L’excellent texte qui suit et qui représente un quart du texte original peut être considéré non seulement comme un correcteur mais aussi comme une synthèse générale de tout ce qui a été précédemment mentionné.

J’ai laissé l’orthographe originale et procédé à d’infimes corrections. 

Puisse Allah Exalté récompenser son auteur des meilleures récompenses.

 

 

L’Islam agressé

Par Hadroug Mimouni[1]

Les préparatifs

 

C’est au cours de la réunion d’Aix la Chapelle en 1748 que fut décidée la mainmise de l’Europe sur le monde musulman. Il n’y eut ni partage de territoire, ni reconnaissance de zones d’influence. Tout au plus, l’idée que les régions turcomanes seraient de l’apanage de la Russie. L’Angleterre et la France se partageant le reste. La première était occupée par la mainmise sur l’Inde et la seconde se considérait comme l’héritière de Rome et la fille aînée de l’Eglise. Mais toutes deux visaient avant tout l’Egypte. La riche vallée du Nil était la convoitise de tous. Comme toujours entre bandits, l’accord était loin d’être parfait.

 

Chamil au Caucase combattra les Russes qui avaient envahi son pays. Il sera discrètement soutenu par les Franco-anglais, jusqu’à ce que les Russes, à la Paix de Paris s’engagent à ne pas pousser jusqu’aux Dardanelles. Route des Indes oblige. Une fois cet engagement pris, Chamil sera lâché et les Russes le feront prisonnier. Mais il faut reconnaître que les Romanoff n’ont pas été avec lui vils et mesquins comme le furent les Bourbons avec Abd El Kader.

 

Chamil a été une des plus noble figures de son temps. En 1865 on demande à un homme politique français : « Quels sont, à votre avis, les plus grands hommes vivants ? » Il répondit : « hélas, ce sont deux musulmans, Abd El Kader et Chamil ».

 

Plus tard, en 1890, Ahmadou Bamba continuera le djihad en Afrique face aux armées françaises. Il utilisera les mêmes méthodes que Chamil, et donnera comme lui le nom de « Mouridines » à ses troupes.

 

En 1798, Bonaparte envahira l’Egypte et la Palestine et sèmera la désolation en ces pays. Il ordonnera à ses officiers de ne pas fusiller les milliers de prisonniers, mais de leur couper la tête avec la hache pour « économiser les balles ». Aucune étude sérieuse n’a été faite sur les crimes commis par son armée en territoires arabes. Au contraire, il en est de pauvres imbéciles qui ont voulu en faire un musulman. Bonaparte n’a été ni Chrétien ni Musulman, il était athée.

 

C’est à partir de 1830 que commença la mainmise continue de l’Europe sur le monde musulman, avec le débarquement des Français en Algérie.

 

L’Angleterre encouragera Abd El Kader jusqu’à ce que les Français s’engagent à ne pas occuper le Maroc Nord face à Gibraltar. Les Anglais s’engageront eux aussi à ne pas occuper le Maroc du Nord, et c’est ainsi que cette portion du territoire du Maghreb sera attribuée à l’Espagne. Et, afin qu’une éventuelle entente de l’Espagne, soit avec la France, soit avec l’Angleterre ne soit pas efficace, le point stratégique, c’est-à-dire Tanger, sera internationalisé. Ainsi, ni la France, ni l’Angleterre n’était maîtresse absolue de l’entrée de la Méditerranée.

 

Le but des Français était de faire du Nord de l’Afrique un pays Latino-chrétien et de la Méditerranée Occidentale une «Mare-­Nostrum. Ils ont calculé qu’après avoir réussi dans le centre, c’est-à-dire en Algérie, ils pourraient continuer l’opération à l’Est comme à l’Ouest. Pour atteindre leur but, il leur fallait exterminer une grande partie des populations, refouler le reste au Sahara, et remplacer le tout par un apport de LATINS: Français, Espagnols, Italiens etc.

 

On ira jusqu’à arraisonner un bateau d’émigrants allant en Amérique et à obliger ses passagers à débarquer en Algérie. Il s’agissait, en bref, de faire au Maghreb ce que les Anglais avaient fait dans le Nord de l’Amérique, où d’ailleurs on avait envoyé une mission pour étudier la manière de faire. Tous les moyens furent employés. Incendies des récoltes, massacre de populations sans défense, expropriation des terres, asphyxie de tribus entières réfugiées dans des grottes, cantonnement d’autres tribus sur des surfaces ne permettant pas la survie. On essaya l’alcoolisme, qui avait décimé les peaux rouges et là, les Maghrébins furent sauvés par l’Islam. La France avait mis sur pieds la plus grande expédition jamais réalisée à ce temps. Une armée de quarante mille hommes au départ qui sera de cent-vingt mille, dix ans après. Cette armée ne recevait aucun ravitaillement de France. Il lui fallait vivre sur l’habitant. Pendant près de trente ans, ce ne fut que pillage de réserves de céréales et de fourrages et confiscation de troupeaux. Ce qui ne pouvait être emporté, était soit brûlé soit abattu sur place. On propagea le haschich.

 

On entreprit systématiquement la déculturation. Sur la centaine de mosquées-écoles à Alger ville, on ne laisse que quatre aux musulmans. Les autres furent soit transformées en églises, en écuries, en hôpitaux, en dépôts, soit détruites tout simplement. La première décision des occupants a été de déclarer biens de l’état français, tous les Waqf d’Algérie. Tout ce que les Algériens avaient amassé pendant des siècles pour l’entretien de leur religion et de leur culture fut volé par cette décision. L’état français se substituera aux autorités religieuses musulmanes et nommera les Imams. Vers 1910, il n’y aura plus que six Imams émargeant aux Waqf. Les « affaires religieuses » seront du ressort d’une « commission spéciale » dont le dernier président, en 1940, était Michel le juif. Malgré sa situation matérielle catastrophique, le peuple algérien voudra construire de nouvelles mosquées-écoles pour n’être pas à la merci du conquérant pour ce qui est du domaine spirituel. L’administration française prendra d‘innombrables décisions pour l’en empêcher. L’autorisation de construire exigera tellement de papiers que lorsqu’on obtient le dernier, le premier est périmé. On interdira l’ouverture de toute école coranique à moins de six kilomètres d’une école française. Dans toutes les localités, les français ouvriront des écoles réservées à leurs fils et là où il n’y avait pas de population française, on ouvrira une classe pour la forme. Comme dans le nord du pays les villages ne sont pas trop éloignés les uns des autres, il était devenu impossible d’ouvrir une école coranique. Les quelques écoles ouvertes dans les douars étaient semi clandestines. De plus, dans les écoles, il était absolument interdit de faire autre chose que d’apprendre le Coran aux enfants. Dans le cas où l’enseignant donne des notions de grammaire, l’autorisation lui était retirée ; ne parlons pas d’histoire ou d’éducation religieuse, cela pouvait conduire en prison.

 

Cette autorisation était personnelle et pour un lieu déterminé. Et c’est ainsi qu’en Algérie, ou la population en 1830 savait lire et écrire en arabe à 90 %, il n’y avait pas un siècle après 1 % dans cette situation.

 

L’enseignement du français a été « prodigué » à partir de 1900 seulement et n’a pas touché 5 % de la population, et ce jusqu’à 1945.

 

Vers 1924 des Ulamas, qui créeront plus tard « l’Association des Ulamas d’Algérie », fonderont des médersas sous l’impulsion de Ben Badis. Que s’est-il passé ? Le colonialisme était-il devenu subitement un ange pour laisser faire ? Non ! Ben Badis avait tout simplement averti discrètement l’administration française qu’il avait suffisamment d’amis en Egypte pour faire mener une campagne pour la fermeture des écoles françaises dans ce pays. L’administration savait que l’on ne fait pas en vain appel à la fibre islamique du peuple égyptien. Plus tard, cette solidarité islamique, par une campagne de TALTIF qui commence à Fez et sera reprise jusqu’en Indonésie, obligera le gouvernement français à revenir sur le Dahir Berbère, Dahir qui devait mettre une grande partie du peuple marocain sous juridiction française pour son statut personnel au lieu de la juridiction islamique. En 1947 se crée à Alger les « Editions algériennes en Nahdha » avec pour but l’édition et l’importation de livres arabes. L’administration française lui refusera toute licence d’importation. En 1949, un journal de Tunis s’empare de l’affaire et signale ce refus. Zayyat le reprend et en fait un article dans la « Rissala'» et demande au gouvernement égyptien d’interdire l’entrée en Egypte des livres et revues françaises. Il n’en fallait pas plus pour que les Français accordent des licences d’importation ; au compte-gouttes, il est vrai. Ces trois exemples nous montrent ce que peut faire la solidarité. Imaginons-la dans des domaines capitaux. Nous avons bien le droit de rêver, non ?

 

Depuis 1830, une campagne anti-islamique est menée en France et en Occident et elle continue, avec plus de perfidie. Des milliers d’ouvrages ont été écrits sur l’Islam et le monde arabe. Pas un qui ne soit un tissu de mensonge, de haine et de mauvaise foi. Le sommet sera atteint en Algérie par Louis Bertrand et à Beyrouth par Lammens.

 

Louis Bertrand marquera toute une génération d’écrivains français. Il sera un maître incontesté pour une notable partie de l’intelligence française. Il sera élu membre de l’Académie française et pendant quarante ans, pas un seul écrivain français n’osera le contredire. Au contraire, il sera la fierté de toute une génération de Français. Sa doctrine était simple : détruire ce qu’il y a d’arabe et de musulman au Maghreb et le remplacer par un apport latin catholique. Il écrira là-dessus plusieurs ouvrages, comme: « Le sang des races », ou « Devant l’Islam ».

 

Nous donnons ci-dessous des échantillons de sa littérature:

 

« Répétons-le encore, parce que c’est l’humble vérité, l’oriental et en particulier le musulman est notre ennemi ». « L’oriental est notre ennemi et ne peut être que notre ennemi ». « Regardez les orientaux bien en face, dans les yeux : ce sont nos ennemis ». Remarquez qu’il cite l’oriental en général et le musulman en particulier, car il n’est pas tendre, non plus pour l’arabe chrétien. Voici ce qu’il en pense: « Le chrétien a l’argent, la ruse, l’habilité de la résistance, le secret de durer, et il est plus intelligent. Qu’il ne nous aime guère, au fond, qu’il soit un médiocre soldat de la civilisation, c’est bien possible ». Quand L. Bertrand dit : « Il ne nous aime guère », entendez par là : «Je ne l’aime guère ». En effet, les chrétiens d’Occident ne pardonnent pas aux églises d’Orient de n’avoir pas épousé leur point de vue sur l’Islam. A travers l’Histoire, les églises d’Orient ont vécu, en général, en bonne intelligence avec l’Islam. Pour avoir une idée des relations des églises d’Orient avec l’Islam, nous donnons ci-dessous un extrait du livre : « instructions paternelles », du Patriarche Anthime, titulaire du siège de Jérusalem, Grec Orthodoxe, ce livre a été publié vers 1770 : « Le démon a suscité pour la perte des Saints une nouvelle hérésie, j’entends l’hérésie latine, d’où sont sortis, comme autant de rameaux, les Luthériens, les Calvinistes, les Evangélistes, et d’autres sectes sans nombre. Aussi, convient-il que nous, Chrétiens de prédilection, nous admirions la souveraine bonté du Dieu pour nous. Voyez quelles choses merveilleuses a préparé le Seigneur, infini dans sa miséricorde, comme dans sa sagesse, afin de conserver sans tache notre foi sainte et Orthodoxe. Il a suscité la puissante domination des Ottomans, à la place de l’Empire Romain, pour nous protéger contre l’hérésie, pour tenir en bride les nations de l’Occident et défendre son église d’Orient ».

 

Si les relations entre les églises d’Orient et l’Islam étaient telles, cela tient à ce que ces églises n’ont pas été noyautées. Un juif converti au Maronisme, par exemple, ne sera même pas curé à la montagne. Tandis qu’en Occident, Catholique ou Protestant, la mainmise a été efficace. Un juif converti à l’âge de dix-sept ans se trouve actuellement Archevêque de Paris. Il peut officier au-dessus du tombeau de Saint Louis. Un curé français, pas bête, après avoir baptisé un juif, a laissé cette expression: « Cela fait peut-être un chrétien de plus, mais certainement pas un juif de moins ». Ceci les églises d’Orient le savent et c’est pour cela que leur noyautage n’a pas été possible.

 

Mais revenons à. L Bertrand. Il se voulait disciple de Lavigerie et reprenait souvent dans ses écrits ce programme de son maître : « Nous devons faire de la terre algérienne le berceau d’une grande nation, généreuse, chrétienne, d’une autre France, en un mot fille et sœur de la nôtre ». Tout a été fait pour cela, mais, « ils font des calculs et Allah est le meilleur des calculateurs ».

 

Au cours de la guerre 1914-1948, les Musulmans avaient laissé un demi-million de morts sur les champs de bataille au service de la France. Comment en 1926 L. Bertrand leur rendit-il hommage ? Voici ce qu’il en dit : « Le pire c’est que nous n’avons pas pu nous défendre tout seuls. Nous avons fait appel au Barbare. De l’Inde jusqu’au Maroc et jusqu’au Soudan, des noirs et des jaunes sont venus renforcer nos effectifs, endosser nos uniformes et empoigner nos fusils. Or, la plupart de ces soldats de fortune étaient des musulmans. Ainsi, nous avons armé l’Islam et sans le savoir, nous l’avons armé contre nous ». Oui ! Les cinq cents mille morts pour sauver la France, Monsieur Bertrand les haïssait. Il ne s’est pas trouvé un écrivain, un homme politique, un officier, un ancien combattant français pour s’élever contre cette ingratitude envers ceux qui sont morts pour eux.

 

L. Bertrand n’était pas un petit écrivain. De son temps, il était l’un des plus lus en France. Son idée d’une Afrique latino-chrétienne était adoptée avec plus ou moins de passion, par toute l’intelligence française.

 

Bien après sa mort, en 1940, il continuera à marquer la mentalité française jusqu’à Camus ou l’O.A.S. L’amour que portait Camus au village de Tipaza n’était pas fortuit. A l’est comme à l’ouest d’Alger, il y a des dizaines de localités au bord de la mer. Nombre d’entre elles sont plus belles et plus agréables que Tipaza. Mais Tipaza avait ceci de particulier, c’est que des vestiges romains existaient encore en ville, qu’elle avait un petit port d’époque et qu’aucun arabe n’y habitait. Pour lui, vivre à Tipaza c’était vivre en Maurétanie Césarienne et prendre un bain de latinité. Le rêve ! Que l’on ne s’imagine pas que les thèses de Bertrand lui soient personnelles. De l’extrême droite à l’extrême gauche, sur ce qui concerne les Arabes, les Français étaient d’accord sur le fond. Voici une résolution votée par le Congrès socialiste en 1902 : « la mesure la plus urgente est d’obliger tous les indigènes à ne parler que la langue française, y compris dans le culte musulman, d’interdire la parution de livres, journaux et affiches en arabe, de fermer les écoles religieuses islamiques et en matière d’instruction, de n’envisager qu’un enseignement absolument professionnel, et non l’instruction supérieure, qui ne peut qu’être nuisible pour l’indigène ». On pouvait lire dans le journal « La lutte sociale », organe du Parti communiste français en Algérie, du 7 Mai 1921, le passage suivant : « Les Indigènes de l’Afrique du Nord sont composés en majeure partie d’Arabes réfractaires à l’évolution, sociale, intellectuelle et morale ». Dans le « Cheminot Algérien », organe du syndicat CGTU, c’est-à-dire communiste du 1er Avril 1928, on trouve ce passage : « l’indigène est un ingrat ; il est fourbe, sournois, sale, voleur, lui faire du bien, c’est donner de la confiture à un cochon ; lui faire du mal, c’est lui apprendre à se soumettre et à se civiliser. Comme on le voit, l’attitude de la gauche était plus haineuse que celle de la droite. Nous avons cité Louis Bertrand comme exemple. Quand il s’agissait de l’Islam ou des Arabes, presque tous les écrivains de l’Occident et surtout les Français, n’avaient que de la haine. Dès son enfance, le français à l’école, était conditionné. Les premières leçons d’histoire, lui apprendront que « Charles Martel à Poitiers, a sauvé l’Europe de la barbarie musulmane ». Puis plus tard, en histoire comme en géographie, on lui parlera de « L’Empire français ». Si bien que chaque petit Français se sent un peu empereur, et se gonfle d’orgueil. Il ne manque pourtant pas d’esprits éclairés en Occident. Il leur arrive de s’élever contre cette mentalité, mais c’est toujours individuellement, comme pour avoir la conscience tranquille. Et pourtant, nous ne disons pas une entente, mais simplement une compréhension, une estime réciproque entre les Musulmans et les Occidentaux seraient bénéfiques aux deux et à l’humanité.

 

Jusqu’à ce jour, il n’y a pas eu un dialogue, mais des soliloques sans suite. Les quelques rencontres rassemblaient des chrétiens, qui souvent n’avaient rien de chrétien et qui ne représentaient que leurs personnes, et des musulmans souvent à la solde d’un pays occidental, qui eux non plus, ne pouvaient absolument rien et devaient savoir où ne pas mettre les pieds.

 

Si Louis Bertrand et d’autres se sont chargés de conditionner l’Occidental, Louis Lammens se chargera des chrétiens d’Orient. Pendant quarante ans, cet homme, se disant prêtre, va se dépenser pour faire haïr le musulman par le chrétien et, en réaction de retour, le même phénomène se produira chez le musulman. Soutenu par l’administration française à Beyrouth, il se posera en chef incontesté de l’anti-Islam. Tout ce qu’il a écrit n’est qu’un tissu de mensonges. Certains s’imaginent qu’il était doué d’une grande érudition, avec tous les titres de livres qu’il donne en référence. Ces livres, il ne les a pas lus, mais on les a lus pour lui. Il ne se gêne pas pour traduire à sa manière afin que le texte confirme ce qu’il veut. Pour lui, s’il y a eu un semblant de civilisation musulmane, ce n’était pas l’œuvre de l’Islam, mais des Omeyyades. La tradition islamique? « L’une des plus grandes supercheries de l’Histoire ».

 

Le Messager d’Allah surnommé : « Al Amine ». « Un homme loyal du septième siècle, pourrait bien être pour nous un coquin ». Le changement de la qibla ? « Muhammad était sous l’influence d’une névrose, de crises hystériques. Son caractère nerveux, les tares héréditaires de sa famille, son enfance abandonnée, les privations qu’il avait subies, permettent de croire qu’il y avait en lui, des vices de constitution, un manque d’équilibre qui eut pour résultat le développement exagéré de certains sens, les plus grossiers ».

 

Les Médinois offrent un repas aux mouhajirines et égorgent deux moutons. Le Messager d’Allah, pour ne pas montrer une préférence à l’un des donateurs sur l’autre, goûte une bouchée de chaque épaule des moutons, Lammens part en guerre contre : « Ce prétendu ascète qui dévore deux épaules de moutons à lui seul ». « Puis dans un autre livre, il renchérit et dit : « Cet homme capable de dévorer à la file trois gigots de mouton et d’y joindre tout le contenu d’un couffin de dattes ». Il conclut parlant de la mort du Messager : « il revint à sa nature primitive, si profondément sensuelle. Epaissi, engourdi par les jouissances matérielles, guetté par l’apoplexie, ce Salomon au petit pied ne quittera plus son sérail et la cour de sa demeure qu’à de rares intervalles. Désireux de jouir, après tant d’années de lutte, il s’abandonna au courant... et se trouvait hors d’état de voir plus loin, l’abus des plaisirs ayant brisé tous les ressorts de son énergie ».

 

Ali ? L’auteur de Nahj el Balagh n’était, pour Lammens, « qu’un homme méprisé à cause de son physique désavantageux et de son esprit complètement borné ».

 

Omar ? « Ce n’était qu’un peureux, un assez pauvre soldat ».

 

Fatima ? « Un laideron disgracié par la nature, maigrelette, pleurarde, Inintelligente qu’aucun prétendant ne se présentait pour l’épouser et Mohamed l’a imposé à Ali, comme épouse, pour s’en débarrasser ».

 

Le deuxième rôle de Lammens était de fournir aux orientalistes de la « documentation » et une référence. Pendant un demi-siècle, ils vont l’utiliser, tous ou presque tous. C’est à. peine si quelques-uns d’entre eux sont allés à dire : « Il y a peut-être une exagération chez Lammens ». Mais le contredire ou le condamner, pas un. L’idée maîtresse de Lammens, il l’exprime par cette phrase, dans son livre « Le berceau de l’Islam » : « Pourquoi le Coran est-il venu brusquement interrompre la douce influence de l’Evangile sur les fils du désert ! »

 

Voyons maintenant ce qui se serait passé, si le Coran n’était pas « venu interrompre cette influence ». L’Arabie serait devenue chrétienne, et évidemment copte. Les Arabes de la presqu’île avaient de solides relations avec l’Ethiopie. Elle serait restée ce que reste ce dernier pays. L’humanité aurait aujourd’hui accumulé huit siècles de retard. A Byzance, on serait encore aujourd’hui à discuter du sexe des anges. A Rome, les Galilées seront condamnés et les Borgia seront toujours papes.

 

D’autres orientalistes ont écrit autant d’insanités que Lammens ; Goldziher, Snouck Hurgronge ou Margohouth, mais ce qui distingue Lammens, c’est qu’il était prêtre ; c’est que, ce qu’il publiait avait l’imprimatur du Vatican. Voilà ce qui est grave.

 

 

Les orientalistes

 

En France, les études d’arabe n’ont commencé qu’assez tard. Dans les autres pays d’Europe, elles ont commencé plus tard encore. Au début on étudiait le Coran à partir de traductions latines. Traductions toujours erronées. Tout a commencé vers la fin du XII siècle. Ceux qui s’intéressaient à ces études étaient peu nombreux. Ce fut surtout des religieux qui cherchaient à travers des « monstruosités » dans le livre des Musulmans, puisque pour eux, c’étaient « la religion du diable ».

 

La première traduction de l’arabe au latin est de Gérard de Crémone au 12e siècle. Puis ce fut le dominicain Albert le Grand qui « habillé en Arabe », explique la philosophie rationnelle à Paris. Le moine Michel Scot était à Tolède en 1217 et il fit, lui aussi des traductions. De même que le Franciscain Roger Bacon et le dominicain Raymond Lulle au 13e siècle.

 

Le concile généra1 des églises, tenu Vienne en1311, recommande la création d’institutions à Rome, Paris, Oxford et Salamanque, pour l’étude de l’hébreux, de l’arabe et du chaldéen. Cette recommandation n’aura pas de suite puis parut la traduction latine du Coran par Pierre le Vénérable de Cluny. Evidemment, cette traduction, avec commentaire, s’il vous plait, n’avait, rien à voir avec le Coran.

 

En 1530, François 1er fonde le co1lège de France avec une chaire de grec et une chaire d’hébreu. Comme on le voit, il n’était pas encore question d’arabe ; On n’étudiait, à l’époque, que ce qui pouvait avoir des rapports avec le christianisme. Cinquante ans plus tard, Henri 3 crée une chaire d’arabe an collège de France. Quatre-vingt-deux ans après, c’est à dire en 1689, on s’aperçut que cette chaire n’avait donné aucun résultat, et on décida d’envoyer plutôt six jeunes gens faire des études en arabe chez les Capucins à Constantinople. Cinquante ans plus tard, on s’aperçut que les six étaient tous des Arméniens et qu’aucun d’eux n’était revenu. On décida alors d’envoyer non plus six, mais dix, tous de parents français.

 

En 1797 est fondé 1’Ecole Spéciale des langues orientales vivantes. En 1800, Sylvestre de Saci en prend la direction. Dans cette école, l’importance première est accordée à, l’hébreu, non seulement parce que la directeur est juif, mais aussi, parce que les Juifs, après la révolution, tenaient le haut pavé en France, et les gens d’église tenaient à l’hébreu pour comprendre l’ancien testament. La deuxième langue on importance était le turc ; la plus grande partie du monde musulman, à l’époque, dépendait de Constantinople, et c’était dans cette ville que se traitaient les affaires concernant l’Islam. La troisième langue était le persan : les grands écrivains allemands avaient fait connaître la poésie persane, et dans le monde des lettres on ne jurait que par Saadi et Hafiz. La quatrième langue était l’arabe ; cette langue à l’époque, n’offrait aucun débouché à qui voulait l’apprendre.

 

L’école des langues orientales va ouvrir ses portes aux étrangers. C’est ainsi que les Allemands Fleicher, Weil, Kosegarter et Flugel, viendront s’y former, avec le bavarois Muller, le Suédois Torengerg, l’Italien Peyron, le Genevois Humbert et l’Espagnol Gayangos. Sur la demande du tsar, cette école enverra certains de ses élèves créés l’institut oriental de Saint Petersbourg. Elle créera aussi l’école hongroise d’orientalisme, à dominante juive, avec à leur tête Goldziher. Sylvestre de Saci avait donné un certain lustre à cette école. Après sa mort, en 1838, l’école périclita. Parmi les premiers élèves qui sortiront de cette école, nous trouvons Champollion, Chizi, Abel, Remusat, Saint Martin, Quatremère, Jaubert. Plus tard sortiront Reinaud, Caussin de Perceval, de Slane, Fresnel, Kazimirski, Bédillot, Langlois, Renan, Bresnier, Cherbonneau.

 

Revenons à 1796. Bonaparte débarque on Egypte. Il n’a pu emmener avec lui que neuf traducteurs, avec à leur tête Venture de Paradis, qui sera remplacé à, Sa mort à Akka, par Jaubert. On s’aperçut que sur les neuf interprètes qu’il avait emmenés avec lui, deux seulement étaient valables, Bonaparte décida d’en former sur place, avec des autochtones qui, eux connaissaient l’arabe. Il recruta pour cela dans le milieu juif et chrétien, ceux qui avaient fait plus ou moins des études de français. Il les intégra dans les unités de mamelouks. Plusieurs d’entre eux embarqueront avec l’armée française, lorsqu’elle quittera l’Egypte.

 

Lorsqu’en 1830 les Français décident d’attaquer Alger, ils ne pouvaient, on raflant les fonds de tiroirs, mettre à la disposition de leur armée que cinq traducteurs valables, dont un Syrien, le père Zaccar, et un Juif, ancien colonel de Mameluk, Jacob Habaibi, et dix-huit autres d’un niveau quelconque. Les dix-huit étaient composés de six Juifs, six anciens mameluks et six Français.

 

En 1832, sur les cinq valables, il ne restera en place qu’un seul, le père Zaccar. Les autres quitteront Alger, déçus de n’avoir pas trouvé ce dont ils rêvaient. Ils s’attendaient à vivre une vie de pacha, et ils se trouvèrent dans une situation toute autre. Dans Alger, même ils n’étaient pas on sécurité. Quant à s’éloigner de cinq kilomètres de la ville, il ne fallait pas y penser, à moins d’être deux mille et d’accepter le risque d’en laisser quelques-uns sur le tapis. Les attaques contre Alger, malheureusement non coordonnées, étaient continuelles. Souvent la ville n’était pas ravitaillée en frais et il fallait se rabattre sur le biscuit de guerre et les salaisons. Cela sans compter la haine et le mépris visibles sur les visages de presque tous les Musulmans. La peur régnait, et tous ceux qui pouvaient rentré en France le firent.

 

En 1833, faisant le bilan des moyens humains dont elle disposait, l’armée française s’aperçut qu’elle n’avait qu’un seul traducteur écrivant en français et en arabe, le père Zaccar. Il y avait vingt traducteurs qui ne savaient écrire que le français et un qui ne savait écrire que l’arabe. Il y avait un autre traducteur compétent, le Syrien Abdellah Al Hasbouni, mais il avait été nommé consul auprès de l’Emir Abd El Kader à Mascara.

 

Paris ne pouvant accéder en rien à la demande de son armée, l’autorisa à recruter comme bon lui semblait. Le recrutement se fit à travers toute la Méditerranée et même plus loin. Il ne se fit ni sur diplômes il n’y en avait pas, ni sur concours personne, n’était à même de le faire passer, mais sur simple recommandation d’une personnalité française. Alors convergea vers Alger tout aventurier sachant baragouiner un peu l’arabe et un peu de français. Sans compter que pour avoir la recommandation, il fallait avoir rendu des « services ».

 

D’Egypte viendront des anciens mameluks comme Pharaon et ses deux fils, Salippe, Makarius, Monty Vathan et Adellah. De Syrie, une dizaine : les deux frères Accar, les trois Roussemu, Bramemscha etc. De Grèce : Dimitry, Nazo, Nicfort. De Malte : They, Thuma, et Bogo. De Bulgarie : Mayer Joseph. De Cayenne : Urbain Ismael­Thomas. De Gibraltar : Abi Tebel, Levy Issao et El Bas Salomon. De Tanger : Sehousboré et Pinto. Du Liban : Chidiak Jean et Chihab Mahmoud. De Palestine : Payan, Julien et Gandolphe. De Tunis : Lombard, Aubin et Baranès. De Bavière : Federman. De Prusse : Goert. D’Italie : Bottari Canapas. De Sardaigne : Baxu. D’Angleterre : Seignette. De Grèce : Debonnemain et Calendini. De Chypre : Rey. D’Espagne : Balestro. D’Allemagne : Muller etc. D’Algérie on recrutera 21 Juifs : les trois frères Abucaya, Taboni, Daninos, Amar, Teboul, etc. De France, ne viendront que quatre dont un sera célèbre : Léon Roche. Plus tard d’Irlande viendra De Slane, qui sera suivi du Français Quatremère et d’autres qui n’ont pas fait parler d’eux.

 

En 1845, ils seront une centaine et c’est avec ce monde que va commencer l’étude de la langue arabe en France. Ils seront la base de départ de l’école orientaliste française.

 

A la même période se constituait en Algérie, à Sidi Bel Abbés exactement un nouveau corps d’armée qui prendra le nom de « Légion étrangère ». L’école orientaliste est la sœur jumelle de la Légion étrangère. Elles sont nées en même temps, sur le même sol, dans les mêmes conditions de recrutement, pour le besoin et avec le même patron, à savoir l’armée colonialiste française. Elles disparaîtront en même temps et pour la même cause : elles sont devenues inutiles avec l’indépendance des pays du Maghreb. Elles auront vécu dans la même atmosphère. Pour les militaires français, le légionnaire n’était « qu’un repris de justice, un évadé du bagne, un sans patrie ». Pour l’universitaire, les orientalistes, ne sont que les intellectuels du fourbi, du bakchich, du méchoui et de la fantasia. L’universitaire français ne fraternisera jamais avec les orientalistes

 

Jetons un coup d’œil sur cette centaine d’individus qui vont faire connaîtra, à partir de 1845, non seulement à la France, mais à toute l’Europe moins l’Angleterre, ce qu’est la langue arabe et ce qu’est l’Islam. Une trentaine sur les cent sont des juifs, une quarantaine viendront de vingt-deux pays différents et une trentaine sont français. Mais, très vite une vingtaine de français quitteront ce corps. Une dizaine va s’engager dans l’armée active et une dizaine donnera sa démission. (Ces derniers quitteront l’Algérie et l’orientalisme, dégoûtés par ce milieu. Parmi eux, (Gauthier et Bourcet, élèves de l’école des langues orientales, dans leur lettre de démission ne se gêneront pas pour dire : « qu’ils étaient dégouttés de se voir donner pour collègues des individus méprisables ». Ça ne devait pas sentir bien bon, pour que vingt jeunes sur trente, qui avaient abandonné leur pays pour une carrière, qui s’étaient expatriés, lâchent tout d’un coup.

 

Plus tard, cette équipe sera renforcée par les Baussier, Kazimirski, Cherbonneau, Fagnan et De Slane. Ils donneront un peu plus de niveau aux travaux les sortant du grossier et du vulgaire. Mais ils ne pourront changer la mentalité, car la souche sur laquelle ils vont se greffer, est de la plus sale espèce. Ce ne sera pas eux qui vont influencer cette école, c’est elle qui va déteindre sur eux et elle portera ses tares congénitales jusqu’à la fin.

 

En 1860, le système sera réorganisé et le travail réparti. Paris s’occupera de donner des rudiments d’arabe, de conditionner le futur orientaliste et surtout d’éliminer ceux qui, par leur manière de penser, ne seront pas aptes à fournir le travail que l’on attend d’eux. Paris s’occupera de la décantation et du tri, à Alger on se chargera, de faire les travaux pratiques. C’est là, loin de l’atmosphère parisienne avec ses idées de liberté, de justices et de droit, que l’orientaliste sera façonné. C’est dans un milieu dominé par le racisme, le passe-droit et le mépris de l’homme, qu’il donnera les fruits que l’on attend de lui. Chaque plante a besoin d’un climat spécial pour s’épanouir. De plus, en chargeant Alger du travail le plus gros, on déchargerait Paris des dépenses que cela occasionne, le contribuable français demande des comptes et pourrait tiquer, tandis que l’administration algérienne n’a de comptes à rendre à personne.

 

On recrutera, au compte-goutte, quelques « indigènes » au Maghreb. Souvent consciemment, rarement inconsciemment, ils serviront d’antennes au système et ils plaideront toujours, auprès des leurs, la supériorité de l’homme occidental sur le musulman. Leur champ d’action sera quelques intellectuels et les hommes de religion, les seuls, qui à l’époque, étaient jugés potentiellement dangereux.

 

A la fin du 19e siècle, l’Algérie et la Tunisie étant entièrement occupées, vint le tour du Maroc. C’est sur ce pays que va se porter le gros de l’effort. On créera « la mission scientifique au Maroc », avec sa revue : « La revue du monde musulman ». C’était l’apothéose des orientalistes. Pour eux l’Islam n’a pas cinquante ans à vivre. Le maraboutisme qui était un danger, ne l’est plus au contraire, il est devenu le meilleur atout entre les mains des colonialistes. Les anciens chefs de confrérie ou de zaouïa, qui étaient des hommes de valeur, seront morts et remplacés par leur progéniture, que l’on a pris soin de dévoyer. Jouisseurs et alcooliques, ils seront la docilité même avec l’administration. Tels fils de cheikhs de zaouïa dont le père quittait précipitamment le village pour ne pas voir un « roumi », lorsque la vigile lui en annonce l’arrivée, sera un pilier des bars d’Alger. Pour plus de sûreté on créera même de nouvelles confréries comme El Amaria. Le Chatelier, directeur de la « Revue du monde musulman », pourra écrire en juin 1914, dans une introduction sur Lammens, ce qui suit : « le père Lammens nous montre par son savant réquisitoire contre l’Islam, tout ce qu’on peut tirer de la méthode. Il reprend, dans la forme la plus moderne, l’ancienne lutte du christianisme absolu contre l’Islam condamné, l’adversaire touche des épaules. Aucun doute, la victoire de la vraie religion contre la fausse religion est complète ».. (Vraie religion, pour Le Chatelier c’est le christianisme). Comme on le voit, le directeur de cette revue est viscéralement antimusulman. Son bras droit, à l’époque était Massignon, membre du comité de rédaction de la revue.

 

Puis viendra la Première Guerre mondiale. Les musulmans, tous les musulmans du monde, vont être manipulés d’une façon telle que leur comportement sera la plus grande honte de leur histoire. Ils en subissent les séquelles jusqu’à ce jour. Les orientalistes allemands arriveront à mettre derrière leur pays une partie du monde musulman. Les orientalistes anglo-français mettront l’autre partie avec eux, et on assistera à une guerre où des musulmans tueront d’autres musulmans, ou se feront tuer, pour le bénéfice de ceux qui sont leurs ennemis. Les Musulmans y laisseront plus d’un million de morts, sans compter la perte de l’indépendance pour des pays qui étaient plus ou moins libres. Les Anglo-français auront gagné la guerre. Ils en profiteront pour se partager le territoire de l’Islam et pour l’amputer d’une partie au bénéfice des Juifs. Si les Allemands avaient gagné la guerre, ils auraient agi de la même manière envers le monde musulman. Encore, si les nôtres avaient agi comme mercenaires, même pas ! Le mercenaire exige de fortes sommes. Il joue sa vie contre de l’argent comptant. Les Musulmans se sont contentés de promesses, comme ai les Européens avaient une parole.

 

En 1920 commencent les années fastes pour l’Occident, surtout pour les Anglais et les Français. Tout ce qui valait la peine d’être conquis le sera. Pas une mouche ne peut se poser sans autorisation de l’un des deux pays. Le général Gouraud, pourra venir donner un coup de pied au tombeau de Salah Eddine Al Ayyoubi et s’exclamer : « Saladin nous voici ! ». La presse mondiale reprendra cette expression. Il n’y avait plus qu’à maintenir la situation telle qu’elle était. L’armée aura son rôle, les orientalistes le leur.

 

Mais, au Maghreb, dans le Rif marocain, ils auront à faire à un imprévu. Abdelkrim El Khattabi, le grand Abdel Karim, va leur faire passer des sueurs froides dans le dos pendant cinq ans. Il mettra l’armée espagnole on déroute. L’armée française viendra à la rescousse avec quatre cent mille hommes, sous les ordres du Maréchal Pétain. Les orientalistes seront appelés à apporter leur concours. Ils seront éparpillés à travers tout le monde musulman pour discréditer Abdel Karim on utilisant leurs « amis » et l’argent. C’est ainsi qu’aucune aide musulmane ne parviendra aux combattants du Rif. Même les produits des quêtes disparaîtront encours de route, sans laisser traces. L’intox et tous les moyens psychologiques seront utilisés par les orientalistes, avec à leur tête leur élève, devenu maître : Lyautey, pour décourager et démoraliser les tribus du Rif. Vaincu par deux grandes armées occidentales, fortes à elles deux de 800.000 hommes, AbdelKarim déposera les armes. Entre temps, il aura rendu à la jeunesse musulmane de l’époque l’espoir et au monde musulman une dignité.

 

Mais Allah ne veut pas « que les mécréants éteignent Sa lumière avec leur bouche ». La même année, 1928, celui qui là-bas, au fond du Nedj guerroyait et que l’on ne désignait que comme un chef de bande de bédouins, Abdelaziz Ibn Séoud, allait libérer le Hedjaz de l’impureté et rétablir la loi d’Allah à Mekka et Médina, au moment où elle n’allait plus être appliquée à Istanbul. Pour le priver de ressources, les Français interdiront le pèlerinage à leurs ressortissants musulmans pendant huit ans. Mais Allah, dans une situation identique ne nous avait-il pas dit « Si vous craignez une baisse de revenus, Allah vous enrichira ! » (Attawba 28).

 

Puis vint la Deuxième Guerre mondiale. Cette fois-ci, en général les Musulmans ne marcheront pas. Au Maroc et on Tunisie, le service militaire obligatoire n’existait pas. En Algérie, où il était obligatoire, les Français, sur le conseil « des spécialistes » ont préféré ne pas appeler les jeunes Algériens sous les drapeaux. On ne leur faisait pas confiance. La montée du nationalisme les a mis en garde. Dans les trois pays, on recruta sur engagement volontaire. Qui s’est engagé ? Celui qui voyait l’horizon bouché, celui que la misère et le chômage poussaient à bout. En s’engageant il était sûr d’être habillé, de recevoir régulièrement sa gamelle de soupe, en plus l’espoir qu’une fois la guerre terminée, il aura un emploi réservé de caïd, garde champêtre ou garde barrière. Il savait qu’il pouvait y laisser la vie, mais cette vie ne valait pas la peine d’être vécue. A la fin de la guerre, ils furent démobilisés, avec un coup de pied. Tu as servi, j’ai payé, nous sommes quittes. Rien n’est plus impudique que d’entendre certains d’entre eux dire : « nous avons aidé à libérer l’Europe du Nazisme ». Si tu sais libérer, libère-toi toi-même. Il est encore plus malheureux de lire dans des écrits, émanant de patriotes que « les anciens combattante de 1914-1918, avaient connu la liberté, le droit et la justice pendant leur séjour en France, ont contribué au réveil du nationalisme à leur retour ». Premièrement ils n’ont connu ni la liberté ni le droit, ni la justice ; ils n’ont connu que les lieux de débauche et l’alcool. Deuxièmement, ils ont été toute leur vie les laquais du colonialisme. Leur organisation, « Dar el ‘Askri » qui existait dans toutes les villes du Maghreb, était le nid du mouchardage et le plus efficace système de déculturation.

 

Portant sur des burnous ou des vestes étriquées leur décoration, ils étaient de toutes les manifestations colonialistes et ce jusqu’aux indépendances des trois pays.

 

En 1943, les « spécialistes » recommandent la déposition du Bey Moncef. Il avait une notion de la dignité et un amour de son peuple qui n’allaient pas avec la politique des colonialistes.

 

En 1954, les orientalistes feront le rassemblement de tout ce qu’ils avalent comme laquais dans le Maghreb arabe: chefs de confréries, chefs de tribus, fqihs en peau de lapin pour leur faire déposer Sa Majesté Mohamed V. Seul Massignon, ayant tiré leçon de la déposition de Son Altesse Moncef Bey, sera contre cette entreprise. Devenu vieux, il ne sera pas écouté. Il avait remarqué qu’après la déposition du Bey, le peuple tunisien était devenu plus combatif, mieux organisé et plus uni. Les quelques « intellectuels » sur qui comptaient les Français, se sont démonétisés d’eux-mêmes, et le peuple tunisien qui leur donnait auparavant une certaine considération, s’est mis à les mépriser. Massignon avait vu juste.

 

C’est ainsi que ce qui n’était, avant la déposition de Sa Majesté Mohamed V, que des ruisseaux, allait devenir un torrent qui emportera le système colonialiste. Ni les chefs de tribus, de confréries, ni les fqihs à la noix, ni l’armée colonialiste n’arriveront à l’endiguer.

 

Le 1er Novembre 1954, c’est le peuple algérien qui entreprend sa guerre de libération. Cette fois on fera appel, non seulement aux orientalistes, mais également aux ethnologues et aux sociologues. L’on verra reprendre du service les anciens « spécialistes des affaires musulmanes » de Tunisie comme du Maroc, sous la direction du général Parlange, ce grand criminel, qui partout où il passa, a laissé un charnier de femmes et d’enfants. On en découvre encore, et rien n’est aussi bouleversant que de tomber sur le squelette d’une femme serrant dans ses bras le squelette d’un enfant.

 

Les élèves de Massignon : Vincent Monteil, Germaine Tillon, Lucien Paye, les Servier etc. seront appelés à la rescousse. Ils formeront le brain-trust de Soustelle, gouverneur général de l’Algérie.

 

Le 20 Août, jour anniversaire de la déposition de Sa Majesté Mohamed V, Zirout Youcef avec les moujahidines du Nord constantinois, par une opération géniale, va mettre parterre tous leurs plans et tous leurs efforts. Il obligera les Français à se démasquer et Soustelle, chef de tous ce monde, à montrer son vrai visage au peuple algérien. Leur opium n’ayant pas servi, ils montreront le bâton. Zirout créera le point de non-retour. Oui ! Zirout le fils du peuple, réduira à, néant en une journée les plans et les stratagèmes de ces messieurs sortis des grandes écoles, spécialistes d’un tas de disciplines, aidés par des généraux qui une fois réunis totalisent la centaine d’étoiles.

 

Beaucoup de Musulmans se laissent prendre et accordent une sympathie à, des hommes qui ont pris des responsabilités dans le système colonialiste, et qui, à un moment démissionnent, parce qu’ils ne partagent plus l’opinion de leur gouvernement. Ces hommes ont été d’accord avec leur gouvernement sur le fond, c’est-à-dire le maintien de la domination de leurs pays sur le Maghreb. Ils ont démissionné à cause de la manière, car ils étaient conscients que c’est ainsi que la France allait perdre sa domination du Maghreb. S’ils condamnaient le bâton, ils préconisaient l’opium. Mais leur but était le même que celui du plus colonialiste des colonialistes, ils étaient en désaccord avec lui sur la manière, mais ils étaient d’accord sur le fond. Tietgen par exemple, qui était à la tête de la commission de sauvegarde des droits de l’homme en Algérie, a démissionné. Mais quand ? Non pas quand il savait que dix Algériens étaient morts sous la torture, non pas quand ils étaient cent ni mille, ni cinq mille, mais quand le chiffre est arrivé à sept mille et que le sept millième ne s’appelait pas Ahmed mais Maurice. Six-mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf cadavres d’Algériens n’ont pas fait bouger Monsieur Teitgen mais le sept millième n’étant plus un Ahmed, il s’est aperçu qu’il avait une conscience.

 

Il n’y a aucune différence entre le ministre de l’intérieur de l’époque, qui ordonne aux gendarmes de liquider les Moujahidines prisonniers, parce qu’ils risquent de s’évader et de rejoindre le maquis, le légionnaire qui loge une balle dans la tête d’un jeune de quinze ans, « pour ne pas l’avoir contre lui dans deux ans », ou le para qui courageusement plante son poignard dans le cœur d’une femme arabe ; « car elle ne peut enfanter que des fellaghas ». Pour tous l’Arabe n’est inoffensif que mort.

 

Créé pour le renseignement et la manipulation, l’orientalisme ne pouvait faire que cela. Il n’a pas été créé pour la culture. Les belles lettres n’étaient pas pour lui un but, mais un moyen pour s’introduire dans les milieux musulmans, pour y collecter le renseignement. Quel était le chef d’une armée colonialiste qui n’avait pas son orientaliste ? Lyautey, l’élève et le maître des orientalistes était leur idole. Il était pour « la pénétration pacifique », tout comme son élève Vincent Monteil, mais dans l’autre sens. Il a fait couler le moins de sang, nous dira-t-on, cela ne l’empêche pas d’avoir ravi au Maroc sa souveraineté

 

Avant de disparaître, la légion étrangère enfantera les parachutistes, et avant de disparaître, l’orientalisme aura donné naissance à la coopération et aux techniciens. Le regretté Docteur Khaldi, en 1963, en voyant débarquer dans les pays du Maghreb ce flot de conférenciers et de coopérants avait vu juste en écrivant : « les chaires d’orientalisme d’africanisme, de sinologie ou d’hindouisme, n’étaient que des laboratoires où s’élaborait la « pensée » qui devait servir à émietter, à désorienter, abêtir pour mieux domestiquer les peuples arabe, africain, chinois ou hindou ».

 

La libération des peuples d’Afrique et d’Asie, en reléguant aux oubliettes de l’histoire les spécialistes et leur alchimie, va faire apparaître toute une floraison de « techniciens ». « Plus loin, Khaldi nous décrit ce technicien qu’il surnommait « l’indigéniste », : « il n’est pas comme son prédécesseur l’orientaliste un homme de chaire ou de laboratoire. Il opère sur le terrain, parcourt le pays, donne des conférences, des interviews, des consultations. Il prend contact avec les dirigeants, peu importe qu’ils soient monarchistes, révolutionnaires ou autocrates, Il ne néglige surtout pas la base. Il a des relations et souvent des complicités dans le pays où il se rend. « Et il conclut : « nos propres problèmes doivent relever de nous-mêmes, et si nous n’y prenons garde, nous aurons bientôt la surprise de voir des prédicateurs d’un genre nouveau, jusque dans nos mosquées » ».

 

En effet, quand les trois pays du Maghreb devinrent indépendants, ils se trouvèrent face à un besoin de techniciens angoissant. Ce n’était pas le système colonialiste qui leur avait permis d’en former. Les trois pays donnèrent la priorité à l’enseignement. Si l’on pouvait, plus ou moins, se débrouiller pour le primaire, il n’en était pas de même pour le secondaire où les effectifs étaient très faibles, surtout que nombre de professeurs ont été utilisés dans les postes clef de l’administration. On se rabattit sur les pays arabes frères, et vite on s’aperçut qu’ils étaient loin de pouvoir satisfaire la demande en quantité et surtout en compétence. Ils passaient leur temps à faire l’éloge de leur pays respectifs et à déblatérer sur les autres. Ils sont arrivés à se rendre ridicules, même auprès de leurs élèves. Il est vrai qu’un petit nombre sauvera l’honneur et mit tout son cœur à l’ouvrage.

 

On se tourna vers la France, seul pays susceptible de fournir des enseignants compétents et en nombre. Il est à remarquer que les pays francophones, comme la Belgique, la Suisse, le Canada, se récusèrent. Il fallait laisser la chasse gardée à qui de droit, solidarité occidentale oblige.

 

Pour disposer d’un nombre suffisant d’enseignants, les Français décrétèrent que quiconque avait à faire son service militaire, pourrait le faire comme enseignant dans les anciennes colonies, s’il en avait la compétence. On créa, à Aix-en-Provence, un centre pour soi-disant familiariser les partants avec le pays d’accueil. Qu’on ne s’imagine pas que pendant le stage on va leur donner des consignes ! Dans les trois pays, il fallait envoyer des enseignants qui, inconsciemment dressent les jeunes contre le régime de leur pays, et par là affaibliront l’état Ceci nous éclaire sur toutes ces grèves et manifestations de lycéens, dans les trois pays, pendant une dizaine d’année, et qui cessèrent au fur et à mesure que les nationaux prirent on mains l’enseignement secondaire. Ces coopérants ont manipulé les élèves, souvent sans se rendre compte de ce qu’ils faisaient. Ils étaient jeunes et ne pouvaient pas s’apercevoir d’un tel machiavélisme. Signalons au lecteur, qu’à la tête du centre d’Aix-en-­Provence, était l’orientaliste Letourneau.

 

Dans le supérieur, la situation était autre. Il ne s’agit plus de jeunes qui ne pensent pas faire carrière dans l’enseignement. Là il s’agit de fonctionnaires sensibles à l’avancement et aux notes. Leur petit nombre permettait le choix et les consignes. Les consignes étaient de bloquer et décourager les valeurs et de favoriser, par les notes les plus incapables. Des trois pays, l’Algérie se trouvait la mieux dotée on enseignants nationaux du supérieur. En médecine, par exemple, au départ, elle disposait d’un corps de médecins compétents et dévoués, ils entreprirent leur travail, pour soigner comme pour former, d’une façon digne d’éloges. Il n’en fut pas de même en économie, par exemple, ou les coopérants furent longtemps maîtres du terrain. Ils firent un ravage, dont ce pays souffre encore. Ils dégouttèrent ceux qui avaient la clairvoyance, les obligèrent à changer de branche en les faisant redoubler, et ils complexèrent le reste. Si bien qu’aujourd’hui, lorsqu’un économiste avance une aberration on dit : « il ne faut pas lui en vouloir, il a été élève de Tiano ». Mais, heureusement la plupart se sont détianisés.

 

Il en est parmi les Arabes qui osent parler de « l’œuvre des orientalistes », faisant allusion aux livres arabes qu’ils ont publiés. Certains sont allés jusqu’à dire, qu’ils nous ont sauvé notre héritage culturel. Les orientalistes ne sont que les fusées éclairantes de l’artillerie colonialiste. Celui qui est éclairé par la fusée s’imagine recevoir de la lumière, pour bien se diriger, alors que c’est parce qu’il y a cette lumière qu’il recevra un obus sur le crâne. On leur jette des fleurs parce qu’ils ont utilisé l’imprimerie avant les Arabes pour sortir certains ouvrages de notre patrimoine. Ils nous ont devancé d’une vingtaine d’années, mais il est faux de dire qu’ils ont découvert tel ou tel auteur arabe ; ce qu’ils ont publié au milieu du 19e siècle n’était pas inconnu du monde arabe ils ont choisi, non dans le but de la culture, mais les ouvrages qui seraient utiles pour comprendre l’histoire et la mentalité des Musulmans afin de les mieux dominer. Ils ont travaillé pour eux-mêmes. En réalité, ils ne se sont intéressés qu’à ce qui les éclairait sur les défauts des Musulmans, et n’ont cherché à connaître que son côté faible. Jetons un coup d’œil sur ce qu’ils ont publié. Ils ont publié Ibn Khaldoun. Mais pas tout Ibn Khaldoun, uniquement la partie qui concerne l’histoire du Maghreb et la Muqaddima, où il décrit les mœurs des Arabes et des Berbères et surtout leurs défauts, selon lui, andalou aigri et déçu. Donc, en le publiant, De Slane ne publiait pas l’œuvre d’un écrivain, mais ce dont il a besoin. A-t-il fait découvrir Ibn Khaldoun aux Arabes ? Absolument pas. Quel était le bibliophile arabe qui n’en avait pas une copie ? De Slane s’en procura six pour son travail, pour comprendre la « Assabiya ». La « Assabiya », les Arabes ne l’étudiaient pas, ils la vivaient. On s’imagine qu’il a passé ses nuits à collationner les six manuscrits. Erreur ! Il y avait à l’époque au moins une centaine de Machaikh au Caire qui pouvaient lui faire correctement et rapidement ce travail pour l’équivalent de deux dollars les seize pages. Correction des épreuves en plus. Des spécialistes de ce genre sont encore nombreux. Si De Slane a traduit c’est autre chose, mais pour l’édition en arabe, il n’a été qu’un simple commanditaire. Voyons maintenant un ouvrage arabe publié par des orientalistes : «Nafh At-tib» d’El Maqarri. Ici nous pouvons dire qu’il s’agit d’une « œuvre » des orientalistes. Ils se sont mis à quatre : Dozy, Duat, Krehl et Wright, pendant six ans de 1855 à 1861 pour n’imprimer que deux tomes sur les quatre soit au total 1778 pages. Vous croyez qu’ils ont sorti une merveille ? Non ! Ils reconnaissent, eux-mêmes, cinq mille fautes dans cette édition. S’il n’y a pas de faute dans Ibn Khaldoun, le mérite revient aux Egyptiens. Très peu de temps après, l’imprimerie Al Amirya de Boullaq, sortait au Caire « Nafb At-tib » en entier et sans faute. Cette imprimerie est une institution qui fait honneur à ses fondateurs. A elle seule, elle a publié au moins cinquante fois plus d’ouvrages que tous les orientalistes réunis. Les tafcirs de Tabari, Kortoby, Arrazi etc…Les Lisan al ‘Arab, les Taj Al ‘Arouc, kitab Al Aghani, Ibn Khaldoun, mais en entier et d’autres et d’autres. Aujourd’hui encore des « éditeurs Libanais » font fortune en reproduisant ce que Al Amiriya a produit. Mais cette institution, qui a rendu le plus de service à la culture arabe jusqu’à ce jour n’est connue que de quelques professionnels, tandis que le premier venu européen baragouinant un peu l’arabe est célèbre chez nous. Nous sommes vraiment ingrats quand il s’agit des nôtres.

 

Il y a beaucoup de savants que l’on catalogue, injustement, comme orientalistes. Il faut faire la différence et ne pas commettre cette injustice. Les orientalistes sont ceux qui n’étudient le monde de l’Islam que pour mieux le faire dominer. Mais heureusement, il y a des savants qui ont étudié la civilisation musulmane dans un but scientifique. Il est très simple de reconnaître les uns des autres. Les orientalistes s’intéressent à la religion, à l’histoire, aux coutumes, c’est à dire uniquement ce qui peut servir à manipuler l’homme musulman. Les savants étudient la civilisation musulmane en tant que civilisation. Lorsque H. Saladin étudié l’architecture musulmane, il apporte en tant que savant sa contribution à l’étude de l’architecture.

 

Gustave Lebon n’était pas un orientaliste lorsqu’il a écrit «La civilisation des Arabes », c’est un savant multidisciplinaire, qui a traité cinq ou six sujets absolument différents, comme l’équitation, la psychologie, le nucléaire ou la photographie. Golvin a étudié les arts populaires du Maghreb. Il a rendu, grâce à ses publications, un immense service et a contribué à faire connaître une culture. Un seul homme a été capable de faire connaître le génie littéraire arabe, c’est l’Egyptien Mardrus. Si l’on mettait tout ce que les orientalistes ont traduit des lettres arabes devant la traduction des « Milles et une nuit » de Mardrus, elles paraîtraient bien pauvres. La traduction de Al Hallaj de Massignon serait une souris à côté d’un éléphant. Des hommes comme les professeurs Canard ou Pérès ont étudié la langue arabe par amour pour cette langue. Je ne cite que quelques exemples, pour que l’on ne généralise pas. A tous ceux qui ont été loyaux avec nous, nous apportons notre reconnaissance et notre estime, et comme disait si bien le Dr Khaldi: « Il y a celui qui avec nous est loyal, et il y a celui qui veut de nous le loyalisme ». (Longtemps les colonialistes avaient utilisé le mot « loyalisme » dans le sens de servilité).

 

Massignon

 

La France préparait l’invasion du Maroc. En 1904 les Français ne disposaient, comme carte de ce pays que de celle dressée en 1883 par Charles de Foucault, il leur fallait savoir si elle était exacte. Le jeune Massignon se changera en 1904 de ce contrôle. Il entra clandestinement au Maroc, « déguisé ». C’est lui qui le dit, mais il prétend que c’était pour vérifier sur place son travail sur les corporations marocaines. Mais alors pourquoi se déguiser ? En 1901 l’orientaliste Montet parcourt tout le Maroc sans avoir à se déguiser. Montet était un honnête savant.

 

Le 7 Février 1900, c’est à dire quatre ans auparavant, le professeur Auguste Molièras, titulaire de la chaire d’Arabe à Oran, « sans aucun appui officiel ou religieux », débarque à Tanger, se dirige vers Fez et ne quittera le Maroc que le 12 Mai 1900.

 

Parlant de Foucault Massignon nous dit : « lui déguisé, passait pour un espion, alors que se seule et dure passion scientifique était de remplir un vide dans la carte du Moyen-Atlas marocain ». Le colonel Lehureaux qui était directeur des territoires militaires au gouvernement général de l’Algérie, n’est pas de l’avis de Monsieur Massignon. Il nous dit dans son livre sur de Foucault : « méconnaissable sous le tarbouch et la djellaba israélite, l’ancien viveur commençait sa vie d’humiliation volontaire, insensible aux railleries comme aux injures. Charles de Foucault a rédigé sur cette mémorable exploration, un ouvrage de premier plan, document d’une valeur incomparable que l’on consulte encore de nos jours (1940) avec fruit et qui fut pendant longtemps le guide le plus précieux pour les chefs de nos troupes en opération au Maroc. Il jetait furtivement, sous l’écran de sa djellaba les notes, les chiffres, les distances, les côtes ».

 

Et plus loin Massignon se découvre, il dit : « A la vérification de mon itinéraire préparé à Paris, la supériorité éclatante des relevés de Charles de Foucault m’apparait ».

 

Tout s’éclaire : l’itinéraire, préparé à Paris, par les services spéciaux, Massignon pour la vérification. Au ministère de la Guerre, en France, on se demandait, s’il fallait compter sur la carte de Foucault. Cette carte paraissait si belle si précise qu’on n’y croyait pas. Quand on sait combien une erreur de carte peut être fatale à une armée, on comprendra pourquoi l’armée française tenait à en vérifier au moins une partie qui garantirait le reste. Et ce travail fut confié à Massignon.

 

A son retour, Massignon prend contact avec Foucault par l’entremise de Lyautey, par lettre, en 1906. En Novembre 1908, il rencontre Foucault à Paris, puis toujours à Paris, en Février 1911. Lors de cette rencontre Massignon propose à Foucault de le suivre au Hoggar pour travailler avec lui. Foucault lui conseille d’aller plutôt au Caire pour le même travail. C’est ce qu’il fait.

 

Que faisait Foucault au Hoggar? Il ne restait plus au Maghreb islamique qu’une seule organisation à lutter, les armes à la main, contre le colonialisme. C’était de Sanousiyyah. Elle ne cachait pas son but de libérer l’Algérie et la Tunisie de l’occupation française, en partant du Sahara. Elle organisait, en plus de sa lutte en Libye même des raids contre l’armée française dans les Oasis. Elle avait une stratégie : attirer le plus de forces françaises possible dans le Sahara, pays ou les hommes de la Sanousiyyah étaient comme un poisson dans l’eau. Les Français firent l’inverse. Ils dégarnirent la plupart des postes du Sahara. Foucault était au cœur du Hoggar et avait un courrier hebdomadaire avec le général Laperrine installé à mille kilomètres au Nord. Ce courrier lui apportait des vivres pour lui et pour ceux qu’il achetait de, l’argent et des directives. Le courrier repartait avec tous les renseignements que Foucault pouvait fournir grâce à son réseau d’indicateurs. Il se proposa de former une unité combattante en plein cœur du Sahara pour lutter contre les Senoussi. Un très important lot d’armes et de munitions lui fut acheminé. Il n’eut pas le temps de mettre son projet on exécution car les Senoussi eux aussi espionnaient. Apprenant arrivée des armes. Ils décidèrent de le liquider. C’est ce qu’ils firent le 1 Décembre 1916. Quand à ce « grand cœur » qu’était Foucault, selon certains milieux, laissons, ce partisan de la « Charité Chrétienne » parler : « Espérons que l’on pourra anéantir entièrement la troupe Senoussiste », écrivait-il : dans une lettre au Capitaine Duclos du 1 Septembre 1915, on réponse à des conseils que lui demandait le capitaine.

 

« Je suis entièrement de votre avis sur tous les points. Sur la nécessité absolue d’une répression sévère des crimes commis, (ici il s’agit des mêmes crimes que l’on attribue à tout peuple voulant se libérer ou se défendre ) des désertions, des dissidences, des passages à l’ennemi, sur la nécessité de l’expulsion des indésirables, espions et semeurs de troubles, sur la nécessité d’interdire tout rapport à nos sujets soumis avec les ennemis insoumis, dissidents etc., sur la nécessité de s’abstenir de négocier avec des indigènes ennemis, sauf au cas où ils viennent demander « l’aman » en faisant pleine soumission. Ne pas réprimer sévèrement, c’est enhardir les criminels et encourager les autres à les suivre, c’est perdre l’estime de tous, soumis et insoumis, qui dans cette conduite, ne voient les grandir infiniment et nous diminuer d’autant. Que le lecteur algérien ne s’imagine pas que je me suis trompé de fiche. Ce n’est pas Bigeard, c’est bien Foucault qui a écrit cela.

 

La Senoussia trouvait chez le peuple Algérien un grand appui, matériel et moral. Massignon, avait pour tâche de combattre cette confrérie en Egypte, tâche à laquelle il se consacrera deux ans comme « archéologue ». Il dit « qu’il a vécu au Caire deux ans en marge. Escapades violentes, déguisé an fellah, milieu de hors la loi, rage de comprendre et de conquérir l’Islam ».

 

Escapades violentes en milieu de hors la loi c’est ce qui explique l’assassinat de nombreux moqadams de la senoussya et l’attaque de caravanes d’armes. Il ne faut pas oublier que par accord tacite l’Egypte devait rester chasse gardée pour les Anglais. Et Massignon ne pouvait pas agir librement.

 

Ouvrons une parenthèse pour expliquer au lecteur ce qu’étaient Foucault, Massignon et d’autres. Il y eut an France, après la défaite de 1871, une génération de Français qui ne pensaient qu’à la revanche

 

Ils s’y préparèrent, par l’agression et la mainmise sur une grande partie du monde, qui devînt leur empire colonial. Source de matières premières et de chair à canon. Sur les 400.000 algériens mobilisés à la première Guerre mondiale, 250.000 y laissèrent leur peau pour et contre le roi de Prusse elles ces mêmes chiffres sont valables pour les Sénégalais, les lndo-chinois et d’autres. Ils créèrent une puissante industrie de guerre. Cette génération de l’après défaite de 1871 s’était groupé autour de Drumond qui avait pour collaboration le plus intime, le jeune marquis de Morès. Morès était l’ami intime de Foucault. Tout ce monde se disait Chrétien. Mais ils mettaient la France au-dessus du christianisme. Pour eux, c’est au christianisme de servir la France. Drumond accusait constamment les Juifs de trahir la France et pour lui marquer sa réprobation, le pape Léon 13 posa, insigne honneur, en personne, pour le peintre Juif Dreyfus Gonzalès, dont le tableau fut exposé au salon de 1905, c’est-à-dire qu’entre les Français et l’Eglise les rapports n’étaient pas toujours au beau fixe.

 

Quant à Morès, lui, après qu’un piège lui a été monté, piège dans lequel Drumond s’est laissé prendre, une affaire de dette d’honneur, il constitue une petite troupe pour combattre les Senoussi. Il sera tué du côté de Ghadamès en 1896. Chenet Maurras prendra la suite de Drumond avec comme devise « la France d’abord » malgré son attachement à l’Eglise et ses positions bien moins anti-juif que Drumond, il sera excommunié an 1926, car il reprochait à l’Eglise de ne pas assez soutenir la France. Toute l’élite française a été plus ou moins maurrassiène, Pétain comme de Gaulle, c’est à ce monde qu’appartenait Massignon. Il le dit lui-même : « depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort, ce qu’il aurait aimé être, c’est de Foucault ». « Pour tous chrétiens oui, mais français avant ». La seule allusion que fit Massignon sur la guerre colonialiste que menait son pays au peuple algérien, a été une prière en 1956.

 

A qui s’adresse cette prière? Les Chrétiens l’adressent dans ce cas à celle qui représente la douceur et la bonté à la Sainte Vierge.

Et bien non, monsieur Massignon l’adresse à Jeanne d’Arc. De Gaulle aussi lorsqu’il fait allusion au christianisme ne parle que de St-Louis ou de Jeanne d’Arc. On reste entre soi.

 

Comment de Foucault a-t-il pu capter la confiance de certains Sahariens ? N’avait remarqué que les musulmans ont beaucoup de respect pour l’ascète. Eh bien, lui le noceur, deviendra un anachorète. Il vivait plus pauvrement que ceux qui l’entouraient et se privait pour leur donner. Pour toutes ces innocentes âmes, un homme qui vit près de la misère et qui distribue des richesses ne peut être qu’un saint ; et bientôt, Allah pour le récompenser, ouvrira son cœur à l’Islam. Mais de Foucault ne se sacrifiait pas pour Dieu. Il se sacrifiait pour sa patrie.

 

Massignon n’avait pas le courage de Foucault. Il utilisera l’hypocrisie. Tous les Occidentaux sont frappés par l’importance que le Musulman en général et l’Arabe en particulier, accordent à l’hôte « Dief Allah ». Si tu viens à nous O notre hôte. Il décida de se servir de ce noble caractère des Arabes.

 

Dans les premières années du vingtième siècle, c’était la course entre Anglais et Français pour les gisements de pétrole, avec les coups bas, les assassinats, les révoltes etc., les Français connaissaient la Syrie, la Palestine, mais n’avaient pas de renseignements sur l’Irak. En 1907, ils chargèrent Massignon d’une prospection dans ce pays. Il se met en contact avec une noble famille arabe d’Irak, les Mussé, leur demandant de le renseigner sur Al-Hallaj et il termine sa lettre comme suit : « depuis un certain temps, je me suis engagé dans la crainte de Dieu, dans le respect de ses prescriptions dans la différenciation entre ce qui est permis et ce qui est interdit. Mon intention est d’être sincère envers Dieu dans tout ce que je fais ». « Je me suis appliqué dans mes prières, espérant en Son pardon immense et Sa bonté » etc. Le pauvre devant Allah son serviteur Muhammad Massignon. En écrivant ceci en arabe, Massignon. Il est resté chrétien. En se prénommant Muhammad, il est resté chrétien.

 

Mais, les Alussi ne pouvaient s’imaginer qu’un homme qui s’intéresse aux soufis et qui écrit de la sorte soit un hypocrite. Leur noblesse les empêche de croire que l’hypocrisie soit à ce stade. Pour eux Massignon est à un doigt de l’Islamisation et il faut l’y aider. Il a besoin sans doute de quelques éclaircissements et ils comptent les lui donner. N’oublions pas que l’Islamisation de Chidiaq avait fait grand bruit et qu’elle était encore dans les esprits. Il demande aux Alussi de l’accepter comme « hôte de Dieu ». Ils le lui accordent. Il s’embarque de Marseille en direction de Basra. Il s’installe à Bagdad et se déguise, selon lui, « en vague costume d’officier turc an permission et chevauche au désert entre Kerbela et Nagaf ».

 

Remarquons ce besoin de se déguiser. Au Maroc, en Egypte, en Irak, et c’est lui qui le dit. Le gouvernement turc d’abord n’avait jamais refusé l’entrés des territoires sous son pouvoir à un savant. Au contraire. Nous disposons de dizaines de relations de voyages que des savants de toutes disciplines ont effectués dans ces territoires. Seulement les « agents » savent que lorsqu’ils entrent officiellement pour un travail donné, un ou plusieurs des employée que l’on recrute, est un policier qui devient cuisinier ou terrassier.

 

Massignon avait deux missions, la première était de savoir s’il y avait un moyen de jeter une communauté contre une autre, comme au Liban an 1864 ; et là, somme par hasard, la marine française serait sur les lieux pour « éviter un massacre ». La seconde était de savoir si cette région pouvait être une région pétrolière. On savait que tout le Moyen Orient regorgeait de pétrole mais où ? Ce n’était pas là qu’il fallait chercher le pétrole, monsieur Massignon, mais plus au Nord, du côté de Mossoul. Seulement, s’il avait trop chevauché de ce côté il aurait subi le sort que subira le géologue Kilian, son compatriote, qui, lui, chevauchait trop du côté de Hassi Messaoud et Hassi Rmel. Lui aussi déguisé an bédouin. L’équipe du Major Bodley était là elle aussi. Kilman s’est trouvé « suicidé » dans sa chambre d’hôtel an Suisse. Massignon fut arrêté par les autorités turques et accusé d’espionnage. Les Alussi firent tout ce qu’ils purent pour lui éviter la potence. N’était le prestige de cette famille auprès du pouvoir turc et l’estime où il la tenait, ses membres auraient été accusés de complicité et auraient passé de mauvais moments. Ayant accepté Massignon comme hôte, ils se devaient de le sauver. C’est la toute la différence entre l’Occidental et l’Arabe. Pour l’Arabe, être reçu comme hôte implique des devoirs et le premier devoir est la loyauté. Pour nombre d’Occidentaux être l’hôte, c’est profiter.

 

Massignon devient membre du comité de rédaction de la « Revue du monde Musulman » avec Le Chatelier comme patron. Il considérera Le Chatelier comme un vrai « maure » et il finira par le remplacer à la tête de la revue.

 

Qui est Le Chatelier ? Le lecteur va le connaître par ses écrits. Faisant une introduction à une étude de L. Bouvat, sur l’œuvre de L. Lammens, dans la Revue du monde Musulman de Juin 1914, il écrit : « le P. Lammens ne pouvait se tromper. Il a appliqué à l’Islam, les règles critiques de l’histoire des religions. Il reprend, dans la forme la plus moderne, l’ancienne lutte du christianisme absolu montre le Mohamétisme condamné. L’adversaire touche des épaules. Le débat est seulement de savoir si l’Islam sort du ring bien ou mal en point, sous la lumière crue qui dissipe l’obscurité. Aucun doute la victoire de la vraie religion, contre la fausse religion est complète. Le P. Lammens, nous montre par son savant réquisitoire contre l’Islam tout ce qu’on peut tirer de la méthode.

 

A ce moment, Massignon était l’un des sept membres du comité de la revue, et tout ce qui se publie dans une revue à l’agrément du comité de rédaction.

 

Pendant la Première Guerre mondiale, nous retrouvons Massignon, comme capitaine, commandant le 2e bureau du général Brémond, chef de corps expéditionnaire français au Levant. Dans ses notes, il dit qu’il était dans l’état-major, sans plus. Mais une photo où il figure avec le général le désigne bien comme étant le chef du 2e bureau. Il nous dit sur cette période : « or j’ai bien connu Lawrence, nous avons été nommés tous deux, à égalité officiers adjoints de l’Emir Fayçal. Il est mort dégouté d’avoir été délégué chez les Arabes révoltés pour nous en servir, puis les lâcher » il y a là toute la différence entre les deux hommes. Lawrence, aventurier d’envergure dont s’est servi l’intelligence service, et Massignon, homme de métier. Pour Lawrence, même les gangsters ont une loi et la respectent. Lawrence était outré du non-respect de la « parole donnée ». Pour Massignon « la fin justifie les moyens ». La mission est accomplie : un pays qui était sous pouvoir islamique est passé sous pouvoir chrétien Franco-anglais. Il n’y a que cela qui compte. En 1920 Massignon devient le grand conseiller du gouvernement français pour les affaires musulmanes. Il est en même temps le grand patron de l’enseignement de l’arabe dans « la France et ses colonies ». Il créera un véritable réseau à travers le monde musulman et surtout arabe, sous couvert d’instituts. Et en utilisant ce qu’il appelle ses élèves.

 

Il a créé une méthode diabolique. Pour obtenir un diplôme d’arabe, le candidat doit devenir, « comme un mort entre les mains de son laveur ». Première obligation : correspondre personnellement avec Massignon. Dans la correspondance se glissent quelques questions pour lesquelles la réponse doit être un véritable mouchardage. Il lui faut compromettre le candidat. Les questions ? Comme celle-ci : « je me suis laisser dire que un tel était en mauvais termes avec un tel, mais je ne fais confiance qu’à vous pour éclairer ma lanterne, car j’ai beaucoup d’estime pour les deux et leur discorde me fait de la peine ». Si le candidat ne répond pas comme un vulgaire mouchard, il pourra toujours courir pour être agrégé ou docteur.

La deuxième condition est de n’avoir aucun rapport avec les mouvements nationalistes. Prenez par exemple la centaine de noms d’universitaires nationalistes, tunisiens, algériens et marocaine, vous y trouverez des avocats, des médecins, des pharmaciens, des ingénieurs, mais pas un agrégé d’arabe. Les arabisants des mouvements patriotiques sortent de la Zitouna, d’El Qaraouiyine, ou ont été formés par l’Association des Ulamas d’Algérie. Mon frère Abdelkader me disait que « l’agrégation d’arabe n’est accordée aux indigènes par l’administration française que comme la médaille militaire aux tirailleurs, pour bons et loyaux services ».

 

Il ne faut pas confondre enseignants d’arabe et élèves des orientalistes. Nous avons eu de nombreux enseignants d’arabe qui ne devaient rien aux orientalistes, tout en étant fonctionnaires de l’administration française. Certains d’entre eux ont fait pour la langue arabe et pour l’Islam un travail qui les honore. En général, ils ont fait leurs études sur place ou dans certaines Zaouia ou Médersas, comme le Cheikh Ibnou Zekri, qui a été un élève de Mazouna, cette école qui nous a donné tant de valeurs sous l’occupation française. Les Français ont voulu exploiter sa vaste culture et sa puissante personnalité et l’utiliser en le présentant à l’étranger comme un prototype de leur formation. Ils le nommèrent directeur du lycée franco-musulman. L’immense majorité des élèves de ce lycée participera plus tard, d’une façon active à la lutte de libération, soit en jounoud de l’armée de libération, soit en prenant des responsabilités dans l’organisation politique. Voici ce qui s’était passé bien avant. Le Cheikh Ibnou Zekri, accompagné du Cheikh El Mecheri Aouissi eut une réunion secrète avec le Cheikh Bachir Ihrahimi et Ferhat Eddarradji an domicile de mon frère Abdelkader, rue Zaatcha. La rencontre de deux patriotes de cette envergure a évidemment débouché sur un accord : « que chacun travaille de son côté à l’objectif commun ».

 

Cette parenthèse étant fermée, allons retrouver Massignon comme conseiller de tous les gouvernements qui se sont succédés an France, Massignon donnait les directives à suivre envers tel ou tel personne ou mouvement. Il recommandait la tracasserie administrative. Ainsi Hamouda Banseï qui le dénonçait, n’a pu entrer en possession de l’héritage de son père qu’au bout de trente ans et parce que l’Algérie était devenue indépendante.

 

Voyant que les Musulmans étaient fiers de la qualité des Européens qui embrassaient l’Islam, alors que seuls les gosses mourant de faim se faisaient chrétiens, il résolu de frapper un grand coup. Il se fit dresser une liste des fils de grandes familles de Fez. Il fit étudier leurs caractères et il choisit le plus faible de caractère. Il finit par se faire recevoir par cette famille, par recevoir le fils en France. Il organisa son siège et le fils capitula. Sa famille et le monde apprirent qu’il est devenu prêtre. Ce ne fut ni un gain pour le christianisme ni une perte pour l’Islam. Mais lorsqu’on connaît l’attachement des belles familles marocaines à tout ce qui fait leur personnalité islamique, on comprendra le choc que cela fit dans ce milieu. Ce prêtre écrivit un livre, où il remarquait que les Musulmans ne peuvent s’élever, car ils ne connaissent même pas la chaise, ils s’asseyent par terre. C’était avant que l’Occident ne découvre le Yoga, qui a prouvé que la meilleure façon de se concentrer c’était de s’asseoir comme les Musulmans.

 

La deuxième opération réalises par Massignon est l’affaire El-Ogbi.

 

L’association des Ulamas musulmans algériens était la seule organisation, avant la Deuxième guerre mondiale que craignait l’administration, Son président fondateur Cheikh Abdelhamid Ben Badis, dirigeait le revue « Achihab » dont la devise était : « L’Islam est ma religion, l’Arabe ma langue, l’Algérie ma patrie ». C’est clair, c’est net. On savait que l’on ne pouvait pas ébranler Ben-Badis directement. On choisit de le tourner par le biais de son père Si Mustapha. Contrairement à ce que dit Zorkali dans Al A’lam, ni le père, ni le frère de Ben-Badis n’ont coupé avec lui. C’est grâce à l’apport financier de sa famille que Ben-Badis pouvait donner le pain à ses étudiants. Zorkali a été mal renseigné. Si Mustapha avait fait des emprunts à la banque d’Algérie et malheureusement il y eut deux mauvaises récoltes de suite.

 

Millot, directeur des Affaires indigènes, un protégé de Massignon, convoqua le père, le fils Ben-Badis et quatre personnalités arabes. Il mit devant eux le Cheikh Abdelhamid en demeure de démissionner de la présidence de l’Association des Ulamas, sinon il lui prouva, pièces on mains, qu’il pouvait ruiner son père. Four toute réponse, Cheikh Ben-Badis répéta la parole de notre Prophète Muhammad (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) aux Qoréïchites : « si tu mets la lune dans ma main gauche et le soleil dans ma main droite...». Le Khalifa Djelloul Ben Lakhdar, qui était l’un des quatre à assister à cette réunion, a été bouleversé par cette réponse. En sortant, il dit à ses trois compagnons : « prenez garde a cet homme, c’est un wali Allah ; quiconque touchera a un de ses cheveux ou dira du mal de lui, qu’il se prépare à l’enfer ».

 

On visa alors Cheikh El Ogbi, qui était le plus célèbre des Ulamas après Ben-Badis, d’autant que son activité était à Alger. On pouvait voir des anciens truands avoir les larmes aux yeux pendant le prêche de Cheikh El Ogbi. En 1035, le front populaire arrive au pouvoir on France. Dans son programme, il se faisait fort d’appliquer une nouvelle politique en Algérie et de répondre à bon nombre de revendications, entre autres, la restitution des biens Habous à un organisme musulman. Ces biens, qui représentaient des centaines de milliers d’hectares, étaient détenus sans titres par la grosse colonisation. Le temps ayant fait son œuvre, peu de personnes pouvaient en donner la liste. Mais il était notoire que l’Imam Bendali, surnommé Kahoul, les connaissait bien, Le scénario fut simple : supprimer Bendali et rejeter le crime sur El-Ogbi

 

C’est ainsi que Bendali a été assassiné et El-Ogbi accusé d’être l’instigateur sur les aveux d’un pauvre bougre, qui, en réalité n’avait pas assassiné Bandali ; car le véritable assassin était un Espagnol sorti de prison pour la cause. Massignon contacta El-Ogbi an prison, et lui promit de le sauver, à condition que plus tard il se retire de l’Association des Ulamas. El-Ogbi, complètement désarçonné accepta le marché. Il fut acquitté. Il se retira de l’Association petit à petit, et jamais il ne prononça un mot contre ses anciens compagnons. El-Ogbi a plié sous le fardeau, il le déposa. Le soi-disant assassin de Bendali expira quelque temps après an prison. Tout ce scénario a été monté par Massignon. Depuis cette affaire, dans ses écrits, le Cheikh Ben-Badis ne le nommait plus que « l’ennemi astucieux ».

 

En 1939, il n’y avait que deux puissances qui se croyaient assez fortes à elles deux pour diriger le monde, la France et l’Angleterre. Pour le monde arabe, la Palestine posait déjà un problème. Au cours d’une Conférence directives prononcée devant les responsables de la politique musulmane française, juste avant la guerre, Massignon leur fait remarquer : « l’importance des Lieux Saints de la Palestine, où on le voit, la revendication musulmane s’affronter avec les droits d’Israel et la volonté chrétienne ». Devant un pareil aérophage, un responsable comme Massignon calcule ses mots. Pour les Musulmans, il s’agit de revendications, que l’on peut accorder ou pas. Pour Israel, ce n’est pas le droit mais les droits. Quant à la volonté chrétienne, en l’occurrence, la France et l’Angleterre, s’est leur volonté qui décidera. Mais d’avance, il annonce, la couleur, pour ce qui est des Musulmans, il ne s’agit que de revendications, pour Israel, des droits. Si avec cela, on ne comprend pas. Puis ce fut la guerre, la débâcle française, Massignon parcourra le monde musulman, dans l’espoir de faire quelque chose. Echec total. Le monde avait les yeux sur l’Allemagne, la Russie et l’Amérique.

 

A la fin de la guerre, il reprend du service, mais le temps où il suffisait à la France d’appuyer sur un bouton pour élever ou abaisser n’est plus. En avril 1952 le Cheikh Bachir El Ibrahimi, président de l’Association des Ulamas après la mort de Ben Badis, lui consacre deux articles dans le journal de l’Association El Bassaïr, articles comme il était le seul à savoir on écrire.

 

Toute sa vie, après 1920, Massignon était irrité de s’entendre surnommer le « petit Lawrence », ou le « Lawrence français ». Il aurait voulu crier, hurler : « j’ai risqué plus que Lawrence ». Mais la continuité de son travail lui interdisait de le faire. Il était viscéralement jaloux de la publicité dont bénéficiait son compère anglais. De plus, Lawrence, lors de leurs rencontres, devait lui montrer un peu de mépris, comme le font les Anglais lorsqu’ils sont on position de force face aux français. Mais Massignon tenait à ce que l’on sache que lui aussi a couru des risques, qu’il s’est mêlé à des milieux interlopes, qu’il a roulé les Arabes, qu’il a vécu une aventure. Il laissera à son élève, Vincent Monteil, un ouvrage à publier à sa mort. L’ouvrage l’a été sous le titre « Parole donnée ». Nous connaissons la vie de Massignon avant la publication de cet ouvrage, mais il nous manquait des preuves écrites sur ses agissements. Massignon vient de nous les donner sous forme d’aveux.



[1] Editions Enal 1990.