Des Bani Asfar

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) a dit : « L’Heure ne sonnera pas avant que les Byzantins (Roum) ne s’établissent à A’maq ou à Dabiq et qu’une armée, composée des meilleurs hommes de la terre en ce jour, ne se porte au-devant d’eux. Quand les armées se seront alignées, les Byzantins leur diront : « Laissez-nous nous expliquer avec ceux d’entre nous qui ont renié leur religion ! » Les Musulmans répondront : « Par Allah, jamais nous ne vous laisserons passer pour affronter nos frères ! » Puis ils les combattront et un tiers d’entre eux sera mis en déroute (s’enfuiront du champ de bataille). Ce sont ceux auxquels Allah n’accordera jamais de repentir. Un second tiers sera tué ; ce seront les plus grands martyrs au regard d’Allah. Le troisième, qui jamais ne succombera à la sédition, emportera la victoire. Ils conquerront Constantinople et pendant qu’ils se répartiront le butin le diable lancera cet appel : « Le Dajjal vient de vous remplacer auprès de vos familles ! » Or, cela sera faux : c’est quand ils seront arrivés à Damas que le Dajjal apparaîtra. Tandis qu’ils s’apprêteront au combat et qu’ils égaliseront les rangs, l’appel à la prière sera lancé. ‘Issa (Jésus) fils de Marie descendra alors du ciel et dirigera la prière. Lorsque l’ennemi d’Allah l’apercevra, il se mettra à fondre comme du sel dans de l’eau ; et si Allah l’avait laissé, il aurait fondu jusqu’à anéantissement. Mais Allah le tuera par la main du Messie qui leur fera voir son sang à la pointe de sa lance. » (Mouslim)

 

 - ‘Awf  Ibn Malik (qu’Allah soit satisfait de lui) a rapporté : « Le jour de la bataille de Tabouk, j’allai trouver le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) qui se trouvait dans une tente en peaux qui me dit : « Avant l’échéance de l’Heure, il te faudra attendre ces six événements : ma mort, puis la prise de Jérusalem ; puis une épidémie qui s’abattra sur vous, semblable à l’épizootie qui frappe les moutons ; puis la profusion des richesses, au point que l’homme qui aura reçu cent dinars demeurera insatisfait ; puis une sédition qui pénétrera chez tous les Arabes sans exception ; puis un pacte qui vous liera aux « fils des jaunes » (Bani al-Asfar) qui vous trahiront et viendront vous affronter avec une armée de quatre-vingts étendards, chaque étendard ralliant douze mille hommes. » (Boukhari)

 

Commentaire de Qourtoubi à propos des Bani al-Asfar

 

« Al-Qourtoubi, se référant à un Hadith de Houdayfah, pense que les Bani al-Asfar, qu’il assimile aux Byzantins, concluront avec les Musulmans un pacte de sept années sous la pression des armées du Mahdî. Ils s’acquitteront alors de la Jizyah (impôt de guerre). Les Byzantins ne jouiront alors plus de la moindre considération : les Musulmans briseront la croix, leurs enfants et leurs femmes seront emprisonnés. C’est alors qu’un chrétien, désireux de restaurer la chrétienté brandira une croix en demandant le soutien de sa communauté. A son appel les Byzantins rompront traîtreusement la trêve et se dirigeront sur Antioche et il n’est pas un chrétien en Syrie, dans al-Jazirah ou à Antioche qui ne participera pas à la révolte. Le Mahdi fera alors envoyer des émissaires en Syrie, au Hijaz, au Yémen, à Koufa et à Basra pour demander l’appui des Musulmans. Mais l’Orient lui répondra qu’un ennemi venu du Khourassan sur les bords de l’Euphrate les empêche de le rejoindre. Seuls des habitants de Koufa et de Basra viendront se joindre à lui, et le Mahdi accompagné des Musulmans se portera à leur rencontre. Lorsqu’ils se seront rejoints, ils marcheront ensemble sur Damas dans laquelle les Byzantins se seront établis, après avoir tué les hommes, violés les femmes, et détruit les bâtiments et la végétation. Les Musulmans, conduits par le Mahdi, les attaqueront et Allah leur accordera la victoire, non sans que quatre tribus arabes, Soulaym, Ghassan, Tay’ et Nahd aient apostasié en se joignant aux Byzantins. En ce jour, ces Musulmans seront les meilleures créatures de la terre ; il n’y aura parmi eux ni hésitant, ni hypocrite, ni rebelle, ni quelqu’un rongé par le doute. Ils envahiront ensuite les pays occupés par les Byzantins et conquerront les cités sur de simples Takbir. Le Mahdi régnera pendant quarante années : dix au Maghreb, douze à Koufa, douze autres à  Médine  et  enfin  les  six  dernières  à  la Mecque. Il sera frappé d’une mort soudaine. »

Fin de commentaire

 

Suit un intéressant article sur la façon dont les mécréants voulurent retourner ‘Oulouj ‘Ali, le fameux corsaire pour confirmer le point que les mécréants cherchent à retourner les convertis à leur mécréance (à vous de lire entre les lignes) et qu’ils les combattront comme rapporté dans le hadith plus haut : « Les Byzantins leur diront : « Laissez-nous nous expliquer avec ceux d’entre nous qui ont renié leur religion ! » 


 

Mon argent ou ta vie : La traque des Habsbourg pour ‘Oulouj ‘Ali

 

Emrah Safa Gurkan

 

Cet article traite des efforts des Habsbourg pour éliminer la menace navale ottomane en employant des mesures clandestines et en entreprenant des opérations secrètes. Réalisant le danger que la flotte et les corsaires ottomans créaient pour leurs défenses, les services secrets des Habsbourg envoyèrent un certain nombre d’intermédiaires afin de rappeler à ‘Oulouj ‘Ali son passé chrétien et ses obligations envers son véritable monarque et ainsi le convaincre de changer d’allégeance. Les Habsbourg tentèrent également d’organiser l’assassinat de ce dangereux corsaire qui atteignit l’apogée de son pouvoir en tant que Grand Amiral Ottoman.

 

Alors que l’efficacité des services secrets des Habsbourg nous démontre la force des mécanismes de collecte d’informations et des réseaux épistolaires circumméditerranéens (autour de la Méditerranée), les tentatives d’assassinat et de défection pointent vers un aspect peu étudié des rivalités inter-impériales : la diplomatie secrète.

 

Introduction

 

Le XVIe siècle vit la montée concomitante de deux puissances, les Ottomans en Méditerranée orientale et les Habsbourg en Occident. La rivalité entre ces deux empires devint la principale force motrice de la politique internationale. Le résultat fut un conflit « mondial » où chaque régime politique d’Europe et de la Méditerranée dut prendre parti, certains en tant qu’alliés, d’autres en tant que vassaux.

 

Il y avait deux principaux théâtres de compétition : les plaines hongroises et les eaux méditerranéennes. Même si, du point de vue ottoman, les expéditions militaires entreprises en Hongrie étaient bien plus importantes que les opérations navales en Méditerranée, ces dernières étaient plus menaçantes pour les Habsbourg, notamment à la suite de l’éclatement de l’empire de Charles V en 1556.

 

Le conflit en Méditerranée se manifesta de plusieurs manières. Tout d’abord, il y eut d’importantes batailles navales entre les grandes flottes impériales en 1538, 1560 et 1571. Cependant de telles batailles ne purent pas produire de résultats stratégiques en Méditerranée. La nature de la guerre des galères rendait indispensable l’acquisition de bases navales pour soutenir les opérations des grandes flottes. Ainsi, un deuxième type de conflit assiégeait des places fortes navales telles que Malte, la Goulette et Alger. Une troisième façon de régler ses comptes était de recourir au service des corsaires, c’est-à-dire des corsaires financés par les autorités centrales. Ici, les Ottomans eurent le dessus. Lorsqu’ils se retrouvèrent engagés dans une rivalité impériale avec les Habsbourg dans les années 1520, des centres corsaires étaient déjà établis en Afrique du Nord. Ces corsaires attaquaient les côtes des Habsbourg et défiaient les voies de communication, de commerce et d’approvisionnement au cœur même de leur empire. Ils conclurent rapidement une alliance mutuellement bénéfique avec Istanbul contre l’ennemi commun, les Habsbourg.

 

En Méditerranée, les Habsbourg restaient généralement sur la défensive. Alors que la flotte ottomane dépêchée d’Istanbul atteignait son plein potentiel en parcourant les eaux de la Mer Tyrrhénienne, Ligure et de la Mer des Baléares en 1543, 1544, 1550, 1552, 1553, 1555 et 1558, des corsaires ottomans installés dans les ports nord-africains ravageaient les côtes des Habsbourg en Sicile, Naples, Sardaigne, Aragon, Valence et Grenade. De plus, ces derniers défièrent également le pouvoir des Habsbourg en Afrique du Nord. Ils assiégèrent les colonies militaires fortifiées des Habsbourg dans la région et attaquèrent leurs alliés tels que Tlemcen, le Maroc et Tunis.

 

Même s’ils possédaient de vastes domaines en Mer Méditerranée,  le front méditerranéen n’était pas la première priorité des décideurs des Habsbourg. Comme leurs possessions fragmentées dans toute l’Europe leur conféraient plusieurs responsabilités, ils avaient des préoccupations plus urgentes. Jusqu’en 1559, ils étaient engagés dans une guerre perpétuelle avec leur ennemi juré, la France et ils devaient participer aux guerres d’Italie. De même, la question du protestantisme évolua avec le temps en un défi ouvert à l’autorité des Habsbourg à la fois dans le Saint Empire romain germanique où l’empereur Charles Quint dû concéder le traité d’Augsbourg (1555) et dans les Pays-Bas où une rébellion qui se terminera en l’indépendance, huit décennies plus tard, éclata en 1568. Parallèlement à ces préoccupations vint le puissant défi ottoman en Europe centrale et dans les Balkans qui culmina avec le siège de Vienne en 1529 et l’expédition de 1532.

 

De plus, même si les Habsbourg se donnèrent beaucoup de mal pour relever le défi ottoman en Méditerranée, la plupart des opérations navales coûteuses qu’ils entreprirent produisirent peu de résultats stratégiques. Les Ottomans ne purent être arrêtés malgré la victoire chrétienne lors de la bataille de Lépante (1571). L’année suivante, une flotte ottomane rapidement reconstruite barrera avec succès la progression de Don Juan vers l’est « en se réfugiant sous les falaises et les batteries de Modon » et conjurera la menace chrétienne en Méditerranée orientale. Bientôt, elle passera à l’offensive et portera la guerre jusqu’à la moitié ouest de la Mer Méditerranée, reconquit Tunis et la Goulette en 1574 et jettera l’ancre à Alger pour une expédition marocaine avortée en 1581. De plus, malgré des opérations navales répétées et les sièges, il s’avéra impossible de déloger les corsaires de leurs bases nord-africaines. Au contraire, ils intensifiaient leurs déprédations dans les eaux des Habsbourg et consolidaient leur pouvoir dans l’arrière-pays nord-africain. L’ère des « petites guerres » en Méditerranée venait de commencer.

 

Cette épine dans le flanc des Habsbourg couta non seulement d’énormes sommes d’argent à un empire dont les difficultés financières sont mieux illustrées par ses fréquentes faillites en 1557, 1560, 1575 et 1596. Elle força également les Habsbourg à réorganiser leurs défenses et à rester toujours vigilants ; ainsi, cela réduisit leur flexibilité stratégique et compromit leurs efforts de guerre ailleurs. Par conséquent, il n’est pas surprenant que les Habsbourg soient parvenus à la conclusion que des méthodes autres que le conflit militaire ouvert devraient être employées afin de pacifier la menace ottomane qui leur causait tant de problèmes.

 

Cet essai se concentrera sur l’une de ces méthodes : les efforts des services secrets des Habsbourg pour éliminer la menace imposée par le célèbre corsaire ottoman ‘Oulouj ‘Ali, un acteur clé de la rivalité ottomane-habsbourgeoise en Méditerranée pendant plus de deux décennies en tant que gouverneur général de Tripolis (1565-1568) et d’Algérie (1568-1572) et le Grand Amiral Ottoman (1572-1587). Il décrira comment les agents des Habsbourg négocièrent la défection de ‘Oulouj ‘Ali vers le camp des Habsbourg d’une part et complotèrent contre sa vie d’autre part.

 

‘Oulouj ‘Ali cible des Habsbourg : assassinat et défection en Méditerranée du XVIe siècle

 

Né dans un petit village de Calabre et réduit en esclavage par les corsaires ottomans lorsqu’il était un jeune garçon, le succès exceptionnel de ‘Oulouj ‘Ali sur la frontière méditerranéenne est une histoire trop souvent racontée et ne doit pas nous concerner ici. Ce qui est intéressant de notre point de vue, c’est comment ses relations trans-impériales des deux côtés du conflit firent naître la possibilité d’une diplomatie interconfessionnelle. Ce qui suit ne fera pas seulement la lumière sur les mesures clandestines employées (ou les opérations secrètes entreprises) dans la rivalité ottomane-habsbourgeoise. En se concentrant sur les mécanismes de collecte d’informations et les réseaux épistolaires autour de la Méditerranée, il éclairera également les canaux par lesquels la diplomatie secrète fut menée à travers les frontières civilisationnelles apparemment imperméables entre la Méditerranée chrétienne et musulmane.

 

Dès qu’il commença à gravir les échelons de l’establishment corsaire en Afrique du Nord, ‘Oulouj ‘Ali entra dans l’orbite des services secrets des Habsbourg. La puissance militaire des Habsbourg était au mieux fragile en Méditerranée occidentale suite à l’anéantissement de leur flotte par les Ottomans à Djerba (1560). Heureusement pour eux, les Ottomans choisirent de ne pas récolter les fruits de cette victoire exceptionnelle et leur flotte resta en Méditerranée orientale plutôt que de naviguer dans les eaux des Habsbourg. Lorsqu’elle revint en 1565 pour assiéger Malte, repaire de corsaires chrétiens et port stratégique, la flotte des Habsbourg, en infériorité numérique, ne put qu’appliquer la stratégie de l’attentisme. Ce n’est qu’au bon moment, lorsque des mois de combats acharnés épuisèrent la flotte ottomane et l’armée assiégeante, que l’amiral des Habsbourg Don García de Toledo agit et força les Ottomans à lever le siège. Les galères des Habsbourg ne faisaient pas mieux non plus contre les corsaires ottomans qui non seulement poursuivirent leurs attaques sur les côtes des Habsbourg, mais entreprirent également des expéditions militaires contre les colonies militaires fortifiées d’Afrique du Nord tels que Mers al-Kabir.

 

Là où les armes à feu échouèrent, la diplomatie et l’espionnage pourraient être des outils efficaces. Au moyen de leurs agents dans toute la Méditerranée, les autorités des Habsbourg cherchèrent à éliminer la menace navale ottomane. Premièrement, ils essayèrent de soudoyer d’éminents corsaires ottomans tels que ‘Oulouj ‘Ali et essayèrent d’assurer leur défection du côté des Habsbourg. Lorsque cela échoua, ils essayèrent de les assassiner.

 

Changer de camp était une caractéristique commune de la politique du XVIe siècle et la défection d’un corsaire ottoman n’avait rien d’irréaliste. Par exemple, le célèbre amiral/condottiere génois Andrea Doria changea d’allégeance des Français au côté des Habsbourg en 1527 au moment le plus crucial des guerres italiennes. De même, une autre figure militaire importante des Habsbourg, Charles de Bourbon était un renégat ; lorsqu’il se brouilla avec son suzerain François Ier à propos d’une question d’héritage, il se réfugia au service des Habsbourg. Même si les différences religieuses, culturelles et juridiques entre l’Europe chrétienne et l’Empire Ottoman musulman peuvent laisser supposer que les défections interculturelles étaient peu probables, ce n’était guère le cas, surtout lorsqu’il s’agissait d’hommes dotés de compétences militaires. Comme ils étaient très demandés, ils voyageaient librement et trouvaient un emploi au-delà des frontières civilisationnelles. Ils n’étaient même pas obligés de se convertir, du moins pas dans le cas des Ottomans. Cependant, la carrière infructueuse de Christophe Roggendorf ainsi que la disparition des détenteurs de timar chrétiens dans les Balkans témoignent du fait que les Ottomans devinrent moins enclins à élever les chrétiens à des positions influentes au XVIe siècle, qui serait le siècle de la confessionnalisation non seulement en Europe, mais aussi, comme le suggèrent des études récentes, en occident.

 

En fait, un certain nombre de renégats ottomans de haut niveau entrèrent dans l’orbite des services secrets des Habsbourg. Les corsaires étaient des cibles naturelles. Premièrement, leur position les rendait importants aux yeux des Habsbourg. Deuxièmement, la plupart d’entre eux étaient d’origine méditerranéenne occidentale avec des liens culturels et familiaux en Europe chrétienne. Des études récentes démontrent que changer de religion ne signifiait pas que les convertis rompaient les liens avec leur passé. Ils gardèrent intacts leurs souvenirs et leurs liens familiaux, sans oublier leur langue, et renoncèrent complètement à leur foi. Ils continuèrent également à communiquer avec leurs parents dans le monde chrétien. De telles connexions interconfessionnelles pourraient facilement être exploitées par les gouvernements centraux et leurs négociateurs. De plus, les corsaires d’origine musulmane ne ressentiraient pas non plus une hostilité irréconciliable envers l’« autre » chrétien ; après tout, ils étaient habitués à vivre dans des villes portuaires cosmopolites d’Afrique du Nord.

 

Certaines descriptions de la Topographie d’Alger d’Antonio Sosa confortent clairement notre propos. De plus, la langue du Gazavat-i Hayreddin Paya de Sayyid Mourad est un bon témoignage de ce cosmopolitisme. De plus, malgré la propension des historiens modernes (surtout en Turquie) à dépeindre ces corsaires entrepreneurs comme des ghazi, c’est-à-dire des moujahidine, le corso du XVIe siècle était une entreprise économique entreprise par un certain nombre d’investisseurs. Par conséquent, dans ce monde cosmopolite peuplé d’entrepreneurs intéressés, les négociations secrètes entre les autorités des Habsbourg et les corsaires ottomans devraient être considérées comme naturelles.

 

Nous savons que les espions des Habsbourg entamèrent une série de négociations avec un autre corsaire de renom, Khayr ad-Din Barbarossa Bacha (né musulman) à la fin des années 1530 et au début des années 1540. D’autres gouverneurs généraux d’Algérie tels que Hassan Aga (un renégat sarde, 1535 - 1544), et Muhammad Bacha (1567 - 1568, le fils du célèbre Salih Reis, également gouverneur général d’Algérie entre 1552 - 1557), ainsi que des grands amiraux tels que Hassan Veneziano (un renégat vénitien, également gouverneur général d’Algérie et de Tunis) et Cigalazade Youssouf Sinan Bacha (un renégat génois) négocièrent également secrètement avec les autorités des Habsbourg. Bien qu’aucune de ces négociations secrètes n’ait produit de résultats concrets, il est toujours d’une importance capitale que les gouvernements centraux y aient investi du temps et de l’argent.

 

Passons maintenant aux négociations qui eurent lieu entre ‘Oulouj ‘Ali et les autorités des Habsbourg. Ce calabrais astucieux, entrepreneur à succès et créature frontalière autodidacte, pourrait-il être convaincu de retourner dans le giron de l’Église catholique et surtout de passer sous l’aile de son « roi naturel » ?

 

‘Oulouj ‘Ali entra pour la première fois dans le radar des services secrets des Habsbourg en 1567 alors qu’il n’était que gouverneur général de Tripolis, un centre corsaire de moindre importance qu’Alger. Le lieutenant de ‘Oulouj ‘Ali, un renégat de Lucques nommé Mourad Aga, complota avec Alferez Francisco de Orejon et Matheo Pozo. Mourad proposa de tuer ‘Oulouj ‘Ali puis de soumettre Tripolis aux Habsbourg. Étant donné que les Ottomans ne conquirent la ville qu’en 1551 des chevaliers maltais, la puissance ottomane n’était pas encore consolidée dans la région. L’échec des Ottomans à capitaliser sur leur victoire à Djerba ainsi que le siège infructueux de Malte suggèrent qu’un tel changement de main ne serait pas si difficile à réaliser.

 

Voici les détails du plan : Orejon et Pozo viendraient à Tripolis avec 20-25 hommes et Mourad les autoriserait secrètement dans la citadelle. Selon ce dernier, avec l’aide des chrétiens locaux (toujours la cinquième colonne dans n’importe quel pays, ils sont), si peu d’hommes suffiraient à défendre la citadelle jusqu’à ce que les galères maltaises viennent à leur secours. Cependant ‘Oulouj avait déjà quitté la ville avec le gros de ses forces pour combattre les tribus berbères du Fezzan (tripolitaine), ne laissant derrière lui que 50 vieux gardes. Il n’y a pas d’autres documents sur le sujet, nous ne savons donc pas si le complot échoua ou s’il ne fut pas exécuté du tout. On sait néanmoins que Tripolis resta aux mains des Ottomans jusqu’au XXe siècle. Le fait que Mourad Aga apparaisse dans la documentation des Habsbourg huit ans plus tard suggère que cette dernière hypothèse, selon laquelle le complot ne fut jamais exécuté, est plus probable.

 

Comme on a pu le voir ci-dessus, même si ce plan visait la famille et la base du pouvoir de ‘Oulouj ‘Ali, le corsaire calabrais n’était pas une partie directe aux négociations ; il était en fait leur victime. Le premier contact entre ‘Oulouj ‘Ali et Madrid eut lieu en 1569.

Encouragés par la nouvelle que ‘Oulouj était en bons termes avec les Chrétiens, les Habsbourg cherchèrent à capitaliser sur ses antécédents familiaux. Ils croyaient qu’il pouvait être persuadé de se convertir au christianisme et de soumettre Alger, si les négociations étaient soigneusement entreprises, ou, pour reprendre une expression contemporaine, s’il était approché avec une bonne affaire.

 

Un ordre fut envoyé au vice-roi de Naples qu’il devait trouver un des parents de ‘Oulouj ‘Ali en Calabre ou sa mère, ses frères et quelques autres parents y vivaient encore et l’envoyer ensuite négocier avec le corsaire. Le vice-roi ne réussit pas à localiser un parent fiable du fait qu’ils étaient soit trop jeunes pour connaître le corsaire, soit trop vieux pour parcourir de longues distances, mais trouva plutôt Giovanni Battista Ganzuga qui n’était pas seulement du village de ‘Oulouj ‘Ali, mais aussi son ancien esclave.

 

Selon le plan, Ganzuga était censé se rendre à Alger sous le déguisement d’un frère mercédaire. Là, il proposerait à son ancien maître les termes suivants : s’il acceptait de changer d’allégeance et de soumettre Alger aux Habsbourg, il serait intronisé à la noblesse avec le titre de marquis ou de comte (selon son choix) et un fief d’une valeur de 12000 ducats par an. Au cas où ‘Oulouj accepterait de poursuivre les négociations, Ganzuga devait immédiatement se rendre à Madrid et discuter des détails avec Antonio Pérez, secrétaire controversé de Philippe II et chef de facto des services secrets des Habsbourg, sa « véritable éminence-grise. »

Un détail intéressant est la façon dont ce misérable paysan se présenterait au secrétaire du roi et le convaincrait qu’il était en fait un agent des Habsbourg : il toucherait la main du secrétaire avec sa main droite d’une manière spéciale.

 

Une deuxième connexion parallèle devait être établie par la famille corse Gasparo Corso. Il s’agissait d’une famille trans-impériale composée de cinq frères qui établirent des relations commerciales et des réseaux d’information clés dans toute la Méditerranée occidentale. L’un d’eux, Francisco, un marchand à Valence, voulait utiliser les relations de son frère Andrea (un marchand et un agent de rançon) à Alger qui comprenait plusieurs personnalités politiques et militaires importantes.

Selon l’accord que les frères passèrent avec le vice-roi d’Aragon, le comte de Benavente, Andrea fournirait aux Habsbourg des informations sur Alger qu’il recevait grâce à ses relations. De plus, Francesco se rendrait à Alger pour rejoindre son frère et négocier avec ‘Oulouj ‘Ali sa défection du côté des Habsbourg. Selon Francesco, la promesse d’un bon revenu et d’un titre héritable, un très bon revenu avec un certain titre pour lui-même et ses descendants, persuaderait cet ancien vassal des Habsbourg de changer de camp.

 

Je dois ajouter ici que des espions des Habsbourg rapportèrent en 1569 que les janissaires de la ville avaient envoyé un messager à Istanbul, demandant l’envoi de l’ancien gouverneur général Hassan Bacha, le fils de Khayr-ad-Din Barbarossa Bacha. Cette nouvelle fit conclure à Philippe II que la situation précaire de ‘Oulouj ‘Ali à son poste le rendrait plus sensible à l’idée de défection. Il y avait aussi des incitations pour la partie des Habsbourg à ouvrir des négociations dès que possible : un accord avec un puissant corsaire et le gouverneur général d’Algérie serait un atout inestimable, surtout à un moment aussi critique où la révolte des Alpujarras éclata à Grenade et les rumeurs d’une éventuelle alliance morisque-ottomane s’intensifia.

 

Après s’être mis d’accord avec le vice-roi de Naples sur les principes de base, Francesco se rendit à Madrid pour élaborer les détails du plan. Les frères Gasparo Corso contacteraient d’abord l’intendant de ‘Oulouj ‘Ali (kahya) Mami Corso (un parent des frères Gasparo Corso), un capitaine de galère nommé Catania Reis et le prince marocain en exil, Abd al-Malik (1576-1578). Même si les rémunérations financières de ce dernier laissèrent de côté, les détails concernant les offres à faire à ‘Oulouj ‘Ali, Mami Corso et Catane furent consignés dans un document du 2 juillet 1569 : ‘Oulouj ‘Ali se vit offrir 10000 ducats dans le royaume de Naples qu’il pouvait passer à ses descendants ainsi que le titre de comte, marquis ou duc. Catane recevrait 4000 ducats dans le royaume de Sicile avec le titre de baron ou de comte et Mami obtiendrait 3000 ducats de renta dans l’un des deux royaumes avec le titre de baron ou de comte. Tous furent autorisés à apporter leurs biens et leurs familles avec eux. Andrea et Francesco eux-mêmes obtiendraient 2000 ducats.

 

Ce montant inhabituellement élevé pour les intermédiaires et les espions opérant dans les régions frontalières méditerranéennes doit être lu comme un témoignage de l’anxiété des Habsbourg pour assurer la défection de ‘Oulouj. Enfin, les frères Gasparo Corso étaient autorisés à faire des offres financières à d’autres transfuges potentiels (l’un d’entre eux serait-il Abd al-Malik dont la rémunération financière ne fut pas mentionnée dans la documentation ?) en fonction de leur « qualité. » Au cas où ‘Oulouj refuserait l’offre, ils étaient également autorisés à augmenter la valeur du fief de Mami et Catane à 6000 ducats avec le titre héréditaire de comte ou de marquis, à condition qu’ils puissent soumettre Alger par eux-mêmes.

 

Le genre d’arguments que les autorités pensaient qu’Andrea devrait utiliser pour convaincre ‘Oulouj ‘Ali sont la preuve claire que les Habsbourg voulaient utiliser des facteurs psychologiques ainsi que matériels et qu’ils pensaient que l’origine chrétienne de ‘Oulouj ‘Ali était un atout dont ils devaient tirer parti. Andrea rappellerait au corsaire calabrais son passé chrétien et ajouterait qu’il devrait quitter cette vie qu’il avait menée « contre la raison, la loi naturelle et la vérité de Dieu » et revenir à lui. De plus, Andrea ferait remarquer que ni sa vie ni ses biens ne seraient en sécurité tant qu’il resterait à Alger. S’il revenait au catholicisme et soumettait Alger, en revanche, il se verrait octroyer des titres aristocratiques et des fiefs. Bref, il pouvait être son propre maître et honorer son nom de famille. Ici, Andrea ferait référence au fait qu’il était courant dans l’Empire Ottoman que des hauts fonctionnaires étaient exécutés et leurs biens confisqués. Pour un étranger parvenu comme ‘Oulouj ‘Ali qui fit fortune rapidement dans une région frontalière et qui manquait des relations nécessaires dans la capitale ottomane, perdre la faveur pourrait facilement entraîner la perte de sa vie et de ses biens. A l’heure où les rumeurs de son limogeage de son poste circulaient partout, un tel argument aurait semblé assez convaincant.

De plus, les arguments avancés par Andrea reflètent le stéréotype courant de l’époque : des Turcs avides, le Sultan Ottoman despotique et un empire d’esclaves où la vie et les biens de personne n’étaient en sécurité.

 

Francesco n’a jamais fait le déplacement à Alger. A sa place, un troisième frère, Felipe, arriva dans le repaire du corsaire. Avant qu’il n’y ait un accord, cependant, ‘Oulouj quitta Alger afin de profiter de l’occupation des Habsbourg avec la révolte des Alpujarras. Avec une rapide expédition militaire, il conquiert Tunis en 1569. Pendant son absence à Alger, une nouvelle idée surgit : Mami, le lieutenant de ‘Oulouj ‘Ali dans la ville, pourrait-il soumettre ce port stratégique aux Habsbourg ? Selon Andrea, cela n’était pas possible étant donné que les janissaires algériens qui n’aimaient déjà pas beaucoup ‘Oulouj ‘Ali surveillaient étroitement son lieutenant renégat. Quand ‘Oulouj revint de Tunis, il n’était pas plus coopératif qu’avant. Il refusa de négocier avec Andrea, même si Mami Kahya était toujours d’accord. Quelques mois plus tard, ‘Oulouj quitta l’Afrique du Nord avec sa flotte de corsaires pour rejoindre la flotte ottomane pour la bataille de Lépante. Mami fut de nouveau laissée pour compte. Cependant, lorsque les rumeurs de ses négociations avec Andrea commencèrent à circuler, les tensions entre lui et les janissaires algériens augmentèrent encore. Ces derniers obligèrent Mami à résider dans le palais de ‘Oulouj sous le regard bienveillant d’une quarantaine de leurs camarades. Entre-temps, le marquis de Pescara, vice-roi de Sicile, envoya un certain Jaime Losada, l’un des anciens esclaves de ‘Oulouj, afin de poursuivre les négociations. Il ne put produire aucun résultat.

 

Pendant ce temps, ‘Oulouj ‘Ali survécut au désastre de Lépante avec l’aile gauche de la marine ottomane intacte et son succès à dégager ses navires et à sauver une partie de la flotte ottomane lui valut la Grande-Amirauté. Cela signifia qu’il quittait la scène de la politique algérienne. Pourtant, les espions des Habsbourg poursuivirent leurs activités en Afrique du Nord, au lendemain de Lépante lorsque des rumeurs circulèrent à Alger selon lesquelles la flotte alliée victorieuse allait assiéger la ville.

 

En 1573, Don Juan envoya en Espagne un soldat italien nommé Renzo qui proposa aux autorités des Habsbourg d’organiser la soumission d’Alger avec l’aide de son frère Hassan Kaid. Il fut envoyé à Alger accompagné d’Andrés Fernández de Truvia, un soldat espagnol. Ils étaient autorisés à offrir au frère de Renzo 12000 ducats et un titre aristocratique. Leur mission échoua lorsque Don Juan attaqua Tunis plutôt qu’Alger. De même, il y eut des négociations avec le successeur de ‘Oulouj ‘Ali, Arab Ahmed, par deux canaux différents : l’un via un marchand nommé Juan Pexon et un ecclésiastique murcien, Francisco Nunez et l’autre via les frères Gasparo Corso.

 

Laissant de côté ces négociations à Alger, suivons ‘Oulouj ‘Ali jusqu’à Istanbul. Tout d’abord, sa promotion à la grande amirauté le rendit encore plus important aux yeux des décideurs des Habsbourg. Les problèmes financiers ainsi que la révolte dans les Pays-Bas rendirent les Habsbourg de plus en plus réticents à investir dans un conflit avec les Ottomans en Méditerranée. Leur principal allié, Venise, signa un accord de paix séparé dans leur dos en 1574. De plus, malgré le fait que la majeure partie de leur flotte fut anéantie à Lépante (ils perdirent plus de 200 navires), les Ottomans reconstruisirent rapidement leur flotte et conquirent Tunis et la Goulette en 1574. Enfin, alors que les coûts navals et les dépenses de défense ne cessaient d’augmenter, Madrid dut déclarer faillite en 1575. Dans ces circonstances, il fallut faire quelque chose pour la marine ottomane renforcée par les effectifs et l’expertise de ‘Oulouj ‘Ali et ses corsaires.

 

La lointaine Istanbul était hors de portée de Madrid ; il était tout simplement impossible d’opérer avec des espions et des agents envoyés du centre. Les autorités provinciales durent intervenir. Le premier à prendre l’initiative fut le commandant de la flotte alliée, Don Juan de Austria, qui envoya de Messine à Istanbul un renégat nommé Paulo de Arcuri dès décembre 1571, trois mois seulement après la bataille de Lépante. Connaissant personnellement ‘Oulouj ‘Ali, Paulo tentera d’assurer la défection du rusé corsaire au lendemain d’une désastreuse défaite navale. Il reçut l’ordre de rappeler à ‘Oulouj ‘Ali son passé chrétien et de lui faire savoir que Philippe II était prêt à lui accorder des honneurs exceptionnels s’il rentrait chez lui. ‘Oulouj devait soumettre Alger ou Tripolis, ou se révolter avec un certain nombre de navires ottomans et changer de camp, ou céder une place stratégique à la marine de Don Juan. Il ne faut pas oublier, cependant, que la mission de Paulo comprenait également la collecte d’informations ; il devait envoyer des rapports réguliers concernant la marine ottomane. On ne sait pas s’il réussit à retrouver ‘Oulouj ‘Ali. Le silence de la documentation suggère que sa mission ne produisit pas de résultats sérieux.

 

Une fois ‘Oulouj ‘Ali revenu dans la capitale ottomane avec sa flotte, les services secrets des Habsbourg durent trouver un autre moyen de négocier avec lui. Heureusement, après la défaite de Djerba, ils avaient déjà mis en place un réseau de renseignement opérationnel à Istanbul, composé de marchands, d’agents de rançon, d’intermédiaires ainsi que de renégats occupant des postes clés au sein de l’appareil administratif et militaire ottoman. Ces agents résidents sur les listes de paie envoyaient régulièrement des informations concernant les préparatifs navals dans l’Arsenal ottoman, la destination possible de la marine ottomane et la situation politique à Istanbul. Ils proposèrent également plusieurs opérations secrètes de sabotage, d’assassinat et de corruption afin d’affaiblir la capacité navale ottomane. Pour parvenir à leurs fins, il était tout naturel que ces intermédiaires établissent rapidement des liens au sein de la maison et de la faction de ‘Oulouj ‘Ali, principalement composée de renégats. Deux d’entre eux, par exemple Sinan (Juan de Briones) et Haydar (Robert Drever), acceptèrent de fournir des informations. Ils écrivirent plusieurs lettres, dont certaines furent envoyées à bord des galères ottomanes et incluaient ainsi les nouvelles les plus récentes concernant les plans navals ottomans.

 

Après l’échec d’une série de tentatives pour inciter ‘Oulouj à changer de camp, les Habsbourg commencèrent à chercher d’autres moyens. S’il ne pouvait pas être corrompu, il pourrait peut-être être assassiné. L’assassinat était une méthode fréquemment employée dans la politique du XVIe siècle. Des monarques comme Henri III, Henri IV et Jeanne d’Albret, des aristocrates comme Guillaume d’Orange, des ministres comme Sokullu Muhammad Bacha et plusieurs autres personnages importants, soldats, diplomates, courtisans, etc. tous rencontrèrent tous leurs fins aux mains d’un assassin. La lame et le poison étaient les outils les plus courants ; pourtant, il y avait aussi des méthodes plus compliquées. Catherine de Médicis, par exemple, tua Jeanne d’Albret avec une paire de gants parfumés. Il fut rapporté que le prince Muhammad tenta de tuer son père en lui envoyant une boîte mécanique qui tirait une balle lorsqu’elle était ouverte. Heureusement, le Sultan prudent fit ouvrir la boîte par un de ses muets. Une tentative similaire serait proposée par Pietro Lanza, un corsaire qualifié des Habsbourg employé en 1608. Les Ottomans semblaient conscients du fait que les Sultans étaient des cibles naturelles pour les assassins. Les étrangers, même les ambassadeurs, n’étaient pas autorisés à s’approcher du Sultan sans que les gardiens ne sécurisent leurs armes des deux côtés.

 

Le poison semblait être la méthode d’assassinat la plus populaire dans la capitale ottomane. Les rumeurs abondent autour de la mort de personnalités politiques importantes. On soupçonnait, par exemple, que Bayazid II avait été empoisonné par son fils Salim. De même, lorsque Ferhat Bacha décéda, ses hommes affirmèrent que son médecin l’avait tué en lui administrant un mauvais médicament. À la mort d’Özdemiroglu ‘Uthman Bacha sur le front de Perse, son corps fut amené à Istanbul et une autopsie fut pratiquée afin de déterminer s’il était mort empoisonné ou non.

 

Au sommet de l’establishment naval ottoman, il était naturel que ‘Oulouj ‘Ali soit une cible de choix pour les assassins. La première tentative enregistrée sur sa vie, cependant, fut faite non pas par des assassins employés par un autre état, mais par ses propres hommes. Selon une lettre datée de mars 1574 et écrite par des agents des Habsbourg à Istanbul, trois des renégats de ‘Oulouj conspirèrent avec des galériens chrétiens contre leur maître. Leur plan était de tuer le Calabrais de nuit puis de s’enfuir avec son brigantin vers leur patrie. Il était courant que les renégats, avides de leur foyer, se repentent de leur conversion et tentent de s’enfuir cependant, il y avait certaines incongruités dans leur intrigue. Ce qu’ils essayèrent de réaliser en tuant ‘Oulouj ‘Ali n’est pas clair. Ils pouvaient s’enfuir sans le tuer ; il aurait dû y avoir plusieurs autres brigantins à voler. D’ailleurs, il serait plus sage pour ces fugitifs de ne pas attirer l’attention de tout l’empire en assassinant un grand ottoman. Bref, tuer le Grand Amiral et disparaître avec son brigantin était une idée terrible. Alors pourquoi le faire ? Étaient-ils chargés par un état anonyme de tuer le Grand Amiral ottoman ? Il est évident que les Habsbourg n’étaient pas impliqués, mais c’est tout à fait possible ; ‘Oulouj ‘Ali ne manquait pas d’ennemis. Encore une fois, une autre possibilité était qu’il y avait des tensions au sein de l’establishment ottoman ou plus précisément au sein de la maison de ‘Oulouj ‘Ali qui opposaient les coupables aux corsaires calabrais.

Il est difficile de dire laquelle des théories ci-dessus est valide, ou si l’une d’entre elles est valide. Ce que nous savons avec certitude, cependant, c’est que le complot fut découvert et que les coupables connurent une fin terrible : leur nez fut coupé et ils furent tués avec toutes sortes de tortures (diverses).

 

Un autre témoin de cette conspiration était Stephan Gerlach, l’aumônier de l’ambassadeur d’Autriche dont les mémoires survécurent. Il raconta que certains des esclaves de ‘Oulouj ‘Ali avaient été capturés juste avant d’assassiner le corsaire ; ils avaient creusé sous sa chambre pour y placer des explosifs. Ils n’étaient qu’à deux briques de là lorsqu’ils furent appréhendés parce qu’un conspirateur espagnol les livra aux autorités. Selon l’aumônier, certains furent empalés tandis que d’autres furent battus à mort. Ironiquement, l’Espagnol fut parmi les exécutés en raison du fait qu’il participa aux premières étapes du complot. Le fait que Gerlach n’ait rien dit d’une fuite souhaitée vers le christianisme renforce notre soupçon qu’ils peuvent avoir été embauchés par des services secrets ennemis.

Un mot d’avertissement : la présence d’un renégat espagnol dans le complot ne doit pas nous faire croire que les Habsbourg étaient derrière le complot. ‘Oulouj ‘Ali avait plusieurs renégats et esclaves espagnols, et à leur tour, les services secrets des Habsbourg n’embauchèrent pas exclusivement des Espagnols.

 

Il est peu probable que les services secrets des Habsbourg aient joué un rôle actif dans ce complot. Lorsqu’un an plus tard, une autre tentative d’assassinat contre ‘Oulouj ‘Ali fut commise, elle fut planifiée et financée directement par les autorités des Habsbourg. Francisco Peloso était l’un des nombreux agents que le vice-roi de Sicile envoya à Istanbul pour recueillir des informations. Lorsqu’il revint de la capitale ottomane sans apporter d’informations substantielles en 1575, il fit rapidement une offre intéressante, sans doute pour prouver son utilité à son employeur. Il proposa d’empoisonner le Grand Amiral et d’autres capitaines importants de la marine ottomane, ce qu’il prétendait pouvoir faire facilement car il était le bienvenu dans leurs maisons. De plus, il pourrait faire exploser le dépôt de munitions qui, selon lui, était une cible plus facile que l’Arsenal, la cible principale de plusieurs saboteurs des Habsbourg dans le passé. Même si le vice-roi de Sicile, le duc de Terranova, ne refusa pas catégoriquement l’offre, il fut prudent : « Je connais très bien la différence entre la parole et l’acte »,  déclara-t-il. Le vice-roi fournit rapidement le feu grégeois nécessaire à l’opération de sabotage de Peloso. Il s’avéra néanmoins impossible de trouver du poison en Sicile. Cela signifie que les perspectives d’un assassinat réussi semblaient déjà minces dès le départ. Laissant son fils aux soins du vice-roi, un Peloso non découragé retourna au Levant, et il n’y a aucune autre mention dans les documents de sa mission.