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			La 
			résistance tripolitaine
			
			
			
			A la suite de la victoire remportée par le général Lequio à al-Asabi 
			(13 mars 1913) contre la résistance du Djebel, celui-ci ne parvint 
			pas à briser la résistance tripolitaine puisque Khalifah Ibn ‘Askar 
			continua pour son propre compte à s’opposer à la tête des 
			Moujahidine à l’avance victorieuse des troupes italiennes de 
			Yeffren sur Nalout. Le général Lequio atteignit Nalout en avril 
			1913, mais Khalifah Ibn ‘Askar et ses hommes continuèrent à tenir 
			bon entre Kabao, Nalout et la frontière tunisienne. 
			
			
			Après un échec, vers la fin de 1914, il s’était réfugié en Tunisie « 
			avec soixante familles de rebelles ». Ayant accepté toutes les 
			conditions qui leur étaient imposées par les autorités françaises 
			(désarmement et cantonnement dans un camp de concentration à Kébili 
			dans le Sud-Tunisien à plus de 100 kms de la frontière), il s’était 
			évadé aussitôt à la tête d’un groupe de rebelles tripolitains grossi 
			peu à peu par les dissidents tunisiens : « Avant son évacuation de 
			Kébili, écrivait al-Marzouqi, Khalifah Ibn ‘Askar contacta quelques 
			groupes tunisiens : Makhalabah, Dahibat, Trayfah, Chehaydah pour les 
			déterminer à prendre part au Jihad. En effet un certain 
			nombre d’entre eux suivirent Khalifah Ibn ‘Askar et devinrent, par 
			la suite, le noyau des Moujahidine tunisiens.
			
			Selon les sources officielles, le nombre approximatif des « 
			dissidents » tunisiens varie dans le temps et l’espace : en mai 
			1915, environ 1.400 hommes portés officiellement « dissidents » 
			[accompagnées de 1.000 femmes et 2.000 enfants], se trouvaient en 
			Tripolitaine. En oct. 1915, seulement 500 des 1.682 hommes « 
			dissidents » étaient en Tripolitaine. A en croire les nationalistes, 
			on estima en 1915 également à dix-mille émigrés et réfugiés 
			Tunisiens en Libye, femmes et enfants compris, dont trois à quatre 
			mille hommes armés combattaient côte à côte avec leurs voisins 
			libyens contre les Italiens.
			
			
			A quelques kilomètres des Oulad Mahmoud, non loin de Nalout, 
			Khalifah Ibn ‘Askar planta sa tente, et, de là, assaillit 
			régulièrement toutes les caravanes italiennes qui, de Nalout, se 
			dirigeaient vers Sinaoun et Ghadamès. 
			
			
			Dans les premiers jours de juin 1915, il se transporta vers Ghadamès 
			et infligea une défaite aux méharistes italiens etc. Il était, 
			avons-nous dit, parmi les principaux lieutenants de Noury Bey, frère 
			d’Anwar, commandant les forces de l’Islam en Libye. On sait déjà que 
			les Moujahidine victorieux de Khalifah 
			Ibn ‘Askar infligèrent en 1915 des désastres aux Italiens. 
			Celui-ci se disait le « lieutenant » de Muhammad al-‘Abid 
			pour les « choses de guerre ».
			
			
			En août 1915, Khalifah Ibn ‘Askar rentra en triomphateur à Nalout, 
			se fit élire qaïmaqam et se mit à la tête de la population. Il fut 
			confirmé qaïmaqam par le Sheikh Souf al-Mahmoudi.
			
			Son frère ‘Amor et les autres réfugiés tripolitains, le tenaient 
			pour « un homme courageux, énergique, endurant, mais surtout pour un 
			excité dangereux capable des pires folies ». 
			
			La mehalla tripolitano-tunisienne de Khalifah Ibn ‘Askar composée de 
			plusieurs centaines de cavaliers et d’hommes à pieds était armée de 
			fusils et de canons trouvés dans les postes abandonnés par les 
			Italiens. Elle en reçut aussi par les Turcs et les Allemands.
			
			Elle disposait de 5.000 réguliers, 9 canons italiens et allemands et 
			13 officiers turcs, européens et mêmes tunisiens dont le commandant 
			‘Omar Ibn ‘Ali Ibn Ahmad Guellaty venu d’Islamboul avec six 
			instructeurs turcs. Son ambition est de soulever tout le 
			Sud-Tunisien avec l’appui du chef Sanoussi Muhammad al-‘Abid.
			
			
			
			
			
			Les effets de la propagande pour le
			Jihad
			
			
			
			On ne doit pas oublier que l’attitude amicale française à l’égard 
			des Italiens était en contradiction évidente avec la soi-disant 
			neutralité maintes fois déclarée. Or ce comportement produisait une 
			impression désastreuse chez les tribus du Sud-Tunisien. Notons aussi 
			que l’évacuation des Italiens découvrait non seulement la frontière 
			tunisienne, mais elle entraînait, selon les rapports militaires, un 
			changement sensible dans l’attitude des tribus, changement provoqué 
			autant par l’appel au Jihad lancé par les Turcs, que par les 
			récits des Tripolitains fréquentant les marchés tunisiens, 
			rapportant les succès des rebelles, louant leur organisation, leur 
			commandement, leur armement, la résolution d’attaquer prochainement 
			les Français dans le Sud.
			
			Le 2 août, une trentaine d’Oudema quittèrent leur tribu pour aller 
			se joindre aux rebelles.
			
			Le 3 août 1915, le chef d’annexe de Tataouine rendit compte que « la 
			neutralité de beaucoup d’indigènes du cercle fut modifiée, que 200 à 
			500 hommes partirent clandestinement en Tripolitaine par groupe de 5 
			à 6, pour joindre les rebelles sans avoir été signalé par leurs 
			Cheikhs, et que sans qu’on soit en présence d’un mouvement 
			insurrectionnel bien dessiné », il existait « un état d’esprit 
			défavorable à l’autorité et une situation politique mauvaise ».
			
			
			A cette même date des informations diverses signalaient la présence 
			d’officiers turcs ayant franchi la frontière pour mener à bien le 
			Jihad dans le Sud et dans la Tunisie entière.
			
			Ce fait a été confirmé : le résident général à Tunis a alerté le 
			commandant militaire à Médenine par un télégramme le 5 août 1915 : 
			d’après des renseignements venant de Tripoli le commandant 
			Thierbell, cinq officiers allemands et onze officiers turcs seraient 
			passés en Tunisie où ils vivraient, habillés à l’arabe.
			
			
			Le Sheikh Muhammad Bwiraz, l’oncle d’Ahmad Tawfiq 
			al-Madani, travaillant en étroite collaboration avec le Sheikh Salih 
			Sharif, était à la tête d’un comité tunisien qui assurait 
			l’encadrement (officiers turcs) et le ravitaillement des rebelles 
			tunisiens en munitions par des méthodes clandestines.
			
			
			Le 10 août sept conducteurs tunisiens « bien notés de la section 
			d’artillerie de montagne à Dahibat » désertèrent également. Selon 
			plusieurs sources la propagande pour le Jihad « trouvait en 
			Tunisie un terrain bien préparé en s’adressant aux individus (...) 
			ayant tout à gagner dans une insurrection et à quelques notables 
			dont l’ambition n’avait pas été satisfaite et qui comptaient tirer 
			parti des troubles ».
			
			« A Dahibat le bruit court de l’attaque de la garnison avec 
			persistance, un certain malaise est signalé dans le détachement du 
			quatrième Spahis du lt. Graignic. Ces derniers et les hommes du 
			train auraient envoyé à leur famille des sommes d’argent supérieures 
			à celles qu’ils recevaient comme militaires ; des émissaires 
			cherchent à persuader nos gens que nous serons obligés comme les 
			Italiens d’évacuer tous nos postes du Sud ».
			
			Toujours au mois d’août, le service des Affaires Indigènes signalait 
			les efforts entrepris par les rebelles tripolitains, pour exhorter 
			les notables des tribus tunisiennes à l’insurrection. Au milieu du 
			mois, le Sheikh des Krachouah remit au chef d’Annexe de Tataouine 
			une lettre qu’il venait de recevoir du Mufti de Nalout : cette 
			lettre n’était qu’un appel au Jihad. Dans une lettre envoyée 
			au Caïd des Ouerghemmah Mas’oud Ibn al-‘Arbi, Sheikh Souf al-Mahmoudi 
			faisait appel aux sentiments religieux du destinataire en vue de 
			favoriser le triomphe du Jihad et de la foi.
			
			Le 16 août 1915, Khalifah Ibn ‘Askar, qui reprochait aux autorités 
			françaises de traiter les réfugiés tripolitains de Kébili comme des 
			prisonniers, et la protection donnée à la colonne italienne de 
			Ghadamès, demanda, dans une « lettre-ultimatum », la restitution de 
			sa famille : « En conséquence, terminait-il, demandez à votre 
			gouvernement s’il peut nous rendre d’urgence tous nos gens qui sont 
			chez vous et faites-moi connaître sa réponse. S’il refuse, 
			renseignez-moi également, car nous vous ferons la guerre avec tous 
			les gens de l’Islam qui ne forme plus qu’un seul bloc. Veillez sur 
			vous. 
			
			Salut de la part du serviteur de son excellence Senoussi, 3 Shawwal 
			1333 Hégire. 
			
			Faites-moi connaître votre décision. Il est superflu d’insister. 
			
			Salut : Tous les gens de l’ouest, vos administrés, sont entièrement 
			avec nous. Salut ! ».
			
			
			En sept. 1915, Mas’oud Ibn al-‘Arbi recevait une seconde lettre 
			pleine de menaces à l’égard des troupes françaises. Souf écrivit des 
			lettres analogues au Kahia de Tataouine. Le service des Affaires 
			Indigènes signalait également « quelques autres lettres, vantant 
			(...) le triomphe de l’Islam, et provenant de personnages plus ou 
			moins influents ont été en outre adressées à des indigènes du Sud 
			(Tunisien) et il est à présumer que beaucoup de notables ont reçu 
			des chefs tripolitains des correspondances dans le même genre, 
			peut-être même plus explicites, mais qu’ils n’ont pas eu la loyauté 
			de remettre aux chefs de bureaux ou d’annexes des Affaires Indigènes 
			» .
			
			
			Beaucoup d’entre eux, dès le début de la guerre, avons-nous dit, ont 
			été enrôlés dans les mehellas rebelles. D’autres exaltés par les 
			victoires des Moujahidine contre les Italiens, pressèrent 
			leurs parents et leurs tribus pour entrer en dissidence.
			
			
			
			
			L’hostilité des populations envers les colonisateurs 
			
			
			
			Par la suite de l’attitude amicale envers les réfugiés italiens et 
			des menaces d’attaques tripolitaines, les passages clandestins des 
			dissidents tunisiens eurent lieu par centaine sans être signalés par 
			les autorités locales. Quelques centaines d’Oudarnah, à l’appel d’un 
			chef influent des Oulad Dabbab, pourtant membre de la Conférence 
			consultative, al-Hajj Sa’id Ibn ‘Abdel Latif, se soulevèrent 
			en masse et passèrent la frontière pour se joindre à Khalifah Ibn 
			‘Askar. 
			
			Autour des Oudarnah, l’attitude des indigènes, était ambigüe selon 
			le service des Affaires Indigènes : aux notables inquiets 
			s’ajoutaient les défections parmi le Makhzen. Les goumiers de 
			Nefzaoua montraient un esprit de loyalisme douteux qui amenait les 
			autorités françaises à les licencier. 
			
			Dans le centre de Tunisie même, quelques indices étaient 
			perceptibles de l’esprit antifrançais des Tunisiens. Dans la région 
			de Gabès en particulier, on signalait les progrès de la propagande 
			antifrançaise dans les troupes tunisiennes au point que le général 
			commandant les troupes de l’Afrique du Nord estima impossible 
			d’envoyer ces troupes dans le Sud. 
			
			Lors d’une tournée d’inspection dans les sud, un agent constata à 
			Sfax un attachement manifeste des notables à la Turquie et à Gabès, 
			une hostilité apparente des Lettrés à la France : le secrétaire même 
			du Caïd assistait à des réunions de ce milieu. 
			
			La population de la région de Sfax, près de Gabès et notamment les 
			Bani Zid d’al-Hammah, semble avoir été en relations suivies avec les 
			rebelles : ayant encore la réputation d’avoir résisté vigoureusement 
			à la conquête française (à partir de 1881), ils étaient suspects dès 
			1915. 
			
			Des nombreux poèmes populaires antifrançais, du temps de la conquête 
			et nouveaux, commençaient à circuler. Les chefs des Fraichich et des 
			Majir du centre montraient « peu d’enthousiasme » pour le 
			recrutement de cavaliers volontaires en vue de servir en France 
			même.
			
			Dans ces conditions, la situation devait inévitablement devenir très 
			délicate pour les autorités françaises. Bien sûr, dès le début de la 
			guerre, les notables ne manquèrent pas de faire les déclarations « 
			obligatoires » de loyalisme et le recrutement de troupes Makhzen 
			supplétives se fit sans gros problèmes. Mais c’était là la limite du 
			loyalisme : les tribus qui fournissaient ces troupes de protection 
			locale veillaient soigneusement à ce qu’elles restaient exemptes du 
			service militaire normal. 
			
			
			Après le mauvais hiver de 1914/1915, qui avait diminué le cheptel, 
			l’armée eut, selon Alapetite, la maladresse de réquisitionner des 
			chameaux chez les Oudema à un prix « dérisoire ».
			
			Le général Moinier, commandant les troupes de l’Afrique du Nord, 
			devant le mouvement nettement hostile qui se préparait, décida le 14 
			août le renforcement des troupes du Sud-Tunisien. Ces effectifs ne 
			cessèrent d’être renforcés sous l’effet de l’extension de la gravité 
			que prenait la situation.
			
			
			Jusqu’au 31 août 1915, les tribus du sud semblaient être calmes. 
			Peut-être l’envoi des renforts militaires a-t-il calmé 
			provisoirement ces tribus. Mais au moment où les forces arrivées à 
			Dahibat, étaient, dit-on, suffisantes pour sa défense, des 
			événements graves éclatèrent.
			
			
			
			
			
			Opérations autour de Dahibat
			
			
			
			Notez que les citations entre guillemets sont les rapports officiels 
			français qui utilisent pour la plupart le temps présent.
			
			
			Le 1 septembre 1915, une patrouille de goumiers du poste frontalier 
			d’Alouet al-Gounna, échangea des coups de feu avec des rebelles 
			tunisiens des Oulad Khalifah qui cherchaient à franchir la 
			frontière.
			
			
			Le 13 septembre 1915, Muhammad Ibn Madhkour ash-Shahidi qui 
			passa aux rebelles avec une trentaine de Moujahidine se lança 
			à la poursuite d’une caravane du Fezzan venant de Pervinquières. Des 
			chasseurs d’Afrique opérant dans l’oued Morteba furent sévèrement 
			attaqués par ces rebelles adroitement dissimulés. Deux chasseurs 
			furent tués dont un brigadier.
			
			Les sources Moujahidine estimèrent les pertes françaises à 12 
			tués et 8 blessés contre 2 tués et 3 blessés Musulmans. 
			
			Notons que dans chaque opération, les chiffres avancés ici et là par 
			les diverses sources officielles et officieuses françaises 
			s’accordaient, en général, sur le bilan des pertes des deux 
			adversaires en guerre. Il est évident que ce bilan comparé à celui 
			des Moujahidine varie si fortement aussi est-il forcément 
			invérifiable. Or le mieux est de procéder ainsi : les estimations 
			françaises seront conventionnellement mentionnées, sauf indication 
			contraire, dans le texte même de ce travail.
			
			J’en profite pour remarquer à juste titre que les communiqués 
			officiels de guerre des mécréants font eux même partie de la guerre 
			et sont pour ainsi dire tous mensongers d’une part, pour ne pas 
			affoler l’opinion publique, le premier fournisseur de soldat, mais 
			aussi pour ne pas encourager l’ennemi. 
			
			
			Le lendemain, 14 septembre, le lieutenant Mégrier opérant dans la 
			même région fut attaqué par les mêmes rebelles que la veille ; 
			soutenu par une compagnie et une section d’artillerie il crut 
			d’abord que les rebelles avaient été repoussés au col d’al-Afina 
			mais il tomba dans une embuscade et perdit 10 tués dont un sergent, 
			un caporal et 10 blessés. Beaucoup d’armes et de munitions furent 
			abandonnées sur le terrain du combat.
			
			Les sources Moujahidine quant à elle rapportent pour la même 
			opération, 30 tués et plusieurs blessés français contre 5 tués et 9 
			blessés musulmans
			
			
			A la suite de cet échec, le général commandant la D.O.T. accorda au 
			commandant Abbat le droit de poursuivre les rebelles au-delà de la 
			frontière tunisienne. Ce général l’engagea à réprimer ces derniers 
			énergiquement.
			
			Le 15 septembre 1915, Abbat, chef de bataillon d’Afrique, qui 
			commandait la garnison de Dahibat, opéra vers Ouezzen (Wazin) pour 
			châtier les rebelles et les gens qui les soutenaient. Malgré le gros 
			détachement français de toutes armes, Abbat qui se trouvait à Zahrat 
			an-Nisf fut immédiatement aux prises avec un adversaire « très 
			mordant » sous le commandement de leur principal adversaire Khalifah 
			Ibn ‘Askar. Le terrain « est non seulement montagneux et difficile, 
			mais il faut s’engager dans un véritable cirque dominé de tous les 
			côtés ». De plus le nombre de rebelles a été sous-estimé et 
			l’armement français était inférieur. Après un combat acharné, de 7 
			heures du matin à 14 heures, la garnison se borna à la défense ; 
			obligée alors de rompre le combat, elle rentra à Dahibat sous la 
			protection d’une ligne de repli, ayant 27 hommes tués, 4 officiers 
			et 34 blessés. La garnison fut « obligée d’abandonner sur le terrain 
			du combat une mitrailleuse et un affût de canon ». 
			
			La situation « était donc grave ». Le lieutenant-colonel Trestoumel 
			partit immédiatement de Médenine en auto et arriva le 16 sept, à 
			Dahibat.
			
			
			Désormais les événements se précipitèrent.
			
			Le 16 septembre, la ligne télégraphique Tataouine-Dahibat fut coupée 
			pendant la nuit. 
			
			Le matin du 17 septembre, celle de Dahibat-Machehad Salih le 
			fut également. 
			
			Le même jour, un escadron de cavalerie qui escortait une équipe 
			envoyée de Dahibat pour réparer la ligne télégraphique eut « un 
			engagement sérieux » avec environ 150 cavaliers rebelles et un 
			cavalier français fut grièvement blessé.
			
			Au même moment, le chef d’annexe de Tataouine rendait compte que la 
			situation du cercle s’était subitement aggravée : une certaine 
			effervescence régnait chez les Oulad al-Hmidiyah, 
			al-‘Adjerdah, Ghoumrassen al-Bled, ash-Shehaydah et les Krachouah ; 
			« les gens refusaient de payer l’impôt et affichaient une attitude 
			menaçante envers les Sheikhs et les autorités locales ».
			
			Pourtant « certains indigènes au nombre d’une trentaine notables de 
			différentes tribus assurent le chef d’annexe de Tataouine de leurs 
			bons sentiments ». Mais ils déclarèrent que malgré leur bon vouloir 
			et en présence du caractère religieux de l’effervescence, ils 
			étaient incapables d’avoir « l’autorité nécessaire pour retenir 
			leurs administrés dans la neutralité ».
			
			
			Le 17 septembre 1915, la défection d’un bach-chaouch (cavalier du 
			poste de Machehad Salih) avec vingt-trois hommes stupéfia « 
			tout le monde » et fut « commentée défavorablement » à l’égard des 
			autorités françaises. Alors même des soldats tunisiens non attaqués 
			désertèrent. Cet « ancien serviteur » des Français, dit-on, allait 
			vers une retraite sans soucis, et seul « le souci d’être considéré 
			comme un bon musulman a pu l’entraîner dans cette désertion ». 
			L’impulsion religieuse est indéniable : Muhammad Salih 
			ad-Daghbaji, Muhammad al-Madani, al-Jlidi, Muhammad 
			Salih al-‘Omrani etc. furent parmi les déserteurs tunisiens 
			qui passèrent aux rebelles avec armes et bagages.
			
			
			En effet, qui ayant le plus petit atome d’honneur, aimerait mourir 
			traître ou travailler pour les ennemis ? Sachez que c’est un devoir 
			religieux pour les Musulmans de défendre leurs pays et leurs 
			familles, leur religion et leur prophète et que la trahison, sous 
			n’importe quelle forme est interdite et qu’elle rend caduque 
			l’appartenance à l’Islam !  Qui 
			aimerait mourir mécréant et avoir sur lui la malédiction de toutes 
			les créatures ?
			
			
			Le 18 septembre, Dahibat fut à nouveau attaquée par de forts 
			contingents de rebelles. Les forces françaises eurent deux tués dont 
			un officier (lt Peltier) et 10 blessés. Les chasseurs d’Afrique de 
			Dahibat livrèrent deux petits combats au Makman avec les rebelles en 
			assurant la liaison avec le bataillon Borel. 
			
			Bilan : 2 hommes tués et 7 blessés.
			
			
			Le 20 septembre. Vu l’état d’esprit des cavaliers, inquiets pour le 
			sort de leur famille et de leurs troupeaux, les autorités françaises 
			décidèrent, par mesure de prudence, l’évacuation des postes de Bir 
			Pastor, de Pervinquières, de Djeneien. Un combat eut lieu à Tiaret.
			
			
			
			
			Le 
			mouvement insurrectionnel
			
			
			
			Le 22 septembre 1915. Le bruit de l’attaque de Tataouine, de Rimtha 
			et de Tazaghdanet courut avec persistance ; deux cavaliers et quatre 
			goumiers du petit poste de Cheguiga (mi-chemin entre Rimtha et 
			Machehad Salih) entraînés par le cavalier Labayyid, frère du Sheikh 
			des Krachouah, passèrent en dissidence et rentrèrent à Tatouine avec 
			armes et bagages.
			
			
			Le 25 septembre. Dahibat fut de nouveau attaqué par les rebelles qui 
			prirent la crête nord-est dite crête Peltier. Bilan : 3 hommes tués 
			et 13 blessés.
			
			Le général Boyer qui prit le commandement des Troupes du D.S.T. 
			arriva à Médenine le 25 septembre, avec pour mission d’organiser le 
			front Sud-Tunisien avec au total : 320 officiers et 15.000 hommes. 
			Il faut ajouter à cela le makhzen, les goums, les tribus (fractions 
			des Oudamah et autres) coopérant avec les troupes françaises. Cette 
			organisation garantissait d’après Alapetite « une sécurité absolue » 
			alors que l’achèvement du chemin de fer de Gabès facilitait les 
			transports militaires.
			
			
			
			
			
			Rimthah assiégé sous les you-you des femmes
			
			
			
			Le 25 septembre 1915, le camp de Rimthah fut attaqué par 500 à 600 
			rebelles armés, pour la plupart, de fusils à tir rapide et commandés 
			par le Sheikh des Krachouah ‘Amar Labayyid. Le combat fut très 
			meurtrier. Les Moujahidine furent encouragés par la présence 
			et le service utile de milliers de personnes et les you-you des 
			femmes couronnant les crêtes. 
			
			Armés d’engins de toute sorte, ces derniers attendaient, selon le 
			rapport Harlé, « 1’anéantissement de la compagnie (française) ». Le 
			combat fut aussi long : il dura 27 heures et fut renforcé dans 
			l’après-midi du 26 septembre par les Oulad Dabbab commandé par le 
			Sheikh ‘Ali le frère d’al-Hajj Sa’id Ibn ‘Abdel Latif, membre 
			de la conférence consultative. Paniqués par de faux bruits selon 
			lesquels « leurs villages étaient attaqués » par les troupes 
			françaises, les rebelles abandonnèrent provisoirement le terrain du 
			combat. 
			
			Dans la nuit du 26 septembre, l’attaque de Rimthah reprit et des 
			renforts français arrivèrent. Après avoir investi Rimthah les 
			rebelles se retirèrent. Les pertes françaises furent de 17 hommes 
			tués et 15 blessés dont le capitaine Senégas qui reçut deux 
			blessures. Tous les animaux du détachement furent tués. Les pertes 
			des rebelles furent de 13 hommes et 6 femmes. 
			
			Muhammad al-Marzouqi dans son livre « dima' ‘alla al-houdoud » 
			mit en relief quelques récits d’armes d’un certain nombre de 
			Moujahidine qui prirent part à Rimthah dont le plus important 
			est celui de Sa’d Ibn ‘Oun et sa fille aînée Mabroukah surnommée « 
			Labba'h » (lionne) : 
			
			« Sa’d Ibn ‘Oun eut l’audace, dans le combat de Rimthah, de 
			s’engager trop en avant (environ 50 mètres) vers les tranchées de 
			l’ennemi malgré sa puissance de feu. Sa’d Ibn ‘Oun voulut ainsi 
			donner, dit-on, l’exemple aux Moujahidine pour qu’ils 
			avancent vite et assiègent le camp. Mais Sa’d, sans aucune 
			couverture, et sans se rendre compte du danger qui le guettait à 
			gauche, s’écroula aussitôt avec plusieurs blessures et un pied 
			cassé. Vu l’intensité des tirs, personne n’osa se rapprocher de Sa’d 
			et lui porter secours. Seule Mabroukah, sa fille aînée, s’avança 
			comme une lionne vers son père grièvement blessé et le sauva. Notons 
			que Labba'h ne reçut qu’une petite légère blessure et ceci grâce à 
			sa « Malhafah » qui encaissa à la place de son corps toutes 
			les balles meurtrières qui jaillirent d’une mitrailleuse ennemie. 
			Aussi les blessures du père furent traitées grâce aux soins de 
			Labba'h et aux branches de « Ratm » (arbre saharien) ». 
			
			Les Moujahidine quant à eux affirmèrent que 300 à 400 d’entre 
			eux appartenant à plusieurs fractions d’Oudernah : Oulad Shahaydah, 
			Krachouah, ‘Amaranah, Douirat, ‘Adjarda, Hmidiyyah et Zorgane 
			participèrent à cette bataille ou 50 français furent tués et 40 
			blessés. Parmi les Musulmans tués, il y eut ‘Amar Ibn Nasr Ibn Yahya, 
			Muhammad Ibn ash-Sheikh Salim, Abou al-Qassim ad-Dawwadi, Muhammad 
			Ibn Khalifah Ibn Jaddou, Daw Ibn Ahmad Ibn Moubarak et 
			Mabroukah Bint Ahmad ash-Shinkawi.
			
			
			
			
			
			L’orgueil français menacé 
			
			
			
			Vers la fin de l’année 1915 la situation du Sud-Tunisien, aussi bien 
			militaire que politique était critique. Selon les autorités 
			militaires : « Les renforts venus d’Algérie sont seulement en route. 
			L’agitation islamique gagne de proche en proche. Tataouine n’a pour 
			garnison qu’une compagnie et un peloton de cavalerie, Médenine 
			quelques centaines de fusils.
			
			Les nouvelles reçues de Dahibat sont graves. Les tribus du Djebel 
			occidental (Wazin, Nalout, Kabao, Fessato) sont rassemblées autour 
			de Dahibat, qu’elles attaquent sans répit avec la ferme conviction 
			de l’enlever. Elles sont pourvues de nombreuses munitions italiennes 
			et attendent des canons. L’armement des rebelles est supérieur à 
			celui de la garnison armée en majeure partie de fusils 74 à poudre 
			noire ».
			
			
			A cela s’ajoutaient les révoltes en Algérie et « les défaites 
			françaises » subies en Europe dès le début de la guerre. 
			
			Le lieutenant-colonel Trestoumel envisagea l’abandon de Dahibat et 
			la retraite sur Tatouine « mais l’orgueil du drapeau français, 
			dit-on, est engagé. Ce recul serait considéré comme une victoire de 
			l’Islam, (et) aurait sur nos goumiers, les tribus du Sud et même 
			dans toute la Tunisie une répercussion qui entraînerait probablement 
			un soulèvement général. Il y a là une question d’ascendant moral à 
			conserver ».
			
			Le général Moinier arriva à Médenine pour se rendre compte sur place 
			des mesures à prendre. Inquiet de l’extension des troubles, il prit 
			des mesures sévères contre les rebelles. Déjà en septembre 1915, « 
			des colonnes furent envoyées pour détruire les villages des rebelles 
			et razzier leurs récoltes et leurs troupeaux ». 
			
			Pendant ces opérations de répression, la situation s’aggrava 
			brusquement dans l’extrême sud-Tunisien : « Dahibat est occupé et 
			ses vivres s’épuisent. Le lieutenant-colonel Trestoumel signale par 
			message la situation comme alarmante au sujet du ravitaillement. Les 
			chevaux ne reçoivent que 4 kilos d’orge, réduits bientôt à 3 ». Les 
			troupes européennes n’ont ni vin, ni légumes frais depuis longtemps. 
			L’état sanitaire est médiocre par suite de la dysenterie. La viande 
			fraiche manquant, les chevaux sont abattus ».
			
			
			Le 1er octobre 1915, un convoi de ravitaillement qui se portait sur 
			Rimthah fut attaqué à Tamalast et résultat en trois blessés. 
			
			A cette même date, un combat meurtrier eut lieu à Mirsat au Fort (qal’ah) 
			des Oulad ash-Shahidah à 20 km de Tataouine. Il y eut plusieurs tués 
			parmi les Français et les Moujahidine. 
			
			Un autre combat eut lieu à Mirsat non loin du Fort des Oulad 
			ash-Shahidah, quelques rebelles furent tués dont leur chef Muhammad 
			Ibn al-Awini ash-Shahidi.  
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