Les « bons souvenirs du colonialisme »
- « Nos soldats n’ont pas reculé devant le meurtre des vieillards,
des femmes et des enfants. Ce qu’il y a de plus hideux, c’est que
les femmes étaient tuées après avoir été déshonorées[1] ».
- « Toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions
doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé, sans distinction
d’âge ni de sexe : l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française
a mis le pied. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu’en disent nos
philanthropes. Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de
commander sont prévenus par moi-même que s’il leur arrive de
m’amener un Arabe vivant, ils recevront une volée de coups de plat
de sabre. [...] Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la
guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze
ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les
bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs. En un mot,
anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens[2] ».
- « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac
aux Sbéhas ! Enfumez-les à outrance comme des renards » avait
ordonné Bugeaud et la répression fut rapide et rigoureuse : le
colonel Pélissier n’hésite pas à asphyxier plus de 1.000 personnes,
hommes, femmes et enfants, des Ouled Riah, qui s’étaient réfugiées
dans la grotte de Ghar-el-Frechih dans le Dahra dans le triangle
Ténès, Cherchell, Miliana.
Un soldat écrivit : « Les grottes sont immenses ; on a compté 760
cadavres ; une soixantaine d’individus seulement sont sortis, aux
trois quart morts ; quarante n’ont pu survivre ; dix sont à
l’ambulance, dangereusement malades ; les dix derniers, qui peuvent
se traîner encore, ont été mis en liberté pour retourner dans leurs
tribus ; ils n’ont plus qu’à pleurer sur des ruines ».
Après son forfait, Pélissier répond à quelques bonnes consciences
inquiètes : « La peau d’un seul de mes tambours avait plus de prix
que la vie de tous ces misérables[3] ».
- « Je brûlerai vos villages et vos moissons[4] ».
- « Nous resterons jusqu’à la fin de juin à nous battre dans la
province d’Oran, et à y ruiner toutes les villes, toutes les
possessions de l’émir. Partout, il trouvera l’armée française, la
flamme à la main ». Mai 1841.
- « Mascara, ainsi que je te l’ai déjà dit, a dû être une ville
belle et importante. Brûlée en partie et saccagée par le maréchal
Clauzel en 1855 ».
- « Nous sommes dans le centre des montagnes entre Miliana et
Cherchell. Nous tirons peu de coups de fusil, nous brûlons tous les
douars, tous les villages, toutes les cahutes. L’ennemi fuit partout
en emmenant ses troupeaux ».
- « Entouré d’un horizon de flammes et de fumée qui me rappelle un
petit Palatinat en miniature, je pense à vous tous et je t’écris. Tu
m’as laissé chez les Brazes, je les ai brûlés et dévastés. Me voici
chez les Sindgads, même répétition en grand, c’est un vrai grenier
d’abondance... Quelques-uns sont venus pour m’amener le cheval de
soumission. Je l’ai refusé parce que je voulais une soumission
générale, et j’ai commencé à brûler ».Ouarsenis, octobre 1842.
- « Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts
gelés pendant la nuit! C’était la malheureuse population des
Bani-Naâsseur, c’étaient ceux dont je brûlais les villages, les
gourbis et que je chassais devant moi ». Région de Miliana, 1843.
- « J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les
villages, environ deux-cents, ont été brûlés, tous les jardins
saccagés, les oliviers coupés[5] ».
Petite Kabylie, mai 1851
- « Plus d’indulgence, plus de crédulité dans les promesses.
Dévastations, poursuite acharnée jusqu’à ce qu’on me livre les
arsenaux, les chevaux et même quelques otages de marque... Les
otages sont un moyen de plus, nous l’emploierons, mais je compte
avant tout sur la guerre active et la destruction des récoltes et
des vergers... Nous attaquerons aussi souvent que nous le pourrons
pour empêcher Abd el Kader de faire des progrès et ruiner
quelques-unes des tribus les plus hostiles ou les plus félonnes ».
- « J’espère qu’après votre heureuse razzia le temps, quoique
souvent mauvais, vous aura permis de pousser en avant et de tomber
sur ces populations que vous avez si souvent mis en fuite et que
vous finirez par détruire, sinon par la force du moins par la famine
et les autres misères[6] ».
24 janvier.
- « J’entrerai dans vos montagnes ; je brûlerai vos villages et vos
moissons ; je couperai vos arbres fruitiers, et alors ne vous en
prenez qu’à vous seuls ».
- « Les « colonnes infernales » de Bugeaud et de ses adjoints
mettent largement à exécution ces menaces à l’égard des populations
insoumises ou en révolte. L’objectif n’était-il pas de vider
l’Algérie de ses habitants, de n’y tolérer tout au moins que des
esclaves ?[7] »
- « L´armée faite féroce par l´Algérie. Le général Le Flô me disait
hier soir, le 16 octobre 1852 : « Dans les prises d´assaut, dans les
razzias, il n´était pas rare de voir les soldats jeter par les
fenêtres des enfants que d´autres soldats en bas recevaient sur la
pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d´oreilles
aux femmes et les oreilles avec, ils leur coupaient les doigts des
pieds et des mains pour prendre leurs anneaux. Quand un Arabe était
pris, tous les soldats devant lesquels il passait pour aller au
supplice lui criaient en riant : cortar cabeza ! Le frère du général
Marolles, officier de cavalerie, reçut un enfant sur la pointe de
son sabre, il en a du moins la réputation dans l’armée, et s’en est
mal justifié[8] » ».
- « Une sévère leçon qu’il était grand temps de donner à ces
populations turbulentes et incorrigibles. La colonne expéditionnaire
destinée à réprimer la révolte de la Kabylie orientale, était réunie
le 2 août auprès de la petite ville de Milia sous les ordres du
général de Lacroix, commandant la division de Constantine. Le 5, nos
troupes pénétraient sur le territoire ennemi et campaient
successivement à Aïn Nakhela, sur l’Oued Endja, puis à Fedj-Baïnen,
après avoir infligé de rudes châtiments aux contingents qui avaient
tenté de s’opposer à leur marche. Les tribus de la confédération du
Zouarà, étaient entièrement réduites à merci, et livraient otages et
amendes.
[...] Rejetés, après l’incendie de leurs villages, dans les ravins
boisés de l’Oued Itéra et acculés au pied du gigantesque rocher de
Sidi-Mârouf, les insurgés éprouvaient des pertes très sérieuses.
L’effet moral produit par ces sévères leçons, qu’il était grand
temps de donner à ces populations turbulentes et incorrigibles, a
été immense [...]
A cette même date, toutes les tribus du cercle de Gigelli et celles
de la rive droite de l’Oued-el-Kébir (bas Roumel), terrifiées par
les châtiments infligés au Zouar’a et à l’Oued Itera, s’empressaient
d’aller implorer la pitié et demander grâce [...] C’est ainsi qu’en
peu de temps, du 2 au 22 août, [...] toutes les tribus comprises
dans la quadrilatère: Constantine, Collo, Gigelli et Mila,
rentraient dans l’ordre et le devoir, qu’elles n’auront plus envie
de quitter.
Il est important que le calme se fasse et que la confiance renaisse,
afin que l’élément européen vienne le plus rapidement possible faire
équilibre à l’élément indigène perturbateur. Le séquestre de vastes
étendues de terrain permet d’espérer que ce résultat, si désirable
pour la prospérité du pays, sera atteint dans un avenir très
rapproché. L’Européen trouvera dans la région que nous parcourons
des vallées fécondes [...] Ajoutons à cela un climat sain et
tempéré, et, pour le charme des yeux, des sites ravissants et d’une
variété infinie[9] ».
- « Tous les villages de l’O. Sahel et du Sébaou, presque
jusqu’aux portes d’Alger étaient détruits et incendiés, les
habitants massacrés et faits prisonniers[10] ».
- « 8 mai 1945. La répression dans la région de Sétif, Guelma,
Kherrata, Djidjelli, qui fera environ 40.000 victimes. C’est le
gouvernement français issu de la résistance, dirigé par De Gaulle et
formé avec des ministres communistes, qui va exercer une répression
effroyable[11] ».
- « 9 mai 1945 - Tant à Sétif qu’à Guelma le fil des événements est
le même. La nouvelle des violences policières se répand aux environs
et des groupes d’Algériens se forment, s’arment de ce qu’ils
trouvent et attaquent les Européens. Les évènements de Sétif sont
connus dès le matin du 8 à Kherrata. L’après-midi, les Européens
s’affolent et se retranchent dans le fort Dussaix avec des armes.
L’appel au djihad se répand dans les villages alentour. Le lendemain
des Européens sont attaqués, leurs maisons incendiées. Dix Européens
sont tués et quatre blessés. Depuis le fort Dussaix les Européens
tirent sur la foule. Les automitrailleuses de l’armée arrivent vers
midi et tirent dans le tas. L’artillerie de marine, l’aviation, et
le soir la légion suivent. Toute la région de Sétif et de Kherrata
s’enflamme ainsi. On comptera 88 à 103 morts et 150 blessés dans la
population européenne. La réaction des autorités est immédiate ;
gendarmerie, armée, blindés, aviation, artillerie de marine et
milices d’Européens interviennent. Les insurgés du 9 sont vite
obligés de fuir dans les montagnes.
La répression est atroce. Kateb Yacine avait seize ans, il était à
Sétif: « On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues ... La
répression était aveugle ; c’était un grand massacre. J’ai vu les
Sénégalais qui tuaient, violaient, volaient... bien sûr, après
l’état de siège, l’armée commandait ».
Un témoin déclare à Henri Alleg : « Les légionnaires prenaient les
nourrissons par les pieds, les faisaient tournoyer et les jetaient
contre les parois de pierre où leurs chairs s’éparpillaient sur les
rochers ».
« Entre Sétif et le pays, on ne peut circuler, il y a des
tirailleurs sénégalais qui tirent sur tout passant comme le cas
s’est produit à Aït Saïr. Dans ce dernier village, on a brûlé des
gens, qui avaient tué le garde forestier, et incendié plus de vingt
maisons ».
« [A Kef-El-Boumba] J’ai vu des Français faire descendre d’un camion
cinq personnes les mains ligotées, les mettre sur la route, les
arroser d’essence avant de les brûler vivants. Une commission
d’enquête fut instituée. Mais les assassins pour masquer leur crime,
en commirent de plus horribles. Ils prirent en effet les cadavres et
les jetèrent dans des fours à chaux. L’opération dura une semaine
complète ».
Benhamla Saci habitait à l’époque à 500 mètres du four à chaux
d’Héliopolis. Il est toujours obsédé par la « fumée bleue des
cadavres, l’insupportable odeur de chair brûlée et le va-et-vient
continuel des camions ».
« Le peuple fut massacré sans sommation et sans pitié..., les gorges
de Kherrata s’emplissaient de cadavres. Des gens étaient balancés
morts ou vifs dans des crevasses profondes. Les prisonniers étaient
égorgés et jetés dans le ravin à partir du pont qui porte le nom de
Hanouz, assassiné à cet endroit avec ses trois enfants ».
L’armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes
doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en
choeur : « Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien ».
Certains, après ces cérémonies, étaient embarqués et assassinés ».
Les milices, en particulier celle du sous-préfet de Guelma, Achiary,
participent activement à la répression par des exécutions sommaires.
« Je voyais des camions qui sortaient de la ville [Guelma] et, après
les intervalles de dix à quinze minutes, j’entendais des coups de
feu. Cela a duré deux mois; les miliciens ramassaient les gens
partout pour les tuer. Les exécutions se faisaient surtout à Kaf
al-Boumbah et à la carrière de Hajj M’Barak ».
Mohamed Chouadria, député de Constantine, accuse les miliciens
réunis par le sous-préfet Achiary, l’administrateur Raymond et le
colon Schemoul : « Des fusillades en masse eurent lieu : je voudrais
attirer l’attention sur la répression sanglante, sauvage, inhumaine
à Villars (Oued Cheham). En la présence des habitants des douars
environnants et devant Achiary, neuf Musulmans furent alignés devant
les murs et fusillés dans le dos par des miliciens volontaires,
réunis sous les ordres d’Achiary et de Raymond qui disait :
« Vengez-vous, messieurs les colons ! » Dans un petit centre près de
Guelma, Schemoul, avec l’aide de quinze prisonniers italiens, a tué
de pauvres fellahs et même une malheureuse femme ».
Les milices sévissent à Sétif, à Annaba, à Chevreul. Ferhat Abbas
accuse le préfet de Constantine, Lestrade-Carbonnel d’avoir ordonné
de tirer, de tuer les Arabes.
Il y eut enfin la répression judiciaire, 7.400 arrestations, 151
condamnations à mort.
Des commission d’enquête sur les excès de la répression - l’une
dirigée par le général Tubert, l’autre par le commissaire Berge -
sont constituées, mais leur travail est empêché[12] » ».
« 27 novembre 1954 - Après les actes d’insurrection survenus le 1er
novembre en Algérie, où les « indigènes » étaient toujours tenus
pour des citoyens de seconde zone, dépossédés pour la plupart de
leurs terres, souffrant de la famine, n’accédant
qu’exceptionnellement à l’école, soumis au mépris des Européens et à
l’arbitraire de bachagas ou caïds instruments du colonisateur, le 5
novembre, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, parla de la
répression « nécessaire et impitoyable des troubles » puis déclara
le 7 : « L’Algérie c’est la France et la France ne reconnaîtra pas
chez elle d’autre autorité que la sienne ».
Le M.T.L.D. qui n’était absolument pour rien dans l’insurrection fut
dissout le 5 et ses membres arrêtés. Mitterrand affirma le 20 :
« Les trois départements d’Algérie sont des territoires français. Le
gouvernement français ne peut pas, ne veut pas tolérer que les
revendications présentées par la population dépassent certaines
limites telles que l’intégrité et la souveraineté nationale ».
Des tracts furent jetés par avion dans les Aurès gagnés dès le 1er
novembre à l’insurrection :
« Appel à la population. Des agitateurs, parmi lesquels des
étrangers, ont provoqué des troubles sanglants dans notre pays [...]
Musulmans !
Vous ne les suivrez pas et vous rallierez immédiatement et avant le
dimanche 21 novembre à 18 heures, les zones de sécurité avec vos
familles et vos biens. L’emplacement de ces zones de sécurité vous
sera indiqué par les troupes françaises stationnées dans votre
région et par les autorités administratives des douars.
Hommes qui vous êtes engagés sans réfléchir, si vous n’avez aucun
crime à vous reprocher, rejoignez immédiatement les zones avec vos
armes et il ne vous sera fait aucun mal.
Bientôt un malheur terrifiant s’abattra sur la tête des rebelles.
Après quoi régnera à nouveau la paix française ».
On voit apparaître dans ce texte dès 1954, les notions de « zone
interdite » et « zone de regroupement ».
Malgré ces menaces, la population ne bougea pas.
Le 26 novembre, Mitterrand commença une tournée d’inspection. Ce
jour-là, dans les Aurès, cinq bataillons étaient engagés dans une
vaste opération de ratissage. Un millier de personnes du douar
Yabous, parmi lesquelles des femmes, des vieillards, des enfants,
furent transférées dans un endroit désert, sans eau potable,
Boussaha.
Arrivant à Batna le 27, Mitterrand[13]
déclare « nos soldats sont des pacificateurs ». Ce jour-là, neuf
avions de chasse décollèrent de l’aéroport de Batna. Pendant ce
temps, à la mechta Thagit, du linge séchait sur des piquets ; des
gens allaient et venaient ; le bétail cherchait sa nourriture. Tout
à coup, les fellahs virent les chasseurs briller au soleil. Le
premier chasseur piqua puis ouvrit le feu sur une maison. Il y eut
une rafale. Puis une deuxième. Puis tous les avions mitraillèrent.
Les gens se réfugièrent dans les maisons où les balles pénétraient.
Madame Zaaf Essaouba, une femme de soixante ans fut tuée. Une jeune
fille de seize ans fut atteinte à deux reprises et tout le bétail
fut abattu.
A T’Kout, après avoir inspecté un détachement de parachutistes
coloniaux et visité la gendarmerie, le ministre déclara : « L’Aurès
n’est pas en état d’insurrection. Il y a dans la montagne quelques
centaines de « durs » et une population consentante, soumise et
peureuse ».
A Batna, la piscine fut transformée en lieu de détention. Des
camions chargés de suspects circulaient dans la ville.
Des villages furent détruits au lance-flammes. Le 8 décembre, les
habitants de la mechta Meradsa furent avertis qu’ils devraient avoir
quitté les lieux pour le lendemain. Le 9, avant que le jour soit
levé, avant que les habitants aient pu déménager leurs affaires, la
mechta fut envahie et les maisons flambèrent. Le 31 décembre, les
mechtas Boukhrouf et Tiffertassine furent incendiées au
lance-flammes. Les 600 habitants s’enfuirent. La « pacification »
débutait[14] ».
La Gestapo française et la torture
La torture devint couremment pratiquée en Afrique du nord et
particulièrement par les Français : « Le supplice de la baignoire,
le gonflage à l’eau par l’anus, le courant électrique sur les
muqueuses, les aisselles ou la colonne vertébrale, sont les procédés
préférés, car « bien appliqués » ils ne laissent pas de traces
visibles. Le supplice de la faim est également constant. Mais
l’empalement via l’anus sur une bouteille ou un bâton, les coups de
poing, de pied, de nerf de bœuf ne sont pas non plus épargnés. Tout
ceci explique que les tortionnaires ne remettent les prisonniers au
juge que cinq à dix jours après leur arrestation... Une fois que les
Gestapistes ont dicté et fait signer à leurs victimes à demi-mortes
« l’aveu » qu’il leur plaît d’attribuer, le reste du séjour à la
police sert à remettre le prisonnier en état, au besoin à le soigner
(mais oui !) afin qu’il soit présentable lorsqu’on le mène au
juge... »
Claude Bourdet donne quelques détails sur plusieurs de ces affaires
: « Un cas significatif est celui de Adad Ali, conseiller municipal
d’Alger. Il fut arrêté le 27 décembre [1954]. Le 30, son avocat,
Maître Pierre Stibbe, signala au procureur de la République qu’il
n’avait pas réapparu et n’avait pas été déféré à un magistrat et
requit ce procureur, conformément au code d’instruction criminelle,
de le faire mettre immédiatement en liberté ou de le faire conduire
devant un magistrat. Le procureur invoqua ... « le débordement et la
fatigue des policiers » et refusa de déférer à cette réquisition. Le
31 décembre, Mme Adad, craignant pour la vie de son mari, de santé
très fragile, déposa une plainte en complicité de séquestration
arbitraire contre le procureur. Quelques heures plus tard, Adad Ali
était mené devant le juge d’instruction par cinq inspecteurs des
R.G. Les journalistes, avocats, magistrats présents constatèrent
qu’il était dans un état d’hébétude morale et de délabrement
physique complet et portait de nombreuses traces de coups ».
Suite à l’émoi suscité dans la presse par de telles allégations, le
ministre de l’intérieur, François Mitterrand, ordonna une enquête
qui fut confiée à M. Roger Guillaume et adressée au gouverneur
général Soustelle. Le rapport, daté du 2 mars 1955, reconnaît que
les « sévices furent utilisés dans de nombreux cas » sont « de
pratique ancienne », mais qu’ils donnent des résultats
indiscutables. Les procédés classiques d’interrogatoire prolongé, de
privation de boisson et de nourriture « ne seraient pas d’une grande
efficacité dans ces pays où les individus présentent une résistance
extraordinaire aux épreuves de toute nature. Par contre, les
procédés du tuyau d’eau et de l’électricité, lorsqu’ils sont
utilisés avec précaution, produiraient un choc, au demeurant
beaucoup plus psychologique que physique, et par conséquent
exclusifs de toute cruauté excessive ».
Ce rapport non divulgué n’empêcha pas le nouveau ministre de
l’intérieur, Bourgès Maunoury, de nier l’existence de la torture, le
29 juillet 1955 devant l’Assemblée Nationale : « Ce que je puis
dire, c’est qu’après les enquêtes déjà effectuées je ne connais
aucun fait de torture tel que ceux qui ont été énoncés ». Dans le
Monde du 15-16 avril 1956, en réponse à des articles de Claude
Bourdet et du professeur Henri-Irénée Marrou, Bourgès, devenu
ministre de la Défense nationale déclare : « Quand je vois que M.
Marrou a parlé de « moyens infects », je dis que pas un seul soldat
ne peut admettre cette imputation dans sa généralité. Nos soldats,
eux, sont là-bas pour assurer ou rétablir la paix et pour protéger
la vie de chacun, Musulmans ou non ».
Et Guy Mollet, le 14 avril 1957, devant la fédération socialiste de
la Marne : « Parlons clair. Sans doute des actes de violence,
extrêmement rares, ont été à déplorer. Mais ils ont été, je
l’affirme, consécutifs aux combats et aux atrocités des terroristes.
Quant aux actes de tortures prémédités et réfléchis, je dis que si
cela était, ce serait intolérable. On a comparé à ce sujet le
comportement de l’armée française à celui de la Gestapo. Cette
comparaison est scandaleuse. Hitler donnait des directives qui
préconisaient ces méthodes barbares, tandis que Lacoste et moi avons
toujours donné des ordres dans un sens contraire. Des enquêtes ont
d’ailleurs été ordonnées et des condamnations prononcées qui ont
sanctionné des actes répréhensibles. Mais ceux-ci, je le répète,
pourraient presque se compter sur les doigts de la main ».
Le 23 novembre 2000, le général Massu à qui le gouvernement Mollet
confia les pouvoirs de police à Alger, le 7 janvier 1957, déclare au
journal Le Monde : « Mais j’ai dit et reconnu que la torture avait
été généralisée en Algérie ! Elle a été ensuite institutionnalisée
avec la création du CCI [...] et des DOP [...], et
institutionnaliser la torture, je pense que c’est pire que tout [15]».
Comme je l’ai précédemment mentionné, et vous en avez sous les yeux,
l’irréfutable preuve que les mécréants sont bien des spécialistes du
mensonge, qu’ils ne sont ni des criminels, ni des terroristes mais
les « criminels » et les « terroristes » sont plutôt ceux défendent
leur honneur et leur pays !
- « A Philippeville, il y aura plus de 2.000 morts algériens dans
les quinze jours qui suivent le 20 août1955 » écrit Yves Courrière
qui compte 12.000 victimes algériennes de la répression dans le
Constantinois.
22 août 1955 - Répression des émeutes dans le Constantinois
Les journées d’émeute des 20 et 21 août 1955 dans le Constantinois
constituent à bien des égards une répétition des troubles de mai
1945. Le bilan officiel de la répression s’établit à 1.273 morts.
Nul doute qu’il est bien plus élevé et que le nombre de victimes se
situe aux alentours de 12.000. Ce drame convertit Soustelle au
tout-répressif, il laisse carte blanche à l’armée. Honni à son
arrivée, il sera adulé par les colons. Les élus algériens modérés se
rallieront au F.L.N.
Edouard Valéry, capitaine au 3ème Régiment de Tirailleurs Algériens,
témoigne : « [Au Kroubs, situé à une quinzaine de kilomètres de
Constantine]. Toute la journée du 21 août, des camions militaires
chargés de civils algériens arrivent à la gendarmerie : plus de 150
hommes de tous âges sont entassés dans la cour, venant, semble-t-il,
des régions d’Aïn-Abid et Oued-Zénati.
Un lieutenant de la subdivision de Constantine vient au Kroubs,
chargé, dit-il, d’une mission de répression. Le même soir, arrivent
aussi une section de la légion étrangère commandée par un
sous-lieutenant et une section de tirailleurs sénégalais appartenant
au 15ème RTS. [...] Le lendemain, 22 août 1955, de très bonne heure,
alerté par de longues rafales de pistolets mitrailleurs, tirées non
loin de là, en direction du sud-est et par un mouvement de camions,
qui partaient de la gendarmerie ou y revenaient, je me dirige
rapidement vers celle-là. Au premier coup d’œil je comprends ce que
voulait dire l’expression « mission de répression » !... La cour où
étaient entassés les Algériens est vide... Le détachement de la
légion, arrivé la veille au soir, est en train d’exécuter les
prisonniers, tandis que les tirailleurs sénégalais,
fusil-mitrailleur en batterie, ont pris position autour de la
gendarmerie. Le drame se lit sur les visages de tous les militaires
ou gendarmes que je rencontre. Le lieutenant G., commandant de la
64ème C.R.D. [Compagnie de Réparation Divisionnaire] que je rejoins,
est très pâle. Avec lui, nous avons juste le temps d’empoigner et de
retenir deux enfants de dix ans environ que l’on s’apprête à
embarquer dans le dernier camion qui démarre avec son chargement
d’Algériens. Un homme assez jeune, amputé des deux jambes, est jeté
dans le camion qui roule déjà.
Le lieutenant de la C.R.D. me fait alors, bouleversé, le récit
rapide des scènes d’atrocités dont il vient d’être témoin : « Les
Algériens sont amenés par groupe d’une dizaine, au bord d’une grande
fosse creusée à la hâte. Ils font leur prière et sont abattus à bout
portant par les légionnaires. [...] »
Vers 8h30, le lieutenant de la subdivision de Constantine, qui
semble être le patron de « l’opération », revient à la CRD et
téléphone devant moi à son état-major, pour rendre compte à mots à
peine couverts de sa mission : « Envoyez-moi, dit-il, deux
bulldozers pour les travaux de terrassement; avec des pelles et des
pioches il faudrait trop de temps ».
[...] La réalité était là dans toute sa brutalité : quarante-huit
heures après les événements du 20 août, 161 otages avaient été
froidement abattus ».
Jean Mairey, directeur général de la Sûreté Nationale, dans son
rapport du 13 décembre 1955 reconnaît : « Mais ils [les événements
du 20 août] ouvrirent les vannes d’une répression sans discernement,
tant civile que militaire. Et le plus affligeant des résultats des
massacres du 20 août se traduit aujourd’hui par une reprise des
pires méthodes de police, rendues trop célèbres, hélas, par la
Gestapo, et qui soulevèrent à juste titre l’indignation des hommes
civilisés[16] ».
Massacres de mai 1945
- « Stade de Skikda - massacre de civils algériens - Août 1955 de
Robert Lambotte.
Ce numéro de L’Humanité a été immédiatement saisi par les autorités
françaises. Il sera remplacé par un numéro spécial de protestation
qui sera également saisi. Robert Lambotte, envoyé spécial du
journal, a été expulsé d’Algérie, manu militari, le 25 août. Il a
publié dans L’Humanité-Dimanche du 28 août 1955, un article intitulé
« Voici pourquoi j’ai été expulsé d’Algérie » dans lequel il a écrit
: « Ce qu’il ne faut pas voir et ne pas dire, ce sont les longues
colonnes d’Algériens ramassés samedi, dimanche et lundi dans les
quartiers arabes de Philippeville et systématiquement mis à mort sur
le stade ou dans les campagnes environnantes. »
Algérie : la répression se poursuit. De notre envoyé spécial Robert
Lambotte (par téléphone)
Constantine, 23 août 1955 - J’ai vu aujourd’hui comment étaient
exécutés les ordres du gouverneur général. On annonçait hier que des
mechtas algériennes « soupçonnées d’avoir aidé les groupes armés »
seraient détruites. Un communiqué officiel annonçait que la
destruction des villages avait commencé lundi matin. Le gouverneur
général faisait préciser que les femmes et les enfants avaient été
évacués. C’était déjà atroce. Cela voulait dire que tous les hommes
des villages avaient été systématiquement achevés dans les gourbis
en flammes. Mais même cela est en dessous de la réalité. Ce ne sont
pas seulement les hommes qui ont été tués à bout portant, mais aussi
les femmes, les enfants, les bébés.
J’étais ce matin à Philippeville. Tous les magasins sont fermés, les
fusils mitrailleurs sont braqués à chaque carrefour. Des groupes
algériens armés se trouvaient encore nombreux dans la ville même.
D’autres se tiennent dans le djebel voisin.
Affreusement déchiquetée, une famille...
Je suis monté à quelques kilomètres de la ville, dans les collines
où se trouvent les mechtas algériennes. A peine avions-nous commencé
de monter qu’une odeur à faire vomir nous a saisis. De partout, le
vent amenait l’odeur des cadavres en décomposition.
Un village, une centaine de gourbis, s’étalait à flanc de coteau
jusqu’au fond du ravin. Toutes les paillotes de chaume avaient été
brûlées.
Ne restaient debout que quelques murs de terre, partout un
bouleversement général. Des ustensiles de cuisine, des vêtements
jonchent le sol. Nous avions vu cela du haut de la route. Nous
avions vu aussi autre chose : en plein soleil, des taches noires
qu’on ne pouvait identifier. C’était une famille entière, le père,
la mère, deux enfante allongés sur la même ligne, tombés à la
renverse, affreusement déchiquetés par les balles. A quelques mètres
de là, une femme, encore à demi-vêtue, un homme face contre terre
et, entre les deux cadavres, celui d’une fillette d’une douzaine
d’années. Elle est tombée sur un genou, en pleine course. Elle est
presque nue, ses vêtements ont brûlé sur elle, entamant la chair.
Maintenant, au fur et à mesure que les regards se portent sur les
ruines, ils rencontrent des hommes, des femmes, des enfants, figés
dans d’atroces positions. En tas. Isolés. Les ruelles sont pleines
de cadavres. Combien sont-ils ? On ne peut faire un décompte exact.
C’est un village algérien parmi tant d’autres. Sans doute même
n’est-il pas sur la liste « officielle ».
Quelques animaux sont restés parmi les ruines. Deux ânes broutent
les clôtures, des poules picorent auprès des cadavres. Un chat,
immobile en plein soleil, semble veiller sur son maître.
Dans le ciel, d’autres animaux : des charognards au vol lourd
tournoient sans discontinuer. Nous les avons dérangés.
Cette mechta se trouve à quatre kilomètres de Philippeville, près
des carrières romaines.
Un autre village
Nous redescendons vers Philippeville. Sur la gauche, en bordure de
la route, un autre petit village a été entièrement anéanti. Là
encore, les cadavres mêlés jonchent le sol. Un homme a roulé dans le
fossé, en boule, atteint par une rafale. Et partout, cette odeur qui
s’imprègne aux vêtements. J’ai fait près de cent kilomètres sur la
route avant d’écrire ces lignes ; je sens encore l’odeur de la
mechta détruite et des victimes abandonnées en plein soleil.
La route de retour, sur Constantine, offre à chaque virage des
visions d’horreur. Des corps sont abandonnés le long des fossés.
Quand la mort n’est pas visible, elle est suggérée. Avant d’entrer à
Gastonville, à droite, dans l’herbe, une dizaine de chéchias rouges
ont été abandonnées, un turban déroulé trace sur la route un long
ruban blanc. Ailleurs, une cravate, un chapeau. A Guelma, on
comptait une centaine de cadavres algériens.
J’ai entendu, à Philippeville, des phrases impensables. J’ai entendu
à quatre reprises demander à des soldats, à des policiers : « Où se
trouve l’endroit où l’on tue les Algériens ? » Pas une fois cette
question n’est restée sans réponse. Chaque fois, le soldat ou le
policier a désigné l’endroit : à 4 kilomètres environ de
Philippeville.
Il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour être renseigné. Ce
n’est pas un secret. Tout le monde en parle. On exécute froidement
tous les Algériens qu’on peut arrêter. On pouvait se demander, il y
a 48 heures, si les victimes pouvaient se chiffrer par centaines ;
aujourd’hui, c’est par milliers qu’il faut compter.
Sur 80 kilomètres des villages déserts
Dans toute cette région du Constantinois se déroule un massacre
raciste, renouvellement des événements de 1945 qui firent 45.000
morts. Tout au long des 80 kilomètres qui séparent Philippeville de
Constantine, je n’ai traversé que des villages déserts. Les
Européens sont partis vers Alger. Les familles algériennes qui n’ont
pas été massacrées se sont enfuies dans la montagne. Partout, dans
les campagnes, rôdent les charognards, ces oiseaux de mort ; on les
voit qui plongent et se posent là où sont passés les commandos des
forces de répression.
Il faut qu’en France on sache ce qui se passe ici. Il faut au plus
vite arrêter ces massacres qui s’accentuent d’heure en heure. Déjà
pour demain d’autres expéditions sont prévues, d’autres villages
algériens seront détruits avec les hommes, les femmes, les enfants.
J’ai assisté tout à l’heure à Philippeville aux obsèques des
trente-cinq Européens tués au cours des derniers événements. Devant
les cercueils de ceux qui ont été aussi les victimes d’une politique
criminelle qui met l’Algérie à feu et à sang, les colonialistes ont
manifesté leur volonté d’une répression encore plus féroce. Ils
veulent l’état de siège ; ils ont des armes, ils en veulent
davantage encore pour monter dans les quartiers algériens et tuer
toute la population. Ils ont pris à partie le préfet de Constantine
qui applique cependant toutes les directives du gouvernement. On
sait aujourd’hui le résultat de ces ordres scrupuleusement appliqués
: des milliers de morts.
Il ne faut pas laisser faire cela. Mais il faut faire vite.
Aujourd’hui d’autres villages algériens vont être brûlés.
Robert Lambotte
[1] 18 octobre 1841. M. Chamagarnier, officier français, cité
par Charles André Julien (Histoire de l’Algérie
contemporaine, PUF.
[3]
Robert Louzon Cent ans de capitalisme en Algérie :
1830-1930, La Révolution Prolétarienne, 1er mars 1930.
[4]
24 janvier 1845, Bugeaud.
[5]
Lettres de Saint-Arnaud, maréchal de France.
[6]
Lettre du général Bugeaud écrite le 18 janvier 1843 au
général de la Moricière.
[7]
Robert Louzon, Cent ans de capitalisme en Algérie 1830-1930.
[8] Victor Hugo, 16 octobre 1852 dans « Choses vues ».
[9]
L’Illustration,
22 août 1871.
[10] L’Illustration, 29 juillet 1871, Vol LVIII, N° 1483,
1871, 2ème semestre, page 74-75.
[14] Pierre Vidal-Naquet, La raison d’Etat, Editions de Minuit, 1962, page 51-52 ; Jean-Luc Einaudi, Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton, L’Harmattan, 1986, page 39-41 ; Bernard Droz, Evelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, Seuil, Points Histoire, 1984, page 62-63.