Wadi al-Makhzan

 

Sébastian poursuivit sa marche dans le pays aride au Sud-est de ‘Assilah sous l’intense chaleur de l’été qui réduisit le moral et la force des croisés et arriva au Wadi al-Makhzan ou il trouva le pont du fleuve gardé par la cavalerie de ‘Abdel Malik. Le roi portugais refusa de lutter pour le pont et suivit le fleuve en aval vers une section peu profonde, ou il traversa le fleuve à gué et campa avec ses forces sur la plaine entre les rivières de Wadi Warour et de Wadi Makhzan à environ 12 kilomètres de Qasr al-Kabir.

 

« Cette armée », rapporte, Muhammad as-Saghir Ibn al-Hajj Muhammad Ibn ‘AbdAllah al-Ifrani al-Marakkashi dans son livre « nouzhat al-hadi bi-akhbar moulouk al-qarn al-hadi », « traînait avec elle deux-cents canons, avait tout d’abord commencé par saccager le littoral. Les habitants avisèrent de cette situation le sultan ‘Abdel Malik, qui était alors à Marrakech, et, se plaignirent vivement des cruautés exercées par l’ennemi.

‘Abdel Malik écrivit aussitôt de Marrakech au monarque chrétien : « Vous avez déjà, lui dit-il, fait preuve de courage en quittant votre pays et en traversant la mer pour venir dans cette contrée. Si maintenant vous demeurez en place jusqu’à ce que je me porte à votre rencontre, c'est que vous êtes un vrai chrétien et un brave, sinon vous n’êtes qu’un chien, fils de chien ».

Quand il eut reçu cette lettre, le roi portugais très irrité consulta son entourage et leur demanda :

- « Faut-il demeurer ici en attendant que nos compagnons d’arme nous ait rejoints ? »

- « Mon avis », dit Muhammad Ibn ‘AbdAllah, « est que nous marchions en avant et que nous nous emparions de Tétouan, d’al-Qasr et de Larache. Les approvisionnements de ces villes et leurs trésors que nous amasserons viendront ainsi accroître nos forces ». Toute l’assistance approuva ce conseil, excepté le monarque qui ne goûta point cet avis.

 

‘Abdel Malik qui avait écrit à son frère Ahmad lui enjoignant de quitter Fès et la banlieue de cette ville pour se mettre à la tête de ses troupes et se préparer à la lutte, avait adressé ensuite au roi chrétien les mots suivants : « Je vais faire seize journées de marche afin de me porter à votre rencontre, ne ferez-vous pas une seule journée de marche pour venir vers moi ? » L’ennemi qui était alors à un endroit appelé Tahaddart se mit aussitôt en marche et vint camper sur les bords de l’Oued al-Makhzin[1], à peu de distance du château de Qitamah ou Qasr al-Kabir.

Dans cette circonstance ‘Abdel Malik employa une ruse de guerre, car dès que le roi portugais eut franchi la rivière avec ses troupes et fit camper son armée sur la rive opposée, il donna l’ordre de couper le pont et envoya à cet effet un détachement de cavalerie qui exécuta la mission qui lui avait été confiée et à cet endroit la rivière n’était pas guéable ».

 

 

Parallèlement, ‘Abdel Malik se rendit à Souss le 26 juin. C’est là qu’il apprit, le 2 juillet que l’armée portugaise avait quitté Lisbonne à destination du Maroc. Il retourna à Marrakech pour rassembler son armée avant de partir pour Salé, où il apprit le 14 juillet, le débarquement des portugais à ‘Assilah. Alors il se mit en route et arriva le 24 juillet à Souq al-Khamis à quelques kilomètres de Qasr al-Kabir bien qu’il fut gravement malade. Un témoin espagnol rapporta : « Tout malade qu’il était, il se dirigea avec son armée vers ‘Assilah, se faisant porter en litière, jusqu’à ce qu’il fût à une journée d’al-Qasr, où son frère avec son armée, l’attendait pour se joindre à lui. A l’occasion de leur rencontre, on fit une grande et longue salve de canons et d’arquebuses des deux côtés, bien que le roi vint en si mauvaise disposition et si faible de sa personne ».

 

Les espions de ‘Abdel Malik l’informaient de chaque mouvement fait par l’armée portugaise et devant la formidable machine de combat qui marchait sur lui, il offrit à Sébastian des termes extrêmement favorables que le roi portugais rejeta.

Alors, il décida de livrer bataille mais à l’endroit qu’il aurait lui-même choisit et le temps de préparation mit par les Portugais sur la plage lui laissa aussi le temps de rassembler une grande armée et d’organiser ses forces, une parfaite stratégie qui lui permit de retarder la bataille et d’amener les mécréants dans une position intenable et un piège insoupçonnable.           

 

L’ordre de bataille  

 

Après avoir passé une paisible nuit, ‘Abdel Malik, se réveilla, le 30 du mois de Joumadah Awwal de l’année 986 de l’Hégire (lundi 4 août 1578), plus malade que la veille, fiévreux et respirant avec peine, sentant ses forces l’abandonner. Cependant, il se concentra sur l’imminence de la bataille et au lever du jour enfourcha péniblement son cheval pour déployer son armée en forme de large croissant :

- La corne droite face au roi Sébastien et sa cavalerie,

- La corne gauche composée de mille arquebusiers montés et dix-mille cavaliers-lanciers face aux contingents de l’apostat Muhammad al-Masloukh al-Moutawakkil allié aux croisés sous le commandement de Duarte de Menezes et du duc d’Aveiro,

- Le centre du croissant commandé par Muhammad Zarkou et composé de deux-mille arquebusiers montés et dix-mille cavaliers-lanciers déployés tout au long de la partie centrale ou il avait déployé en demi-cercle les 26 pièces d’artillerie dont le fameux canon de bronze al-Maymounah pesant douze tonne et d’une portée de tir de mille mètres, servies par des artilleurs experts. Les Caïds Dogali et Muhammad Faba au milieu de leurs arquebusiers se tenaient près de la garde personnelle de l’émir des Bani Sa’d, ‘Abdel Malik, sous le commandement de Moussa tandis que la cavalerie était déployé en une ligne continue doublant la forme demi-circulaire du dispositif de première ligne. Quant aux volontaires qui étaient accourus pour le Jihad, l’émir les avait placés sur les hauteurs des collines proches d’Ahl-Sarif, près de la corne droite du croissant occupée par Moulay Ahmad, avec l’ordre formel de n’intervenir qu’après l’engagement de l’armée de ‘Abdel Malik.

 

Les Portugais ne tardèrent pas à constater que ‘Abdel Malik avait déployé l’armée musulmane de manière à bloquer la route et avait placé son artillerie sur une partie élevée du terrain tandis que sa cavalerie, le plus fiable élément de son armée était tenue en réserve près de l’émir.   

Sébastian déploya alors son artillerie face au centre, là où se trouvait le corps principal de l’armée de ‘Abdel Malik tandis qu’il divisa l’infanterie en trois formations :

- L’avant-garde formée par les Castillans, les Anglais, les Allemands, les Wallons et d’autres étrangers derrière les canons,

- Le centre composée essentiellement de Portugais militaires et civils ainsi que toutes leurs bagages et,

- L’arrière-garde, une force mixte d’arquebusiers.

Sébastian divisa la cavalerie en deux escadrons qu’il plaça sur chaque flanc et les cavaliers d’al-Moutawakkil en réserve, à l’arrière du flanc droit.    

Epaules contre épaules, l’infanterie de Sébastian, armée de piques et d’arquebuses paraissait une formidable force défensive mais était réduite par l’espace et avait peu de place pour manœuvrer. La stratégie portugaise consistait à laisser les Musulmans s’abattre sur les piques et les épées et les laisser suffisamment s’épuiser pour contre-attaquer et pour Sébastian,  survivre à l’attaque ennemie était synonyme de victoire.    

 

Quant à l’armée de ‘Abdel Malik, elle comptait une large cavalerie armée de sabres et de courte lance qui lui permettait non seulement une grande mobilité sur le champ de bataille  mais aussi une fluidité pour l’attaque. Ce qui aurait pu paraître comme le seul important désavantage de l’armée marocaine et qu’elle était constituée d’un grand nombre de tribu qui seraient tentées à s’enfuir en cas de revers dans la bataille. Mais en fait c’était un avantage car les Musulmans avaient la particularité de combattre par tribus, chacune cherchant la gloire aux dépens de l’autre, et chacune cherchait à faire mieux que sa voisine ou leurs oncles ou leurs cousins.

 

 

La décisive bataille des trois rois

 

Dans la matinée du dernier jour du mois de Joumadah Awwal (4 août), au cri de Bismillah (au nom d’Allah), les artilleurs musulmans tirèrent la première salve sur le centre des croisés et chargèrent les deux flancs portugais tandis que Sébastian s’élança sur l’aile droite des Musulmans. L’émir ‘Abdel malik ordonna alors à ses arquebusiers montés d’ouvrir le feu sur l’ennemi, une tactique complètement ignorée par les Portugais, qui permit à la cavalerie musulmane de pulvériser le centre des mécréants et d’atteindre leurs arrières.

Duarte de Menezes, le duc d’Aveiro et l’apostat al-Moutawakkil s’élancèrent avec leurs cavaliers et chargèrent les positions occupées en face d’eux par les contingents de Muhammad Zarkou qui tint fermement sa position malgré la force sauvage du choc et qui perdit deux de ses cinq étendards.

 

Les Portugais resserrèrent leurs rangs et sous leurs charges les lignes musulmanes commencèrent à se disloquer et le médecin de ‘Abdel Malik diagnostiqua la situation comme critique : « Certains escadrons croisés ont frappé notre gauche et droite si violemment que nos chevaux et jambes nous ont ramenés derrière la bannière de ‘Abdel Malik ».

En voyant que ses forces reculaient et certaines tribus quittaient discrètement le champ de bataille, ‘Abdel Malik, qui était malade et transporté dans une litière, oublia sa maladie et demanda à être placé sur un cheval pour rassembler ses hommes mais, il s’évanouit sous l’effort. Quand il se rendit compte qu’il était près de mourir, il ordonna de cacher sa condition jusqu’à ce que la bataille ait été gagnée. Il appela alors son frère plus jeune, Ahmad, l’héritier au trône et quelques minutes plus tard tomba mort de son cheval. L’émir fut porté dans une tente et sa mort gardée secrète.

 

Après plusieurs heures de bataille, l’arrière garde musulmane entra en action et deux-milles cavaliers vinrent à l’aide de Muhammad Zarkou et obligèrent les attaquants portugais à se replier sur leurs positions initiale. Un certain nombre de Musulmans parvinrent devant les pièces d’artillerie des mécréants qu’ils prirent et emportèrent à l’arrière du camp des Musulmans.

Les Musulmans attaquèrent alors furieusement jusqu’à ce que les Portugais aient été repoussés et leur armée encerclée. Dans les heures qui suivirent, les forces croisés commencèrent à céder tandis que les cavaliers de Zarkou, dégagés se lancèrent à la poursuite des Portugais qui se repliaient. Coincés entre les barrières de wagons et l’oued Loukkos, ils ne purent offrir de résistance et ceux qui ne purent s’enfuir furent massacrés. Certains fuyards se noyèrent en essayant de traverser l’oued al-Makhzan, les autres vinrent ajouter le désordre dans les éléments de l’arrière-garde portugaise qui fut anéantie ainsi que tous les partisans de l’apostat al-Moutawakkil. Duarte de Menezes se rendit et le duc d’Aveiro fut tué.

 

Les combattants musulmans s’abattirent alors sur les croisés survivants pour parachever leur victoire et « vaincus, les infidèles tournèrent le dos mais enfermés dans un cercle de mort, ils virent les glaives s’abattre sur leurs têtes et, quand ils voulurent prendre la fuite, il était trop tard[2] … ».

Au coucher du soleil, l’armée des croisés venus d’Europe avait cessé d’exister. Le prince Ahmad fit sonner le rassemblement et annonça la mort de son frère ‘Abdel Malik et en raison de sa qualité de prince héritier, il se fit proclamer émir du Maroc sur le champ de bataille.

 

Sébastian et sa noblesse luttèrent courageusement mais vainement et finalement tous furent tués, portant un coup fatal à la classe dirigeante du Portugal. Au cours d’un seul affrontement, le pays perdu son roi, son armée et sa noblesse. Ce fut une défaite totale, la bataille la plus humiliante de l’histoire du Portugal.

Cette bataille prit le nom de « la bataille des trois rois » parce trois des acteurs principaux trouvèrent la mort dans l’action : Sébastian, ‘Abdel Malik et al-Moutawakkil qui se noya dans la rivière Makhzan quand son cheval paniqua alors qu’il prenait la fuite. Quinze-mille croisés furent prit prisonniers et à peine cent réussirent à s’enfuir. 

Ce fut une écrasante défaite pour l’orgueilleuse armée croisée qui entraina le déclin du Portugal et mit fin à son statut de grande puissance mondiale. Le pays subit un coup dont il ne rétablit jamais complètement. Les frais d’expédition de la croisade et les rançons payées pour les prisonniers coulèrent l’économie nationale tandis que le Portugal perdit sa liberté et son statut de nation indépendante avec la mort de son roi qui fut gouverné par la suite par l’Espagne durant environ soixante années.  

 

Le vainqueur, Ahmad, le frère de ‘Abdel Malik, fut surnommé suite à cette victoire capitale « al-Mansour » ou le Victorieux. Il amassa une fortune en rançonnant les prisonniers portugais qui lui permit d’établir une armée forte et discipliné qui lui fournit le pouvoir nécessaire pour devenir un des plus grands sultans du Maroc. 

Aussi, la bataille impressionna les Espagnols et libéra le pays de la menace d’occupation de ces derniers. Sous Ahmad al-Mansour, le Maroc devint reconnu et respecté particulièrement par les pays européens.

 

Le triomphe des Musulmans sur l’armée croisé de Sébastian est aujourd’hui marqué par la station de chemin de fer de Makhzan au Maroc, érigé sur le site du champ de bataille dont la victoire est justement commémorée le 5 août de chaque année comme un rappel aux Marocains d’une des grandes croisades de l’Europe qui échoua lamentablement. Mais hélas les dirigeants actuels n’ont plus la valeur ni les mêmes valeurs que leurs ancêtres et ne sont que les laquais au service des mécréants qui n’ont d’yeux que pour la position stratégique du Maroc ainsi que ses ressources naturelles.

 

Le Portugal demanda par la suite à l’émir Ahmad al-Mansour le rapatriement de la dépouille du roi Don Sébastien au Portugal qui fut remise aux siens sans contrepartie.

Cette mémorable bataille qui causa stupeur, tristesse et deuil dans la chrétienté mit fin aux visées expansionnistes des croisés comme l’a rapporté l’historien Fernand Braudel : « Cette désastreuse campagne dans les terres marocaines fut la dernière croisade de la chrétienté méditerranéenne ».

« C’est un grand secret de Dieu que moururent, en l’espace d’une heure, trois grands rois dont deux étaient si puissants », écrivit le médecin de ‘Abdel Malik, deux semaines après l’évènement tandis qu’au cœur de l’empire ottoman, le chroniqueur al-Jannabi déclara : « Dans nulle autre bataille on ne vit, comme dans celle-là, périr trois rois à la fois. Louange à Dieu et à Ses volontés ».

 

 

Autre récit

 

Avant de clore le sujet et reprendre notre chronologie, voici un extrait de « nouzhat al-hadi bi-akhbar moulouk al-qarn al-hadi » de Muhammad as-Saghir Ibn al-Hajj Muhammad Ibn ‘AbdAllah al-Ifrani al-Marakkashi :

« A la tête des troupes musulmanes et d’une cavalerie d’élite ‘Abdel Malik marcha sur l’ennemi tandis qu’un corps de volontaires formé de tous ceux qui aspiraient à la suprême récompense ou au martyr se joignit à lui.

Les deux armées ayant pris contact se précipitèrent l’une sur l’autre et engagèrent vivement l’action ; bientôt l’air fut obscurcie par la poussière que soulevaient les chevaux et par la fumée des canons ; le combat devint acharné et pendant longtemps les coups d’estoc et de taille volèrent de tous côtés. Au moment même du premier choc, alors que le combat venait de s’engager, que la mêlée commençait et que le feu de la guerre s’allumait, ‘Abdel Malik qui était malade mourut dans sa litière. Mais dans son admirable prévoyance et par Sa grâce inépuisable, Allah voulut que la mort du Sultan fût ignorée de tous à l’exception de son servant et affranchi, Ridwan le renégat. Celui-ci cacha cette mort et se mit à aller de tente en tente en disant : « Le Sultan ordonne à un tel de se rendre à tel endroit, à un tel de rester auprès du drapeau, à un tel de se porter en avant, à un tel de se porter en arrière, etc. ».

 

Le commentateur de la Zahra donne le récit suivant :

« Quand ‘Abdel Malik mourut, l’écuyer chargé de sa litière ne fit point connaître la mort du souverain ; il continua à faire avancer l’attelage dans la direction de l’ennemi en criant aux soldats : « Le Sultan vous ordonne de marcher en avant contre les infidèles. » Il n’y eut qu’Ahmad qui connut également la triste nouvelle, mais il la cacha aussi. La lutte continua dans ces conditions : les glaives s’entremêlèrent et abreuvèrent les coupes de la mort jusqu’au moment où le vent de la victoire souffla en faveur des Musulmans; la fortune leur devint favorable, les fleurs du triomphe donnèrent des fruits dans les spadices de leurs lances. Vaincus, les mécréants tournèrent le dos, mais enfermés dans un cercle de mort ils virent les glaives s’abattre sur leur tête et quand ils voulurent prendre la fuite il était trop tard. Le prince portugais périt noyé dans la rivière. La destruction du pont, que les croisés voulurent regagner et dont ils ne trouvèrent plus la moindre trace, fut la principale cause de leur perte. Cette habile opération leur fut fatale, car c’est à peine si quelques rares combattants purent échapper au carnage.

En cherchant parmi les morts, on trouva le corps de Muhammad Ibn ‘AbdAllah qui s’était noyé dans le Wadi Loukkous. Voyant la bataille perdue, il s’était jeté dans cette rivière pour la traverser à la nage, mais il avait été emporté par le courant et avait péri. Le cadavre retiré par des plongeurs fut écorché et la peau remplie de paille fut ensuite promenée à travers les rues de Marrakech et d’autres villes.

On retrouva également parmi les morts Abou ‘AbdAllah Muhammad Ibn ‘Askir, l’auteur d’ « ad-douhat an-nashir » ; il avait accompagné al-Masloukh, l’Écorché alias Muhammad Ibn ‘AbdAllah al-Moutawakkil, dans sa fuite et s’était rendu avec lui au pays des Chrétiens en qualité de courtisan : son cadavre gisait au milieu de ceux des mécréants. A ce propos on a raconté diverses choses, entre autres que son corps avait été trouvé couché sur le côté gauche et tournant le dos à la Qiblah.

La rencontre des deux armées eut lieu le lundi, dernier jour de Joumadah Awwal de l’année 986 (août 1578).

‘Abdel Malik était mort le même jour à midi et, ainsi qu’on le verra plus loin, s’il plaît à Allah, il eut pour successeur au trône son frère, Abou al-‘Abbas Ahmad al-Mansour. L’auteur du « dourrat ar-rijal » dit à ce propos: « Admirez la sagesse d’Allah Unique et Tout Puissant ; dans un même jour il a fait périr trois princes : ‘Abdel Malik, son frère Muhammad Ibn ‘AbdAllah et Sébastien le monarque chrétien et Il n’éleva au pouvoir qu’un seul, Abou al-‘Abbas al-Mansour. »

Quand le grand monarque chrétien (le pape) eut appris la nouvelle de cette défaite, il envoya demander à al-Mansour qui, proclamé souverain, était alors de retour à Fez, l’autorisation de racheter les prisonniers croisés. Cette autorisation lui ayant été accordée, il les racheta moyennant une somme considérable qu’il avait réunie à cet effet. Un auteur rapporte qu’après avoir été rendus à la liberté, les prisonniers croisés restèrent dans leur pays et se présentèrent devant leur souverain qui leur dit:

- « Pourquoi ne vous étiez-vous pas emparé d’Alcazar, de Larache et de Tétouan avant l’arrivée du sultan ? »

- « C’est », répondirent-ils, « le prince que vous aviez placé à notre tête qui s’y est opposé ». Sur cette réponse, le monarque avait ordonné de brûler tous les prisonniers.

 

À titre de fait singulier, on raconte ce qui suit :

« Comme les croisés, qu’Allah les maudisse, à la suite du désastre qu’ils venaient d’éprouver, avaient perdu beaucoup de monde, les évêques voyant le petit nombre d’hommes qui restaient et craignant que le pays ne se dépeuplât, autorisèrent le peuple à commettre l’adultère, afin d’augmenter ainsi le nombre des naissances et de réparer les pertes qu’ils avaient subies. Ils s’imaginaient de cette façon assurer le triomphe de leur religion et relever les forces de la nation. Dieu les avilisse et les anéantisse ! »

 

 

Des causes de la mort d’Abou Marwan ‘Abdel Malik

 

« La mort de ‘Abdel Malik, rapporte Ibn al-Qadhi, fut le résultat d’un empoisonnement pratiqué dans les circonstances suivantes : Ridwan al-‘Alaj, le Caïd des Turcs, qui accompagnait le prince, avait mandé les autres Caïds qui lui remirent un gâteau empoisonné pour l’offrir à ‘Abdel Malik au moment où celui-ci passerait 'auprès d’eux. Le but de Ridwan avait été de faire périr le sultan pour se rendre maître de la ville de Fès, et d’établir de cette façon l’autorité des Turcs dans cette ville. Toutefois, Allah ne permit pas à ce dernier dessein, de s’accomplir, les Turcs l’ayant eux-mêmes jugé impraticable en voyant la force et la puissance des troupes du Marrakech, mais la mort du prince fut la conséquence de cette trahison ».

Le corps de ‘Abdel Malik fut, aussitôt après sa mort, transporté à Marrakech où il fut enterré.

Ce prince ne régna que quatre ans et prit le surnom royal d’al-Mou’tassim. Il avait compté au nombre de ses chambellans, Ridwan al-‘Alaj et parmi ses secrétaires, Muhammad Ibn ‘Issa et Muhammad Ibn ‘Omar ash-Shawi. Quant à ses Qoudat, ils avaient été les mêmes que ceux de son neveu. Il avait adopté le costume des Turcs et suivait leurs usages en bien des circonstances. On le soupçonnait d’avoir des penchants pour les choses nouvelles et ce qui vient d’être rapporté, prouve que parfois il ne craignait pas de le laisser paraître.

‘Abdel Malik donna la lieutenance de Fès et du district de cette ville à son frère, Abou al-‘Abbas Ahmad al-Mansour, pour qui il avait la plus entière affection. Il l’avait désigné comme son héritier présomptif et le comblait de ses libéralités. Ses sentiments à l’égard de son frère se montrent bien dans une lettre que j’ai lue et dont voici la teneur :

« Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux. De la part du serviteur d’Allah, de celui qui s’appuie sur l’Éternel et combat dans Sa voie, le prince des croyants, ‘Abdel Malik, fils du prince des croyants, Abou ‘Abdallah Muhammad ash-Sheikh ash-Sharif. Allah, par Sa grâce, fortifie son autorité et le favorise de Son aide ; qu’Il accorde le bonheur à ceux qui vivent dans son siècle béni et qu’Il perpétue sa gloire !

« Ceci a été dicté par le prince lui-même, qu’Allah le protège et éternise sa renommée : A notre frère chéri et bien-aimé Baba Ahmad, qu’Allah le garde et lui accorde sa bénédiction ! Ensuite : sachez qu’après moi- même, il n’est personne à qui j’ai voué l’affection que je vous porte, aussi mon désir est-il de ne transmettre à aucun autre qu’à vous le pouvoir que je détiens. Toutefois je trouve que d’ordinaire vous montrez trop de mollesse dans les affaires ; ainsi vous négligez des choses importantes et en prenez si peu de souci qu’il devient souvent impossible de remédier à certains faits qui parviennent à ma connaissance et, n’était la faveur divine, cela pourrait amener la ruine de l’empire, en ébranler les bases et permettre à l’ennemi d’arriver à son but et à ses fins. Je vous signalerai, par exemple, l’état d’abandon dans lequel vous laissez les troupes de Larache et votre insouciance à leur égard. Cependant à tout instant vous recevez de ces troupes des demandes de vivres, de poudre, de plomb, toutes choses indispensables et sans lesquelles il ne leur est pas possible de tenir tête à l’ennemi. Jusqu’à cette heure vous avez négligé de répondre à leur appel et vous ne vous êtes point inquiété de leur procurer ce qu’elles demandaient.

Au reçu de la présente lettre et avant même qu’elle n’ait quitté vos mains, vous enverrez aux troupes de Larache dix jours de vivres, en attendant que nous-mêmes, s’il plaît à Allah, nous arrivions dans cette ville et avisions à la pourvoir de tout ce dont elle aurait encore besoin. Vous expédierez également au même endroit et sans aucun retard tout ce que vous avez de poudre et de plomb par devers vous. Sur ce point, qui ne saurait souffrir la moindre négligence, je n’accepterai aucune excuse : agissez, il le faut, il le faut.

J’ai appris que le chef des chrétiens se trouve près d’Arzille avec 1.500 hommes ; je souhaite vivement que vous vous sentiez mû par le désir de joindre l’ennemi en cet endroit à la tête de vos troupes, qui le couvriront sûrement de confusion, car à peine l’ennemi vous aura-t-il aperçu que, selon sa coutume, il prendra honteusement la fuite. Secouez donc votre torpeur, ouvrez les yeux de la vigilance et sachez que les circonstances présentes ne comportent que de la décision, une grande activité dans les opérations, du zèle et de l’audace. Salut. » ».

Fin de citation et reprise de notre résumé chronologique.



[1] Makhzin, Makhazin, Makhazan ou Makhzan.

[2] Muhammad as-Saghir Ibn Muhammad Ifrani « nouzhat al-hadi bi-akhbar moulouk al-qarn al-hadi ».