L’expédition de Khaybar

 

Avant-propos

 

Depuis son Hégire à Médine, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), ne fit que répondre avec modération aux provocations et aux menées déstabilisatrices des Juifs et à chaque fois qu’une tribu juive essaya séparément de nuire à l’Islam. Il fut tolérant une première fois avec les Banou Qaynouqa’ qui, en prenant les armes, tentèrent de mettre un terme à l’existence de l’Islam et des Musulmans à Médine et une deuxième fois avec les Banou an-Nadr qui tentèrent de l’assassiner, sans parler de leurs actions hostiles non seulement pour provoquer des troubles internes parmi les Musulmans mais aussi externes, en levant les autres tribus contre ces derniers.

 

Le Messager (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fut à chaque fois contraint de réagir par des mesures d’urgence et n’usa, après chaque conflit armé, que de l’expulsion et de la confiscation d’une partie des biens alors qu’il avait tous les droits de donner une punition exemplaire mais puisque l’expulsion suffisait au début à éloigner le mal et le danger qui pouvaient provenir de ces Juifs, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) préféra cette solution à une autre plus extrême.

 

Les Banou an-Nadr après leur expulsion de Médine, choisirent Khaybar comme nouveau lieu de résidence retiré mais toutefois pas trop éloigné de Yathrib car Khaybar représentait la plus grande force militaire juive dans toute l’Arabie et les Banou an-Nadr, au lieu d’apprécier à sa juste valeur l’esprit de tolérance du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) à leur égard, préparèrent de cette base arrière (Khaybar) leur plan qui conduisit plus tard au siège des Coalisés.

 

Le siège des Coalisés, qui fut certainement la plus dure épreuve vécue par les Musulmans, fut fondamentalement un plan juif exécuté militairement par des tribus arabes de Qouraysh et de Ghatafan. Cette épreuve permit aux Musulmans de bien assimiler la leçon de leur tolérance et celle de l’esprit de vengeance chez les autres et de tirer les justes enseignements.

 

Cette nouvelle vision réaliste des comportements humains amena le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) à opérer des changements dans sa politique envers les Juifs et sa politique devint désormais plus ferme et plus vigoureuse, non par vengeance personnelle et ses actes et son caractère prouvent le contraire mais parce que le véritable souci de cette nouvelle politique était surtout la recherche de la paix et de la stabilité pour la jeune communauté musulmane.

 

La première conséquence de cette nouvelle politique fut la sévère et juste sanction qui frappa les Banou Qouraydah en l’an 04 de l’Hégire pour haute trahison. En effet, huit cents d’entre eux furent condamnés à mort parce qu’ils déchirèrent et renièrent le pacte qui les liaient aux Musulmans, se rallièrent à l’ennemi qui encerclait Médine pendant le siège du Fossé (Khandaq) et prirent les armes contre leurs alliés, les Musulmans[1].

 

Le rôle des Banou an-Nadr dans l’alliance des mécréants de la coalition donna la preuve irréfutable que Khaybar s’était transformé en base-arrière belliqueuse contre les Musulmans et que ses habitants n’allaient pas économiser leur énergie pour réaliser leurs objectifs.  Devant ce grave péril qui les menaçait directement, les Musulmans furent contraints de parer au plus vite et de prévenir ce danger imminent car s’ils n’anticipaient pas par une action militaire préventive, ce même danger viendrait bientôt rôder autour de Médine avec toutes les menaces et conséquences imaginables et inimaginables. Il ne faisait aucun doute que si les Banou an-Nadr restaient libres de mouvements, ils récidiveraient plus d’une fois afin d’atteindre leur objectif et feraient tout leur possible pour déclencher d’autres campagnes contre Médine, peut-être plus grandes et plus dangereuse que celle des Coalisés pour arriver à leur fin.  

 

A la lumière de l’évaluation correcte des évènements et de l’établissement des liens entre les causes et les effets, à la lumière d’une analyse précise des tenants et des aboutissants de l’agression des Coalisés, il devint clair au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) que les Coalisés et les Qouraydah n’étaient en réalité que la queue de la vipère encore vivante et qui tirait les ficelles depuis son trou à Khaybar.

 

Les Musulmans n’étaient donc pas encore arrivés au bout de leurs peines. Le Khandaq et le siège des Banou Qouraydah se terminèrent certes par une victoire de l’Islam mais il leur restait une autre mission très importante, d’attaquer la tête de la vipère afin de se prémunir à l’avenir contre tout danger.

 

Sur la base de ce raisonnement, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) décida de partir en campagne contre les Juifs de Khaybar. Avec la chute de Khaybar dont la bataille fut la plus longue menée par les Musulmans et le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), tombèrent les autres bastions juifs à Fadak, à Tayma et à Wadi al-Qoura. Neuf mois après, le centre de l’idolâtrie s’écroula et la Ka’bah fut purifiée des idoles. Une année et demie plus tard, toutes les régions d’Arabie se convertirent à l’Islam.

 

Khaybar

 

Khaybar, située à soixante-dix miles environ au nord-est de Médine, était depuis des temps immémoriaux, une vaste oasis caractérisée par des eaux abondantes et une terre fertile apte à donner une grande variété de produits agricoles. En plus d’être l’une des plus grandes palmeraies d’Arabie, elle possédait d’innombrables jardins de palmiers qui longeaient ses multiples vallées et rien qu’aux bords de l’une de ses vallées, la vallée Natah, l’on trouvait pas moins de quarante mille palmiers, après le recensement effectué par les Musulmans.

 

Cette grande oasis abritait aussi une importante communauté juive implantée bien avant l’avènement de l’Islam mais dont l’histoire est encore mal connue[2], une communauté qui avait vécu les quatre premières années de l’Hégire à l’écart des évènements et qui observa la neutralité dans le conflit qui opposa les Musulmans à ses frères de Yathrib en ne s’immisçant ni par une aide matérielle ou par un engagement militairement. Ses membres s’occupaient de leurs terres et de leurs affaires et paraissaient ne pas s’intéresser à ce qui se passait à Médine tout près d’eux. Tout prédisait donc que cette communauté allait garder encore sa neutralité qui la caractérisait depuis longtemps dans les conflits juifs, Yathrib et associateurs arabes  d’avant l’Islam des Aws et Khazraj.

 

Mais, le choix porté sur Khaybar par les Banou an-Nadr après leur exil de Médine fit basculer cette communauté sur le devant de la scène et les Banou an-Nadr n’avaient même pas encore fini de s’installer que ses seigneurs envisagèrent une nouvelle agression contre les Musulmans[3]. Dès cet instant de l’an 04 de l’Hégire, Khaybar cessa d’être une région neutre qui vivait à l’écart des conflits et devint désormais un centre de complots et d’agressions contre Médine, capable de lancer sur les Musulmans dix mille guerriers[4].

 

Les Banou an-Nadr (ou Nazir) purent sans grande peine prendre le commandement effectif des Juifs de Khaybar avec un argument très convaincant puisqu’ils se considéraient les descendants du Prophète Haroun Ibn ‘Imran (‘aleyhi salam), donc les détenteurs du pouvoir religieux, un fait d’ailleurs reconnue par toutes les communautés juives d’Arabie en plus de leur puissance financière qui les plaçait haut dans la hiérarchie juive.

 

Comme nous l’avons déjà rapporté, les Banou an-Nadr, lors de leur évacuation de Médine, emportèrent tout ce qu’ils purent transporter soit six cents chameaux chargés de richesses. Sallam Ibn Abou al-Houqayq prit à lui seul un grand sac de peau de vache bourré d’or et d’argent et dit à son départ : « C’est ce que nous avons préparé pour soulever la terre et la mettre à bas. Et si nous avons laissé ici quelques palmiers, il y a pour nous tous les palmiers à Khaybar. »

 

Les seigneurs juifs de Khaybar prirent certainement conscience de la nouvelle tournure des évènements et du changement dangereux de la position de leur région dès que les seigneurs nadri se mirent à préparer leur complot contre le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam). Et ce n’est un secret pour personne que cette nouvelle situation au début suscita en eux des inquiétudes non parce qu’ils ne voulaient pas l’anéantissement de l’Islam mais parce qu’ils eurent peur d’un possible échec des Banou-an-Nadr. En tout cas, s’il y avait eu des inquiétudes fondées de Khaybar, elles furent vite dissipées par Houyay Ibn Akhtab, Sallam Ibn Moushkim et d’autres seigneurs nadri.

D’ailleurs, rien qu’en notant l’intervalle-temps séparant l’expulsion des Banou an-Nadr après le siège du Khandaq, la conclusion se tire d’elle-même : les seigneurs nadri n’éprouvèrent aucune difficulté pour convaincre leurs pairs de Khaybar du bien-fondé de leur entreprise et de leur ferme intention d’utiliser leur nouvel asile comme une base-arrière d’agression.

 

La préparation

 

Quand le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donna l’ordre à ses Compagnons de se préparer pour marcher sur Khaybar, ces derniers ne cachèrent pas leur joie de participer à cette campagne car ils avaient encore en tête le rôle moteur joué par les Banou an-Nadr lors du siège du Khandaq et le danger qu’ils faisaient planer sur Médine depuis Khaybar.

 

Ils exprimèrent leur joie car en plus Allah Exalté leur avait promis, lors de leur retour d’al-Houdaybiyah avec le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), de leur offrir la conquête de Khaybar : « Allah vous a promis un abondant butin que vous prendrez et Il a hâté pour vous Celle-ci[5]. »  C’est-à-dire Khaybar[6].  Cette promesse divine était venue pour les réconforter et raffermir davantage leur volonté après tant de souffrances et tant de sacrifices à soutenir la cause d’Allah  et de Son Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

L’appel entendu, les Musulmans entreprirent aussitôt les préparatifs nécessaires à la mise sur pied de l’armée. Les sabres furent tirés de leurs fourreaux et nettoyés, les flèches, les arcs et les lances vérifiés, les carquois remplis, les chevaux inspectés et après s’être préparé, chaque Musulman se tint prêt pour l’appel du rassemblement.

 

Certes, ce ne furent pas tous les Médinois qui allaient participer à l’expédition militaire mais seulement les mille quatre cents Musulmans qui étaient avec le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) à Houdaybiyah car ils avaient la foi pure, toujours avec Allah et avec Son Messager (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) pour le meilleur et pour le pire.

 

Les retardataires

 

Pourquoi uniquement ces mille quatre cents valeureux Compagnons ? Parce qu’Allah, à Lui les Louanges et la Gloire, avait révélé à Son Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) de ne pas accepter dans cette campagne les gens qui n’avaient pas fait le voyage de la ‘Oumrah comme il est mentionné dans ce Verset : « Ceux qui restèrent en arrière diront, quand vous vous dirigez vers le butin pour vous en emparer ; « Laissez-nous vous suivre. » Ils voudraient changer la parole d’Allah. Dis : « Jamais vous ne nous suivrez : ainsi Allah a déjà annoncé. » Mais ils diront : « Vous êtes plutôt envieux à notre égard. » Mais ils ne comprenaient en réalité que peu. » (Qur’an 48/15)

 

Ce qui « restèrent en arrière » furent ceux qui se dérobèrent lors de l’expédition organisée pour la ‘Oumrah et qui aboutit à la trêve d’al-Houdaybiyah.

 

Quand le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) appela les mille quatre cents Compagnons à se préparer pour Khaybar, ces retardataires, qualifié ainsi par Allah Exalté, à Lui les Louanges et la Gloire, se présentèrent au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et lui exprimèrent leur volonté de faire partie de l’armée et d’avoir le privilège de participer au Jihad comme les autres mais en vérité, leur intention secrète derrière leur volonté de façade n’était pas de participer au Jihad pour la cause d’Allah mais plutôt de s’octroyer une part du butin.

Ces retardataires (moukhalifoun) étaient non seulement différents des Compagnons du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) mais aussi cupides en ne voyant que leurs intérêts matériels. Les Ansar et les Mouhajirin au contraire, voyaient à travers ce butin non encore acquis une récompense d’Allah Exalté qui voulut exprimer ainsi Sa satisfaction et ainsi la demande des retardataires de participer à la campagne fut donc refusée par le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

En tant que Prophète respectueux des ordres d’Allah, le Messager d’Allah déclara que seuls ceux qui avaient prêté allégeance sous « l’Arbre » prendraient part à l’expédition de Khaybar. Allah, à Lui les Louanges et la Gloire, avait dit de ces mille quatre cents Musulmans : « Allah a très certainement agréé les croyants quand ils t’ont prêté le serment d’allégeance sous l’arbre. Il a su ce qu’il y avait dans leurs cœurs, et a fait descendre sur eux la quiétude, et Il les a récompensés par une victoire proche ainsi qu’un abondant butin qu’ils ramasseront. Allah est Puissant et Sage. » (Qur’an 48/18, 19)

 

Tandis qu’à ceux qui se dérobèrent le jour d’al-Houdaybiyah, il (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) leur dit : « Vous n’irez avec moi que pour le Jihad. Quant au butin, vous n’en aurez pas[7]. »

 

Dans as-Sirah al-Halabiya, il est rapporté que le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donna l’ordre à un héraut de proclamer aux retardataires qui voudraient sortir pour Khaybar qu’ils n’auraient aucune part du butin, comme si le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) voulut les mettre à l’épreuve et connaitre parmi eux le sincère du menteur.

Cependant, aucun retardataire ne rejoignit l’armée de Muhammad parce que cette condition de combattre seulement pour la cause d’Allah n’avait aucune signification pour eux ainsi seuls ceux de « l’Arbre » formèrent l’armée qui marcha sur Khaybar.

 

D’autre part, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) permit à vingt femmes de faire partie de cette valeureuse armée dans le but de soigner les blessés et d’aider les combattants dans différents travaux de soutien logistique. Parmi ces femmes se trouvaient Safiyah, la tante du Prophète, Oum Soulaym, Oum ‘Attiyah al-Ansariyah et Oum ‘Oumara (radhiyallahou ‘anhoun).

On rapporte que l’une d’elles dit : « Je dis : « O Messager d’Allah, des femmes veulent sortir avec toi pour aider les Musulmans. » Il me répondit alors : « (Venez) avec la bénédiction d’Allah. »

 

Les Juifs de Médine

 

Pourquoi le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) ne prépara-t-il pas secrètement cette campagne ?

Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) ne dissimula pas les préparatifs comme il avait l’habitude de faire dans la plupart de ses campagnes mais il proclama cette fois, la mobilisation générale et informa les gens qu’il marcherait sur Khaybar, bien que Médine abritait encore des Juifs qui pouvaient jouer le rôle d’informateur pour leurs frères. Il fit donc cela pour des raisons particulières.

 

Premièrement, les Musulmans n’avaient pas à craindre une attaque des bédouins idolâtres sur Médine après les différentes campagnes militaires organisées auparavant par le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) contre ces mêmes bédouins.

Deuxièmement, cette expédition n’était plus un secret car les Juifs de Khaybar s’attendaient à une telle action depuis l’échec des Coalisés en l’an 04 de l’Hégire. Ils savaient donc que le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et ses Compagnons allaient leur livrer bataille à Khaybar même.

Troisièmement, il n’y avait plus rien à craindre du côté de Qouraysh, l’ennemi virulent de l’Islam puisqu’il venait de signer avec le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) la trêve d’al-Houdaybiyah.

Enfin, il n’est pas invraisemblable que les Juifs de Khaybar aient mis des guetteurs à leur solde sur les routes qui menaient vers eux et en matière d’espionnage, les Juifs de Médine, accomplirent leur tâche au profit de leurs frères de Khaybar. Ils firent même plus que ce travail souterrain, en prenant ouvertement fait et cause pour leurs frères.

Ces Juifs médinois restèrent parmi le Musulmans sans jamais être inquiétés même après la condamnation à mort des traîtres des Banou Qouraydah, car ils observèrent la neutralité et optèrent pour la prudence lors du Khandaq.

 

Avec la nouvelle situation, ils n’eurent pas besoin de gants pour exprimer leurs sentiments en faveur de leurs frères de Khaybar.

A la page 634 du tome II de son œuvre al-Maghazi, al-Waqidi a rapporté que les Juifs qui étaient restés à Médine (après la juste punition des Banou Qouraydah) furent peinés de voir les Musulmans se préparer à l’offensive et qu’ils ne rencontrèrent aucune difficulté pour exprimer leur sympathie pour les Juifs de Khaybar.

 

Comme ces Juifs médinois étaient riches, ils usèrent de leur pouvoir de bailleurs de fonds comme moyen de pression contre leurs voisins musulmans endettés. Ils exploitèrent à fond ce point sensible en demandant à ces derniers d’honorer immédiatement leurs dettes. Ils firent évidemment cela dans le but de gêner les préparatifs et de retarder le plus longtemps possible la campagne contre Khaybar.

 

Dans al-Maghazi d’al-Waqidi, un des Compagnons du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) rapporta :

« Alors que nous nous préparions à marcher sur Khaybar, pas un seul Juif de Médine ne resta comme d’habitude à sa place sans qu’il ne demanda son droit avec insistance auprès du Musulman endetté.

‘AbdAllah Ibn Abou Hadrad al-Aslami devait encore à Abou ash-Shahm (un Juif) cinq dirhams. Se voyant harcelé sans cesse par le créancier juif, il lui dit alors : « Laisse-moi encore un autre délai et je te rendrai ton droit, si Allah le veut. » Et il lui dit encore :

- « O Abou ash-Shahm, nous allons sortir en campagne au Hijaz (Khaybar) et nous allons ramener des vivres et des richesses. »

- « Crois que la bataille de Khaybar est comme ce que vous rencontrez des bédouins. Par la Torah, vous y trouvez dix mille combattants, répliqua Abou ash-Shahm[8]. »

- « Ennemi d’Allah ! Cherches-tu à nous effrayer avec notre ennemi alors que tu es sous notre protection et sous notre responsabilité. Par Allah, je vais de ce pas informer le Messager de d’Allah. »

‘Abdallah présenta un rapport détaillé sur l’incident au Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) qui resta silencieux et ne lui  répondit pas, cependant je le vis marmonner quelque chose que je n’ai pu entendre. Puis, le Juif dit au Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « O Abou al-Qassim, il m’a causé du tort en ne me donnant pas mon droit. Il a pris une marchandise (et j’attends encore qu’il me paye).

- « Donne-lui ce que tu lui dois, » conclu le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

Après quoi, ‘AbdAllah dit : « Je vendis alors un de mes deux habits à trois dirhams et j’ai pu me procurer le reste de la dette. Ainsi j’ai pu liquider ma dette. Je suis sorti pour Khaybar habillé avec l’autre vêtement et avec un turban qui me protégeait contre le froid. Salamah Ibn Aslam me donna aussi un autre vêtement et je pus, grâce à Allah Exalté, revenir avec des biens et une femme captive qu’Abou Shahm acheta parce qu’ils avaient un lien de parenté. » »

 

Ce témoignage mérite réflexion.

 

Voilà un Juif qui vivait parmi les Musulmans dans leur ville et qui se donna la liberté d’exprimer sa sympathie pour ses frères juifs. Il n’eut pas peur de dire ce qu’il pensait parce qu’il se trouvait sur les terres de l’Islam et que l’Islam lui garantit les libertés de religion, de pensée, de l’expression et de la propriété. Il alla même plus loin en prenant ouvertement le parti de Khaybar, et en faisant de la propagande dans le but de gêner sinon de paralyser les Musulmans, malgré l’état d’alerte et la situation de guerre qui prévalait encore.

 

Que se passa-t-il après ? Après avoir ridiculisé la force des Musulmans alors qu’il se trouvait encore à Médine sous leur protection et avoir fait l’apologie des forces juives, il souhaita la victoire pour Khaybar au point où il énerva un soldat musulman et après cela, il se rendit et sortit de chez le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) sans avoir été blâmé ni mis en garde. Il sortit comme il était rentré avec en prime une victoire morale. Qui trouve encore à redire ?

 

Les Juifs ne furent pas les seuls à exprimer concrètement leur soutien pour Khaybar mais il y eut aussi les hypocrites et leur chef de file ‘AbdAllah Ibn Oubay. Nous avons déjà vu le rôle joué par cette cinquième colonne et plus particulièrement ‘AbdAllah Ibn Oubay dans le conflit des Banou Qaynouqa’ et celui des Banou an-Nadr[9].  Cet hypocrite notoire, dès la mobilisation générale dans les rangs des Musulmans, alerta rapidement les Juifs de Khaybar et leur demanda de se préparer et de se tenir prêt à « recevoir » les soldats musulmans, il alla même jusqu’à les encourager et à leur remonter le moral dans une lettre qu’il envoya par l’un de ses sbires : « Muhammad va se mettre en marche sur vous. Prenez donc garde. Faites entrer vos biens dans vos bastions et sortez pour le combattre. N’ayez aucune peur de lui car vous êtes beaucoup plus nombreux alors que ses soldats ne sont qu’un groupe. Ils ne sont pas nombreux et en plus ils sont démunis, ils n’ont que très peu d’armes[10].

 

Quelle fut donc la réaction de Khaybar à l’annonce de la nouvelle ?

 

La réaction de Khaybar

 

Depuis trois ans, c’est-à-dire depuis l’échec de la campagne des Coalisés, les Juifs s’attendaient à une réplique vigoureuse de la part des Musulman et sur la base de cette prévision réaliste, ils se préparèrent ignorant seulement quand les troupes musulmanes se mettraient en mouvement.

 

Cependant, grâce aux informations envoyées par les hypocrites médinois, ils sonnèrent l’alerte générale sur une très large échelle et avec plus de sérieux qu’auparavant. Ils rassemblèrent toutes leurs forces militaires et prirent toutes les dispositions qu’ils voyaient nécessaires pour contrer l’armée de Muhammad.

 

Bien que leurs forces militaires étaient supérieures sur tous les plans à celles des Musulmans,  ils adoptèrent l’aspect défensif et en plus des forts et des citadelles qu’ils renforcèrent par des travaux supplémentaires, ils choisirent deux lignes de défense ; la première constituée par les forts et les citadelles qui se trouvaient à l’avant et la seconde ligne, constituée par les autres forts et les autres citadelles qui se situaient en arrière. Dans les premiers, ils ne laissèrent que les hommes armés et dans les seconds, ils installèrent les femmes, les enfants et stockèrent de grandes quantités de vivres afin de pouvoir résister le plus longtemps.

 

Lors de la réunion de leur conseil militaire, les seigneurs de Khaybar se divisèrent en trois groupes : le premier groupe opta pour le retranchement des troupes derrière les fortifications et l’organisation de la résistance sur les murs des forts en argumentant qu’avec le temps, les Musulmans se lasseraient et finiraient par se retirer sans livrer bataille à cause de l’imperméabilité des forts et du nombre de leurs guerriers qui s’y trouvaient.

 

Quant au second groupe, il avança l’idée qu’au lieu de se retrancher derrière les murs et attendre les Musulmans, les troupes devraient sortir à l’extérieur et engager le combat, un combat rapide, qui trancherait promptement sur l’issue du conflit.

Al-Harith[11], surnommé Abou Zaynab, un de leurs grands chefs militaires qui commandait ce groupe dit dans son exposé : « J’ai remarqué que tous ceux qui se sont retranchés derrière leurs murs ont été vaincus par Muhammad qui décida ensuite de leur sort ; la captivité ou la mort. » Puis il expliqua les avantages du combat à l’extérieur des forts tout en essayant de convaincre les autres chefs de la justesse de son idée.

 

Cependant, sa proposition n’eut aucun écho parmi le conseil. Elle ne fut pas acceptée après cette réponse : « O Abou Zaynab, nos forts ne sont pas comme ces autres forts, ils se trouvent aux sommets des montagnes et sont imprenables[12]. »

 

Le troisième groupe fut par contre plus audacieux que le précédent et ses éléments avancèrent une proposition très hardie, celle de surprendre les Musulmans à Médine avant même que ces derniers ne sortent de leur ville.

 

Sallam Ibn Moushkim des Banou an-Nadr exposa la proposition en ces termes : « Tout ceci est le fait de Houyay Ibn Akhtab qui nous a contredit et nous voilà où nous en sommes ! Il nous a fait sortir de chez nous et nous a fait perdre nos propriétés et notre dignité. Il est le responsable de la mort de nos frères et de la captivité des enfants. Les Juifs vont donc perdre pied au Hijaz parce qu’ils n’ont ni détermination et ni jugement juste.

- « Quel est donc le juste avis, » lui demandèrent alors les autres seigneurs juifs ?

- « Et que ferez-vous d’un avis dont vous ne retiendrez même pas un mot ? »

- « Ce n’est pas un moment pour reprocher, tu vois maintenant où en est la situation » lui répondit Kinana Ibn Abou al-Houqayq.

- « Muhammad a terminé avec les Juifs de Yathrib, il va marcher sur vous et il va vous réserver le même sort que celui des Banou Qouraydah. Marchons donc sur lui avec ce que nous avons comme troupes à Khaybar ainsi qu’avec les Juifs de Tayma, Fadak et de la vallée d’al-Qoura, ne demandons pas l’aide des Arabes. Vous avez vu ce qu’ont fait les Arabes pendant le Khandaq. Vous leur avez promis les dattes de Khaybar mais malgré cela, ils vous trahirent et allèrent demander à Muhammad une part des dattes des Aws et des Khazraj comme condition pour se retirer (de la coalition)[13]. »

Sallam Ibn Moushkim répéta une deuxième fois sa proposition avant de dire : « Marchons sur lui (le Prophète), et chez lui livrons bataille. »

 

Une grande partie des Juifs approuvèrent l’idée du rabbin Sallam Ibn Moushkim qui était aussi le chef de l’armée juive. Cependant, leur roi Kinana Ibn Abou al-Houqayq refusa l’idée d’envahir Médine. Dans son intervention, il dit en substance qu’il avait demandé de l’aide et le soutien à des tribus arabes et que les forts de Khaybar étaient plus hermétiques que ceux de Yathrib.

Sallam Ibn Moushkim dit alors avec emportement : « Cet homme (Kinana) ne combattra que s’il est pris à la gorge. » Cela se réalisera effectivement plus tard quand il fut tué ainsi que tous les chefs juifs lors de la batailler.

 

La demande d’aide

 

Lors de sa mobilisation et de sa préparation à la guerre, Khaybar demanda le concours des voisins de Najd en envoyant à cet effet, une délégation composée de quatorze membres[14] dirigée par Kinana Ibn Abou al-Houqayq, le roi de Khaybar et Houdha Ibn Qays al-Wa’ili fit une tournée chez les tribus idolâtres des environs.

 

Ces tribus n’hésitèrent pas à répondre à l’appel, surtout les Banou Asad et Ghatafan qui envoyèrent plusieurs compagnies pour secourir les Juifs. A la tête de ces troupes supplémentaires, ‘Ouyaynah Ibn Hisn pour les Ghatafan et Toulayhah Ibn Khouwaylid pour les Asd[15].

 

Malheureusement, les historiens n’ont pas déterminé ni évalué le nombre de ces forces arabes qui participèrent au début à la défense de Khaybar. Néanmoins, le nombre minimum peut aisément se chiffrer à mille et ainsi disons environ onze mille hommes au total se retranchèrent sur les murs des forts.

 

Si les Banou Asad et Ghatafan répondirent positivement à l’appel de leurs alliés juifs, la tribu des Banou Mourra refusèrent de grossir les rangs juifs sur conseil de leur seigneur al-Harith Ibn ‘Awf. Ce seigneur ne se contenta pas seulement de convaincre sa tribu mais aussi ‘Ouyaynah Ibn Hisn, sans résultat. Il lui dit : « Tu te rabaisses pour rien. Par Allah, ô ‘Ouyaynah, Muhammad va certainement triompher devant tout le monde. Les Juifs nous ont déjà dit cela. J’atteste que j’ai entendu Abou Rafi’ Sallam Ibn Abou al-Houqayq dire que les Juifs jalousaient Muhammad à cause de la prophétie qui était descendue sur les Banou Haroun, qu’il (Muhammad) était un Prophète envoyé et que les Juifs ne l’écouteraient pas. Quand je lui ai demandé si Muhammad allait triompher, il me dit : « Oui, par la Torah qui descendit sur Moussa. Mais attention ! Je ne veux pas que mes compatriotes sachent ce que je viens de dire[16]. »



[1] Voir As-Sirah al-Halabiya, t.II.

[2] Voir le siège des Banou Qouraydah.

[3] Les Juifs de Khaybar essayèrent d’enrôler des bédouins de Najd dans une campagne similaire à la première quand ils envoyèrent une délégation dirigée par Asir Ibn Zarim.

[4] Voir le siège des Banou Qouraydah.

[5] Qur’an 48/20.

[6] Voir Maghazi al-Waqidi, t.II.

[7] Voir l’explication du Verset (48/15) dans Tafsir Ibn Kathir, al-Kashaf, at-Tabari, ou ash-Shoukani, ainsi que Maghazi al-Waqidi, t.II, p.621.

[8] Ce genre de prétention est on ne peut plus typique maintenant et elle est toujours utilisée de nos jours cependant ce sont toujours les autres qu’ils envoient combattre à leur place.

[9] Maghazi al-Waqidi, t.II, p.634.

[10] As-Sirah al-Halabiya, t.II, p.181.

[11] Voir la bataille de Badr et celle d’Ouhoud.

[12] As-Sirah al-Halabiya, t.II, p.157.

[13] Abou Zaynab fut tué devant la porte du fort Na'im. Ce fut le premier tué des chefs juifs. Il fut tué dans un duel avec ‘Ali ibn Abou Talib. D’autres disent par Abou Doujana.

[14] Al-Waqidi, al-Maghazi, t.III, p.637.

[15] Voir le siège des Coalisés.

[16] Voir Moukhtassar Maghazi al-Waqidi, p.312.