Règne : 1058 1098 (1648-1687)
Titres honorifiques et pseudonymes :
Avci (Le
chasseur).
Nom du Père :
Sultan Ibrahim.
Nom de la Mère
: Sultan Khadija Tourkhan.
Lieu et date de naissance
: Istanbul, le 30 Ramadan 1051 (2 janvier 1642).
Âge à l’accession au trône
: 7 ans.
Cause de décès
: Goutte, angoisse mentale ou poison.
Lieu de décès et de sépulture
: Edirne. Il fut enterré dans la tombe de sa mère Sultan
Khadija Tourkhan près de la Mosquée Yeni à Istanbul.
Héritiers
: Ahmed III, Mustafa II, Bayazid, Ibrahim et
Souleyman.
Héritières
: Sultan Khadija, Sultan Fatma et Sultan Oummi.
Muhammad IV devint le nouveau Sultan à l’âge de sept
ans, un âge exceptionnellement précoce pour occuper le
trône, grâce au soutien de sa grand-mère Sultan Kosem, des
hommes d’état et des janissaires, après que son père Sultan
Ibrahim eut été détrôné le 18 Rajab 1058 (8 août 1648). Muhammad
IV, le plus jeune sultan de l’histoire ottomane, n’était
certainement pas capable de diriger l’Empire ; ceux qui
l’avaient fait monter sur le trône exerceraient
inévitablement leur autorité au maximum. Ainsi, les huit
premières années de son règne entraînèrent les luttes de
pouvoir entre sa grand-mère, sa mère et de leurs partisans.
Au début, l’Empire était en pleine mutation : son père fut
exécuté, sa grand-mère Sultan Kosein s’engagea alors dans
une âpre bataille contre le Grand Vizir Muhammad Sofu
Bacha, les salaires des unités de cavalerie n’étaient pas
payés à temps et les janissaires se politisèrent et
gagnèrent beaucoup plus d’influence. Par conséquence, «
l’incident de la Mosquée Sultan Ahmed » éclata au
moment de la première révolte sous le règne de Muhammad
IV, le 7 Shawwal 1058 (25 octobre 1648). Les chefs des
janissaires réprimèrent avec succès la révolte cependant,
leur rôle dans la gestion de la révolte leur permis de
gagner en influence dans les affaires de l’état.
Lorsque les révoltes se multiplièrent à Istanbul et en
Anatolie, le blocus vénitien du Détroit des Dardanelles se
poursuivit et le mécontentement lié aux janissaires
indisciplinés s’étendit à la capitale impériale. En outre,
l’inflation augmenta lorsque les chefs des janissaires
gardèrent pour eux les akqes (l’unité monétaire ottomane en
pièces d’argent) à valeur réelle et versèrent aux soldats
leurs salaires avec des akqes d’argent à une échelle
inférieure.
L’enfant sultan était tenu à l’écart des affaires de l’état.
Pour amuser et le distraire de l’administration, le Sultan
Muhammad IV était souvent emmené à des parties de
chasse dans Kagithane, situé le long d’un ruisseau qui se
jette dans la Corne d’Or et le Parc Gulhane, près du Palais.
La chasse devint vite son passe-temps favori et deviendra sa
dépendance plus tard, lui valant le surnom de « chasseur. »
Bouyouk Valide (grande mère) Sultan Kosem avait affecté ses
partisans à des postes administratifs clés. Une telle
dotation en personnel arbitraire ouvrit la voie à des
complications étranges et finalement, le Palais Ottoman
devint le théâtre d’une lutte permanente entre une
belle-fille et une belle-mère. Koucouk Valide (mère mineure)
Sultan Tourkhan élimina sa belle-mère Sultan Kosem avec
l’aide des chefs du Palais. Ainsi Sultan Kosem ne réussit
pas à mener à bien son plan pour remplacer le Sultan Muhammad
IV avec Souleyman II principalement parce qu’elle pensait
qu’elle pouvait mieux manipuler la mère de Souleyman qui
était apparemment plus naïve que Sultan Tourkhan, la mère de
Muhammad IV. Sultan Khadija Tourkhan joua un rôle
important dans l’administration de l’état pendant cinq
années consécutives. Au cours de cette période, Ahmed
Tarhuncu Bacha fut promu Grand Vizir en 10621 (1652), à
condition que personne ne puisse s’opposer à son autorité en
matière financière. Ahmed Tarhuncu Bacha tenta
d’équilibrer les revenus et les dépenses avec des
réglementations strictes cependant, il tomba dans le mépris
et fut rapidement libéré peu de temps après avoir prélevé
des taxes sur des représentants du gouvernement et proposé
une liste de réductions de dépenses pour le Palais.
Outre le remplacement continu des Grands Vizirs, une révolte
apparue en réaction au fait que les salaires des janissaires
étaient payés avec des akqes en argent à plus petite
échelle, financés par des emprunts de l’administration. Les
rebelles rassemblés sur la Place du Sultan Ahmed
invitèrent le Sultan à se rendre dans la première cour du
Palais de Topkapi pour tenir une réunion improvisée avec
lui. Au cours de la réunion, ils demandèrent au Sultan Muhammad
IV de leur livrer trente chefs du Palais. Le jeune Sultan
rejeta initialement cette demande cependant, les pressions
incessantes l’obligèrent à céder, aussi ordonna-t-il
l’exécution des chefs que les rebelles avaient demandés le 8
Joumadah al-Oula 1066 (4 mars 1656).
Un changement de Grands Vizirs, cette même année, se révéla
bientôt être une merveilleuse occasion au crédit du Sultan
Muhammad IV. Ce changement se traduisit par des
innovations fondamentales dans les affaires
gouvernementales, le nouveau Grand Vizir Muhammad
Koprulu, dont les conditions préalables pour assumer son
nouveau poste avaient été acceptées par Valide Sultan
Tourkhan, inaugura ce qui va être connu sous le nom de l’ère
Koprulu, la période des Grands Vizirs de la Famille Koprulu.
Muhammad Koprulu Bacha compléta ce qui manquait à Muhammad
IV en raison de son très jeune âge : compétence et
expérience en administration. Muhammad Koprulu Bacha
contrecarra d’abord un effort collectif de rébellion et en
général, il dirigea toute sa force vers le rajeunissement de
l’Empire.
Muhammad Koprulu réprima plusieurs soulèvements et
contraignit efficacement les Vénitiens à lever leur blocage
sur les Dardanelles. Son fils Fadl Ahmed Bacha lui
succéda en conformité avec les recommandations de Muhammad
Bacha sur son lit de mort. Pendant le Grand Vizirat de Fadl
Ahmed Bacha Koprulu, l’Empire Ottoman accomplit de
nombreuses réalisations et victoires, rappelant les glorieux
siècles précédents que les historiens appellent
conventionnellement l’essor de l’Empire Ottoman.
Particulièrement parlant, les Ottomans vainquirent Venise et
la France sur la mer et leur armée écrasa les forces
autrichiennes et polonaises en guerre. Ils conquirent la
forteresse d’Uyvar (aujourd’hui Nove Zamky) sur la rivière
Nitra en 1074 (1664). De plus, le Traité de Vasvar fut signé
avec l’Autriche, qui était obligée non seulement de payer
les réparations de guerre mais aussi de reconnaître la
suzeraineté ottomane de la Transylvanie. Le Traité stipulait
également que les forteresses d’Uyvar et de Nograd
appartenaient à l’Empire Ottoman. Fadil Ahmed Bacha
Kopruluzade réussit également à mettre fin au siège de Crète
en capturant Candie en 1079 (1669).
Alors que Fadl Ahmed Bacha, le jeune Vizir du Sultan,
faisait campagne à Candie, le Sultan Muhammad IV
resta en Morée et fit campagne à Kamianets, Podolie contre
le Royaume de Pologne en présence d’un magnifique cortège en
1082 (1672). Pendant le siège, trop difficile en raison des
pluies torrentielles, le Sultan fit quelque chose d’assez
extraordinaire en termes de coutumes impériales ottomanes.
Il s’habilla incognito dans un uniforme de soldat régulier
et participa à l’assaut. À la suite de la conquête, que le
jeune Sultan et le jeune Grand Vizir réussirent en
collaboration, le Traité de Buchach fut signé et les terres
de Buchach et de Podolie furent incorporées au territoire
ottoman.
Trois ans plus tard, le monarque polonais John Sobieski
(Jean III) déclara la guerre à l’Empire Ottoman. En réponse,
le Sultan Muhammad IV mobilisa son armée mais
suspendit la marche avant d’affronter l’ennemi à l’approche
de l’hiver. L’année suivante, les forces ottomanes
revinrent, défirent les Polonais et renouvelèrent le Traité
de Buchach. Fadil Ahmed Bacha avait interrompu la
marche avec le Sultan en raison de son état de santé
s’aggravant. Finalement, il rencontra son destin, laissant
le Sultan dans le chagrin. Le Sultan remplaça feu Fadil Ahmed
Bacha par Mustafa Merzifonlu Kara Bacha, un autre membre de
la famille Koprulu.
La première des guerres russes-ottomanes eu lieu à peu près
à cette époque aussi, principalement à cause des Cosaques du
Dniepr. Après deux campagnes, l’Empire Ottoman conclut avec
les Russes un Traité d’une durée de vingt ans. En fait, le
Sultan Muhammad IV se conforma en quelque sorte à la
politique étrangère agressive de Mustafa Merzifonlu Kara
Bacha.
Mustafa Merzifonlu Kara Bacha contra la France sur les
questions concernant la province de Trablusgarp (Libye
moderne). Il réagit de manière excessive face au
bombardement français de l’île de Chios dans la Mer Égée, au
large de la côte ouest de l’Anatolie, et fit pression sur
les Français pour qu’ils paient des réparations de guerre.
L’Autriche catholique, quant à elle, commença à exercer des
pressions politiques et religieuses sur les Hongrois
protestants, attachés à la souveraineté ottomane. Bien que
Fadil Ahmed Bacha Kopruluzade rejeta auparavant la
demande d’assistance du Prince de Transylvanie en raison du
Traité de Vasvar avec l’Autriche, Mustafa Merzifonlu Kara
Bacha accepta dès lors l’appel à l’aide du Hongrois. Un
certain nombre d’hommes d’état s’opposèrent à l’idée
néanmoins, Mustafa Merzifonlu Kara Bacha persuada le Sultan
et fit campagne sur l’Autriche. En 1093 (1682), le Sultan Muhammad
IV assista également à la campagne et marcha jusqu’à
Belgrade. Mustafa Merzifonlu Kara Bacha assiégea Vienne une
seconde fois après Souleyman le Magnifique en 1094 (1683).
Renforcée par les troupes de Transylvanie, de Valachie, de
Moldavie et de Crimée, l’armée ottomane se battit
exceptionnellement bien. L’Empereur autrichien appela
ensuite les croisés pour obtenir du soutien. Encouragés par
le Pape, les Habsbourg, les Français et les Polonais vinrent
secourir Vienne. Pendant le siège de deux mois, Mourad
Giray, le Khan de Crimée, n’empêcha pas l’armée polonaise
dirigée par John Sobieski de se rendre à Vienne par le
Danube, alors que la chute de Vienne n’était qu’une question
de temps. Maintenant que l’armée ottomane était encerclée
par les forces polonaises, l’armée se trouvait entre deux
feux. Au milieu de cette tournure inattendue des événements,
Mustafa Bacha replia suffisamment ses forces sur Belgrade
pour éviter des pertes majeures et élabora la stratégie
d’une nouvelle attaque. De retour à la maison, plusieurs
hommes d’état devinrent jaloux de la réputation grandissante
de Mustafa Merzifonlu Kara Bacha. Ils convoitèrent sa
position de Grand Vizir et ainsi réussirent à provoquer et
manipuler le cerveau du Sultan Muhammad IV avec des
conseils trompeurs pour se débarrasser du Grand Vizir.
Finalement, la condamnation à mort de Mustafa Merzifonlu
Kara Bacha lui fut envoyée. En dépit d’être à des centaines
de milles de la capitale et le commandant en chef d’une
puissante armée ottomane, Mustafa Merzifonlu Kara Bacha se
présenta, effectua ses dernières deux rak‘as (cycles) de
prière, et demanda à ce que le décret soit exécuté d’une
manière étonnamment fidèle. L’échec du deuxième siège de
Vienne marqua un tournant dans l’histoire ottomane. En
effet, cela précipita une série de défaites successives, ce
qui suggère que le cours des événements qui suivirent aurait
pu se dérouler de manière totalement différente si
Merzifonlu avait eu une autre chance.
L’échec ottoman à Vienne eut également des ramifications
plus larges : il inspira et stimula les croisés avec l’idée
qu’ils pourraient chasser les Ottomans de l’Europe Centrale.
Encouragée et dirigée par le Pape, l’Autriche, la Pologne,
la Russie, Venise, et Malte mirent en place une « sainte
alliance. » Bien que l’armée ottomane écrasa d’ abord la
Pologne, l’armée autrichienne avança le long du Danube et
attaqua la Transylvanie et la Hongrie. Esztergom et Belgrade
tombèrent et comme à leur habitude, les croisés massacrèrent
les habitants musulmans de Buda après la perte de la ville.
Sur d’autres théâtres de guerre, les forces polonaises
capturèrent Podolie et infiltrèrent la Moldavie tandis que
les Vénitiens attaquaient les côtes de la Morée et de la
Dalmatie avec le soutien des Espagnols et des Maltais.
Finalement, la Morée se sépara puis Athènes passa aux mains
de Venise.
La série de pertes provoqua une vague d’indignation dans la
société ottomane. Des rumeurs se répandirent selon
lesquelles « le Sultan s’occupait de chasser au lieu de
s’occuper de l’état. » L’armée ottomane, qui subit une
défaite écrasante à Mohacs, se révolta contre le Grand Vizir
et commença à marcher vers Istanbul, en utilisant des
excuses de salaires pour se révolter. Leur intention
première était de détrôner le Sultan Muhammad IV.
Tandis que l’armée ottomane se dirigeait vers Istanbul, sa
propre capitale, les Autrichiens s’emparèrent avec une
relative aisance des terres conquises par les Ottomans
malgré la dureté et la diligence. Rien ne changea encore,
même lorsque le Sultan Muhammad IV prouva aux soldats
qui arrivaient à Istanbul que le Grand Vizir avait déjà été
remplacé et qu’il jura de ne plus chasser. Ils obtinrent une
fatwa qui autorisait les soldats à détrôner Muhammad
IV pour s’être trop amusé avec des chasses et avoir entravé
les affaires de l’état. Souleyman II lui succéda en 1098
(1687). Muhammad IV, maintenant l’ex-Sultan, fut
confiné à Simsirlik, ou section du Buis du Palais de
Topkapi, jusqu’à son transport à Edirne, sa ville préférée.
À ce moment-là, le Sultan Souleyman II était parti en
campagne en Hongrie. Muhammad IV, qui vivra également
sous le règne d’Ahmed II, son autre frère, décéda à
Edirne. Il fut le premier Sultan après Souleyman le
Magnifique à mourir en dehors d’Istanbul.
Le Sultan Muhammad IV devint Sultan à un très jeune
âge, de sorte qu’il ne put pas recevoir une éducation
approfondie en tant que jeune Shehzade. En fait, il semble
que ses tuteurs l’élevèrent comme un chasseur et non comme
un sultan. Ceux qui luttaient pour le pouvoir dans le Palais
le gardaient strictement dans les limites du Palais. Les
nominations de Grands Vizirs compétents de la famille
Koprulu contribuèrent à la relance de l’Empire à bien des
égards. C’est après la mort de sa mère Sultan Tourkhan et la
dissociation des Koprulus de l’administration que le Sultan
montra ses inepties à gouverner. Bien que ses fils aient des
droits inaliénables sur le trône, il épargna ses frères et
de cette manière, il ouvrit la voie à leur ascension sur le
trône après avoir été détrôné.
Muhammad IV était très gentil et généreux. Il menait
une vie assez ordinaire de simplicité bien qu’il ait tous
les moyens de mener un style de vie somptueux en tant que
Sultan d’une superpuissance. Le Sultan Muhammad IV
était très enthousiaste pour l’histoire et était un patron
des arts. C’est au cours de son long règne que le célèbre
Evliya Chalabi 1020 - 1093 (1611-1682) écrivit son célèbre
Voyages (Seyahat)
en dix volumes, décrivant ses voyages qui avaient débuté
dans sa ville natale d’Istanbul et couvraient l’Anatolie, le
Caucase, le Moyen-Orient et l’Égypte, l’Afrique du Nord, la
Roumanie, l’Europe Centrale, Orientale et Septentrionale
jusqu’à la Mer Baltique.
En tant que Sultan, Muhammad IV entreprit
d’importants travaux de rénovation à La Mecque et dans ses
environs, en particulier dans le système hydraulique de la
Vallée d’Arafat, dans le but de réconforter les pèlerins.
Après avoir lu en partie l’histoire de notre Oummah en
général, je ne peux qu’avoir de la compassion pour lui et
tous les autres. Puisse Allah Exalté lui faire miséricorde.
Le Pouvoir est une terrible chose.
La Campagne Ottomane d’Hongrie de 1074 (1663)
Muhammad Fatih Calisir
Il est vrai qu’avec le Vizirat de Muhammad Basha
Koprulu en 1066 (1656), l’esprit ghazi ou jihad fut ravivé
dans l’Empire et la milice ottomane retrouva son dynamisme.
Fadl Ahmed Basha, le fils aîné de Muhammad
Basha, qui prit le poste de Grand Vizirat après la mort de
son père le 6 Rabi’ al-Awwal 1072 (30 octobre 1661), avait
suffisamment d’expérience dans l’art de la politique et
savait gérer les ressources humaines et financières de
l’Empire. Engagé avec les problèmes d’Europe centrale,
l’ambitieux Grand Vizir mis en garde d’abord les envoyés des
Habsbourg à Istanbul d’observer les conditions du Traité de
Paix de Zsitvatorok qui visait au départ, à mettre fin à la
guerre avec Venise qui durait depuis quinze ans, puis à
régler les problèmes sur le front hongrois.
Cependant, au printemps 1073 (1663), lorsque l’armée
ottomane se prépara pour une campagne contre les territoires
vénitiens en Dalmatie et le Grand Vizir reçut un firman du
Sultan ordonnant une marche contre les Habsbourg. Les
lettres de plainte reçues du fort et des villes frontière
sur les sévères attaques des soldats autrichiens jouèrent un
rôle important dans cette décision du Sultan. Inspiré par le
prédicateur du palais Muhammad Efendi Vani, le Sultan
et le Grand Vizir considérèrent favorablement une campagne
contre un ennemi chrétien, ce qui pourrait leur apporter une
récompense céleste et un prestige mondain si cela
aboutissait.
Bien que dans le cas de la campagne de 1073 (1663), le
Sultan était manifestement devenu très irrité contre son
adversaire des Habsbourg et les troubles dans la capitale
étaient l’une des causes sous-jacentes de l’envoi à tout
moment de l’armée ottomane en campagne.
Le 3 Ramadan 1073 (11 avril 1663), le Grand Vizir Fadl Ahmed
reçut le titre de Serdar à Edirne (Adrinople) et commença sa
marche vers Belgrade. Trois jours plus tard après son
arrivée à Belgrade, il admit les envoyés des Habsbourg, le
Baron Goes et Beris, et l’ambassadeur d’Autriche à Istanbul,
Simon Reninger, qui exigea des négociations de paix. Le
Grand Vizir leur demanda de retirer les soldats autrichiens
des châteaux de Transylvanie, de démolir le nouveau château
de Zrinyi et de libérer les captifs musulmans. Les envoyés,
d’autre part, déclarèrent également leurs conditions : les
châteaux Szekelyhid et Kolozsvar resteraient sous le
contrôle de l’empereur et en retour, ils détruiraient le
nouveau château de Zrinyi. Pour les convaincre de la force
et de la capacité de l’armée ottomane pour gagner ce qu’il
demandait, le Grand Vizir montra au Baron Goes les tentes et
les canons rassemblés dans le champ de Belgrade. Lorsque le
Grand Vizir l’informa des conditions exigées par les envoyés
des Habsbourg, le Sultan se mit très en colère et réitéra
son ordre de lancer une campagne contre l’Empereur des
Habsbourg. Quinze jours plus tard, lorsque Fadl (Fazil) Ahmed
Basha entra à Osek (Eszek), il admit les envoyés pour la
deuxième fois. En plus de ses premières demandes, il demanda
un paiement d’impôt annuel de 30000 ducats d’or comme sous
le règne du Sultan Souleyman le Magnifique. Les envoyés
acceptèrent de transmettre les nouvelles conditions à
l’Empereur mais ce dernier refusa. Enfin, lors d’une réunion
à Buda le 30 juin, ‘Ali Basha demanda aux envoyés
autrichiens au nom du Grand Vizir de payer 30000 ducats par
an ou 200000 florins comme ils payaient à l’époque de Khoja
Mourad Basha. Les envoyés exigèrent du temps pour donner une
réponse. ‘Ali Basha donna aux envoyés quatorze jours pendant
que l’armée poursuivait sa marche vers le château d’Uyvar.
Comme cela sera discuté en détail dans les paragraphes
suivants, les Ottomans menèrent une campagne principalement
réussie contre leurs adversaires. Afin de consolider les
gains territoriaux réalisés après l’arrêt de leur avance
pendant la bataille de Saint-Gothard, les Ottomans
conclurent la Paix de Vasvar, le 17 Mouharram 1075
(10 août 1664). Cette trêve de 20 ans confirma la
suzeraineté ottomane sur la Transylvanie et stipula que les
troupes autrichiennes et ottomanes devaient être retirées de
la région. Ce Traité donna aux Ottomans la possibilité de
conserver les forteresses qu’ils avaient capturées pendant
leur marche. Léopold Ier accepta de faire un « cadeau » de
200000 florins au Sultan. La principale raison de la volonté
du côté des Habsbourg de signer ce traité était de sécuriser
les frontières orientales afin de pouvoir s’engager
militairement dans l’Ouest. En outre, la crise économique
qui frappait l’Empire des Habsbourg limitait les
possibilités de dépenses militaires. Cependant, ce Traité de
Paix agaça considérablement la noblesse hongroise. Ils
estimèrent que leur chef national, le Comte Nikolas Zrinyi,
n’avait pas reçu le soutien nécessaire du commandant
impérial Montecuccoli. La discorde entre l’Empereur des
Habsbourg et les nobles hongrois était également enracinée
dans les tensions religieuses provoquées par la
contre-réforme accrue. Les Ottomans et en particulier le
Grand Vizir Ahmed Basha comprirent très bien compris
cette situation et l’utilisèrent pour promouvoir la cause
ottomane.
En outre, il était également de tradition dans le système
gouvernemental ottoman de prêter une attention particulière
à la sécurité et au bien-être des populations qui avaient
accepté la suzeraineté ottomane. Un document ottoman
conservé dans le village de Dolny Kamenec sur le cours
supérieur de la rivière Nitra nous montre que Huseyin
Basha, le gouverneur de Buda et le commandant du château
d’Uyvar, assurait la sécurité des habitants de ce village
contre les attaques des Tatars de Crimée, les cosaques et
les soldats de Moldavie et de Valachie qui avaient participé
à la campagne ottomane en tant qu’unités auxiliaires. Dans
un autre document du même village, ‘Ali Basha, le gouverneur
de Leve (Levice en Slovaque moderne), ordonna à Isma’il Beg,
le commandant du régiment de Leve, de protéger les sujets du
village qui avaient accepté l’autorité ottomane de toute
agression venant de l’armée.
Marche et confrontation
L’armée ottomane commença sa marche de manière habituelle.
Le 1 Rajab 1073 (9 février 1663), l’étendard impérial,
symbole du début d’une campagne, fut préparé pour la marche.
Une semaine plus tard, les tentes impériales et le 14 de ce
même mois, la tente du Sultan lui-même fut préparées.
L’armée se rassembla à Davout Basha le 8 Sha’ban (18 mars)
et, suivant la route traditionnelle utilisée pour les
campagnes occidentales, marcha en direction d’Edirne. Les
soldats participant à la campagne devaient rejoindre l’armée
avant le 11 Sha’ban. Les munitions et les provisions
nécessaires pour la campagne furent rassemblées à Edirne. Le
3 Ramadan (11 avril), le Grand Vizir Fadl Ahmed Basha
fut nommé commandant en chef et partit pour Sofia. Là, les
chevaux furent laissés dans les pâturages pour se nourrir
d’herbe fraîche et après un séjour de seize jours à Sofia,
les forces ottomanes se déplacèrent à Halkali Pinar où le
Sultan envoya au commandant un firman avec une épée et un
caftan, des cadeaux traditionnels pour animer l’esprit
ghazi. Lorsque l’armée arriva par la suite à Belgrade le 2
Dzoul Qi’dah (8 juin), presque toutes ses unités avaient été
rassemblées. Les soldats étaient si nombreux que la ville de
Belgrade devint un carnaval de couleurs à cause de leurs
tentes. L’armée resta dans la ville pendant douze jours afin
d’entreprendre les aspects logistiques de la campagne. Les
canons, mortiers, munitions, céréales et autres provisions
furent amenés d’Istanbul et le matériel déjà présent à
Belgrade fut chargé sur cent quarante navires et transporté
du port de Belgrade à Boudin via le Danube. Ensuite, l’armée
se rendit à Zemun et y est resta encore deux jours. Le 16 de
ce même mois (22 juin), ils atteignirent Mitrofca
(Mitrovice) où les soldats pouvaient acheter de la
nourriture bon marché. Le 22 Dzoul Qi’dah (28 juin), l’armée
arriva à Osek (Eszak). Là, les soldats reçurent leur
provision et les canons furent chargés sur les navires.
Enfin, le 11 Dzoul Hijjah (17 juillet), l’armée
arriva à Buda. Sur la base des informations fournies par Muhammad
Necati, la distance entre un menzil ou un lieu de repos et
le suivant différait de deux à huit heures de marche.
Bien que l’on veuille nous faire croire à l’analphabétisme
géographique et politique des Ottomans, des études récentes
nous montrent que les décideurs ottomans furent prudents
dans la planification et l’organisation de leurs attaques
sur les terres européennes. Ils connaissaient les châteaux,
les rivières, les ressources naturelles, les marais, les
lignes de défense, l’équilibre des pouvoirs grâce aux
activités de leur système de collecte d’informations bien
développé. La préparation de rapports solides sur les
particularités géographiques et stratégiques de la région
était de la responsabilité des Bashas des frontières. Par
conséquent, sur la base des rapports des Bashas à la
frontière des Habsbourg, la classe dirigeante ottomane prit
la décision de marcher sur le fort d’Uyvar après avoir
soigneusement débattu de la question lors d’une réunion
tenue à Buda le 17 Dzoul Hijjah de cette même année
(23 juillet 1663). Les motifs à l’appui de la décision
comprenaient la relative facilité avec laquelle le fort
pouvait être pris, la perspective d’un butin abondant, et
non le moindre du prestige que pouvait gagner l’entreprise,
d’autant plus qu’un haut fonctionnaire de l’empereur
résidait dans le château. Les autres cibles possibles de
l’armée ottomane étaient Raba (Yanik kale) et Komorn
(Komaran). Cependant, il fut considéré difficile d’entrer
dans Raba tandis que le fort de Komorn pouvait se défendre
avec ses larges fossés gorgés d’eau. |