Le siège d’Oumm Souigh
La situation militaire était alors grave parce qu’Oumm Souigh était
encerclée par les rebelles depuis sept jours, du 2 octobre jusqu’au
9 octobre 1915 sans qu’aucune colonne française de secours réussisse
à percer la ligne d’investissement.
De plus, Dahibat manquait de vivres et d’eau. Installés à Bir Touis
(3 km au sud-est d’Oumm Souigh) dans une tente blanche avec étoffe
bleue à la partie supérieure, Khalifah Ibn ‘Askar et le commandant
tunisien ‘Omar al-Guallati dirigeaient l’attaque avec environ 1.200
rebelles (2.000 selon les Moujahidine) dont le nombre ne
cessa d’augmenter de jours en jours.
« Nul doute pour Khalifah Ibn ‘Askar que le succès fut certain et
l’insurrection (fut) victorieuse ».
Au nord d’Oumm Souigh les rebelles furent conduits par les
principaux chefs suivants : al-Hajj Sa’id Ibn ‘Abdel Latif
Dabbab, membre de la conférence consultative et son frère le Sheikh
‘Ali, le Sheikh ‘Amar Labayyid (des Krachouah), Muhammad Ibn
Mathkour ash-Shahidi et Daw Ibn Dayf-Allah.
Le 2 octobre, Oumm Souigh fut attaquée à 5 heures 40 du matin. La
lutte dura toute la journée et s’arrêta à minuit. Il y eut du côté
français 12 tués, 30 blessés et tous les chevaux furent tués.
A la pointe du jour du 3 octobre, le combat reprit. Vers 16 heures,
un parlementaire [le soldat Warner des groupes spéciaux qui fut pris
prisonnier] se présenta porteur d’une lettre de Khalifah Ibn ‘Askar
qui proposa la reddition, promettant la vie sauve à la garnison : «
Je vous fais savoir que j’ai attaqué Dahibat et Tataouine. Si vous
voulez la paix, vous n’avez qu’à jeter vos armes et sortir. Je vous
donne la main que je ne tuerai personne ».
Le capitane de Bermond commandant d’Oumm Souigh hésita. Mais le
parlementaire Warner donna les renseignements les plus pessimistes
sur la situation. Le capitaine de Bermond, impressionné, rédigea une
note acceptant l’abandon du poste et le retour à Tataouine, mais
avec armes et bagages. Mettant à profit ces hésitations, les
rebelles se rapprochèrent, s’infiltrèrent dans le camp. Un certain
nombre de soldats français et goumiers furent désarmés et entraînés
au milieu de la confusion. Des spahis désertèrent. Le lieutenant
Paolini donna alors l’ordre aux hommes de garnir les tranchées et de
se tenir prêts à tirer. Un coup de feu éclata et ce fut le signal
d’une fusillade générale. Le capitaine de Bermond et six hommes
furent tués. Le camp fut dégagé. Le combat reprit mais les rebelles
occupaient un des bastions nord.
Pendant toute la journée du 3 octobre, la lutte ne cessa pas. Des
hommes furent de nouveau tués ou blessés. Les hommes souffraient
beaucoup de la soif, le puits étant sous le feu des rebelles. Les
nombreux blessés furent difficilement soignés par le docteur du
poste Saada.
Deux pigeons voyageurs lâchés d’Oumm Souigh, le 2 octobre vers 10
heures du matin, apportèrent à Dahibat une demande de prompt
secours.
Le lieutenant-colonel Trestoumel envoya le même jour à 15 heures un
gros détachement de secours (400 hommes) aux ordres du commandant de
Lambert avec mission de délivrer Oumm Souigh, de ramener la garnison
ou bien de la renforcer suivant le cas. A 16 heures, la colonne se
heurta aux rebelles à 6 km au sud d’Oumm Souigh résultant en la mort
d’un lieutenant et un sous-lieutenant fut blessé.
Un autre détachement reçut la mission d’entrer en liaison avec Oumm
Souigh. La nuit et la fatigue générale interrompirent le combat qui
reprit le lendemain au petit jour. Mais la ligne des rebelles ne put
être percée. Le commandant de Lambert donna alors à sa colonne
l’ordre de retour à Dahibat en abandonnant la garnison d’Oumm Souigh
à son sort. D’ailleurs les rebelles commencèrent à encercler et à
attaquer celle-ci qui ne rentra à Dahibat qu’à 14 heures, ayant fait
70 km, livré deux combats avec un seul repas froid pour
alimentation.
Bilan : La colonne eut de lourdes pertes : « Les territoriaux et les
hommes du groupe étaient armés du 74, fonctionnant très mal à cause
du sable. Hommes et chevaux sont harassés ». Les pertes furent : «
un officier, 5 hommes tués ou disparus, un officier, onze hommes
blessés, 13 chevaux et plusieurs mulets tués ». Selon le capitaine
de Montalembert « un détachement de cavalerie (cinquante sabres) qui
s’est égaré » chez les rebelles « ne reviendra que le surlendemain
avec le tiers de son effectif ». Coupé de la colonne de Lambert, ce
détachement de cavaliers sous le commandement de Graignic rejoignit
Dahibat le 4 octobre ayant perdu, tués ou disparus 6 officiers et
sous-officiers, 30 hommes et ayant fait 130 km en moins de deux
jours.
En résumé, l’opération de délivrance d’Oumm Souigh fut un fiasco.
Les journées du 4 et du 5 octobre se passèrent en fusillade, les
hommes assemblés dans les deux bastions sud. Le bastion nord fut
abandonné par les rebelles. La chaleur était accablante et les
cadavres d’hommes et d’animaux exhalaient une odeur effroyable. Les
nombreux blessés souffrirent de la soif.
Le 5 octobre, le lieutenant Paolini reçut un nouveau parlementaire
avec un message de Khalifah Ibn ‘Askar, ainsi conçu en français : «
Maintenant, si vous abandonnez vos armes par terre, je vous promets
que je (ne) tue personne et (de) vous conduire au point nécessaire.
Ainsi je vous promets que je continue à vous assiéger et à vous
battre jusqu’à (ce que) vous serez tous crevés de faim et de soif à
plusieurs jours. Si vous voulez venir chez moi pour régler l’affaire
de la paix ».
Du 3 au 6 octobre 1915, les Ksours des Krachouah, des Oulad Mhammad,
des Oulad Soultan « furent détruits par des canons de 107 », « ces
opérations et les détonations de nos canons de 90 qui s’entendent
jusqu’à Ben Gardane ont un gros effet moral sur les populations et
amènent la sécurité sur notre ligne d’étapes ». Les biens des
rebelles furent brûlés et les grains emmagasinés furent saisis. Les
individus passés en Tripolitaine furent frappés de séquestration des
biens. Les tribus des villages bombardés, fuyant en résistant aux
colonnes de représailles se dirigèrent vers l’extrême Sud-Tunisien
et se joignirent aux Moujahidine.
Comme vous l’aurez compris, ce sont les populations civiles
innocentes qui furent châtiées. C’est là tout leur honneur de la
guerre dont nous avons toujours la même image au quotidien sur nos
petits écrans, un siècle après !
Les journées du 7 et du 8 octobre furent de même douloureuses pour
les derniers résistants de la garnison.
Le 4 octobre seulement, par suite des difficultés de communication
(par courrier entre Dahibat et Fatnassia) le général commandant les
Troupes fut informé de la situation critique d’Oumm Souigh.
Le 9 octobre, une colonne fut formée à Tataouine sous le
commandement du lieutenant-colonel Flick : un autre combat s’engagea
à Oued Nakrif. Le bilan global de toutes les pertes françaises à
Oumm Souigh fut très lourd : 64 hommes tués dont 4 officiers et 7
sous-officiers et environ 70 blessés.
Mais les Moujahidine affirmèrent que 200 hommes furent tués
et 140 blessés à Oumm Souigh et 150 hommes tués et 50 blessés au
combat de l’Oued Nakrif (que nous allons décrire), contre un bilan
global (Oumm Souigh et Oued Nakrif) 35 rebelles tués et 50 blessés.
Barbarisme et répression
Au moment des premières attaques dans le Sud-Tunisien, qui ont eu un
retentissement dans la Tunisie entière, Alapetite « jugeait une
réponse souple d’autant plus nécessaire, et c’était là la source de
sa dissension avec le général Vérand », commandant la D.O.T.
L’accrochage précédant des attaques fut le résultat d’une sortie
ordonnée par Vérand, et dépassant le caractère d’une simple
reconnaissance. Après les attaques, à en croire Alapetite, le
général Vérand « braquait des canons sur la Grande Mosquée de Tunis
(az-Zaytounah) et voulait prendre des otages dans toute la Tunisie
parce qu’une poignée d’Oudarnah de l’extrême Sud s’étaient joints
aux rebelles tripolitains ».
Ce même Général accusait le gouvernement de ne pas avoir répandu
assez de craintes parmi les Tunisiens pour prévenir toute rébellion.
La préoccupation du général « de répandre la crainte, disait le
résident, ne lui permet pas de mesurer les forces dont il dispose et
les obstacles qu’elles rencontreront. Elle ne lui permet pas surtout
de discerner les mesures qu’il faut éviter de prendre pour ne pas
soulever la grande masse des indigènes ».
Vérand alla jusqu’à priver le résident de renseignements militaires
« pour préparer la guerre civile à (son) insu » et fut déplacé.
Dans le Sud-Tunisien, « les troupes françaises ont cruellement fait
souffrir les populations. Non seulement des hommes, mais aussi des
femmes et des enfants ont été tués par les balles des Lebels et des
shrapnells. Des nombreuses femmes ont été violées par des troupiers.
Les autorités ont tenu cachées les atrocités, mais en vain, car M.
Lutand, mis au courant de ce qui s’était passé, s’est empressé de le
signaler à M. Briand (ministre des affaires étrangères). De son
côté, le Caïd Ibn Khalifah de Mahdia, a dénoncé ces cruautés à un
homme influent à Paris à qui il a pu faire parvenir sa lettre en la
confiant à un tirailleur qui rejoignit son dépôt en France à
l’expiration de sa permission. C’est à la suite de ces révélations
que le général Vérand a été déplacé (.. .) ».
Selon un informateur des bruits semblent avoir été colportés par des
personnes venant de Tunis : « La troupe s’y est conduite d’une façon
barbare » de telle sorte que la répression n’épargne « aucun
quartier... ni femmes ... ni enfants à tel point que notre souverain
le Bey, ému de ces faits s’est plaint télégraphiquement au président
de la république. Mais le directeur de l’office postal n’a pas voulu
transmettre ce télégramme.
Néanmoins, le président de la république en a eu connaissance et des
sanctions ont été prises aussitôt. Le général Vérand a été déplacé
pour avoir ordonné ces représailles ; le résident général et M.
Blanc (secrétaire général pour 1’administration) seront révoqués
pour les avoir permises ainsi que le directeur des postes et
télégraphes pour s’être opposé à la transmission du télégramme
beylical.
De plus, il semble que la France ne peut plus assumer le protectorat
de la Tunisie puisque les Tunisiens sont obligés d’aller la
défendre. Elle n’a donc qu’à retirer ses troupes et à abandonner la
Tunisie à son sort ; le Bey ayant signifié au résident général qu’il
voulait désormais gouverner seul son royaume. Les Allemands et les
Turcs sont dans nos ports ; un bateau italien a été coulé sur les
côtes tunisiennes et un croiseur français qui est venu à son secours
a subi le même sort (...) ! »
La
bataille de l’Oued Nakrif
Un tel combat qui coûta vingt-trois tués et une cinquantaine de
blessés permit aux Français enfin la délivrance d’Oumm Souigh. Etant
donné que l’effort des rebelles se portait surtout sur la
Tripolitaine, la mehalla de Khalifah Ibn ‘Askar qui n’a pas pu
participer à ce combat, regagna soudainement la Tripolitaine. Les
Moujahidine avancèrent 150 tués et 50 blessés français par
contre 35 tués et 50 blessés musulmans.
Evidemment les pertes musulmanes à Oued Nakrif furent très sévères.
Parmi les tués laissés en grand nombre sur le terrain se trouvaient
le délégué de la conférence consultative, Sa’id Ibn ‘Abdel Latif
Dabbab, son frère ‘Ali et son cousin. Tous les indigènes du
Sud-Tunisien compromis dans l’insurrection, environ 2.000 hommes,
1.500 femmes et 3.000 enfants passèrent en Tripolitaine en
dissidence.
Par ailleurs le 10 octobre. 1915, un décret réclamant sous séquestre
les biens, meubles et immeubles appartenant aux indigènes dissidents
ou convaincus de rébellion, dont voici la liste : Tribu des Jlidat
80, des Krachouah 211, Hmidiyyah 103, Oulad Dabbab 162,
ash-Shahaydah 735, Dghaghrah 31, Zorgane 195, Sedra 13, ‘Amaranah
20, Guaftoufah 15, Wazin 332, Dahibat 65, Fractions diverses 30,
soit au total 1992.
Réorganisation du front du Sud-Tunisien et reprise des hostilités en
1916
Selon le rapport militaire « le problème était de faire vivre et de
ravitailler une quinzaine de mille hommes, pour la plupart français,
deux mille chevaux ou mulets et les quinze-cents chameaux des
convois de ravitaillement » dans une région dénuée de toute
ressource. « Bien que le poids de la farine, de l’orge et du vin
nécessaire chaque jour était considérable ».
Une base fut organisée à Gabès avec les services principaux suivants
: étapes, annexe de vivres, de campement, parcs d’Artillerie et
Génie, hôpital, etc.
Un conseil de guerre aux armées fut créé à Médenine en 1916 et 1917
qui procéda à 675 condamnations dont 49 à mort ainsi qu’un conseil
de révision à Ben Gardane.
Le 26 janvier 1916, un bataillon fut envoyé dans l’île de Djerba
avec des postes d’observation contre les sous-marins sur toute la
côte.
Le 31 janvier de la même année 1’état-major du D.S.T. fut ramené à
Gabes.
Dans les mois suivants les rebelles firent des incursions à travers
la frontière pour razzier les tribus demeurées fidèles aux Français.
C’est à cette époque que le Sud-Algérien connut de graves
manifestations d’insécurité : le Fort Charlet
(Djanet) à l’ouest de Ghat fut assailli et enlevé. Un
détachement de secours dû regagner Fort Polignac. La garnison de
Djanet fut attaquée dans sa retraite sur Fort Polignac et détruite.
Les bruits les plus invraisemblables furent répandus en Tripolitaine
et en Tunisie : des débarquements de milliers de Turcs et
d’Allemands avec canons et mitrailleuses ; prise du Caire et de
l’Egypte.
Sur l’ordre du général Moinier, un mouvement de repli vers le nord
des unités territoriales fut arrêté.
Le 20 avril un groupe de rebelles enleva un troupeau de 600 chameaux
environ aux Touazine et leur tua deux gardiens. Une grande
surexcitation régnait chez les Touazine qui voulaient marcher sur la
Tripolitaine.
Khalifah Ibn ‘Askar aurait l’intention de soulever les Bani Zid à
l’ouest de Gabès.
Le 25 avril, les crêtes au nord et à l’est du Fort Peltier étaient
garnies de rebelles. Un léger combat eut lieu entre une cavalerie
française appuyée par des sections d’infanterie du Fort Peltier.
Le 26 avril 1916, Alapetite inaugurant à Gabès le chemin de fer
Sfax-Gabès, rendit un hommage solennel aux troupes françaises du
front du Sud-Tunisien « à leur abnégation, leur endurance, leur
courage à supporter les souffrances d’un climat excessif »
dans une région privée « de toute ressource ».
Le général Alix, commandant la D.O.T. effectuait en même temps dans
tous les postes y compris Bir Kassirah et Kabili une inspection
générale qui renforça chez les auxiliaires « les sentiments de
confiance et de fidélité envers la France, en sa puissance et en sa
force ».
Le 5 mai, l’interprète Charvet, à la tête du goum de Ramadah
poursuivit des rebelles vers Guarrawiyyah et reprit les chameaux
enlevés. Deux rebelles furent tués.
Le 22 mai, le courrier postal fut enlevé à hauteur du Makman par 200
piétons et 50 cavaliers rassemblés pour attaquer le convoi qui
devait passer le lendemain. Le goum et les spahis de Dahibat appuyés
par des pelotons d’infanterie battirent le terrain entre Makman et
Bani Gouadal. Un spahi fut blessé.
Cette période de huit mois, depuis le combat de l’Oued Nakrif, fut
caractérisée par l’activité incessante des troupes françaises du
Sud-Tunisien : la poursuite des rebelles, les alertes continuelles,
les tournées de police de 8 à 10 jours, les entraina et prépara aux
événements les plus graves qui allaient éclater au mois de juin,
coïncidant avec une période de chaleur exceptionnellement élevée (en
juillet 1916, à Médenine, moyenne 42 à 45 avec des maxima de 49 et
50 à l’ombre). Mais les Moujahidine par contre profitèrent de
l’été, saison des chaleurs torrides, pour mener à bien des attaques
vigoureuses contre les troupes françaises.
Deuxième attaque de Dahibat
Dès les premiers jours de juin 1916, les renseignements de diverses
sources faisaient état de la constitution d’une mehalla, forte de
800 combattants, soutenue par l’artillerie et commandée par Khalifah
Ibn ‘Askar. Son intention était d’attaquer Dahibat où se trouvait
une garnison de deux mille hommes appuyée par trois pièces
d’artillerie et des mitrailleuses. Le général Alix, commandant la
D.O.T. considéra l’organisation de trois colonnes mobiles composées
chacune d’un bataillon d’infanterie, d’une section montée, d’une
section de mitrailleuses, d’une section de 65 et deux pelotons de
cavalerie, soit 1.200 hommes environ.
Le 18 juin 1916, un léger accrochage au passage du convoi se rendant
de Dahibat révéla la présence des rebelles. Le lendemain, le convoi
fut attaqué au passage à Makman.
Le 20 juin, à son retour, le convoi fut plus sérieusement pris à
partie et, dans un engagement, il y eut cinq blessés dont un
officier. Le même jour, le poste de Dahibat commençait à être
attaqué : les rebelles comptaient sur leur batterie d’artillerie,
composées de deux canons italiens de 68 mm et d’un mortier lourd ;
ils espéraient rendre la position intenable et faire sortir les
Français de leurs défenses pour les surprendre en terrain découvert.
Pendant cinq jours du 20 au 25 juin, les rebelles avaient garni la
ceinture des crêtes du sud de Dahibat et esquissaient des attaques
d’infanterie, mais les fortifications du poste, le nombre élevé de
ses défenseurs qui disposaient d’une artillerie puissante, stoppa
l’action des Moujahidine. Déçus, ces derniers se portèrent à
l’attaque d’un autre poste : Ramadah
L’attaque du poste de Ramadah
Le 26 juin 1916 à 5h50, le camp de Ramadah situé en dehors des
lignes d’étapes, sous les ordres du capitaine Moisy, aperçut deux
groupes importants de fantassins rebelles accompagnés de quelques
cavaliers. Toutes les dispositions furent prises pour la défense du
camp.
Vers 8h, le capitaine Moisy téléphona au général Boyer, commandant
la D.S.T. à Gabès, aux commandements d’armes de Médenine, Tataouine,
Dahibat et à tous les postes pour signaler que les rebelles
marchaient sur Ramadah précédés d’éclaireurs. Selon d’autres
messages adressés par le capitaine Moisy aux mêmes autorités
signalait qu’à 8h30, il n’y avait qu’une trentaine d’éclaireurs
rebelles à Oued Samnah, le reste entre 400-500 rebelles environ,
étant arrêtés sur une crête en arrière de cet oued, à quatre km du
poste, semblaient remuer de la terre. A 8h 25, les rebelles se
portèrent à l’attaque. Ce fut Khalifah Ibn ‘Askar en personne qui
dirigea l’attaque du camp. Huit-cents rebelles environ y prirent
part, suivis d’une foule d’hommes non armés, de femmes, d’enfants.
A 9h, le poste fut encerclé et la palmeraie à une centaine de mètres
seulement, envahie. Bientôt, des obus arrivèrent sur les parapets et
tuèrent les défenseurs. Les hommes de la garnison ne pouvaient
riposter que par des salves qui, bien ajustées, amenèrent un
déplacement en arrière des pièces rebelles.
Vers 15h30, la garnison aperçut, à dix km vers l’est, direction
d’Oumm Souigh, une colonne de secours. Une vive fusillade fut
entendue. Pour essayer d’entrer en liaison avec cette colonne, et,
en même temps approvisionner d’eau les défenseurs du poste, car il
faisait une chaleur torride, une section de ce poste fit une sortie
dans l’oasis où se trouvait un puits assiégé par des commandos
rebelles ; elle chargea à la baïonnette, tua quelques-uns d’entre
eux dont leur chef et son fils et dégagea cette source
d’alimentation. Mais la colonne de secours paraissait s’éloigner, le
silence se fit ; une patrouille envoyée en liaison n’a pas pu
passer.
Vers 19h, les rebelles se retirèrent à 5 km environ au sud du puits
en laissant des postes de surveillance. La garnison eut sept hommes
tués et neuf blessés.
Combat de l’Oued Samnah
A la nouvelle de l’attaque de Ramadah, le lieutenant-colonel
Trestournel ordonna au capitaine Scalabre commandant le poste d’Oumm
Souigh, de diriger sur Ramadah en observation une section montée
(Ben Mouffok) et un peloton de la garnison (lieutenant Perruchon),
en attendant l’arrivée du convoi de Dahibat qui permettra de former
un groupe léger pour délivrer Ramadah. Par ailleurs le commandant
d’armes de Tataouine ordonna le départ d’un élément de poste de
Fatnassia aux ordres du lieutenant Paolini pour marcher sur Ramadah
avec le groupe Audibert (en mission d’escorte), tandis que le
général Boyer télégraphia de Médenine au détachement saharien de Bir
Kassirah (cap. Mégrier) d’occuper le col de Matous (Matoss) pour
surprendre les rebelles à leur retour. Cinq colonnes convergèrent
ainsi vers Ramadah dans la journée du 26 juin 1916 par des
itinéraires différents, à des heures décalées sans pouvoir assurer
leurs liaisons. Un concours de circonstances impossibles à prévoir
se produisit :
La cavalerie de Dahibat (80 sabres - adjudant Revoil) partit à 15h
sur Garrawiyyah à la suite du détachement Perruchon, patrouilla sans
résultat et rentra à 21h à Oumm Souigh.
Le détachement Perruchon (suivit par le groupe de sahariens de
l’adjudant Revoil) connut un sort tragique. Parti d’Oumm Souigh à
11h, au lieu de rester en observation en attendant le groupe
Audibert, pensant pouvoir délivrer Ramadah, il se porta au-devant
des rebelles et se fit surprendre à courte distance : entouré par la
mehalla à Oued Samnah (5 à 6 km de Ramadah) qui le submergea, aux
cris de « Qaddim » (en avant): « al-Jihad ! Allahou
Akbar » (Dieu est grand). Le détachement fut entièrement
massacré. Toutes les armes y compris les armes blanches ont été
utilisées. Le combat cessa vers 10h30. Les pertes furent de 156 tués
dont les deux officiers Perruchon et Ben Mouffok et l’adjudant
Revoil. Les chevaux, mulets, méharas et armes ont été emporté par
les rebelles.
Selon les Moujahidine, les pertes françaises furent de 225
morts et blessés, et un grand nombre de prisonniers contre 40
Moujahidine tués et 30 blessés.
Le groupe commandé par le capitaine Audibert, comprenant un peloton
de spahis, une section montée, une section de mitrailleuses et une
section de 65 de montagne, de plus deux sections d’infanterie très
fatiguées par leur mission d’escorte du convoi, partit à 16h d’Oumm
Souigh et se dirigea sur Ramadah sans pouvoir assurer les liaisons
prévues avec les autres colonnes. A 20h, à 4 km de Ramadah, il fut
sérieusement accroché dans un combat de nuit par des rebelles très
supérieurs en nombre. La situation étant critique ; grâce à ses
appuis de feu, le groupe évita le corps à corps et rompit le combat
; en se dirigeant vers le nord-ouest à la rencontre de la colonne du
lieutenant Paolini, il tomba en plein champ de bataille du
détachement Perruchon et recueillit sept blessés survivants. N’ayant
pu atteindre Ramadah, alourdi par ses blessés, tenaillé par la soif,
son groupe se retira sur Oumm Souigh.
Combat de Bir Moughri
Ainsi se vérifiaient une fois de plus, pour les autorités militaires
françaises, la difficulté et le danger dans cette guerre de faire
converger de petites colonnes sur un point attaqué ; la nécessité de
ne pas engager de petits paquets et de grouper tous les éléments
avant d’agir ; la nécessité aussi de s’éclairer au loin et de ne pas
se laisser accrocher par des forces supérieures ; la nécessité enfin
de reporter 1’état-major à Médenine par suite de l’impossibilité de
coordonner de Gabès les mouvements de troupes, les communications
télégraphiques et téléphoniques étant très difficiles et précaires.
Pour cela le général Alix arriva le 28 juin à Médenine et donna les
ordres suivants :
A Dahibat. Constituer un groupement comprenant un bataillon
d’infanterie avec une section de mitrailleuses, une section de 65
d’artillerie et d’un peloton de cavalerie, aux ordres du chef de
bataillon Felici, pour se rendre à Oumm Souigh, véritable plaque
tournante des opérations.
A Tataouine. Mise en route sur le sud des deux colonnes organisées.
Le colonel Delavau, arrivé du front français depuis peu, prit le
commandement des opérations. Son poste de commandement fut à Oumm
Souigh où il restera jusqu’en octobre 1916.
La première colonne (commandant de Choin) poussa le 30 juin à
Rimthah, la deuxième colonne (commandant Gayon) s’échelonna à
Tamelest-Rimthah.
La colonne Felici arriva le 28 juin 1916 à Oumm Souigh, à 17h
seulement, ayant parcouru difficilement les 36 km de piste par un
sirocco de 45° et ayant perdu par insolation un adjudant, 4 hommes
et onze animaux.
La journée du 29 fut employée à reformer la colonne, mais le débit
des puits était trop faible et le commandant Felici demanda à
déporter sa colonne à Bir Moughri (à 15 km au sud-est) un point
d’eau très abondant. C’est par hasard[1],
en cours de route que Felici se heurta à la mehalla de Khalifah Ibn
‘Askar, se dirigeant sur le même point.
Le 30 juin 1916, un violent engagement eut lieu entre la colonne
Felici venue de Dahibat et des groupements d’insurgés aux abords du
puits de Bir Moughri, mais brusquement le tir des rebelles cessa. La
colonne eut sept tués et 33 blessés dont le médecin-major Patricot
et 17 animaux tués ou blessés, mais selon les autorités françaises,
les pertes des dissidents furent sévères : 200 tués. Ce dernier
échec obligea les rebelles à se retirer en territoire tripolitain.
Ces chiffres avancés par les sources françaises semblent être
fantaisistes et exagérés. Leur tendance est de grossir
considérablement les pertes musulmanes pour compenser les pertes
françaises comme lors du combat de l’Oued Samnah.
Désormais Mahdi as-Sounni et Khalifah Ibn ‘Askar portèrent leurs
efforts sur les tribus du Djebel (Yeffren et Fessato) alliées des
Italiens. Mais si les troupes du D.S.T. n’avaient plus à livrer de
gros combats, elles devaient toujours déployer, dans des tournées de
police incessantes et dans des alertes nombreuses à la poursuite des
groupes de rebelles, la plus grande activité malgré la période des
grandes chaleurs. Or les troubles dans le Sud-Tunisien ne cessèrent
cependant pas en 1916.
Le 31 juillet 1916, une patrouille de méharistes qui transportait le
courrier fut attaqué à Oued al-Ghar par une vingtaine de rebelles.
Les pertes furent de quatre tués et deux disparus.
Le 1er août 1916, le courrier de Ramadah à Bir Kassirah fut enlevé
par 200 rebelles : 2 tués, 3 blessés, 2 prisonniers.
Le 25 août 1916, une patrouille fut surprise à Galb Tfourant par une
trentaine de rebelles : deux soldats furent tués.
Le 20 octobre 1916, le poste de Bir ‘Awin fut attaqué : douze
méharas tués ou enlevés.
Intervention
d’armes nouvelles, l’aviation et les tracteurs-mitrailleurs
Le commandement du Sud-Tunisien venait d’être doté d’une arme
ultramoderne une escadrille 301, composée de Farman 41 fut installée
le 10 juillet 1916 à Tatouine avec une base à Gabès. Le général
commandant le D.S.T. en fixait ainsi le double rôle :
1) Rechercher et déterminer les rassemblements des rebelles signalés
ou non, ainsi que leur direction de marche.
2) Bombarder ces rassemblements en station ou en marche, et, le cas
échéant, pendant le combat.
Après une période d’entraînement et de reconnaissance du pays, avec
prise de clichés photographiques, cette aviation manifesta sa
présence le 15 septembre 1916 par un bombardement de Nalout, le
repaire de Khalifah Ibn ‘Askar : vingt obus de 90, deux obus de 155
et douze obus à gaz furent lancés. D’après des renseignements
ultérieurs, dix hommes furent blessés.
Une autre technique nouvelle fut celle des tracteurs-mitrailleurs,
précurseurs des autochenilles, due à l’initiative du capitaine de
Lafargue, commandant l’aviation. Ces engins furent destinés au
convoyage à préparer les terrains d’atterrissage, et à porter
rapidement une réserve de feux sur un point menacé.
En septembre 1916, l’avion qui transportait le lieutenant-colonel
Lebœuf se perdit dans les sables de l’Erg oriental, après le premier
bombardement. Les recherches faites dans toutes les directions,
durant plusieurs jours, restèrent infructueuses jusqu’au jour
(décembre 1916) où furent découvert les restes du lieutenant-colonel
Lebœuf et du lieutenant-colonel de Chatenay et le reste de
l’appareil brûlé.
En résumé, 1916 a été pour les autorités militaires françaises,
malgré un armement ultramoderne, une année pénible, marquée de
combats incessants, sous un climat infernal.
[1]
Ce qui est communément appelé « hasard », « concours de
circonstance extraordinaire » ou « surprise malheureuse ou
agréable » etc., n’existe pas en Islam mais est bel et bien
une volonté.