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			Le siège d’Oumm Souigh
			
			
			
			La situation militaire était alors grave parce qu’Oumm Souigh était 
			encerclée par les rebelles depuis sept jours, du 2 octobre jusqu’au 
			9 octobre 1915 sans qu’aucune colonne française de secours réussisse 
			à percer la ligne d’investissement. 
			
			De plus, Dahibat manquait de vivres et d’eau. Installés à Bir Touis 
			(3 km au sud-est d’Oumm Souigh) dans une tente blanche avec étoffe 
			bleue à la partie supérieure, Khalifah Ibn ‘Askar et le commandant 
			tunisien ‘Omar al-Guallati dirigeaient l’attaque avec environ 1.200 
			rebelles (2.000 selon les Moujahidine) dont le nombre ne 
			cessa d’augmenter de jours en jours.
			
			« Nul doute pour Khalifah Ibn ‘Askar que le succès fut certain et 
			l’insurrection (fut) victorieuse ». 
			
			Au nord d’Oumm Souigh les rebelles furent conduits par les 
			principaux chefs suivants : al-Hajj Sa’id Ibn ‘Abdel Latif 
			Dabbab, membre de la conférence consultative et son frère le Sheikh 
			‘Ali, le Sheikh ‘Amar Labayyid (des Krachouah), Muhammad Ibn 
			Mathkour ash-Shahidi et Daw Ibn Dayf-Allah.
			
			
			Le 2 octobre, Oumm Souigh fut attaquée à 5 heures 40 du matin. La 
			lutte dura toute la journée et s’arrêta à minuit. Il y eut du côté 
			français 12 tués, 30 blessés et tous les chevaux furent tués.
			
			A la pointe du jour du 3 octobre, le combat reprit. Vers 16 heures, 
			un parlementaire [le soldat Warner des groupes spéciaux qui fut pris 
			prisonnier] se présenta porteur d’une lettre de Khalifah Ibn ‘Askar 
			qui proposa la reddition, promettant la vie sauve à la garnison : « 
			Je vous fais savoir que j’ai attaqué Dahibat et Tataouine. Si vous 
			voulez la paix, vous n’avez qu’à jeter vos armes et sortir. Je vous 
			donne la main que je ne tuerai personne ». 
			
			Le capitane de Bermond commandant d’Oumm Souigh hésita. Mais le 
			parlementaire Warner donna les renseignements les plus pessimistes 
			sur la situation. Le capitaine de Bermond, impressionné, rédigea une 
			note acceptant l’abandon du poste et le retour à Tataouine, mais 
			avec armes et bagages. Mettant à profit ces hésitations, les 
			rebelles se rapprochèrent, s’infiltrèrent dans le camp. Un certain 
			nombre de soldats français et goumiers furent désarmés et entraînés 
			au milieu de la confusion. Des spahis désertèrent. Le lieutenant 
			Paolini donna alors l’ordre aux hommes de garnir les tranchées et de 
			se tenir prêts à tirer. Un coup de feu éclata et ce fut le signal 
			d’une fusillade générale. Le capitaine de Bermond et six hommes 
			furent tués. Le camp fut dégagé. Le combat reprit mais les rebelles 
			occupaient un des bastions nord.
			
			Pendant toute la journée du 3 octobre, la lutte ne cessa pas. Des 
			hommes furent de nouveau tués ou blessés. Les hommes souffraient 
			beaucoup de la soif, le puits étant sous le feu des rebelles. Les 
			nombreux blessés furent difficilement soignés par le docteur du 
			poste Saada.
			
			Deux pigeons voyageurs lâchés d’Oumm Souigh, le 2 octobre vers 10 
			heures du matin, apportèrent à Dahibat une demande de prompt 
			secours. 
			
			Le lieutenant-colonel Trestoumel envoya le même jour à 15 heures un 
			gros détachement de secours (400 hommes) aux ordres du commandant de 
			Lambert avec mission de délivrer Oumm Souigh, de ramener la garnison 
			ou bien de la renforcer suivant le cas. A 16 heures, la colonne se 
			heurta aux rebelles à 6 km au sud d’Oumm Souigh résultant en la mort 
			d’un lieutenant et un sous-lieutenant fut blessé.
			
			Un autre détachement reçut la mission d’entrer en liaison avec Oumm 
			Souigh. La nuit et la fatigue générale interrompirent le combat qui 
			reprit le lendemain au petit jour. Mais la ligne des rebelles ne put 
			être percée. Le commandant de Lambert donna alors à sa colonne 
			l’ordre de retour à Dahibat en abandonnant la garnison d’Oumm Souigh 
			à son sort. D’ailleurs les rebelles commencèrent à encercler et à 
			attaquer celle-ci qui ne rentra à Dahibat qu’à 14 heures, ayant fait 
			70 km, livré deux combats avec un seul repas froid pour 
			alimentation.
			
			Bilan : La colonne eut de lourdes pertes : « Les territoriaux et les 
			hommes du groupe étaient armés du 74, fonctionnant très mal à cause 
			du sable. Hommes et chevaux sont harassés ». Les pertes furent : « 
			un officier, 5 hommes tués ou disparus, un officier, onze hommes 
			blessés, 13 chevaux et plusieurs mulets tués ». Selon le capitaine 
			de Montalembert « un détachement de cavalerie (cinquante sabres) qui 
			s’est égaré » chez les rebelles « ne reviendra que le surlendemain 
			avec le tiers de son effectif ». Coupé de la colonne de Lambert, ce 
			détachement de cavaliers sous le commandement de Graignic rejoignit 
			Dahibat le 4 octobre ayant perdu, tués ou disparus 6 officiers et 
			sous-officiers, 30 hommes et ayant fait 130 km en moins de deux 
			jours.
			
			En résumé, l’opération de délivrance d’Oumm Souigh fut un fiasco. 
			Les journées du 4 et du 5 octobre se passèrent en fusillade, les 
			hommes assemblés dans les deux bastions sud. Le bastion nord fut 
			abandonné par les rebelles. La chaleur était accablante et les 
			cadavres d’hommes et d’animaux exhalaient une odeur effroyable. Les 
			nombreux blessés souffrirent de la soif.
			
			
			Le 5 octobre, le lieutenant Paolini reçut un nouveau parlementaire 
			avec un message de Khalifah Ibn ‘Askar, ainsi conçu en français : « 
			Maintenant, si vous abandonnez vos armes par terre, je vous promets 
			que je (ne) tue personne et (de) vous conduire au point nécessaire. 
			Ainsi je vous promets que je continue à vous assiéger et à vous 
			battre jusqu’à (ce que) vous serez tous crevés de faim et de soif à 
			plusieurs jours. Si vous voulez venir chez moi pour régler l’affaire 
			de la paix ».
			
			
			Du 3 au 6 octobre 1915, les Ksours des Krachouah, des Oulad Mhammad, 
			des Oulad Soultan « furent détruits par des canons de 107 », « ces 
			opérations et les détonations de nos canons de 90 qui s’entendent 
			jusqu’à Ben Gardane ont un gros effet moral sur les populations et 
			amènent la sécurité sur notre ligne d’étapes ». Les biens des 
			rebelles furent brûlés et les grains emmagasinés furent saisis. Les 
			individus passés en Tripolitaine furent frappés de séquestration des 
			biens. Les tribus des villages bombardés, fuyant en résistant aux 
			colonnes de représailles se dirigèrent vers l’extrême Sud-Tunisien 
			et se joignirent aux Moujahidine.
			
			
			Comme vous l’aurez compris, ce sont les populations civiles 
			innocentes qui furent châtiées. C’est là tout leur honneur de la 
			guerre dont nous avons toujours la même image au quotidien sur nos 
			petits écrans, un siècle après ! 
			
			
			Les journées du 7 et du 8 octobre furent de même douloureuses pour 
			les derniers résistants de la garnison.
			
			
			Le 4 octobre seulement, par suite des difficultés de communication 
			(par courrier entre Dahibat et Fatnassia) le général commandant les 
			Troupes fut informé de la situation critique d’Oumm Souigh.
			
			
			Le 9 octobre, une colonne fut formée à Tataouine sous le 
			commandement du lieutenant-colonel Flick : un autre combat s’engagea 
			à Oued Nakrif. Le bilan global de toutes les pertes françaises à 
			Oumm Souigh fut très lourd : 64 hommes tués dont 4 officiers et 7 
			sous-officiers et environ 70 blessés.
			
			Mais les Moujahidine affirmèrent que 200 hommes furent tués 
			et 140 blessés à Oumm Souigh et 150 hommes tués et 50 blessés au 
			combat de l’Oued Nakrif (que nous allons décrire), contre un bilan 
			global (Oumm Souigh et Oued Nakrif) 35 rebelles tués et 50 blessés.
			
			
			
			
			
			Barbarisme et répression 
			
			
			
			Au moment des premières attaques dans le Sud-Tunisien, qui ont eu un 
			retentissement dans la Tunisie entière, Alapetite « jugeait une 
			réponse souple d’autant plus nécessaire, et c’était là la source de 
			sa dissension avec le général Vérand », commandant la D.O.T. 
			
			L’accrochage précédant des attaques fut le résultat d’une sortie 
			ordonnée par Vérand, et dépassant le caractère d’une simple 
			reconnaissance. Après les attaques, à en croire Alapetite, le 
			général Vérand « braquait des canons sur la Grande Mosquée de Tunis 
			(az-Zaytounah) et voulait prendre des otages dans toute la Tunisie 
			parce qu’une poignée d’Oudarnah de l’extrême Sud s’étaient joints 
			aux rebelles tripolitains ».
			
			Ce même Général accusait le gouvernement de ne pas avoir répandu 
			assez de craintes parmi les Tunisiens pour prévenir toute rébellion. 
			La préoccupation du général « de répandre la crainte, disait le 
			résident, ne lui permet pas de mesurer les forces dont il dispose et 
			les obstacles qu’elles rencontreront. Elle ne lui permet pas surtout 
			de discerner les mesures qu’il faut éviter de prendre pour ne pas 
			soulever la grande masse des indigènes ».
			
			Vérand alla jusqu’à priver le résident de renseignements militaires 
			« pour préparer la guerre civile à (son) insu » et fut déplacé.
			
			
			Dans le Sud-Tunisien, « les troupes françaises ont cruellement fait 
			souffrir les populations. Non seulement des hommes, mais aussi des 
			femmes et des enfants ont été tués par les balles des Lebels et des 
			shrapnells. Des nombreuses femmes ont été violées par des troupiers. 
			Les autorités ont tenu cachées les atrocités, mais en vain, car M. 
			Lutand, mis au courant de ce qui s’était passé, s’est empressé de le 
			signaler à M. Briand (ministre des affaires étrangères). De son 
			côté, le Caïd Ibn Khalifah de Mahdia, a dénoncé ces cruautés à un 
			homme influent à Paris à qui il a pu faire parvenir sa lettre en la 
			confiant à un tirailleur qui rejoignit son dépôt en France à 
			l’expiration de sa permission. C’est à la suite de ces révélations 
			que le général Vérand a été déplacé (.. .) ».
			
			
			Selon un informateur des bruits semblent avoir été colportés par des 
			personnes venant de Tunis : « La troupe s’y est conduite d’une façon 
			barbare » de telle sorte que la répression n’épargne « aucun 
			quartier... ni femmes ... ni enfants à tel point que notre souverain 
			le Bey, ému de ces faits s’est plaint télégraphiquement au président 
			de la république. Mais le directeur de l’office postal n’a pas voulu 
			transmettre ce télégramme.
			
			Néanmoins, le président de la république en a eu connaissance et des 
			sanctions ont été prises aussitôt. Le général Vérand a été déplacé 
			pour avoir ordonné ces représailles ; le résident général et M. 
			Blanc (secrétaire général pour 1’administration) seront révoqués 
			pour les avoir permises ainsi que le directeur des postes et 
			télégraphes pour s’être opposé à la transmission du télégramme 
			beylical.
			
			De plus, il semble que la France ne peut plus assumer le protectorat 
			de la Tunisie puisque les Tunisiens sont obligés d’aller la 
			défendre. Elle n’a donc qu’à retirer ses troupes et à abandonner la 
			Tunisie à son sort ; le Bey ayant signifié au résident général qu’il 
			voulait désormais gouverner seul son royaume. Les Allemands et les 
			Turcs sont dans nos ports ; un bateau italien a été coulé sur les 
			côtes tunisiennes et un croiseur français qui est venu à son secours 
			a subi le même sort (...) ! »
			
			
			
			
			La 
			bataille de l’Oued Nakrif
			
			
			
			Un tel combat qui coûta vingt-trois tués et une cinquantaine de 
			blessés permit aux Français enfin la délivrance d’Oumm Souigh. Etant 
			donné que l’effort des rebelles se portait surtout sur la 
			Tripolitaine, la mehalla de Khalifah Ibn ‘Askar qui n’a pas pu 
			participer à ce combat, regagna soudainement la Tripolitaine. Les 
			Moujahidine avancèrent 150 tués et 50 blessés français par 
			contre 35 tués et 50 blessés musulmans.
			
			Evidemment les pertes musulmanes à Oued Nakrif furent très sévères. 
			Parmi les tués laissés en grand nombre sur le terrain se trouvaient 
			le délégué de la conférence consultative, Sa’id Ibn ‘Abdel Latif 
			Dabbab, son frère ‘Ali et son cousin. Tous les indigènes du 
			Sud-Tunisien compromis dans l’insurrection, environ 2.000 hommes, 
			1.500 femmes et 3.000 enfants passèrent en Tripolitaine en 
			dissidence.
			
			Par ailleurs le 10 octobre. 1915, un décret réclamant sous séquestre 
			les biens, meubles et immeubles appartenant aux indigènes dissidents 
			ou convaincus de rébellion, dont voici la liste : Tribu des Jlidat 
			80, des Krachouah 211, Hmidiyyah 103, Oulad Dabbab 162, 
			ash-Shahaydah 735, Dghaghrah 31, Zorgane 195, Sedra 13, ‘Amaranah 
			20, Guaftoufah 15, Wazin 332, Dahibat 65, Fractions diverses 30, 
			soit au total 1992.
			
			
			
			
			
			Réorganisation du front du Sud-Tunisien et reprise des hostilités en 
			1916
			
			
			
			Selon le rapport militaire « le problème était de faire vivre et de 
			ravitailler une quinzaine de mille hommes, pour la plupart français, 
			deux mille chevaux ou mulets et les quinze-cents chameaux des 
			convois de ravitaillement » dans une région dénuée de toute 
			ressource. « Bien que le poids de la farine, de l’orge et du vin 
			nécessaire chaque jour était considérable ».
			
			
			Une base fut organisée à Gabès avec les services principaux suivants 
			: étapes, annexe de vivres, de campement, parcs d’Artillerie et 
			Génie, hôpital, etc.
			
			
			Un conseil de guerre aux armées fut créé à Médenine en 1916 et 1917 
			qui procéda à 675 condamnations dont 49 à mort ainsi qu’un conseil 
			de révision à Ben Gardane.
			
			
			Le 26 janvier 1916, un bataillon fut envoyé dans l’île de Djerba 
			avec des postes d’observation contre les sous-marins sur toute la 
			côte.
			
			
			Le 31 janvier de la même année 1’état-major du D.S.T. fut ramené à 
			Gabes.
			
			
			Dans les mois suivants les rebelles firent des incursions à travers 
			la frontière pour razzier les tribus demeurées fidèles aux Français.
			
			
			C’est à cette époque que le Sud-Algérien connut de graves 
			manifestations d’insécurité : le Fort Charlet 
			(Djanet) à l’ouest de Ghat fut assailli et enlevé. Un 
			détachement de secours dû regagner Fort Polignac. La garnison de 
			Djanet fut attaquée dans sa retraite sur Fort Polignac et détruite. 
			Les bruits les plus invraisemblables furent répandus en Tripolitaine 
			et en Tunisie : des débarquements de milliers de Turcs et 
			d’Allemands avec canons et mitrailleuses ; prise du Caire et de 
			l’Egypte.
			
			
			Sur l’ordre du général Moinier, un mouvement de repli vers le nord 
			des unités territoriales fut arrêté.
			
			
			Le 20 avril un groupe de rebelles enleva un troupeau de 600 chameaux 
			environ aux Touazine et leur tua deux gardiens. Une grande 
			surexcitation régnait chez les Touazine qui voulaient marcher sur la 
			Tripolitaine.
			
			
			Khalifah Ibn ‘Askar aurait l’intention de soulever les Bani Zid à 
			l’ouest de Gabès.
			
			
			Le 25 avril, les crêtes au nord et à l’est du Fort Peltier étaient 
			garnies de rebelles. Un léger combat eut lieu entre une cavalerie 
			française appuyée par des sections d’infanterie du Fort Peltier.
			
			
			Le 26 avril 1916, Alapetite inaugurant à Gabès le chemin de fer 
			Sfax-Gabès, rendit un hommage solennel aux troupes françaises du 
			front du Sud-Tunisien « à leur abnégation, leur endurance, leur 
			courage à supporter les souffrances d’un climat excessif » 
			dans une région privée « de toute ressource ».
			
			
			Le général Alix, commandant la D.O.T. effectuait en même temps dans 
			tous les postes y compris Bir Kassirah et Kabili une inspection 
			générale qui renforça chez les auxiliaires « les sentiments de 
			confiance et de fidélité envers la France, en sa puissance et en sa 
			force ».
			
			
			Le 5 mai, l’interprète Charvet, à la tête du goum de Ramadah 
			poursuivit des rebelles vers Guarrawiyyah et reprit les chameaux 
			enlevés. Deux rebelles furent tués.
			
			
			Le 22 mai, le courrier postal fut enlevé à hauteur du Makman par 200 
			piétons et 50 cavaliers rassemblés pour attaquer le convoi qui 
			devait passer le lendemain. Le goum et les spahis de Dahibat appuyés 
			par des pelotons d’infanterie battirent le terrain entre Makman et 
			Bani Gouadal. Un spahi fut blessé.
			
			
			Cette période de huit mois, depuis le combat de l’Oued Nakrif, fut 
			caractérisée par l’activité incessante des troupes françaises du 
			Sud-Tunisien : la poursuite des rebelles, les alertes continuelles, 
			les tournées de police de 8 à 10 jours, les entraina et prépara aux 
			événements les plus graves qui allaient éclater au mois de juin, 
			coïncidant avec une période de chaleur exceptionnellement élevée (en 
			juillet 1916, à Médenine, moyenne 42 à 45 avec des maxima de 49 et 
			50 à l’ombre). Mais les Moujahidine par contre profitèrent de 
			l’été, saison des chaleurs torrides, pour mener à bien des attaques 
			vigoureuses contre les troupes françaises.
			
			
			
			
			
			Deuxième attaque de Dahibat
			
			
			
			Dès les premiers jours de juin 1916, les renseignements de diverses 
			sources faisaient état de la constitution d’une mehalla, forte de 
			800 combattants, soutenue par l’artillerie et commandée par Khalifah 
			Ibn ‘Askar. Son intention était d’attaquer Dahibat où se trouvait 
			une garnison de deux mille hommes appuyée par trois pièces 
			d’artillerie et des mitrailleuses. Le général Alix, commandant la 
			D.O.T. considéra l’organisation de trois colonnes mobiles composées 
			chacune d’un bataillon d’infanterie, d’une section montée, d’une 
			section de mitrailleuses, d’une section de 65 et deux pelotons de 
			cavalerie, soit 1.200 hommes environ.
			
			
			Le 18 juin 1916, un léger accrochage au passage du convoi se rendant 
			de Dahibat révéla la présence des rebelles. Le lendemain, le convoi 
			fut attaqué au passage à Makman.
			
			Le 20 juin, à son retour, le convoi fut plus sérieusement pris à 
			partie et, dans un engagement, il y eut cinq blessés dont un 
			officier. Le même jour, le poste de Dahibat commençait à être 
			attaqué : les rebelles comptaient sur leur batterie d’artillerie, 
			composées de deux canons italiens de 68 mm et d’un mortier lourd ; 
			ils espéraient rendre la position intenable et faire sortir les 
			Français de leurs défenses pour les surprendre en terrain découvert. 
			Pendant cinq jours du 20 au 25 juin, les rebelles avaient garni la 
			ceinture des crêtes du sud de Dahibat et esquissaient des attaques 
			d’infanterie, mais les fortifications du poste, le nombre élevé de 
			ses défenseurs qui disposaient d’une artillerie puissante, stoppa 
			l’action des Moujahidine. Déçus, ces derniers se portèrent à 
			l’attaque d’un autre poste : Ramadah
			
			
			
			
			
			L’attaque du poste de Ramadah
			
			
			
			Le 26 juin 1916 à 5h50, le camp de Ramadah situé en dehors des 
			lignes d’étapes, sous les ordres du capitaine Moisy, aperçut deux 
			groupes importants de fantassins rebelles accompagnés de quelques 
			cavaliers. Toutes les dispositions furent prises pour la défense du 
			camp.
			
			Vers 8h, le capitaine Moisy téléphona au général Boyer, commandant 
			la D.S.T. à Gabès, aux commandements d’armes de Médenine, Tataouine, 
			Dahibat et à tous les postes pour signaler que les rebelles 
			marchaient sur Ramadah précédés d’éclaireurs. Selon d’autres 
			messages adressés par le capitaine Moisy aux mêmes autorités 
			signalait qu’à 8h30, il n’y avait qu’une trentaine d’éclaireurs 
			rebelles à Oued Samnah, le reste entre 400-500 rebelles environ, 
			étant arrêtés sur une crête en arrière de cet oued, à quatre km du 
			poste, semblaient remuer de la terre. A 8h 25, les rebelles se 
			portèrent à l’attaque. Ce fut Khalifah Ibn ‘Askar en personne qui 
			dirigea l’attaque du camp. Huit-cents rebelles environ y prirent 
			part, suivis d’une foule d’hommes non armés, de femmes, d’enfants.
			
			
			A 9h, le poste fut encerclé et la palmeraie à une centaine de mètres 
			seulement, envahie. Bientôt, des obus arrivèrent sur les parapets et 
			tuèrent les défenseurs. Les hommes de la garnison ne pouvaient 
			riposter que par des salves qui, bien ajustées, amenèrent un 
			déplacement en arrière des pièces rebelles.
			
			Vers 15h30, la garnison aperçut, à dix km vers l’est, direction 
			d’Oumm Souigh, une colonne de secours. Une vive fusillade fut 
			entendue. Pour essayer d’entrer en liaison avec cette colonne, et, 
			en même temps approvisionner d’eau les défenseurs du poste, car il 
			faisait une chaleur torride, une section de ce poste fit une sortie 
			dans l’oasis où se trouvait un puits assiégé par des commandos 
			rebelles ; elle chargea à la baïonnette, tua quelques-uns d’entre 
			eux dont leur chef et son fils et dégagea cette source 
			d’alimentation. Mais la colonne de secours paraissait s’éloigner, le 
			silence se fit ; une patrouille envoyée en liaison n’a pas pu 
			passer.
			
			Vers 19h, les rebelles se retirèrent à 5 km environ au sud du puits 
			en laissant des postes de surveillance. La garnison eut sept hommes 
			tués et neuf blessés.
			
			
			
			
			
			Combat de l’Oued Samnah
			
			
			
			A la nouvelle de l’attaque de Ramadah, le lieutenant-colonel 
			Trestournel ordonna au capitaine Scalabre commandant le poste d’Oumm 
			Souigh, de diriger sur Ramadah en observation une section montée 
			(Ben Mouffok) et un peloton de la garnison (lieutenant Perruchon), 
			en attendant l’arrivée du convoi de Dahibat qui permettra de former 
			un groupe léger pour délivrer Ramadah. Par ailleurs le commandant 
			d’armes de Tataouine ordonna le départ d’un élément de poste de 
			Fatnassia aux ordres du lieutenant Paolini pour marcher sur Ramadah 
			avec le groupe Audibert (en mission d’escorte), tandis que le 
			général Boyer télégraphia de Médenine au détachement saharien de Bir 
			Kassirah (cap. Mégrier) d’occuper le col de Matous (Matoss) pour 
			surprendre les rebelles à leur retour. Cinq colonnes convergèrent 
			ainsi vers Ramadah dans la journée du 26 juin 1916 par des 
			itinéraires différents, à des heures décalées sans pouvoir assurer 
			leurs liaisons. Un concours de circonstances impossibles à prévoir 
			se produisit :
			
			La cavalerie de Dahibat (80 sabres - adjudant Revoil) partit à 15h 
			sur Garrawiyyah à la suite du détachement Perruchon, patrouilla sans 
			résultat et rentra à 21h à Oumm Souigh.
			
			
			Le détachement Perruchon (suivit par le groupe de sahariens de 
			l’adjudant Revoil) connut un sort tragique. Parti d’Oumm Souigh à 
			11h, au lieu de rester en observation en attendant le groupe 
			Audibert, pensant pouvoir délivrer Ramadah, il se porta au-devant 
			des rebelles et se fit surprendre à courte distance : entouré par la 
			mehalla à Oued Samnah (5 à 6 km de Ramadah) qui le submergea, aux 
			cris de « Qaddim » (en avant): « al-Jihad ! Allahou 
			Akbar » (Dieu est grand). Le détachement fut entièrement 
			massacré. Toutes les armes y compris les armes blanches ont été 
			utilisées. Le combat cessa vers 10h30. Les pertes furent de 156 tués 
			dont les deux officiers Perruchon et Ben Mouffok et l’adjudant 
			Revoil. Les chevaux, mulets, méharas et armes ont été emporté par 
			les rebelles.
			
			Selon les Moujahidine, les pertes françaises furent de 225 
			morts et blessés, et un grand nombre de prisonniers contre 40 
			Moujahidine tués et 30 blessés.
			
			
			Le groupe commandé par le capitaine Audibert, comprenant un peloton 
			de spahis, une section montée, une section de mitrailleuses et une 
			section de 65 de montagne, de plus deux sections d’infanterie très 
			fatiguées par leur mission d’escorte du convoi, partit à 16h d’Oumm 
			Souigh et se dirigea sur Ramadah sans pouvoir assurer les liaisons 
			prévues avec les autres colonnes. A 20h, à 4 km de Ramadah, il fut 
			sérieusement accroché dans un combat de nuit par des rebelles très 
			supérieurs en nombre. La situation étant critique ; grâce à ses 
			appuis de feu, le groupe évita le corps à corps et rompit le combat 
			; en se dirigeant vers le nord-ouest à la rencontre de la colonne du 
			lieutenant Paolini, il tomba en plein champ de bataille du 
			détachement Perruchon et recueillit sept blessés survivants. N’ayant 
			pu atteindre Ramadah, alourdi par ses blessés, tenaillé par la soif, 
			son groupe se retira sur Oumm Souigh.
			
			
			
			
			
			Combat de Bir Moughri
			
			
			
			Ainsi se vérifiaient une fois de plus, pour les autorités militaires 
			françaises, la difficulté et le danger dans cette guerre de faire 
			converger de petites colonnes sur un point attaqué ; la nécessité de 
			ne pas engager de petits paquets et de grouper tous les éléments 
			avant d’agir ; la nécessité aussi de s’éclairer au loin et de ne pas 
			se laisser accrocher par des forces supérieures ; la nécessité enfin 
			de reporter 1’état-major à Médenine par suite de l’impossibilité de 
			coordonner de Gabès les mouvements de troupes, les communications 
			télégraphiques et téléphoniques étant très difficiles et précaires. 
			Pour cela le général Alix arriva le 28 juin à Médenine et donna les 
			ordres suivants :
			
			
			A Dahibat. Constituer un groupement comprenant un bataillon 
			d’infanterie avec une section de mitrailleuses, une section de 65 
			d’artillerie et d’un peloton de cavalerie, aux ordres du chef de 
			bataillon Felici, pour se rendre à Oumm Souigh, véritable plaque 
			tournante des opérations.
			
			
			A Tataouine. Mise en route sur le sud des deux colonnes organisées. 
			Le colonel Delavau, arrivé du front français depuis peu, prit le 
			commandement des opérations. Son poste de commandement fut à Oumm 
			Souigh où il restera jusqu’en octobre 1916.
			
			
			La première colonne (commandant de Choin) poussa le 30 juin à 
			Rimthah, la deuxième colonne (commandant Gayon) s’échelonna à 
			Tamelest-Rimthah.
			
			
			La colonne Felici arriva le 28 juin 1916 à Oumm Souigh, à 17h 
			seulement, ayant parcouru difficilement les 36 km de piste par un 
			sirocco de 45° et ayant perdu par insolation un adjudant, 4 hommes 
			et onze animaux.
			
			
			La journée du 29 fut employée à reformer la colonne, mais le débit 
			des puits était trop faible et le commandant Felici demanda à 
			déporter sa colonne à Bir Moughri (à 15 km au sud-est) un point 
			d’eau très abondant. C’est par hasard[1], 
			en cours de route que Felici se heurta à la mehalla de Khalifah Ibn 
			‘Askar, se dirigeant sur le même point.
			
			
			Le 30 juin 1916, un violent engagement eut lieu entre la colonne 
			Felici venue de Dahibat et des groupements d’insurgés aux abords du 
			puits de Bir Moughri, mais brusquement le tir des rebelles cessa. La 
			colonne eut sept tués et 33 blessés dont le médecin-major Patricot 
			et 17 animaux tués ou blessés, mais selon les autorités françaises, 
			les pertes des dissidents furent sévères : 200 tués. Ce dernier 
			échec obligea les rebelles à se retirer en territoire tripolitain. 
			Ces chiffres avancés par les sources françaises semblent être 
			fantaisistes et exagérés. Leur tendance est de grossir 
			considérablement les pertes musulmanes pour compenser les pertes 
			françaises comme lors du combat de l’Oued Samnah.
			
			
			Désormais Mahdi as-Sounni et Khalifah Ibn ‘Askar portèrent leurs 
			efforts sur les tribus du Djebel (Yeffren et Fessato) alliées des 
			Italiens. Mais si les troupes du D.S.T. n’avaient plus à livrer de 
			gros combats, elles devaient toujours déployer, dans des tournées de 
			police incessantes et dans des alertes nombreuses à la poursuite des 
			groupes de rebelles, la plus grande activité malgré la période des 
			grandes chaleurs. Or les troubles dans le Sud-Tunisien ne cessèrent 
			cependant pas en 1916.
			
			
			Le 31 juillet 1916, une patrouille de méharistes qui transportait le 
			courrier fut attaqué à Oued al-Ghar par une vingtaine de rebelles. 
			Les pertes furent de quatre tués et deux disparus.
			
			
			Le 1er août 1916, le courrier de Ramadah à Bir Kassirah fut enlevé 
			par 200 rebelles : 2 tués, 3 blessés, 2 prisonniers.
			
			
			Le 25 août 1916, une patrouille fut surprise à Galb Tfourant par une 
			trentaine de rebelles : deux soldats furent tués.
			
			
			Le 20 octobre 1916, le poste de Bir ‘Awin fut attaqué : douze 
			méharas tués ou enlevés.
			
			
			
			Intervention 
			d’armes nouvelles, l’aviation et les tracteurs-mitrailleurs
			
			
			
			Le commandement du Sud-Tunisien venait d’être doté d’une arme 
			ultramoderne une escadrille 301, composée de Farman 41 fut installée 
			le 10 juillet 1916 à Tatouine avec une base à Gabès. Le général 
			commandant le D.S.T. en fixait ainsi le double rôle :
			
			1) Rechercher et déterminer les rassemblements des rebelles signalés 
			ou non, ainsi que leur direction de marche.
			
			2) Bombarder ces rassemblements en station ou en marche, et, le cas 
			échéant, pendant le combat.
			
			Après une période d’entraînement et de reconnaissance du pays, avec 
			prise de clichés photographiques, cette aviation manifesta sa 
			présence le 15 septembre 1916 par un bombardement de Nalout, le 
			repaire de Khalifah Ibn ‘Askar : vingt obus de 90, deux obus de 155 
			et douze obus à gaz furent lancés. D’après des renseignements 
			ultérieurs, dix hommes furent blessés.
			
			
			Une autre technique nouvelle fut celle des tracteurs-mitrailleurs, 
			précurseurs des autochenilles, due à l’initiative du capitaine de 
			Lafargue, commandant l’aviation. Ces engins furent destinés au 
			convoyage à préparer les terrains d’atterrissage, et à porter 
			rapidement une réserve de feux sur un point menacé.
			
			
			En septembre 1916, l’avion qui transportait le lieutenant-colonel 
			Lebœuf se perdit dans les sables de l’Erg oriental, après le premier 
			bombardement. Les recherches faites dans toutes les directions, 
			durant plusieurs jours, restèrent infructueuses jusqu’au jour 
			(décembre 1916) où furent découvert les restes du lieutenant-colonel 
			Lebœuf et du lieutenant-colonel de Chatenay et le reste de 
			l’appareil brûlé.
			
			
			En résumé, 1916 a été pour les autorités militaires françaises, 
			malgré un armement ultramoderne, une année pénible, marquée de 
			combats incessants, sous un climat infernal.
			
					
					
					
					
					[1] 
					Ce qui est communément appelé « hasard », « concours de 
					circonstance extraordinaire » ou « surprise malheureuse ou 
					agréable » etc., n’existe pas en Islam mais est bel et bien 
					une volonté.
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