Pendant ce temps, Anwar, qui dominait l’état, tentait de
rallier les troupes restantes qui étaient sorties
victorieuses des nombreuses batailles qu’elles avaient
livrées, et de donner l’ordre à ces troupes de retourner
immédiatement dans la capitale pour affronter l’ennemi. Mais
les gens autour de lui pensaient que l’heure était déjà
passée. Même ceux qui l’avaient soutenu dans le passé
refusèrent de l’accompagner et de suivre sa politique. Par
conséquent, il fut contraint de se rendre et d’appeler à une
trêve. Ainsi les Alliés acceptèrent et il signa le traité de
trêve. Il ne restait plus qu’à négocier les termes de la
trêve. L’État Ottoman capitula et les Alliés l’occupèrent.
Cependant, la reddition et cette occupation de l’état par
les Alliés ne signifiaient pas une reddition aux Alliés qui
impliquait que l’état était devenu une de leur colonie ou
propriété. Cela ne signifiait pas non plus que leur
occupation était permanente, car c’était une guerre entre
deux états, l’un vaincrait l’autre, ainsi le vainqueur
dicterait les termes de la paix au perdant, et l’état vaincu
resterait un état en tant qu’entité avec souveraineté
intérieure et étrangère. Ceci d’une part, tandis que d’autre
part la reddition n’était pas une reddition de l’état de
Turquie, mais une reddition par le calife des Musulmans, ou
selon leurs propres termes une reddition par l’Empire
Ottoman. Par conséquent, l’état vaincu était le Califat et
non l’état de Turquie. Par conséquent, les mesures
internationales prises par les Alliés, en leur qualité de
vainqueurs, et par l’État Ottoman, en sa qualité de perdant,
étaient des mesures dûment liées à l’État Ottoman,
c’est-à-dire à tous ceux qui vivaient sous la bannière du
Califat ou lui avait prêté allégeance.
Les Britanniques démembrent l’État du Califat
Cependant, comme le but britannique était de démembrer
l’État Ottoman en sa qualité d’État Islamique et d’abolir le
Califat, ils suivirent le chemin qui y conduit et
procédèrent dans leurs relations avec l’État Ottoman vaincu
d’une manière différente de celle poursuivit avec
l’Allemagne vaincue, malgré le fait que les deux états se
soient battus l’un au côté de l’autre. En effet, la victoire
des Alliés sur l’État Ottoman était similaire à leur
victoire sur l’Allemagne ; ainsi, les deux états auraient dû
être traités sur un pied d’égalité. Cependant, les
Britanniques traitèrent l’Allemagne comme un état vaincu
selon le droit international et ce qu’il stipulait en cas de
fin de guerre entre deux états, l’un devenant vainqueur et
l’autre perdant. Quant à l’État Ottoman, il fut traité
différemment et dès la fin de la guerre, il fut démembrée en
morceaux, dont la plupart furent occupés par les
Britanniques et divisés en parties selon le plan qui avait
été conçu pendant la guerre. Ils évitèrent également leurs
alliés afin de se tailler la part du lion sur les terres de
l’État Ottoman vaincu. Ensuite, ils concentrèrent leurs
efforts sur le centre du Califat afin d’adopter les méthodes
les plus appropriés pour assurer son abolition.
L’adoption du nationalisme et du patriotisme comme base du processus de démembrement
Quant au processus de démembrement, les germes des tendances
nationalistes et du chauvinisme patriotique implantés plus
tôt par les Britanniques se concrétisèrent. Ce fut donc pour
eux, le bon moment de les utiliser comme base du processus
de démembrement, ce qu’ils procédèrent effectivement. En
conséquence, ils transformèrent les terres habitées par les
Musulmans turcophones en une seule entité et utilisèrent
leur domination directe et leur influence écrasante pour
faire exploser les tendances nationalistes turques. Ils
essayèrent d’évoquer l’idée de l’indépendance de la Turquie,
signifiant sa séparation du reste de l’État Islamique, ou
selon eux de l’Empire Ottoman, tout en définissant le mot
indépendance avec le sens de se débarrasser de l’occupation
alliée. C’était en dépit du fait que la réalité pratique
vers laquelle ils poussaient les gens était l’indépendance
de toutes les autres parties de l’état, à savoir une
séparation complète. Ils morcelèrent également les terres
habitées par des Musulmans arabophones en plusieurs
morceaux. Bien que les Britanniques occupèrent la plupart
d’entre eux, ils ne les gardèrent pas comme une seule
entité, comme ils les trouvèrent lorsqu’ils les occupèrent,
ils transformèrent plutôt ces terres en plusieurs entités
selon les cartes qu’ils avaient tracées pour eux pendant la
guerre.
C’est pourquoi ils procédèrent physiquement au démembrement
de l’état conquis et le transformèrent en plusieurs états
avant de conclure avec eux un traité de paix, et avant même
de convenir avec elle des termes de la paix. Car à peine
occupèrent-ils les terres, qu’ils les divisèrent en
plusieurs pays et commencèrent à les gouverner comme s’il
s’agissait de plusieurs états qu’ils venaient d’occuper. Ce
fut en violation du droit international et en contradiction
avec les conventions internationales parce que l’occupation
par l’état victorieux dans la guerre de la terre de l’état
vaincu n’est pas suffisante pour déterminer le sort de
l’état occupé ou des territoires occupés ; ce qui détermine
cela, c’est plutôt le traité de paix, même si les termes du
traité ont été dictés et imposés. L’exemple le plus proche
en est le fait que, bien que Berlin ait été occupée pendant
plus de quarante ans, son sort n’a pas été déterminé par son
occupation mais par les termes de la paix ou le traité de
paix et l’accord des Alliés à son sujet.
Par conséquent, en divisant l’État Ottoman peu de temps
après avoir occupé ses terres et peu de temps après sa
défaite dans la guerre, la Grande-Bretagne commit un acte
invalide qui violait le droit international car elle
entreprit cette action unilatéralement avant d’accepter les
conditions avec les Alliés et avant de signer le traité de
paix ou d’accepter les conditions de paix et pas même avant
que les Alliés puissent en dicter les conditions, en
supposant que cette dictée aurait été valide.
En fait, ces pays faisaient tous partie de l’état et le
Liban, la Syrie, l’Irak, la Palestine, la Jordanie
orientale, le Hijaz et le Yémen étaient tous sous la
bannière de l’État Ottoman et faisaient partie de ses
wilayas. Ils n’avaient aucune entité, que ce soit une
autonomie ou un état, et aucun d’entre eux n’avait de
souveraineté indépendante, qu’elle soit nationale ou
étrangère. Par conséquent, aucun de ses habitants n’avait
pour mandat de mener des négociations internationales. Tout
acte international entrepris par toute personne de ces
wilayas avec un état quelconque était invalide, ne pouvait
pas être reconnu et n’avait aucune considération. Même
l’Égypte, qui était sous domination britannique et sous
mandat britannique, était considérée comme faisant partie de
l’État Ottoman. Lorsque son peuple, le peuple égyptien,
appela à la sortie des Britanniques, il appela au retour de
son pays sous la bannière de l’État Islamique, l’État
Ottoman, pour qu’il redevienne sous le régime du calife des
Musulmans. Mustafa Kamal appela à l’évacuation des
Britanniques et au retour de l’Égypte dans le cadre du
Califat à Istanbul.
Par conséquent, toute négociation entre les Alliés
victorieux concernant toute question liée à ces terres
aurait dû être menée avec le calife et personne d’autre,
représentée avec le gouvernement central à Istanbul. Quant à
ash-Sharif Hussein Ibn ‘Ali, il avait été affilié au
Califat puis s’était rebellé. Sa rébellion n’aurait pas dû
lui donner le droit d’être un état. Quant à ceux que la
Grande-Bretagne et la France considérèrent comme des
dirigeants arabes à Damas, Beyrouth et Bagdad, ils étaient
tous des traîtres comme al-Hussein et n’avaient
aucune qualification leur accordant le droit de négocier
avec les Alliés victorieux. Ils étaient encore moins dignes
qu’al-Hussein, non seulement en termes d’influence,
mais même en termes de la façon dont l’état, dont ils se
trouvaient être son citoyen, les considérait. Al-Sharif Hussein
fut considéré comme un Sharif pour le Hijaz par
l’état vaincu, alors qu’ils n’étaient rien d’autre que des
individus qui trahissaient leur Oummah et leur état et qui
travaillaient comme des espions pour les ennemis.
Cependant, la Grande-Bretagne en particulier, malgré sa
conscience de cela, s’engagea dans des négociations avec les
habitants des terres qu’elle avait occupées sur l’avenir de
leurs terres et leur sort, sachant très bien que ces
négociations n’avaient aucun poids au niveau international
et ne pouvaient être reconnues, ni pourraient-ils être pris
en considération. Cependant, elle négocia effectivement avec
eux et leur donna le droit de parler au nom de leur pays
avec l’état occupant. Elle s’en servit pour resserrer son
emprise sur les terres qu’elle occupa, selon le plan qu’elle
conçut pour eux et selon les cartes qu’elle dressa pour
diviser ces terres. Elle permit ensuite que la question des
négociations internationales officielles se tienne avec le
calife, ou avec quiconque qu’elle nommerait si elle
réussissait à abolir le Califat, à prendre un rôle
secondaire, afin qu’elles deviennent nominales et qu’elles
puissent être achevées une fois le traité de paix conclu.
Cela lui permettrait de dicter ses conditions au calife si
elle ne parvenait pas à abolir le Califat. La
Grande-Bretagne procéda sur cette base et avec cette action
illégale. Ainsi, le démembrement de l’État Islamique fut
effectué par les Britanniques.
C’était en ce qui concerne le démembrement britannique en
morceaux des terres occupées. Quant à son évitement des
Alliés, bien que cela ne concerne pas les Musulmans, ces
manœuvres furent utilisées par les Britanniques comme une
méthode pour les aider à entreprendre plusieurs démarches
visant à abolir et à détruire le Califat. Il est donc
impératif d’attirer l’attention sur ces actions afin de
comprendre les manœuvres politiques britanniques.
Les Alliés entrèrent en guerre pour des objectifs
différents, et bien qu’ils se soient battus du même côté,
ils étaient cependant en désaccord les uns avec les autres,
se faisant concurrence et se haïssant les uns les autres.
Chaque état avait l’habitude de tromper secrètement l’autre.
La Grande-Bretagne était à l’époque la première puissance
sur la scène internationale, la France, la Russie,
l’Allemagne et l’Italie étant en concurrence avec elle.
Lorsqu’elle entra en guerre contre l’Allemagne et l’État
Ottoman, elle tenta d’inciter les autres pays à participer
avec elle à la guerre ou du moins à tenir jusqu’à la fin de
la guerre. À cette fin, elle avait l’habitude de conclure
des accords secrets avec les grandes puissances pour les
tenter avec l’abondant butin qu’elles partageraient une fois
la victoire remportée. Ainsi, elle promit à l’Italie, dans
l’accord secret signé à Londres le 26 avril 1915, le
quartier turc d’Antalya et les quartiers environnants le
long de la Méditerranée en récompense de l’entrée en guerre.
Un an plus tard, en 1916, la Grande-Bretagne, la France et
la Russie s’entendirent sur l’accord secret Sykes-Picot pour
diviser l’Empire Ottoman et c’est sur la base de ce traité
que les termes de paix furent ensuite convenus avec Mustafa
Kemal. Cependant, ce traité secret ne fut pas révélé à
l’Italie, qui fut gardée dans l’obscurité pendant un certain
temps jusqu’à ce qu’elle en eut vent. Ainsi, elle fut en
colère et appela au partage du butin et à la fragmentation
de l’Empire Ottoman.
Le 27 avril 1917, la Grande-Bretagne, la France et la Russie
participèrent à la signature d’un traité qu’ils rédigèrent
eux-mêmes. Il fut promit à l’Italie dans le traité, le
district d’Izmir et tout le côté occidental de l’Anatolie
jusqu’à Konya, à condition que ces domaines seraient
gouvernés par un mandat italien. Le traité contenait
également d’autres clauses. A peine la guerre finie, la
Grande-Bretagne se précipita pour occuper Istanbul et tous
les pays arabophones. La France pour sa part se précipita
pour occuper ce sur quoi ils s’étaient entendus et elle
occupa donc le Liban mais la Grande-Bretagne tenta de
l’empêcher d’occuper la Syrie, bien que la France ait réussi
à l’occuper en 1920.
En 1919, l’Italie occupa la ville d’Antalya et les domaines
environnants ; ainsi la Grande-Bretagne ferma les yeux ;
elle s’opposa toutefois à l’occupation d’Izmir par l’Italie
qu’elle affronta avec la France et l’empêcha d’occuper Izmir
et la côte ouest de l’Anatolie, sous prétexte que le traité
accordant ces colonies à l’Italie n’avait pas été signé par
la Russie. La Grande-Bretagne et la France considéraient
donc ce traité comme nul et non avenu. Afin de résister à
l’Italie, la Grande-Bretagne inspira la Grèce d’occuper
Izmir au nom des Alliés. Elle initia une foule de manœuvres
qui durèrent quatre ans jusqu’à ce qu’elle parvienne à
réaliser tout ce qu’elle souhaitait, c’est-à-dire prendre la
part du lion, abolir le Califat et porter à l’Islam un coup
fatal sur la scène internationale. Enfin, elle tint la 2e
conférence de Lausanne et réalisa ce qu’elle s’était fixé
comme objectif international.
La concentration britannique sur la capitale du califat pour l’abolir
Quant à la concentration de leurs efforts sur le centre du
Califat afin d’adopter les styles qui conduiraient à son
abolition, les Britanniques, en plus de leurs manœuvres
contre leurs alliés et en plus de leurs efforts dans les
terres qu’ils occupèrent, concentrèrent toute leur attention
sur la Turquie en particulier, et plus particulièrement sur
le centre du Califat.
Par conséquent, peu de temps après la déclaration de la
trêve, les navires de guerre britanniques se précipitèrent
pour s’emparer du Bosphore et leurs troupes occupèrent la
capitale et toutes les forteresses des Dardanelles, ainsi
que toutes les zones militaires sensibles de la Turquie.
Pendant ce temps, les troupes françaises occupaient Antep,
tandis que les troupes italiennes occupaient Bira et les
voies ferrées. Le commandant britannique Harrington fut
nommé commandant général des Alliés en Turquie.
Par conséquent, ce sont les troupes britanniques qui
occupèrent effectivement la Turquie et assumèrent son
hégémonie. L’occupation de la France et de l’Italie ne fut
que symbolique et que pour confirmer leur présence. Par
conséquent, le contact entre l’état vaincu, concernant les
affaires intérieures de la Turquie, et les Alliés signifiait
en fait un contact avec les Britanniques. Ainsi, les
Britanniques réussirent à jouer seuls leur rôle en Turquie
et leurs alliés n’eurent aucun rôle et aucun effet sur les
affaires intérieures turques.
Ils se lancèrent également dans une foule de manœuvres
politiques afin de contrôler le Califat ou l’Empire Ottoman
selon eux, depuis que la trêve fut déclarée. Ils
concentrèrent leur jeu politique sur la Turquie en
particulier afin de renverser le gouvernement et de détruire
le Califat.
À cette fin, les Britanniques tentèrent de plonger l’état
dans la crise politique au moment de la proclamation de la
trêve. Ils acceptèrent la trêve de l’État Ottoman et ils
signèrent son traité avec Tal’at et Anwar, mais quand on
leur demanda de tenir des négociations visant à s’entendre
sur les termes, ils déclarèrent qu’ils n’étaient pas prêts à
négocier avec Tal’at et Anwar parce qu’ils étaient ceux qui
avaient été les principaux responsables de l’entrée de
l’État Ottoman dans la guerre. Ainsi, ils exigèrent la
formation d’un nouveau gouvernement.
Le télégramme que Mustafa Kemal avait envoyé d’Alep et dans
lequel il recommandait au maréchal Izzet Bacha d’assumer le
poste de Premier Ministre arriva à ce moment-là. Par
conséquent, Izzet Bacha forma le gouvernement et il envoya
son télégramme spécial à Mustafa Kemal dans lequel il
écrivit : « J’espère que nous pourrons nous rencontrer en
amis une fois les termes de la trêve conclus. » Il convient
de noter que pour que cela se produise de Mustafa Kemal et
des Alliés simultanément et sur le même sujet, pourrait être
interprété comme une pure coïncidence. Cependant, les
événements qui suivirent prouvèrent que la possibilité d’une
coïncidence était très douteuse et qu’il s’agissait d’un
plan soigneusement établi.
Néanmoins, Izzet Bacha entama la négociation afin de
conclure les termes de paix. L’opinion dominante était que
si un traité de paix unilatéral rapide était signé, le pays
pourrait éviter l’impasse dans laquelle il se trouvait sans
subir de lourdes pertes. Certaines personnes pensaient du
bien des Britanniques bien qu’ils les poignardèrent dans le
dos, qu’ils les aideraient et qu’ils seraient satisfaits de
la sortie de l’État Ottoman de la guerre et du fait qu’il
reste un état neutre. Ils tentèrent ainsi d’arrêter l’avance
des Alliés et de les empêcher d’occuper les Dardanelles. Ils
sollicitèrent la médiation de Townsend, le général
britannique emprisonné à Kout-al-‘Amara, afin de persuader
Colthorpe, l’amiral de la flotte britannique qui venait
d’entrer dans le port de Modres à l’entrée des Dardanelles,
d’arrêter son avance jusqu’à ce qu’ils aient mené leurs
négociations avec les Alliés. Il rejeta bien sur leur
demande et ils furent forcés de se rendre après avoir perdu
tout espoir avec les Britanniques.
Les négociations se déroulèrent à la hâte à bord du navire
de guerre Super qui transportait l’amiral Colthorpe, et on
ne laissa même pas le temps de consulter les forces alliées
françaises. Par conséquent, les Britanniques acceptèrent la
trêve avec l’État Ottoman seul au nom des Alliés, et un
accord fut conclu le 30 octobre 1918. Ensuite, les
Britanniques informèrent leurs alliés Français, mais après
qu’ils aient effectivement occupé la plupart de certaines
parties de la Turquie, laissant la France et l’Italie avec
une occupation nominale juste pour le plaisir de participer.
Peu de temps après, un peu moins d’un mois après avoir
observé la trêve, les Britanniques demandèrent au calife de
retirer Izzet Bacha du gouvernement et de former un nouveau
gouvernement, car ce gouvernement était responsable de la
décision de Tal’at et d’Anwar, qui auraient dû être arrêtés
et remis aux Alliés, car une clause dans les termes de la
trêve stipulait que les responsables de la guerre devaient
être remis. De cette manière, les Britanniques se lancèrent
dans une série de crises politiques pour le calife.
La tentative britannique de détruire le Califat par des actions politiques et juridiques
Il semblait que les Britanniques espéraient générer un
changement radical du système au pouvoir en détruisant le
Califat et en établissant une république par des moyens
légitimes et légaux, sans avoir à recourir à un coup d’état
militaire ou à une rébellion armée. Ils eurent donc recours
à des actions purement politiques. Une fois Izzet Bacha
expulsé, le calife chargea le traitre Tawfiq Bacha de former
le nouveau gouvernement. Tawfiq Bacha était connu pour être
un agent britannique, car pendant le règne de ‘Abd al-Hamid
alors qu’il était fonctionnaire, il fut nommé ambassadeur de
l’État Ottoman à Londres, où il réussit à gagner la
sympathie et le plaisir des Britanniques. Cependant,
lorsqu’il forma son gouvernement, il était un vieil homme
dans les quatre-vingts ans et inapte à remplir le rôle qu’on
attendait de lui. Ainsi, les Britanniques furent inquiets
quant à sa formation du gouvernement.
Cependant, avant de tenter de le remplacer et de mettre en
place un nouveau gouvernement, ils voulurent dissoudre le
parlement connu sous le nom de Conseil d’al-Mab’outhan. En
effet, ce Conseil était élu par des gens de tout l’État
Ottoman, à savoir le Califat. En conséquence, ce n’était pas
un parlement turc, exclusif à la Turquie. En outre, la
plupart des députés étaient issus des Jeunes Turcs et du
Comité de l’Union et du Progrès. En d’autres termes, le
parti d’Anwar et Jamal, dont les vues étaient en faveur du
maintien du Califat et de toutes les parties de l’État
Ottoman. Par conséquent, il serait très peu probable qu’il
accepte l’abolition du Califat ou qu’elle accepte la
séparation des autres parties de l’Empire de la Turquie. Ils
voulurent également créer un vide politique dans le pays, et
la dissolution du parlement les aiderait à créer ce vide.
Par conséquent, ils furent déterminés à le dissoudre. Ils
voulurent dans un premier temps le dissoudre par des moyens
constitutionnels, sans avoir à recourir à une intervention
du Sultan en réponse à leur demande. C’est à ce moment que
Mustafa Kemal tenta d’appliquer les solutions
constitutionnelles et échoua. Puis le Sultan, dans un
mouvement inattendu, dissout le parlement par décret ; et
cela ne pouvait se fonder que sur une demande dont il était
convaincu ou qu’il ne pouvait se permettre de refuser.
Plus précisément, il devint impératif pour Tawfiq Bacha
d’obtenir un vote de confiance parlementaire conformément
aux règles constitutionnelles, et une session parlementaire
pour voter devait donc avoir lieu. Mustafa Kemal, qui venait
de rentrer d’Alep et d’Adhano, s’empressa de convaincre les
députés de donner au gouvernement un vote de défiance. Il
avait des amis parmi les syndicalistes qui représentaient la
majorité du parlement. Parmi ceux-ci, il y avait Fathi
Bek qui avait du pouvoir et de l’influence. Fathi Bek
rassembla pour lui un certain nombre de députés et il entama
un débat avec eux dans une salle adjacente ou Mustafa Kemal
présenta sa proposition, c’est-à-dire de donner au
gouvernement un vote de défiance. Cependant, ils s’y
opposèrent, affirmant que voter de défiance conduirait
inévitablement à la dissolution du conseil. Sur ce, il ne
put plus cacher les objectifs qu’il visait alors il répondit
rapidement : « Et ce serait mieux à long terme, car grâce à
cela, nous pouvons attendre notre heure et préparer nos
affaires pour former le gouvernement que nous voulons. »
La cloche de la division sonna et les députés pénétrèrent
dans la salle du Parlement. Mais lorsque le moment de voter
vint et que l’orateur annonça le résultat, l’écrasante
majorité donna au gouvernement un vote de confiance.
Quand Mustafa Kemal apprit cela, il quitta les bâtiments du
parlement et dès son retour à la maison, il téléphona au
palais pour demander une rencontre urgente avec le Sultan.
Le Sultan Wahid ad-Din était au courant des pensées
de Mustafa Kemal et connaissait son ambition de prendre le
pouvoir. En effet, il sentait en lui un certain pouvoir et
pensait qu’il avait de puissants alliés dans l’armée et
avait une influence sur l’armée. La principale préoccupation
de Wahid ad-Din était de maintenir son trône et il
considérait Mustafa Kemal comme une menace pour lui. Ainsi,
lorsqu’il demanda une audience avec lui, il accepta
immédiatement. Cependant, il fixa la date de la réunion au
plus tôt vendredi. Wahid ad-Din choisit ce jour parce
que c’était le jour où le « Salammalik » a eu lieu,
c’est-à-dire quand le calife rencontre les gens venus le
saluer. Son intention était de convaincre Mustafa Kemal de
déclarer ses liens avec le Sultan et de confirmer sa loyauté
envers le calife tout en accomplissant la prière Joumou’a
avec lui. Ensuite, il prendrait les dispositions appropriées
pour écouter son discours, qu’il connaissait, en privé.
Une fois la Salat terminé, Wahid ad-Din demanda à
Mustafa Kemal de l’accompagner dans le salon. Le Sultan
prolongea délibérément la réunion et la discussion dura une
heure entière. Le Sultan demanda à Mustafa Kemal : « Je suis
totalement convaincu que les commandants et officiers de
l’armée ont une grande confiance en vous ; alors me
garantissez-vous que l’armée n’entreprendra aucune action
contre moi ? » Mustafa Kemal répondit : « Votre Excellence,
je ne sais rien de l’avenir. Mais ce que je peux voir à
l’heure actuelle, c’est que les commandants ne trouvent
aucune justification pour se rebeller contre votre trône ;
je peux même vous confirmer qu’il n’y a absolument rien pour
justifier vos craintes. » Sur ce, le Sultan dit : « Je ne
parle pas du temps présent, mais je souhaite savoir ce qui
va se passer dans le futur. » On ne sait pas ce que Mustafa
Kemal répondit, mais il semble qu’il lui parla d’une manière
qui le rassura, car le Sultan lui dit par la suite : « Vous
êtes un commandant sage, et sans aucun doute vous pouvez
influencer vos collègues et les persuader de rester calme et
de les exhortez-les à utiliser la délibération. »
Cette réunion spéciale, à laquelle personne d’autre
n’assista, captiva l’imagination des gens qui se trouvaient
dans le palais, et ils essayèrent de découvrir de quoi il
s’agissait. Cependant, le calife publia le jour même de la
réunion un décret sultanesque dans lequel il ordonna la
dissolution du parlement, sans fixer de date pour de
nouvelles élections. Ce décret prit tout le monde par
surprise, d’autant plus qu’il s’agissait d’une mesure
arbitraire sans justification. Aucune justification ou
raison constitutionnelle ne fut donnée pour la dissolution.
Par conséquent, les gens pensèrent que Mustafa Kemal suggéra
au calife de dissoudre le parlement et influença sa
décision, comme il l’avait fait. Cela était d’autant plus
vrai que la demande d’audience venait à la suite de l’effort
de Mustafa Kemal pour persuader les députés de donner au
gouvernement un vote de défiance, car cela aurait
inévitablement conduit à la dissolution du parlement.
Cependant, les événements entourant la dissolution
suggéraient que la décision du calife n’avait absolument
rien à voir avec l’influence de Mustafa Kemal. En effet,
elle eut lieu le même jour de la réunion et il était très
peu probable que cela soit le résultat de ce qui a été dit
lors de la réunion, d’autant plus que la réunion eut lieu un
vendredi, qui est un jour férié. En outre, Mustafa Kemal
rencontrait le sultan pour la première fois après la
signature de la trêve et la fin de la guerre, et quelle que
soit son influence, l’accomplissement de sa demande n’aurait
pas pu être réalisé à une vitesse aussi fulgurante.
C’est pourquoi les événements indiquent que la question de
la dissolution du parlement fut préparée avant la réunion et
que sa déclaration d’une manière aussi arbitraire indique
sans l’ombre d’un doute qu’elle reposait sur une question
qui échappait au contrôle du Sultan. On ne put qu’en déduire
qu’elle avait été orchestrée par les Britanniques, car ils
contrôlaient directement le Califat et le pays par
l’occupation.
Néanmoins, la dissolution du parlement provoqua un grand
tollé et une grande confusion dans tout le pays. Des rumeurs
se répandirent selon lesquelles les syndicalistes avaient
armé leurs partisans pour déclarer la révolution en Asie
Mineure, car c’était un coup fatal pour les syndicalistes.
Au milieu de ce tumulte, Tawfiq Bacha disparut et fut
remplacé par Damad Farid Bacha, connu sous le nom de «
gentleman anglais » et également le gendre du Sultan.
Quant à Mustafa Kemal, il loua une maison à Shilly, une
banlieue de Bira, et y vécut comme un individu ordinaire. Il
abandonna la politique et garda un profil bas. On le voyait
autrefois fréquentant certains clubs et fréquentant des gens
de la haute société. Cependant, il resta très discret, son
discours n’impliquait rien de particulier et personne ne
savait s’il était avec ou contre le Sultan.
Cependant, le Sultan était au courant des intentions de
Mustafa Kemal, car il connaissait ses pensées et ses
desseins. Par conséquent, il avait l’habitude de lui
résister farouchement et de l’attaquer. Il avait l’habitude
de dire à son entourage que Mustafa Kemal voulait éloigner
les Turcs de sa famille et provoquer de l’animosité entre
lui et les masses afin de l’éloigner. Cependant, le retrait
de Mustafa Kemal de l’activité politique ne lui donna aucune
excuse. Tant de gens désapprouvaient l’hostilité du Sultan
envers Mustafa Kemal.
Une fois que Damad Farid forma le gouvernement, et une fois
que les Britanniques montrèrent leur approbation, les
craintes du Sultan augmentèrent et il pensa qu’il ne
pourrait pas maintenir son trône sans l’aide de la
Grande-Bretagne. Ainsi, il avait l’habitude de voir en Damad
Farid un allié et un partisan majeur du sien. Le Sultan et
Damad épuisèrent tous les moyens possibles pour plaire aux
Britanniques. Ils créèrent une association qu’ils nommèrent
« Amis de la Grande-Bretagne, » et le gouvernement soutint
cette association avec tous les moyens. Les Britanniques,
quant à eux, la financèrent copieusement avec de l’or
alléchant. Cependant, les gens du commun et la majorité des
jeunes et des officiers de l’armée méprisaient les
Britanniques et nourrissaient de l’animosité contre les
occupants.
Par conséquent, le Sultan et son premier ministre se
jetèrent complètement dans l’étreinte des Britanniques et
ils s’appuyèrent entièrement sur eux. Les Britanniques
avaient alors nommé un haut-commissaire à Istanbul pour
diriger les affaires politiques du pays, aux côtés du
général britannique Harrington, commandant en chef des
forces alliées. Par conséquent, ils commencèrent à dicter
leurs opinions au Sultan et à le manipuler à volonté.
Conséquemment, il perdit son autorité effective et devint
comme un prisonnier. L’autorité effective tomba entre les
mains des Alliés, ou plus précisément entre les mains des
seuls Britanniques, représentés par le Haut-Commissaire
britannique et le général Harrington. |