Pachas

 

Dragut régna durant douze années avant que la Libye ne soit gouvernée par des Pachas nommés par le gouvernement d’Islamboul[1]. Les Pachas étaient secondés par un conseil présidé par le commandant des janissaires. C’était un pouvoir principalement de caractère militaire et les Pachas devaient s’attirer les bonnes grâces de l’armée pour continuer leur fonction.

Les Pachas furent changés fréquemment et sur une période de cent-quarante-huit années de l’an 970 à 1123 de l’Hégire (1563 à 1711), quarante Pachas se succédèrent soit une durée de règne d’environ trois années pour chacun d’entre eux.

De ces Pachas, deux furent particulièrement importants, Muhammad qui occupa la fonction durant dix-huit années de l’an 762 à 1059 de l’Hégire (1631 à 1649) et ‘Uthman pendant vingt-trois années, de l’an 1043 à 1083 de l’Hégire (1634 à 1672). Ces deux Pachas gouvernèrent le pays durant quarante et un ans et ce fut l’âge d’or des souverains ottomans en Lybie durant lequel, le pays connut une grande prospérité.

La flotte ottomane maintenue à Tripoli devint le maître incontesté de la Méditerranée et de nombreux raids couronné de succès furent entreprit contre les côtes européennes. Les Pachas qui succédèrent à ‘Uthman, furent incapable de maintenir la grandeur de la Libye.

 

 

Ahmad Qarmanli

 

En l’an 1123 de l’Hégire (1711) alors que le Pacha Muhammad Kha’id Amin était en visite à Islamboul, Ahmad Qarmanli, le commandant de la cavalerie saisit le pouvoir par un coup d’état.

Le gouvernement ottoman n’était pas assez fort pour prendre des contres mesures contre lui et ne put qu’approuver et le nommer Pacha. Ahmad Qarmanli fonda la dynastie Qarmanli qui occupa le pouvoir en Libye pendant 124 années, de l’an 1123 à 1251 de l’Hégire (1711 à 1835). Ahmad Qarmanli encouragea les activités des barbaresques et protégea la « piraterie » ce qui lui valut le prestige et éleva la Libye au statut international.

Sous son règne, le pays prospéra et son règne fut salutaire.

 

 

‘Ali Qarmanli

 

La dynastie Qarmanli atteignit son âge d’or pendant le règne de ‘Ali Qarmanli qui dura de l’an 1167 à 1207 de l’Hégire (1754 à 1793). Il encouragea aussi la « piraterie » et durant son règne, les capitaines des barbaresques devinrent des héros nationaux et furent honorés comme des princes.

‘Ali Qarmanli encouragea les négociants chrétiens et juifs à s’installer en Libye. Le commerce et la « piraterie » menait à la prospérité économique de l’état, mais cette situation ne put durer longtemps. La dépendance de l’état sur les corsaires ne permettait pas d’empêcher leurs délits et l’ordre public se détériora et les gens réclamèrent le pouvoir ottoman direct.

Le calife ottoman de Turquie chargea l’amiral Hassan Pacha de renverser les Qarmanlis et de ramener la Tripolitaine sous le pouvoir des Ottomans. À ce stade, Youssouf, un fils de ‘Ali Qarmanli, se révolta contre son père et assiégea Tripoli mais le calife ottoman ‘Abdel Hamid décéda en l’an 1203 de l’Hégire (1789) et le plan de reprendre la Libye sous le contrôle des Ottomans ne put se matérialiser.

L’état de chaos aussi bien en Libye qu’en Turquie permit à ‘Ali Bourghoul, le chef de la marine algérienne qui avait amassé une fortune considérable par des moyens douteux et répugnant et qui avait été expulsé d’Algérie, de prendre le pouvoir. Par la suite, il alla à Islamboul et après la mort du Sultan ‘Abdel Hamid, il obtint l’approbation du gouvernement ottoman pour prendre Tripoli ce qu’il fit en l’an 1207 de l’Hégire (1793). Youssouf qui assiégeait Tripoli se retira tandis que ‘Ali Qarmanli fuit la capitale et se réfugia avec le Bey Hammoudah à Tunis. Tripoli fut alors prise ‘Ali Bourghoul.

 

 

‘Ali Bourghoul

 

Le gouvernement d’Ali Bourghoul à Tripoli fut oppressif car il était plus un aventurier qu’un souverain et tous ses efforts furent concentrés sur la recherche de l’argent. Il extorqua de lourdes sommes d’argent des Juifs par les menaces et exécuta des riches commerçants musulmans sous différents prétexte dans le seul but de s’approprier leur propriété.

Les gens de Tripoli demandèrent alors de l’aide au Bey de Tunis pour les délivrer du gouvernement tyrannique de ‘Ali Bourghoul et en l’an 1209 de l’Hégire (1795), une force tunisienne débarqua en Libye.

‘Ali Bourghoul quitta Tripoli en prenant avec lui les trésors saisis après un règne de dix-sept mois seulement.

 

 

Youssouf Qarmanli

 

Les Tunisiens installèrent à sa place Ahmad Qarmanli, le fils aîné de ‘Ali Qarmanli, comme souverain de Tripoli mais il fut renversé par son frère Youssouf Qarmanli qui reçut le support des tribus tandis que le gouvernement de Turquie approuva sa dominance.

Youssouf Qarmanli construisit une formidable flotte et partagea les activités des capitaines barbaresques et les navires des états européens devaient payer des taxes pour pouvoir naviguer en toute sécurité à travers la Méditerranée.

Aussi longtemps que les états européens furent impliqués dans les guerres napoléoniennes, les affaires de pirateries prospérèrent à l’avantage de Tripoli. Après la défaite de Napoléon lors de la bataille de Waterloo en l’an 1240 de l’Hégire (1825) et sous la pression des puissances occidentales, les activités des barbaresques prirent fin et Tripoli fit face à des difficultés financières. Jusqu’ici, Tripoli avait le monopole de commerce avec Malte mais sous la pression des Britanniques, Tripoli dut renoncer au monopole et cela aggrava ses difficultés financières. Pour compenser les pertes de l’état, Youssouf Qarmanli se tourna vers la reprise du commerce transsaharien et la Libye établit son contrôle sur la route commerciale de Tripoli-Bomou.

 

Les Britanniques exploitèrent le contrôle de la Libye sur la route commerciale transsaharienne pour promouvoir l’exploration intérieure de l’Afrique en envoyant des missions et le gouvernement de la Libye était censé être responsable de la protection des explorateurs.

Un des explorateurs fut assassiné à Tombouctou en l’an 1241 de l’Hégire (1826) et les Britanniques rendirent Youssouf Qarmanli et le consul français responsables du meurtre de l’explorateur. La rivalité entre les Britanniques et les Français compliqua la situation politique de Tripoli. Les choses devinrent plus compliquées, quand en l’an 1245 de l’Hégire (1830), Youssouf Qarmanli fut forcé sous la menace d’une invasion française de s’abstenir de prendre part aux hostilités émanant de l’occupation française de l’Algérie.

 

Par le traité signé avec la France, Youssouf Qarmanli s’engagea à contrôler la piraterie et limiter sa flotte et cette servilité envers les Français diminua le prestige du gouvernement de Youssouf Qarmanli. De plus, faisant face à des difficultés financières, le gouvernement confisqua les propriétés des citoyens pour différents prétextes qui engendrèrent un mécontentement général qui culmina avec la rébellion de ‘Abdel Jalil Sayf an-Nasr, le chef de la tribu des Awlad Souleyman en l’an 1246 de l’Hégire (1831).

La tribu prit Fezzan et renia l’allégeance à Youssouf Qarmanli tandis que les consuls britannique et français aggravèrent la situation en soutenant les partis rivaux de Libye. Pour contrer les difficultés financières, Youssouf Qarmanli obtint des prêts de négociants étrangers mais il ne fut pas capable de les rembourser.

 

En l’an 1246 de l’Hégire (1832), un escadron naval britannique arriva à Tripoli pour demander le remboursement des prêts aux créanciers britanniques mais le gouvernement n’avait pas d’assez d’argent pour rembourser le prêt.

Dans cette crise, le gouvernement dut prélever des impôts spéciaux sur les tribus qui avaient été jusqu’ici exemptes du paiement de taxes. Les tribus se révoltèrent et proclamèrent Muhammad Qarmanli, le fils de Youssouf, leur Pacha.

Dans cette difficile situation, Youssouf Qarmanli abdiqua en faveur de son fils ‘Ali ce qui engendra un conflit entre les Britanniques et les Français car ces derniers soutirent la cause de ‘Ali le fils de Youssouf Qarmanli tandis que les Britanniques soutinrent Muhammad et les rebelles. Dans cette crise dans les affaires de la Libye, le gouvernement ottoman envoya sans succès un émissaire à Tripoli pour amener les tribus à accepter ‘Ali Qarmanli comme leur Pacha ce qu’elles refusèrent.

Tirant profit de cette situation en Libye, le Pacha de Tunisie proposa d’entreprendre une expédition en Libye pour l’annexer ce qui était inacceptable pour le gouvernement ottoman.

 

En l’an 1251 de l’Hégire (1835), les Ottomans envoyèrent une force militaire en Libye et ‘Ali Qarmanli fut déposé et escorté à Islamboul. Muhammad Qarmanli s’enfuit vers l’intérieur du pays mais poursuivit, il finit par se suicider. L’occupation de la Libye par les forces ottomanes turques mit fin au règne des Qarmanli qui dura 124 années, de l’an 1123 à 1251 de l’Hégire (1711 à 1835).

 

Durant les 75 années qui suivirent, les Ottomans fournirent 33 gouverneurs et la Libye resta une partie de l’empire, bien que parfois pratiquement autonome, jusqu’à ce que l’Italie l’envahisse en l’an 1329 de l’Hégire (1911) dans la guerre italo-turque alors que l’empire ottoman s’effondrait.

Le faux prétexte[2] utilisé par les Italiens pour déclarer la guerre aux Ottomans était qu’Islamboul ne faisait pas assez pour protéger les intérêts italiens en Libye.

La Libye fut coupée de la modernisation ottomane civile et militaire qui commença en 1839 et se termina en 1876. Les Ottomans maintinrent durant un certain temps environ 20.000 hommes de troupes régulières en Libye mais quelques mois avant l’invasion italienne, le premier ministre ottoman Haqqi Pacha ordonna le redéploiement de 16.000 d’entre eux pour réprimer une rébellion au Yémen,

 

 

 

La colonisation italienne

 

Une grande partie du texte qui suit est extrait du livre de Rif’at ‘Abdel ‘Aziz Sa’id et Muhammad Ahmad at-Touwir « tarikh al-jihad fi libya dod al-ghazi al-itali, 1911-1931 ».

 

La force d’invasion du plan initial fixé par l’état-major général italien pour envahir la Lybie comprenait :

- 34.000 soldats.

- 6.300 chevaux et cavaliers.

- 1.050 transporteurs de troupes.

- 48 pièces d’artillerie et,

- 34 pièces d’artillerie de montagne.

Ce plan initial fut modifié pour augmenter la force des troupes italiennes à 100.000 soldats et l’ajout de biplans à la force d’invasion. Et pour faire face à cette immense force, seuls 4.800 Ottomans armés d’armes à feu, des fusils et une artillerie archaïque. La défense de la Libye allait être préparée à la hâte et tomber sur les épaules de la population locale avec quelques centaines d’officiers ottomans pour fournir un leadership et une orientation de 1911 à 1913.

 

La colonisation italienne en Libye commença, avec la conquête italienne des côtes Tripolitaines et de la Cyrénaïque  ottomane, en 1911 et dura plus de trente ans, jusqu’à février 1943, quand l’ouest de la Lybie fut conquis par les alliés dans la campagne nord-africaine. Officiellement l’Italie renonça à la Libye en 1947, dans le traité de paix après la seconde guerre mondiale.

 

A la fin du mois de Septembre 1911, alors que la marine italienne se préparait, Shawkat Pacha, le ministre de la guerre ottoman, envoya un câble à Benghazi, et ordonna aux forces de se retirer vers l’intérieur de la Libye et de se rassembler avec les tribus pour mener des actions de guérilla.

Le 1 octobre 1911, la flotte italienne composée de croiseurs lourds, de destroyers, de cuirassés et de deux navires de lignes transportant les premiers contingents des 100.000 troupes qui seraient engagées en Libye, quitta Naples pour Tripoli qu’elle bombarda deux jours après depuis la mer, sous le prétexte de libérer les Lybiens de la domination ottomane. Lire : « de libérer les Lybiens de la domination ottomane en les envoyant au cimetière ».

Quel misérable prétexte !

 

Le 4 octobre 1911, les Italiens bombardèrent Tobrouk de la mer tandis que les troupes terrestres débarquèrent dans cette ville libyenne qui fut la première à être occupée par les Italiens.

Et après deux jours de bombardements, d’autres forces italiennes débarquèrent le 5 octobre 1911 à Tripoli.

Au départ, il n’y eut que peu de résistance mais le 11 octobre 1911, selon un câble du ministre de la guerre ottoman, les deux chefs Essawi Ahmad et Sheikh ‘Omar al-Moukhtar, à la tête de 1000 combattants tribaux se trouvaient à 20 kilomètres de Benghazi.

Le 23 octobre 1911, les combats de rue entre les envahisseurs italiens et les Musulmans libyens dureront trois jours à Tripoli et certains noms de rues de la ville porte toujours le nom de batailles qui eurent lieu dans ces rues comme la bataille d’al-Hani, d’Abou Malyanah, ou de Sidi Misri.

A la fin d’octobre 1911, des combats éclatèrent dans la ville côtière de Khoms entre les forces italiennes et la population musulmane. Khalil Pacha envoya des forces à Khoms et perdit 1.200 combattants cependant à cause de la férocité des combats et des appels à la vengeance tribale, il put ressortir de la ville avec 4.000 bénévoles.

 

Les Libyens et les Ottomans apprirent rapidement durant ces escarmouches que lorsque les Italiens étaient pressés, ils se retiraient dans leurs fortifications et que les mitrailleuses qu’ils utilisaient ravageaient les tribus. Ils apprendront aussi que les massacres de populations civiles, les exactions et les brutalités sont le fer de lance de tous les colonisateurs.

Les tribus libyennes restèrent donc à 25 kilomètres de Tripoli ou elles harcelèrent les Italiens jusqu’en 1912, pour récupérer des armes et des livraisons de fusils Mauser d’Allemagne et d’Islamboul dans le port de Berka près de Benghazi.

 

 

La bataille de Shara Shatt

 

Le 5 octobre 1911, alors que Tripoli était toujours bombardé, un groupe de guerriers des montagnes arriva à Zanzour et Arshaffanah et apprit que les notables de ces villes de la banlieue de Tripoli avaient déjà décidé de capituler devant l’ennemi.

Il fut décidé de recruter autant de combattants que possible et le recrutement de combattants parmi les populations du Jabal fut un succès d’autant plus que les Ottomans avaient lancé l’appel au Jihad. Et selon les estimations, en 15 jours, entre 8.000 et 40.000 volontaires arabes et berbères avaient été armés.

Ces Moujahidine se déplacèrent pendant la nuit du 22 octobre, de Souani Ibn ‘Adim à Gargaresh, ‘Ayn Zarah et de Souq al-Joumou’a, près de Tripoli échappant ainsi à la détection des avions de reconnaissance Farman et Blériot.

Les lignes défensives italiennes, arrangées le long d’un demi-cercle s’étendant sur un rayon d’environ cinq kilomètres, étaient ancrées, regardant depuis la Méditerranée et de la droite, de ces stratégiques positions : le fort Sultaniyah en mer à l’entrée de la route pour Gargaresh, le village d’Abou Meliana, les vieilles casernes de cavalerie turques, le mémorial de Sidi Mesri, le fort Mesri, la région montagneuse de Hanni, le village de Shara Shatt et le fort Hamidi, à la mer. Tandis que pour trois quarts de la distance, de l’ouest au sud, il avait été facile d’établir une solide ligne défensive parce que les fossés donnaient sur le désert avec des palmeraies derrière eux, à l’est, par contre, du fort Mesri à la mer, les lignes italiennes parcouraient l’oasis, au beau milieu d’un authentique labyrinthe de sentiers submergés et de murets d’argile, en grande partie ponctué d’obstacles de toutes sortes, tels que des palmiers, des oliviers, des arbustes denses et massif, des maisons, des tombeaux et des puits.

La première attaque arabo-turc fut lancée après 7h du matin, contre l’aile droite de la formation italienne, entre le fort Sultaniyah et la route pour Gargaresh. Mais ce n’était en fait une diversion parce qu’une heure plus tard, de beaucoup plus grandes masses de combattants commencèrent à se jeter contre le centre des lignes, entre les puits d’Abou Meliana et de fort Mesri. Cependant, même cet assaut était seulement destiné à garder les Italiens immobilisés dans leurs tranchées.

 

L’attaque réelle, celle que le Bey Neshat et ses commandants comptaient pour franchir les lignes ennemies et se diriger vers Tripoli, fut lancée à 7h45 sur le flanc gauche des lignes défensives, dans le cœur même de l’oasis, entre le fort Mesri et Shara Shatt qui était tenu essentiellement par les soldats du 11ème régiment.

Cette attaque finale avait été planifiée et préparée avec le plus grand soin parce qu’il demandait un assaut simultané sur les lignes italiennes du front que de l’arrière. A Shara Shatt, non seulement les troupes ottomane régulières luttaient aux côtés des soldats arabes et berbères qui était descendu des montagnes, mais la population entière de l’oasis et une partie de la population de Tripoli luttaient aussi. C’était, en d’autres termes, la même insurrection générale que le diplomate Carlo Galli avait exclue si obstinément la possibilité, convaincu que la population de Lybie ne formerait jamais une alliance avec les Turcs. Mais il s’était trompé. La révolte impliqua des hommes et des femmes, des personnes âgées et des enfants et c’était aussi une rébellion aussi impitoyable que les autres qui mélangea xénophobie et ardeur religieuse. Car oui, comment ne pas défendre son pays devant des mécréants, sans foi ni loi, qui ne connaissent que le langage du fer !

 

L’événement détonateur fut le comportement blâmable des soldats italiens envers les femmes musulmanes en évidente contradiction avec les paroles et les promesses réconfortantes et paternalistes[3] contenues dans la déclaration publiée par contre-amiral Borea Ricci.

 

La première attaque frontale des Musulmans fut repoussée avec une considérable difficulté mais bientôt, les soldats de la 4ème et 5ème compagnie furent à leur tour attaqués. Pris sous le feu croisé, les Italiens arrêtèrent d’obéir aux commandes de leurs officiers et cherchèrent  en vain à ouvrir un espace pour s’enfuir à Tripoli. Ils se dispersèrent alors et furent anéantis, un par un.

On estime que pas moins de 5.000 Libyens des tribus de Gifarah et du Jabal prirent part au combat à Shara Shatt et à Hanni, en en dépit de l’indécision initiale et des trahisons de certains autres. La défaite des Italiens ne fut jamais mentionnée comme décisive pour une seule raison.

 

A un certain point, la fureur des Musulmans semblait avoir été apaisée et, vers 17h00, le combat commença à s’arrêter tout le long des fronts excepté à Hanni, fort Mesri et Shara Shatt ou il redoubla de violence tandis qu’au environ de 12h30, tôt l’après-midi, dans Tripoli, la panique se propagea à cause des mauvaises nouvelles du front en plus de la prolifération d’attaques de tireur embusqué dans les rues de la ville.

Un des journalistes italiens, Aldo Chierici, rapporta : « Ce sont en fait les Arabes de la ville qui attaquent des soldats isolés, sinon ils tirent sur eux par leurs fenêtres. Un carabinier raconte qu’un officier est tombé à terre sous ses yeux avec une balle dans le dos. Un soldat achetait des citrons quand il fut poignardé par le vendeur lui-même ».

Craignant un plus large soulèvement dans la ville, le général Carlo Caneva, le commandant en chef de la force expéditionnaire, demanda au contre-amiral Borea Ricci de lui envoyer quelques détachements de marins.

 

 

Les implacables représailles des envahisseurs italiens

 

L’après-midi du 23 octobre, alors que la panique commençait à se calmer dans Tripoli, les Italiens récupérèrent de leur surprise et entreprirent d’implacables représailles qui durèrent un certain nombre de jours. Ces représailles furent l’objet de dures condamnations d’un certain nombre de journalistes étrangers accrédités au commandement militaire de Tripoli.

Selon leurs rapports, plus de 4.000 Musulmans civils furent tués en cinq jours et pour protester contre ces massacres, un certain nombre de correspondants étrangers, dont les correspondants spéciaux de la Gazette de Westminster, du Daily Mirror, du Daily Chronicle, du Morning Post et de Lokalanzeiger rendirent leurs cartes de presse au général Caneva et quittèrent la Libye.

Les Musulmans qui réussirent à éviter le peloton d’exécution ou la pendaison furent expulsés de Lybie et envoyés dans des maisons de détention en Italie. Cette décision radicale fut prise par Giolitti suite à la débâcle de Shara Shatt et transmise par télégramme à Caneva, avec ces mots : « Quant aux rebelles, ils ont été arrêtés mais pour ceux qui n’ont pas été exécutés là en Libye, je les enverrai aux îles de Tremiti, dans la Mer Adriatique, pour vivre en détention à domicile. Les îles de Tremiti peuvent loger plus de quatre-cents détenus. J’enverrai un inspecteur général de la sécurité publique pour superviser leur placement ».

Mais les Musulmans que Caneva embarqua, le 25 et 30 octobre, étaient bien plus de 400 et pour être exact, ils étaient 3.425. Pour cette raison, ils furent envoyés dans 25 autres pénitenciers dont ceux particulièrement d’Ustica,  Ponza, Caserta, Gaeta et Favignana.

 

Un grand nombre de ces déportés, venant de toutes les souches sociales âgés d’un à quatre-vingt-dix ans n’allaient jamais revenir dans leur la terre de naissance. Paolo Valera, le seul journaliste qui réussit à visiter un certain nombre d’endroits de détention décrivit le traitement inhumain qui fut infligé aux Musulmans internés : « Le plus grand nombre d’entre eux est dans Ustica. Un endroit ravagé par la maladie et la puanteur. Un endroit maladif. Le choléra détruisit plus de cinq-cents d’entre eux juste en quelques semaines. Ils vivent dans une telle privation qu’un grand nombre de vie ont été perdues. Aucun pays n’a traité des prisonniers de guerre comme l’Italie l’a fait, qui les nourris comme il nourrit ses internés de prison, avec 600 grammes de pain et une boîte de soupe dégoûtante. Leurs lits sont fait de paille sale disposée à même la terre, sur des pierres ou des briques, comme nous faisons pour les animaux ».

Même maintenant, presque un siècle plus tard, leur épreuve est souvenue en Libye avec angoisse et est devenue un des griefs de la Libye contre l’Italie.

 

En dépit des massacres et des déportations, qui affaiblirent incontestablement l’alliance musulmane, aux premières heures du 26 octobre, Neshat Bey et d’autres commandant tels que Souleyman al-Barouni menèrent de nouveau leurs hommes vers les lignes italiennes et lancèrent une nouvelle attaque contre le front sud, entre Abou Meliana, Sidi Mesri et le pays montagneux de Hanni. Ils furent d’abord repoussé tout le long de la ligne de front mais les Musulmans réussirent finalement à percer la ligne autour de 8h le matin, pas loin des casernes de cavalerie et prirent la maison de Bey Jamal écrasant le 84ème régiment d’infanterie. « L’ennemi », écrivit Aldo Chierici qui se trouvait sur le champ de bataille, « dans une poussée magnifique, avec une ténacité admirable, a atteint les tranchées et est allé au-devant d’elles. Les Turcs et les Arabes, sur une section de 500 mètres du front ont envahi le champ et célébré leur victoire ».

Le compte du journaliste Aldo Chierici est confirmé par Muhammad Fakini, qui écrivit dans ses mémoires : « Nos combattants... prirent les fortifications de Hanni après une bataille féroce et d’abondantes pertes de chaque côté forçant les  Italiens à se retirer avec leurs canons ». Lors de ces affrontements mains à mains, 40 Moujahidine des montagnes de la tribu du Rojeban, menée par Muhammad Fakini, perdirent aussi leurs vies.

La bataille fut vraiment luttée avec ténacité, avec de furieux combat et de lourdes pertes des deux côtés si bien que le général Caneva fut forcé de lancer dans la bataille les réserves du 84ème régiment mais il prit le feu coordonné de la lourde artillerie des navires au large et l’artillerie terrestre pour arrêter les Musulmans. La décisive situation poussa Caneva, le 28 octobre, a ordonné le retrait abandonnant aux Musulmans les forts de Mesri, Hamidi et la position stratégique de Hanni.

Souleyman al-Barouni envoya le télégramme suivant aux notables de Ghadamès : « Après une terrible lutte contre les mécréants, nous les avons éconduits de Hanni, du fort Mesri ainsi que d’autres positions dans le Sahel.

Demain, le 29 octobre, nous avancerons contre Tripoli et, avec l’aide de Dieu, nous entrerons dans cette ville victorieusement. Donnez les bonnes nouvelles à nos frères ».

Les Musulmans toutefois n’entreront pas dans Tripoli le 29 octobre, ni les jours suivants.

 

 

L’arrivée de renforts supplémentaires

 

Pour briser le siège musulman de Tripoli, le chef général de l’armée italienne, le général Alberto Pollio, envoya des renforts massifs à Caneva entre novembre et décembre 1911 qui consistait en :

- 55.000 hommes de toutes les branches des services armés,

- 84 pièces d’artillerie de campagne,

- 42 canons de montagne,

- 28 canons de siège,

- 8.300 bêtes de somme,

- 1500 wagons de transport,

- Des nouveaux escadrons d’avions de reconnaissance,

- Des bombardiers et,

- Un certain nombre de bombes et grenades de gaz toxique.

 

À la fin de 1911, il y avait 103000 soldats italiens avec 24 généraux en Libye. L’Italie n’avait pas mis une si grande armée en action depuis la troisième guerre d’indépendance de 1866.

Et comme le général Gustavo Pesenti l’a remarqué, « bien imposante que cette armée pourrait être, elle n’était pas écrasante en comparaison avec l’immensité du théâtre d’opérations... et l’ennemi extrêmement noble, présent et disparaissant aussitôt, insaisissable, dispersé le long d’un vaste littoral s’étendant sur plus de 1 800 kilomètres et maître chez soi ».

Il a été rapporté, et cela reste à prouver, qu’en même temps que la force expéditionnaire italienne recevait des renforts, le camp musulman était aussi renforcé surtout à travers les frontières avec l’Egypte et la Tunisie. Selon des informations que le général Caneva aurait reçu, dans la période entre octobre 1911 et février 1912, 300 officiers turcs auraient traversé la frontière tunisienne, avec de grands contingents d’Egyptiens, de Tunisiens, de Marocains, de Syriens, d’Algériens et des volontaires Yéméni, ce dont je doute fortement puisque ces pays étaient eux-mêmes occupés.

 

De amples réserves de provisions et d’armes traversèrent les deux frontières, particulièrement la frontière tunisienne. À Regdalin, dans le territoire libyen, une énorme réserve publique de denrées alimentaires fut établie, fournie chaque semaine par les caravanes de 1.000 à 1.500 chameaux. Ces réserves substantielles permirent au commandement ottoman de recruter des hommes supplémentaires si bien qu’à la fin de 1911, il aurait pu avoir environ 30.000 volontaires musulmans en Tripolitaine et 20.000 à 25.000 en Cyrénaïque.



[1] Je vous rappelle que ce n’est qu’en 1923 que la ville prit le nom d’Istanbul.

[2] Les faux prétextes ou les prétextes préfabriqués sont toujours en vogue de nos jours comme nous l’avons vu pour la guerre d’Iraq avec les WMD (armes de destructions massives fictives pour mettre la main sur le pétrole en t’autre) et d’Afghanistan avec Oussama Ibn Laden qui n’était même plus en Afghanistan (pour la construction d’un pipeline acheminant le gaz via le pays et relancer la culture de l’opium arrêtée par les Talibans. Un tapis d’or ou un tapis de bombes avait donné comme choix les Américains au Mullah). C’est qu’ils excellent dans la fabrication et le colportage de mensonges relayés par tous les médias du monde sur la base ne laissant pas grand choix de : « si vous n’êtes pas avec nous, c’est que vous êtes avec eux ! »

[3] Encore des promesses…trahies. Mais jusqu’où les musulmans se laisseront berner ?