la menace mongole, réalisa l’importance d’une alliance avec Jalal ad-Din Khwarazm-Shah. Il lui rappela qu’ils étaient tous deux de la même religion et du même peuple, et, soulignant que le sort du Monde Musulman, sous la menace d’une invasion, dépendait de leur politique et de leur action, il recommanda qu’un accord soit conclu avec les envahisseurs à tous les frais. Mais le Khwarazm-Shah, grand soldat et pauvre politicien, constituait lui-même un danger plus urgent pour les Seljouk que celui des Mongols. Finalement, une violente bataille eut lieu entre les deux Sultans à Yassichimen, entre Erzinjan et Sivas, le 28 Ramadan 627 (10 août 1230). Le Khwarazm-Shah subit une défaite amère dont il ne put jamais se remettre. Le Sultan Kaykoubad renvoya également son cousin, le Malik d’Erzurum, qui était un allié de Jalal ad-Din. D’Erzurum, il envoya son armée en Géorgie, captura un certain nombre de forteresses et subjugua la reine géorgienne. Il chassa ensuite les Ayyoubi d’Akhlat et des environs du Lac de Van. Il fit reconstruire et réparer toutes les forteresses de l’est, à l’aide de fours à chaux ouverts par ses ordres. Alors qu’il prenait ces précautions contre les Mongols, il signa un traité de paix avec le Grand Khan Ougedei (Ogoday) Khan en envoyant un ambassadeur. Il fut traité comme convenant à sa haute réputation, égalée par aucun dirigeant parmi ses contemporains, et sauva son pays de l’invasion et des déprédations des Mongols. Les Ayyoubi de Syrie et les Artouqid de Diyar Bakr reconnurent sa souveraineté. Sous le règne de Kaykoubad, l’Anatolie Seljouk atteignit son plus haut sommet, non seulement politiquement, mais aussi économiquement. Le Sultan entreprit un grand projet de construction. Outre la reconstruction des villes et des forteresses, il construisit les villes de Koubadabad sur les rives du lac Beyshehir et Kayqoubadiyya près de Kayseri. Les mosquées, madrasas, caravansérails, ponts et hôpitaux construits à son époque conservent encore leur magnificence et leur beauté. Ce fut aussi une période glorieuse pour les sciences et les arts. En raison de ces qualités, Kaykoubad devint un dirigeant légendaire parmi les Turcs d’Anatolie, et pendant une longue période, il resta dans les mémoires comme Kaykoubad (Kay -Koubad) le Grand.

 

Tambour

L’invasion mongole et le déclin du Sultanat de Roum

 

Le facteur le plus important dans le déclin des Seljouk anatoliens fut la mort prématurée de Kaykoubad en 634 (1237) et l’absence d’un puissant Sultan parmi ses successeurs. Son fils et successeur, Kaykhousrou II, était un personnage sans valeur qui fut la cause de la première crise. Derrière lui, il y avait un homme d’état encore plus sinistre appelé Sa’d ad-Din Kopek, qui l’aida à gagner le trône et avait un contrôle total sur lui. Il utilisa son influence sur le Sultan contre ses rivaux de l’état, et par ce faisant, réduit l’état Seljouk à un corps sans tête, exactement comme le maudit ‘Alqami fit pour le calife abbasside al-Moutawakkil. Néanmoins, la vigueur et la puissance des Seljouk d’Anatolie cachaient des signes de déclin, et il y eut même des victoires importantes comme celles de Diyar Bakr et Tarse, tandis que l’Empereur Grec de Trébizonde, le Roi Arménien de Cilicie et les Ayyoubi d’Alep restèrent les vassaux de Kaykhousrou.

Toutefois, la rébellion de Baba Ishaq montra que l’État Seljouk, tout en conservant son apparence extérieure de force, était corrompu à l’intérieur.

 

La conquête mongole provoqua la migration d’une population turcomane en Anatolie similaire à celle de la première conquête Seljouk. Un « Sheikh » turcoman, Baba Ishaq ou Baba Rassoul, prétendant être un prophète, annonça l’arrivée d’un nouvel âge, rassembla autour de lui les Turcomans en détresse économique et les appela à se rebeller contre l’administration corrompue de Kaykhousrou. Les Turcomans rebelles de Mar’ash, Kahta et Adıyaman s’organisèrent et vainquirent les forces seljouk à Elbistan et Malatya. De là, ils marchèrent sur Sivas et, après l’avoir pillé, se tournèrent vers Amasya. Avant que les Turcomans ne puissent rejoindre leur « Sheikh, » Baba Ishaq, dans sa retraite, les Seljouk l’avaient tué. Mais les Turcomans, qui croyaient que Baba Ishaq était saint et ne pouvait pas être tué par un mortel, suivirent l’armée Seljouk vaincue vers Konya avec leurs femmes et leurs enfants, de plus en plus nombreux. Effrayé par eux, le faible Sultan ne put rester à Konya et s’enfuit à Koubadabad. L’armée d’Erzurum arriva en renfort et les Turcomans furent réprimés avec difficulté dans la plaine de Malya près de Kirshehir en 638 (1240). Baba Ishaq, qui agissait plus comme un vieux chaman turc que comme un Sheikh musulman, avait un grand pouvoir spirituel qui pénétra jusque dans les soldats Seljouk et contribua à leur défaite. Le fait que même les mercenaires chrétiens francs de l’armée Seljouk aient tracés des croix sur leur front avant de combattre ses disciples est significatif de son pouvoir spirituel.

 

Lorsque la faiblesse de l’État Seljouk fut révélée à la suite de cette rébellion, l’invasion mongole commença. En 639 (1242), dans un premier temps, les Mongols capturèrent et détruisirent Erzurum, où ils rencontrèrent une résistance considérable. En 640 (1243) avec une armée de 30000 sous le commandement de Bayju Noyon, les Mongols entreprirent la conquête de l’Anatolie.

Les Seljouk, renforcés par les forces de leurs vassaux, rencontrèrent les Mongols avec une grande armée de 80000 personnes sous le commandement du Sultan. Lorsque l’avant-garde Seljouk fut dispersée par les Mongols à Kösedagh, à cinquante milles à l’est de Sivas le 6 Mouharram 641 (26 juin 1243), les Seljouk, qui n’étaient plus gouvernés par des hommes d’état capables des périodes antérieures, s’enfuirent dans la panique avec leurs Sultan effrayé parmi eux. Cette fois, le Sultan alla jusqu’à Antalya. Les Mongols atteignirent Sivas, et de là marchèrent sur Kayseri. Cette ville fut prise d’assaut malgré la résistance, pillée et détruite. Au retour des Mongols, deux ambassadeurs turcs les suivirent dans leurs quartiers d’hiver à Moughan, où ils purent persuader Baju de faire la paix moyennant un tribut annuel, en lui disant que l’Anatolie avait de nombreuses forteresses et soldats.

 

La défaite de Kösedagh fut le début d’une période de déclin et de désastre dans l’histoire des Seljouk d’Anatolie. Après la mort de Kaykhousrou II, la rivalité et les intrigues des hommes d’état ambitieux, au nom de trois jeunes princes, préparèrent le terrain pour des interventions mongoles et occupations militaires, ainsi que les demandes de tribut. Mou’in ad-Din Souleyman Pervane parvint à un accord avec les Mongols et, éliminant d’autres princes et hommes d’état, prit le contrôle des affaires au nom de Kilij Arsalan IV et Kaykhousrou III.

Après 659 (1261), il réussit à atteindre une période de paix et de stabilité relatives par sa gestion habile des relations avec les Mongols. Néanmoins, les Turcs d’Anatolie s’irritèrent sous la domination des Mongols païens et cherchèrent des moyens de le renverser. Dans un premier temps, Baybars, le Sultan Mamelouk d’Egypte, dont le prédécesseur, Qoutouz, avait vaincu les Mongols à ‘Ayn Jâlout en 658 (1260), fut invité en Anatolie. Il arriva en 675 (1276) à Kayseri, où il fut intronisé avec cérémonie, selon les traditions Seljouk. Mais l’inquiétude que Baybars ne puisse pas rester en Anatolie et la peur des Mongols, empêchèrent une coopération fructueuse entre lui et les hommes d’état Seljouk. Le Sultan Mamelouk repartit après un court séjour.

 

Après cet épisode, l’Il-Khan Abaqa, le dirigeant mongol de Perse, entra en Anatolie, tua un grand nombre de personnes et exécuta Mou’in ad-Din Souleyman en 676 (1277). Bien que la dynastie Seljouk ait duré jusqu’en 708 (1308), après la mort de Souleyman, l’administration effective du pays fut transférée aux gouverneurs et généraux mongols, et l’administration et l’armée Seljouk furent détruites. Les soldats et fonctionnaires au chômage devinrent une source d’anarchie. Le peuple fut opprimé par les lourdes taxes que lui imposaient les Mongols, et une période de pauvreté et de révolte commença en Anatolie. Malgré la domination mongole et la perte du pouvoir politique et militaire, il n’y eut pas de crise grave ni de changement dans la vie sociale, économique et culturelle avant la mort de Mou’in ad-Din Souleyman. Le commerce international continua de fonctionner ; et il n’y eut pratiquement pas de diminution de la production agricole et industrielle ou des importations et exportations. Les monuments qui furent construits dans la période 641-676 (1243-1277) montrent également que la construction et d’autres activités pour l’amélioration de la vie communautaire se poursuivirent comme avant, mais après Mou’in al-Din Souleyman et avec l’administration mongole la période de déclin commença. Pour cette raison, certaines sources parlent de «l’ère Pervane» de la paix et de la stabilité. Néanmoins, l’ère de Kaykoubad resta toujours dans les mémoires comme une période heureuse, et l’époque de la défaite de Kösedagh fut considérée comme le début de toutes les catastrophes et appelée « l’Année de Baju. » Les rébellions des gouverneurs mongols contribuèrent également à l’oppression et à la pauvreté croissante en Anatolie. Au cours de cette période critique, le poste de gouverneur de Timourtash Noyon se révéla relativement juste et pacifique, et c’est pour cette raison qu’il fut appelé le Mahdi. Avec sa rébellion et sa fuite en Egypte en 728 (1328), les troubles recommencèrent.

 

La formation des Beyliks et la turquisation des régions frontalières

 

Alors que l’État Seljouk s’effondrait sous la pression mongole, une nouvelle période de vitalité et de turquisation commença avec l’apparition et l’indépendance des princes de la frontière turcomane (beys). Les Turcomans, fuyant la terreur mongole, entrèrent en Anatolie en grand nombre comme lors de la première conquête ; cette nouvelle migration augmenta la densité de la population nomade et la pression contre le territoire byzantin. Ils commencèrent bientôt à se répandre et à se lancer dans de nouvelles conquêtes. Il fut impossible à l’Empire byzantine déclinant, qui était en ruine, d’endiguer ce torrent de Turcomans qui fuyait du Turkestan devant les Mongols via l’Azerbaïdjan dans toutes les parties de l’Anatolie. Les éléments d’information, qui nous racontent comment les Turcs s’installèrent en territoire byzantin en tant qu’émigrants en accord avec les prêtres orthodoxes, sont significatifs pour exposer le déclin spirituel des Byzantins. La colonisation et la propagation des Turcomans sur la rive de la Mer Noire et en Cilicie suivirent le même processus.

 

L’État Seljouk, sous la suzeraineté des Il-Khans (Ilkhan), dominait l’Anatolie centrale et les plaines, mais les Turcomans étaient tout-puissants sur les frontières et les montagnes. Des rebelles et des prétendants parmi les princes seljouk ainsi que des hommes d’état dans l’adversité, se réfugièrent auprès de ces Turcomans. Un de ces prince, Kilij Arsalan, se rebella contre le Sultan Mas’oud II, 682-998 (1283-98) avec le soutien des Turcomans et donna beaucoup de mal à l’État Seljouk. Un grand nombre de chefs religieux, Sheikhs et babas turcomans (enseignants soufis) qui fuirent devant les Mongols du Turkestan, de la Perse et de l’Azerbaïdjan, se réfugièrent dans les frontières et convertirent les Turcomans semi-chamaniques à l’Islam. En procédant ainsi, ils renforcèrent l’Islam, et établirent l’idéal du Jihad pour la foi dans le territoire frontalier. Pour cette raison, les conquêtes turcomanes furent appelées « guerres pour la foi » (combats dans la voie d’Allah, ghaza) et les Turcomans beys « guerriers de la frontière pour la foi » (moujahidine, ghazi). C’est pourquoi ces marches étaient pleines de derviches et de couvents.

 

Alors que l’État Seljouk touchait à sa fin dans le centre de l’Anatolie, des principautés turcomanes indépendantes se formaient aux frontières. Ces principautés, qui étaient calquées sur les institutions de l’État Seljouk et les traditions des Turcs nomades, reconnaissaient généralement la souveraineté des Sultans Seljouk et des suzerains Il-Khan et leurs émirs recevaient d’eux des emblèmes de pouvoir comme les robe d’honneur, un standard, un diplôme et le titre de combattant (moujahid, ghazi). Mais en réalité, ils étaient indépendants : ils se rebellaient contre l’État Seljouk et coopéraient très souvent avec le Sultan d’Egypte, dont ils recevaient des emblèmes de souveraineté. La plus ancienne et la plus importante de ces principautés était le beylik Karamanli. Les Karamanlis non seulement conquirent les terres arméniennes en Cilicie, mais combattirent également la domination mongole avec le soutien et l’encouragement du Sultan mamelouk Baybars. Leur dirigeant, Muhammad Bey, marcha sur Konya en 659 (1261) et 675 (1276), la capturant finalement. Muhammad Bey proclama un membre de la dynastie Seljouk, que les chroniqueurs Seljouk appelaient avec mépris « l’Avare, » comme Sultan. Au cours de son occupation, il établit également le turc comme la langue officielle au lieu du perse, pour la première fois en Anatolie.

Cependant, les Karamanlis furent ensuite vaincus par l’armée Seljouk et se retirèrent à Karaman. Mais après la chute de la dynastie Il-Khan en 736 (1335), ils s’installèrent à Konya et, en tant que principautés anatoliennes les plus puissantes et se prétendirent héritiers des Seljouk.

 

L’État Germiyani, deuxième en importance et formé à Kütahya en 682 (1283), devint le noyau des principautés d’Aydin et de Saroukhan, qui se formèrent dans l’ouest de l’Anatolie. Dans ces principautés, conformément aux anciennes traditions turques de la féodalité nomade, la souveraineté était partagée entre les membres de la famille royale. Les princes Aydin jouèrent un rôle historique très important en capturant les îles avec leur flotte et en débarquant en Grèce et dans les Balkans. Ils occupent une place importante dans l’histoire navale turque.

Ils encouragèrent également le commerce extérieur en concluant des traités avec des marchands italiens au début du VIIIe (XIVe) siècle de l’Hégire. Vers la fin du VIIe (XIIIe) siècle, les Maisons d’Eshrefoghlu à Beyshehir, Hamid à Uluborlu et Antalya, et Menteshe à Mughla turquifièrent ces zones. Antalya fut prise au combat de la Maison de Hamid en 762 (1361) par le Roi de Chypre, et reprise en 777 (1373) par Teke Bey. Lorsque, à la chute de la dynastie Il-Khan, les principautés d’Ertene et plus tard du Qadi Bourhan ad-Din se formèrent en Anatolie centrale et partagèrent la domination de cette région avec les Karamanlis.

 

Lorsque les principautés turcomanes occupèrent et turquifièrent des régions qui n’étaient pas encore sous la domination Seljouk, elles apportèrent une contribution considérable à la culture turque car, en raison de leur origine nomade, elles n’étaient pas affectées par la culture perse. La langue turque, considérée comme apte à la composition littéraire seulement vers la fin du règne Seljouk, fut grandement améliorée par le travail d’auteur et de traduction qu’ils parrainèrent. La principauté de Jandaroghlu, formée à Kastamonu, fit des efforts considérables dans ce domaine. Les capitales de ces principautés étaient ornées de monuments et de bâtiments similaires. Au milieu de ce siècle, la maison de Doulqadir (Dzoul Qadr) en Elbistan et Mar’ash, et la maison de Ramadan à Adana et Choukourova (Cilicie) formaient également des principautés. Au fur et à mesure que les colonies turcomanes, établies en Cilicie depuis le début du VIe (XIIe) siècle, furent absorbées par le royaume arménien de Cilicie, les Seljouk, les Karamanlis et, surtout, les Mamelouks, l’implantation des Turcomans dans ces régions augmenta. Toutes ces tribus turcomanes, qui étaient à l’origine nomades, se transformèrent en habitants sédentaires en peu de temps. Les tribus Qara-Qoyunlu et Aq-Qoyunlu, qui arrivèrent dans l’est de l’Anatolie à la suite de la conquête mongole, formèrent des états qui conservèrent leurs caractéristiques nomades beaucoup plus longtemps que les autres.

 

Ainsi, dans le siècle qui suivit la chute des Il-Khan, l’Anatolie fut partagée entre ces principautés. La seule zone qui ne fut pas occupée par les Turcs était la Mer Noire orientale, avec Trébizonde comme centre. Bien que les Turcomans aient commencé à descendre sur ces rives en traversant les montagnes de la Mer Noire, cette région fut en fait conquise et colonisée par la tribu Oghouz appelée Chepni, qui suivait la côte depuis Samsun. La tribu chrétienne locale de Chan (Tzane) disparut finalement et dans les régions côtières se formèrent des petites principautés.

 

Les Turcomans atteignirent Giresun en l’an 702 de l’Hégire (1302). La principauté ottomane, initialement la plus modeste d’Anatolie, se développa rapidement, grâce à certains facteurs moraux et à certaines conditions géographiques. Plus tard, elle créa une unité politique en annexant progressivement les principautés anatoliennes et se transforma en l’un des plus grands empires de l’histoire. Si la division de l’Anatolie entre les principautés provoqua des ambitions en Europe pour de nouvelles croisades, la guerre de Cent Ans et le renforcement des Ottomans empêchèrent la concrétisation de tels projets.