Règne : 1058 1098 (1648-1687)

 

Titres honorifiques et pseudonymes : Avci (Le chasseur).

Nom du Père : Sultan Ibrahim.

Nom de la Mère : Sultan Khadija Tourkhan.

Lieu et date de naissance : Istanbul, le 30 Ramadan 1051 (2 janvier 1642).

Âge à l’accession au trône : 7 ans.

Cause de décès : Goutte, angoisse mentale ou poison.

Lieu de décès et de sépulture : Edirne. Il fut enterré dans la tombe de sa mère Sultan Khadija Tourkhan près de la Mosquée Yeni à Istanbul.

Héritiers : Ahmed III, Mustafa II, Bayazid, Ibrahim et Souleyman.

Héritières : Sultan Khadija, Sultan Fatma et Sultan Oummi.

 

 

Muhammad IV devint le nouveau Sultan à l’âge de sept ans, un âge exceptionnellement précoce pour occuper le trône, grâce au soutien de sa grand-mère Sultan Kosem, des hommes d’état et des janissaires, après que son père Sultan Ibrahim eut été détrôné le 18 Rajab 1058 (8 août 1648). Muhammad IV, le plus jeune sultan de l’histoire ottomane, n’était certainement pas capable de diriger l’Empire ; ceux qui l’avaient fait monter sur le trône exerceraient inévitablement leur autorité au maximum. Ainsi, les huit premières années de son règne entraînèrent les luttes de pouvoir entre sa grand-mère, sa mère et de leurs partisans.

 

Au début, l’Empire était en pleine mutation : son père fut exécuté, sa grand-mère Sultan Kosein s’engagea alors dans une âpre bataille contre le Grand Vizir Muhammad Sofu Bacha, les salaires des unités de cavalerie n’étaient pas payés à temps et les janissaires se politisèrent et gagnèrent beaucoup plus d’influence. Par conséquence, « l’incident de la Mosquée Sultan Ahmed » éclata au moment de la première révolte sous le règne de Muhammad IV, le 7 Shawwal 1058 (25 octobre 1648). Les chefs des janissaires réprimèrent avec succès la révolte cependant, leur rôle dans la gestion de la révolte leur permis de gagner en influence dans les affaires de l’état.

 

Lorsque les révoltes se multiplièrent à Istanbul et en Anatolie, le blocus vénitien du Détroit des Dardanelles se poursuivit et le mécontentement lié aux janissaires indisciplinés s’étendit à la capitale impériale. En outre, l’inflation augmenta lorsque les chefs des janissaires gardèrent pour eux les akqes (l’unité monétaire ottomane en pièces d’argent) à valeur réelle et versèrent aux soldats leurs salaires avec des akqes d’argent à une échelle inférieure.

 

L’enfant sultan était tenu à l’écart des affaires de l’état. Pour amuser et le distraire de l’administration, le Sultan Muhammad IV était souvent emmené à des parties de chasse dans Kagithane, situé le long d’un ruisseau qui se jette dans la Corne d’Or et le Parc Gulhane, près du Palais. La chasse devint vite son passe-temps favori et deviendra sa dépendance plus tard, lui valant le surnom de « chasseur. »

 

Bouyouk Valide (grande mère) Sultan Kosem avait affecté ses partisans à des postes administratifs clés. Une telle dotation en personnel arbitraire ouvrit la voie à des complications étranges et finalement, le Palais Ottoman devint le théâtre d’une lutte permanente entre une belle-fille et une belle-mère. Koucouk Valide (mère mineure) Sultan Tourkhan élimina sa belle-mère Sultan Kosem avec l’aide des chefs du Palais. Ainsi Sultan Kosem ne réussit pas à mener à bien son plan pour remplacer le Sultan Muhammad IV avec Souleyman II principalement parce qu’elle pensait qu’elle pouvait mieux manipuler la mère de Souleyman qui était apparemment plus naïve que Sultan Tourkhan, la mère de Muhammad IV. Sultan Khadija Tourkhan joua un rôle important dans l’administration de l’état pendant cinq années consécutives. Au cours de cette période, Ahmed Tarhuncu Bacha fut promu Grand Vizir en 10621 (1652), à condition que personne ne puisse s’opposer à son autorité en matière financière. Ahmed Tarhuncu Bacha tenta d’équilibrer les revenus et les dépenses avec des réglementations strictes cependant, il tomba dans le mépris et fut rapidement libéré peu de temps après avoir prélevé des taxes sur des représentants du gouvernement et proposé une liste de réductions de dépenses pour le Palais.

 

Outre le remplacement continu des Grands Vizirs, une révolte apparue en réaction au fait que les salaires des janissaires étaient payés avec des akqes en argent à plus petite échelle, financés par des emprunts de l’administration. Les rebelles rassemblés sur la Place du Sultan Ahmed invitèrent le Sultan à se rendre dans la première cour du Palais de Topkapi pour tenir une réunion improvisée avec lui. Au cours de la réunion, ils demandèrent au Sultan Muhammad IV de leur livrer trente chefs du Palais. Le jeune Sultan rejeta initialement cette demande cependant, les pressions incessantes l’obligèrent à céder, aussi ordonna-t-il l’exécution des chefs que les rebelles avaient demandés le 8 Joumadah al-Oula 1066 (4 mars 1656).

 

Un changement de Grands Vizirs, cette même année, se révéla bientôt être une merveilleuse occasion au crédit du Sultan Muhammad IV. Ce changement se traduisit par des innovations fondamentales dans les affaires gouvernementales, le nouveau Grand Vizir Muhammad Koprulu, dont les conditions préalables pour assumer son nouveau poste avaient été acceptées par Valide Sultan Tourkhan, inaugura ce qui va être connu sous le nom de l’ère Koprulu, la période des Grands Vizirs de la Famille Koprulu. Muhammad Koprulu Bacha compléta ce qui manquait à Muhammad IV en raison de son très jeune âge : compétence et expérience en administration. Muhammad Koprulu Bacha contrecarra d’abord un effort collectif de rébellion et en général, il dirigea toute sa force vers le rajeunissement de l’Empire.

 

Muhammad Koprulu réprima plusieurs soulèvements et contraignit efficacement les Vénitiens à lever leur blocage sur les Dardanelles. Son fils Fadl Ahmed Bacha lui succéda en conformité avec les recommandations de Muhammad Bacha sur son lit de mort. Pendant le Grand Vizirat de Fadl Ahmed Bacha Koprulu, l’Empire Ottoman accomplit de nombreuses réalisations et victoires, rappelant les glorieux siècles précédents que les historiens appellent conventionnellement l’essor de l’Empire Ottoman. Particulièrement parlant, les Ottomans vainquirent Venise et la France sur la mer et leur armée écrasa les forces autrichiennes et polonaises en guerre. Ils conquirent la forteresse d’Uyvar (aujourd’hui Nove Zamky) sur la rivière Nitra en 1074 (1664). De plus, le Traité de Vasvar fut signé avec l’Autriche, qui était obligée non seulement de payer les réparations de guerre mais aussi de reconnaître la suzeraineté ottomane de la Transylvanie. Le Traité stipulait également que les forteresses d’Uyvar et de Nograd appartenaient à l’Empire Ottoman. Fadil Ahmed Bacha Kopruluzade réussit également à mettre fin au siège de Crète en capturant Candie en 1079 (1669).

 

Alors que Fadl Ahmed Bacha, le jeune Vizir du Sultan, faisait campagne à Candie, le Sultan Muhammad IV resta en Morée et fit campagne à Kamianets, Podolie contre le Royaume de Pologne en présence d’un magnifique cortège en 1082 (1672). Pendant le siège, trop difficile en raison des pluies torrentielles, le Sultan fit quelque chose d’assez extraordinaire en termes de coutumes impériales ottomanes. Il s’habilla incognito dans un uniforme de soldat régulier et participa à l’assaut. À la suite de la conquête, que le jeune Sultan et le jeune Grand Vizir réussirent en collaboration, le Traité de Buchach fut signé et les terres de Buchach et de Podolie furent incorporées au territoire ottoman.

 

Trois ans plus tard, le monarque polonais John Sobieski (Jean III) déclara la guerre à l’Empire Ottoman. En réponse, le Sultan Muhammad IV mobilisa son armée mais suspendit la marche avant d’affronter l’ennemi à l’approche de l’hiver. L’année suivante, les forces ottomanes revinrent, défirent les Polonais et renouvelèrent le Traité de Buchach. Fadil Ahmed Bacha avait interrompu la marche avec le Sultan en raison de son état de santé s’aggravant. Finalement, il rencontra son destin, laissant le Sultan dans le chagrin. Le Sultan remplaça feu Fadil Ahmed Bacha par Mustafa Merzifonlu Kara Bacha, un autre membre de la famille Koprulu.

 

La première des guerres russes-ottomanes eu lieu à peu près à cette époque aussi, principalement à cause des Cosaques du Dniepr. Après deux campagnes, l’Empire Ottoman conclut avec les Russes un Traité d’une durée de vingt ans. En fait, le Sultan Muhammad IV se conforma en quelque sorte à la politique étrangère agressive de Mustafa Merzifonlu Kara Bacha.

Mustafa Merzifonlu Kara Bacha contra la France sur les questions concernant la province de Trablusgarp (Libye moderne). Il réagit de manière excessive face au bombardement français de l’île de Chios dans la Mer Égée, au large de la côte ouest de l’Anatolie, et fit pression sur les Français pour qu’ils paient des réparations de guerre.

 

L’Autriche catholique, quant à elle, commença à exercer des pressions politiques et religieuses sur les Hongrois protestants, attachés à la souveraineté ottomane. Bien que Fadil Ahmed Bacha Kopruluzade rejeta auparavant la demande d’assistance du Prince de Transylvanie en raison du Traité de Vasvar avec l’Autriche, Mustafa Merzifonlu Kara Bacha accepta dès lors l’appel à l’aide du Hongrois. Un certain nombre d’hommes d’état s’opposèrent à l’idée néanmoins, Mustafa Merzifonlu Kara Bacha persuada le Sultan et fit campagne sur l’Autriche. En 1093 (1682), le Sultan Muhammad IV assista également à la campagne et marcha jusqu’à Belgrade. Mustafa Merzifonlu Kara Bacha assiégea Vienne une seconde fois après Souleyman le Magnifique en 1094 (1683).

 

Renforcée par les troupes de Transylvanie, de Valachie, de Moldavie et de Crimée, l’armée ottomane se battit exceptionnellement bien. L’Empereur autrichien appela ensuite les croisés pour obtenir du soutien. Encouragés par le Pape, les Habsbourg, les Français et les Polonais vinrent secourir Vienne. Pendant le siège de deux mois, Mourad Giray, le Khan de Crimée, n’empêcha pas l’armée polonaise dirigée par John Sobieski de se rendre à Vienne par le Danube, alors que la chute de Vienne n’était qu’une question de temps. Maintenant que l’armée ottomane était encerclée par les forces polonaises, l’armée se trouvait entre deux feux. Au milieu de cette tournure inattendue des événements, Mustafa Bacha replia suffisamment ses forces sur Belgrade pour éviter des pertes majeures et élabora la stratégie d’une nouvelle attaque. De retour à la maison, plusieurs hommes d’état devinrent jaloux de la réputation grandissante de Mustafa Merzifonlu Kara Bacha. Ils convoitèrent sa position de Grand Vizir et ainsi réussirent à provoquer et manipuler le cerveau du Sultan Muhammad IV avec des conseils trompeurs pour se débarrasser du Grand Vizir. Finalement, la condamnation à mort de Mustafa Merzifonlu Kara Bacha lui fut envoyée. En dépit d’être à des centaines de milles de la capitale et le commandant en chef d’une puissante armée ottomane, Mustafa Merzifonlu Kara Bacha se présenta, effectua ses dernières deux rak‘as (cycles) de prière, et demanda à ce que le décret soit exécuté d’une manière étonnamment fidèle. L’échec du deuxième siège de Vienne marqua un tournant dans l’histoire ottomane. En effet, cela précipita une série de défaites successives, ce qui suggère que le cours des événements qui suivirent aurait pu se dérouler de manière totalement différente si Merzifonlu avait eu une autre chance.

 

L’échec ottoman à Vienne eut également des ramifications plus larges : il inspira et stimula les croisés avec l’idée qu’ils pourraient chasser les Ottomans de l’Europe Centrale. Encouragée et dirigée par le Pape, l’Autriche, la Pologne, la Russie, Venise, et Malte mirent en place une « sainte alliance. » Bien que l’armée ottomane écrasa d’ abord la Pologne, l’armée autrichienne avança le long du Danube et attaqua la Transylvanie et la Hongrie. Esztergom et Belgrade tombèrent et comme à leur habitude, les croisés massacrèrent les habitants musulmans de Buda après la perte de la ville. Sur d’autres théâtres de guerre, les forces polonaises capturèrent Podolie et infiltrèrent la Moldavie tandis que les Vénitiens attaquaient les côtes de la Morée et de la Dalmatie avec le soutien des Espagnols et des Maltais. Finalement, la Morée se sépara puis Athènes passa aux mains de Venise.

 

La série de pertes provoqua une vague d’indignation dans la société ottomane. Des rumeurs se répandirent selon lesquelles « le Sultan s’occupait de chasser au lieu de s’occuper de l’état. » L’armée ottomane, qui subit une défaite écrasante à Mohacs, se révolta contre le Grand Vizir et commença à marcher vers Istanbul, en utilisant des excuses de salaires pour se révolter. Leur intention première était de détrôner le Sultan Muhammad IV. Tandis que l’armée ottomane se dirigeait vers Istanbul, sa propre capitale, les Autrichiens s’emparèrent avec une relative aisance des terres conquises par les Ottomans malgré la dureté et la diligence. Rien ne changea encore, même lorsque le Sultan Muhammad IV prouva aux soldats qui arrivaient à Istanbul que le Grand Vizir avait déjà été remplacé et qu’il jura de ne plus chasser. Ils obtinrent une fatwa qui autorisait les soldats à détrôner Muhammad IV pour s’être trop amusé avec des chasses et avoir entravé les affaires de l’état. Souleyman II lui succéda en 1098 (1687). Muhammad IV, maintenant l’ex-Sultan, fut confiné à Simsirlik, ou section du Buis du Palais de Topkapi, jusqu’à son transport à Edirne, sa ville préférée. À ce moment-là, le Sultan Souleyman II était parti en campagne en Hongrie. Muhammad IV, qui vivra également sous le règne d’Ahmed II, son autre frère, décéda à Edirne. Il fut le premier Sultan après Souleyman le Magnifique à mourir en dehors d’Istanbul.

 

Le Sultan Muhammad IV devint Sultan à un très jeune âge, de sorte qu’il ne put pas recevoir une éducation approfondie en tant que jeune Shehzade. En fait, il semble que ses tuteurs l’élevèrent comme un chasseur et non comme un sultan. Ceux qui luttaient pour le pouvoir dans le Palais le gardaient strictement dans les limites du Palais. Les nominations de Grands Vizirs compétents de la famille Koprulu contribuèrent à la relance de l’Empire à bien des égards. C’est après la mort de sa mère Sultan Tourkhan et la dissociation des Koprulus de l’administration que le Sultan montra ses inepties à gouverner. Bien que ses fils aient des droits inaliénables sur le trône, il épargna ses frères et de cette manière, il ouvrit la voie à leur ascension sur le trône après avoir été détrôné.

 

Muhammad IV était très gentil et généreux. Il menait une vie assez ordinaire de simplicité bien qu’il ait tous les moyens de mener un style de vie somptueux en tant que Sultan d’une superpuissance. Le Sultan Muhammad IV était très enthousiaste pour l’histoire et était un patron des arts. C’est au cours de son long règne que le célèbre Evliya Chalabi 1020 - 1093 (1611-1682) écrivit son célèbre Voyages (Seyahat) en dix volumes, décrivant ses voyages qui avaient débuté dans sa ville natale d’Istanbul et couvraient l’Anatolie, le Caucase, le Moyen-Orient et l’Égypte, l’Afrique du Nord, la Roumanie, l’Europe Centrale, Orientale et Septentrionale jusqu’à la Mer Baltique.

 

En tant que Sultan, Muhammad IV entreprit d’importants travaux de rénovation à La Mecque et dans ses environs, en particulier dans le système hydraulique de la Vallée d’Arafat, dans le but de réconforter les pèlerins.

Après avoir lu en partie l’histoire de notre Oummah en général, je ne peux qu’avoir de la compassion pour lui et tous les autres. Puisse Allah Exalté lui faire miséricorde. Le Pouvoir est une terrible chose.

 

 

La Campagne Ottomane d’Hongrie de 1074 (1663)

 

Muhammad Fatih Calisir

 

Il est vrai qu’avec le Vizirat de Muhammad Basha Koprulu en 1066 (1656), l’esprit ghazi ou jihad fut ravivé dans l’Empire et la milice ottomane retrouva son dynamisme. Fadl Ahmed Basha, le fils aîné de Muhammad Basha, qui prit le poste de Grand Vizirat après la mort de son père le 6 Rabi’ al-Awwal 1072 (30 octobre 1661), avait suffisamment d’expérience dans l’art de la politique et savait gérer les ressources humaines et financières de l’Empire. Engagé avec les problèmes d’Europe centrale, l’ambitieux Grand Vizir mis en garde d’abord les envoyés des Habsbourg à Istanbul d’observer les conditions du Traité de Paix de Zsitvatorok qui visait au départ, à mettre fin à la guerre avec Venise qui durait depuis quinze ans, puis à régler les problèmes sur le front hongrois.

 

Cependant, au printemps 1073 (1663), lorsque l’armée ottomane se prépara pour une campagne contre les territoires vénitiens en Dalmatie et le Grand Vizir reçut un firman du Sultan ordonnant une marche contre les Habsbourg. Les lettres de plainte reçues du fort et des villes frontière sur les sévères attaques des soldats autrichiens jouèrent un rôle important dans cette décision du Sultan. Inspiré par le prédicateur du palais Muhammad Efendi Vani, le Sultan et le Grand Vizir considérèrent favorablement une campagne contre un ennemi chrétien, ce qui pourrait leur apporter une récompense céleste et un prestige mondain si cela aboutissait.

 

Bien que dans le cas de la campagne de 1073 (1663), le Sultan était manifestement devenu très irrité contre son adversaire des Habsbourg et les troubles dans la capitale étaient l’une des causes sous-jacentes de l’envoi à tout moment de l’armée ottomane en campagne.

Le 3 Ramadan 1073 (11 avril 1663), le Grand Vizir Fadl Ahmed reçut le titre de Serdar à Edirne (Adrinople) et commença sa marche vers Belgrade. Trois jours plus tard après son arrivée à Belgrade, il admit les envoyés des Habsbourg, le Baron Goes et Beris, et l’ambassadeur d’Autriche à Istanbul, Simon Reninger, qui exigea des négociations de paix. Le Grand Vizir leur demanda de retirer les soldats autrichiens des châteaux de Transylvanie, de démolir le nouveau château de Zrinyi et de libérer les captifs musulmans. Les envoyés, d’autre part, déclarèrent également leurs conditions : les châteaux Szekelyhid et Kolozsvar resteraient sous le contrôle de l’empereur et en retour, ils détruiraient le nouveau château de Zrinyi. Pour les convaincre de la force et de la capacité de l’armée ottomane pour gagner ce qu’il demandait, le Grand Vizir montra au Baron Goes les tentes et les canons rassemblés dans le champ de Belgrade. Lorsque le Grand Vizir l’informa des conditions exigées par les envoyés des Habsbourg, le Sultan se mit très en colère et réitéra son ordre de lancer une campagne contre l’Empereur des Habsbourg. Quinze jours plus tard, lorsque Fadl (Fazil) Ahmed Basha entra à Osek (Eszek), il admit les envoyés pour la deuxième fois. En plus de ses premières demandes, il demanda un paiement d’impôt annuel de 30000 ducats d’or comme sous le règne du Sultan Souleyman le Magnifique. Les envoyés acceptèrent de transmettre les nouvelles conditions à l’Empereur mais ce dernier refusa. Enfin, lors d’une réunion à Buda le 30 juin, ‘Ali Basha demanda aux envoyés autrichiens au nom du Grand Vizir de payer 30000 ducats par an ou 200000 florins comme ils payaient à l’époque de Khoja Mourad Basha. Les envoyés exigèrent du temps pour donner une réponse. ‘Ali Basha donna aux envoyés quatorze jours pendant que l’armée poursuivait sa marche vers le château d’Uyvar.

 

Comme cela sera discuté en détail dans les paragraphes suivants, les Ottomans menèrent une campagne principalement réussie contre leurs adversaires. Afin de consolider les gains territoriaux réalisés après l’arrêt de leur avance pendant la bataille de Saint-Gothard, les Ottomans conclurent la Paix de Vasvar, le 17 Mouharram 1075 (10 août 1664). Cette trêve de 20 ans confirma la suzeraineté ottomane sur la Transylvanie et stipula que les troupes autrichiennes et ottomanes devaient être retirées de la région. Ce Traité donna aux Ottomans la possibilité de conserver les forteresses qu’ils avaient capturées pendant leur marche. Léopold Ier accepta de faire un « cadeau » de 200000 florins au Sultan. La principale raison de la volonté du côté des Habsbourg de signer ce traité était de sécuriser les frontières orientales afin de pouvoir s’engager militairement dans l’Ouest. En outre, la crise économique qui frappait l’Empire des Habsbourg limitait les possibilités de dépenses militaires. Cependant, ce Traité de Paix agaça considérablement la noblesse hongroise. Ils estimèrent que leur chef national, le Comte Nikolas Zrinyi, n’avait pas reçu le soutien nécessaire du commandant impérial Montecuccoli. La discorde entre l’Empereur des Habsbourg et les nobles hongrois était également enracinée dans les tensions religieuses provoquées par la contre-réforme accrue. Les Ottomans et en particulier le Grand Vizir Ahmed Basha comprirent très bien compris cette situation et l’utilisèrent pour promouvoir la cause ottomane.

 

En outre, il était également de tradition dans le système gouvernemental ottoman de prêter une attention particulière à la sécurité et au bien-être des populations qui avaient accepté la suzeraineté ottomane. Un document ottoman conservé dans le village de Dolny Kamenec sur le cours supérieur de la rivière Nitra nous montre que Huseyin Basha, le gouverneur de Buda et le commandant du château d’Uyvar, assurait la sécurité des habitants de ce village contre les attaques des Tatars de Crimée, les cosaques et les soldats de Moldavie et de Valachie qui avaient participé à la campagne ottomane en tant qu’unités auxiliaires. Dans un autre document du même village, ‘Ali Basha, le gouverneur de Leve (Levice en Slovaque moderne), ordonna à Isma’il Beg, le commandant du régiment de Leve, de protéger les sujets du village qui avaient accepté l’autorité ottomane de toute agression venant de l’armée.

 

Marche et confrontation

 

L’armée ottomane commença sa marche de manière habituelle. Le 1 Rajab 1073 (9 février 1663), l’étendard impérial, symbole du début d’une campagne, fut préparé pour la marche. Une semaine plus tard, les tentes impériales et le 14 de ce même mois, la tente du Sultan lui-même fut préparées. L’armée se rassembla à Davout Basha le 8 Sha’ban (18 mars) et, suivant la route traditionnelle utilisée pour les campagnes occidentales, marcha en direction d’Edirne. Les soldats participant à la campagne devaient rejoindre l’armée avant le 11 Sha’ban. Les munitions et les provisions nécessaires pour la campagne furent rassemblées à Edirne. Le 3 Ramadan (11 avril), le Grand Vizir Fadl Ahmed Basha fut nommé commandant en chef et partit pour Sofia. Là, les chevaux furent laissés dans les pâturages pour se nourrir d’herbe fraîche et après un séjour de seize jours à Sofia, les forces ottomanes se déplacèrent à Halkali Pinar où le Sultan envoya au commandant un firman avec une épée et un caftan, des cadeaux traditionnels pour animer l’esprit ghazi. Lorsque l’armée arriva par la suite à Belgrade le 2 Dzoul Qi’dah (8 juin), presque toutes ses unités avaient été rassemblées. Les soldats étaient si nombreux que la ville de Belgrade devint un carnaval de couleurs à cause de leurs tentes. L’armée resta dans la ville pendant douze jours afin d’entreprendre les aspects logistiques de la campagne. Les canons, mortiers, munitions, céréales et autres provisions furent amenés d’Istanbul et le matériel déjà présent à Belgrade fut chargé sur cent quarante navires et transporté du port de Belgrade à Boudin via le Danube. Ensuite, l’armée se rendit à Zemun et y est resta encore deux jours. Le 16 de ce même mois (22 juin), ils atteignirent Mitrofca (Mitrovice) où les soldats pouvaient acheter de la nourriture bon marché. Le 22 Dzoul Qi’dah (28 juin), l’armée arriva à Osek (Eszak). Là, les soldats reçurent leur provision et les canons furent chargés sur les navires. Enfin, le 11 Dzoul Hijjah (17 juillet), l’armée arriva à Buda. Sur la base des informations fournies par Muhammad Necati, la distance entre un menzil ou un lieu de repos et le suivant différait de deux à huit heures de marche.

 

Bien que l’on veuille nous faire croire à l’analphabétisme géographique et politique des Ottomans, des études récentes nous montrent que les décideurs ottomans furent prudents dans la planification et l’organisation de leurs attaques sur les terres européennes. Ils connaissaient les châteaux, les rivières, les ressources naturelles, les marais, les lignes de défense, l’équilibre des pouvoirs grâce aux activités de leur système de collecte d’informations bien développé. La préparation de rapports solides sur les particularités géographiques et stratégiques de la région était de la responsabilité des Bashas des frontières. Par conséquent, sur la base des rapports des Bashas à la frontière des Habsbourg, la classe dirigeante ottomane prit la décision de marcher sur le fort d’Uyvar après avoir soigneusement débattu de la question lors d’une réunion tenue à Buda le 17 Dzoul Hijjah de cette même année (23 juillet 1663). Les motifs à l’appui de la décision comprenaient la relative facilité avec laquelle le fort pouvait être pris, la perspective d’un butin abondant, et non le moindre du prestige que pouvait gagner l’entreprise, d’autant plus qu’un haut fonctionnaire de l’empereur résidait dans le château. Les autres cibles possibles de l’armée ottomane étaient Raba (Yanik kale) et Komorn (Komaran). Cependant, il fut considéré difficile d’entrer dans Raba tandis que le fort de Komorn pouvait se défendre avec ses larges fossés gorgés d’eau.