Le siège d’Algésiras
Quand Alfonsh, qu’Allah le maudisse, fut bien assuré que l’émir des
Musulmans s’était retiré, il rompit la paix, viola sa « sainte foi »
jurée sur sa « sainte croix » et oublia les bienfaits. Puis, le
maudit, appela tous ses contingents et envoya sa flotte devant
Algésiras pour la bloquer et empêcher le passage du détroit. En
apprenant cela, ‘Omar Ibn ‘Ali, le souverain de Malaga, craignit de
se voir enlever la place, et la vendit à Ibn al-Ahmar pour
50.000 dinars ainsi que la forteresse Shlobaniah et ce dernier vint
avec son armée pour prendre possession de Malaga, d’où ‘Omar Ibn
‘Ali se retira en emportant tout l’argent et le matériel que l’émir
des Musulmans lui avait laissé pour entretenir la garnison et la
marine.
Lorsque ces nouvelles arrivèrent en détail à l’émir des Musulmans,
il quitta en hâte la capitale pour rejoindre la côte le 3 Shawwal
pour pouvoir traverser de nouveau vers l’Andalousie mais, assaillit
par les pluies, les vents et les torrents qui se déchaînèrent en
tempêtes perpétuelles le jour et la nuit, il ne put aller en avant,
et il était encore à la même place lorsqu’il apprit que les croisés,
qu’Allah les anéantisse, avaient déjà cerné Algésiras par terre et
par mer. L’émir donna ordre de lever le camp pour Tanger, d’où il
comptait passer en Andalousie pour chasser les Chrétiens d’Algésiras
et alors que ses troupes faisaient leurs préparatifs de départ, il
reçut la nouvelle que l’émir Mas’oud Ibn Qannoun s’était révolté
contre lui dans le pays de Nafis suivit de tous les Arabes des Bani
Soufyan. L’émir se décida alors de revenir sur ses pas et à son
arrivée Mas’oud s’enfuit au Jabal Saksiwah dans Souss, où il se
retrancha, abandonnant ses trésors et ses biens dont Abou Youssouf
s’empara et qu’il distribua aux Banou Marine. L’émir partit aussitôt
à la poursuite du rebelle, l’atteignit et l’encercla sur le Jabal
Saksiwah, après avoir juré de ne se retirer, si Allah lui prêtait
vie, que lorsqu’Ibn Qannoun se serait soumis.
L’émir, continua à bloquer les rebelles et envoya son fils, Abou
Zayyan, à Souss pour faire justice à tous les bandits qui s’y
trouvaient et percevoir les impôts. Abou Zayyan revint auprès de son
père le 30 du mois de Dzoul Hijjah après avoir rempli sa
mission.
Sur ce, l’émir reçut des nouvelles du siège d’Algésiras par Alfonsh,
qu’Allah le maudisse, à la tête de trente-mille cavaliers et de
trente-mille fantassins sur terre, tandis que du côté naval, il
avait rangé ses navires en murailles armées qui déployèrent leurs
balistes et autres machines. Toutes les communications avec
l’extérieur étaient ainsi interceptées, et les habitants ne
recevaient plus aucune nouvelle, si ce n’est celles qui leur étaient
apportées par des pigeons qu’on leur expédiait de Gibraltar avec des
billets écrits et qu’ils renvoyaient avec leurs réponses. La
population était complètement épuisée par la captivité et par la
faim, par les combats incessants et par la garde qu’il lui fallait
monter nuit et jour sur les remparts. Aussi la plus grande partie
des habitants moururent à la peine, et ceux qui restaient avaient
abandonné tout espoir de vie après avoir immolé leurs enfants, de
crainte que les croisés, en s’emparant de la ville, ne les
contraignissent à changer leur religion.
En apprenant tout cela, l’émir Abou Youssouf des Musulmans, retenu
par son serment auprès d’Ibn Qannoun, qu’il avait juré de soumettre
ou de tuer, appela son fils, Abou Ya’qoub, et lui donna ordre de se
rendre immédiatement à Tanger pour aller secourir Algésiras, et
armer une flotte capable de chasser les assiégeants. L’émir Abou
Ya’qoub partit pour Tanger durant le mois de Mouharram de
l’année 678 de l’Hégire (1279), et y arriva le 1 du mois suivant,
Safar, et donna aussitôt l’ordre d’équiper des navires dans les
ports de Ceuta, de Tanger, de Badès et de Salé puis, il distribua de
l’argent et des armes aux Moujahidine. La population de Ceuta
déploya la plus grande activité pour l’armement de cette expédition
et en recevant les ordres d’Abou Ya’qoub, le Faqhi Abou Hatim
al-‘Azfi (qu’Allah lui fasse miséricorde) rassembla à Ceuta, les
Sheikhs, les caïds, les capitaines et leurs guerriers et leur prêcha
l’urgence de combattre dans la voie d’Allah et les exhorta à se
préparer pour aller secourir la population d’Algésiras. Tous ceux
qui se trouvaient à Ceuta, à ce moment, se levèrent et remplirent
bientôt les quarante-cinq navires, petits et grands, soldats,
docteurs, étudiants, savants, marchands, travailleurs dont la
plupart n’avaient aucune connaissance des armes, s’engagèrent pour
la cause d’Allah à Lui les Louanges et la Gloire et, il ne resta à
Ceuta que les femmes, les enfants, les paralytiques, les vieillards
sans forces et les jeunes impubères.
De son côté, Ibn al-Ahmar arma douze navires à Almunecar (al-mounqib),
Almeria et Malaga et Abou Ya’qoub en équipa quinze autres entre
Tanger, Badès, Salé et ‘Anfa. La flotte musulmane se composait en
tout de soixante-douze navires, qui se rallièrent à Ceuta, et
vinrent tous ensemble à Tanger pour être inspectés par Abou Ya’qoub.
C’est à Tanger qu’eut lieu l’embarquement des troupes, et Abou
Ya’qoub, en envoyant les armées des Bani Marine, leur confia son
étendard et leur dit : « Allez avec la bénédiction et la grâce
d’Allah Exalté » et l’air retentit des Takbir des
Moujahidine.
Au secours des assiégés
La flotte quitta Tanger le 8 Rabi’ Awwal et les habitants de Ceuta,
de Tanger et du Qasr al-Mijaz restèrent quatre jours et quatre nuits
sans dormir et sans fermer leurs portes. Vieillards et enfants
s’étaient réunis sur les remparts, d’où ils adressaient en commun à
Allah à Lui les Louanges et la Gloire, leurs plus ferventes prières.
Les voiles musulmanes s’éloignèrent sur la mer tranquille et
parfaitement uniforme, les vents apaisés par la Toute Puissance
d’Allah Exalté mais le calme ralentit la marche de leurs grands
navires, et ils relâchèrent à Gibraltar, où ils passèrent à l’ancre
toute la nuit, durant laquelle les Moujahidine récitèrent le
Qur’an et louèrent Allah.
Le lendemain matin, à l’aube, ils firent leurs prières et quelques
savants parmi eux se levèrent au milieu d’eux, prêchèrent le
Jihad fis-Sabilillah et énumérèrent les magnifiques récompenses
que le Très Haut tient en réserve pour les combattants dans Sa voie.
Ces sermons les remplirent d’enthousiasme, au point de leur faire
désirer le martyr, et, après s’être pardonnés les uns les autres,
ils répétèrent tous la profession de foi et prêts à mourir, ils
appareillèrent et avancèrent contre les associateurs.
Les croisés en voyant la flotte musulmane qui cinglait sur eux,
sentirent leurs cœurs frappés d’épouvante. Leurs commandants
montèrent aussitôt sur les ponts de leurs vaisseaux pour examiner
l’ennemi et comptèrent plus de mille navires et s’imaginèrent qu’il
s’en présenterait bientôt d’autres, mais leur erreur était
certainement l’œuvre d’Allah Exalté qui multiplia le nombre à leurs
yeux. Se sentant perdus, ils prirent leurs dispositions pour la
retraite et la fuite, quand les vaisseaux musulmans s’avancèrent
tous ensemble et se mirent en ligne comme des remparts.
Le chef supérieur des mécréants, monté sur son vaisseau, rallia à
lui tous les autres commandants et leurs soldats, entièrement
revêtus de fer et armés de pied en cap. Le nombre de leurs navires
était bien supérieur à celui de la flotte musulmane, et ils étaient
si remplis de croisés qu’ils ressemblaient à des montagnes
obscurcies par des vols de corbeaux. Leurs mouvements étaient
rapides comme ceux de coursiers rapides dans la plaine. Le combat
s’engagea, et les Musulmans firent leur profession de foi et
dirent : « C’est notre dernier jour ! » avant de fondre sur leurs
ennemis serrés comme la pluie et comme un vent impétueux, frappant
partout, détruisant tout à coups de lance et de sabre; ils
entamèrent leurs navires et les forcèrent à s’échouer. Les mécréants
voyant ce qui arrivait tentèrent de prendre la fuite mais les
Musulmans, abordèrent leurs navires et en massacrèrent une quantité
innombrable. Ils avaient beau se jeter à la mer, nager comme des
crapauds, ou se coucher sur l’eau comme sur leurs lits, les croyants
les atteignaient toujours avec leurs lances et leurs sabres et ils
les tuèrent jusqu’au dernier puis s’emparèrent de leurs vaisseaux
déserts et ils enlevèrent tout ce qu’ils contenaient d’agrès et de
provisions.
Les Musulmans, assiégés à Algésiras, furent au comble de la joie en
voyant le massacre et la destruction de leurs ennemis, et ils
reprirent courage quoiqu’ils fussent résignés à mourir. Les
Musulmans débarquèrent à Algésiras, et, le sabre en main, partirent
à l’assaut de la ville, massacrant tous les mécréants qu’ils
rencontrèrent. Le chef supérieur fut fait prisonnier ainsi que tous
les caïds chrétiens qui l’entouraient, au nombre desquels se
trouvaient le neveu d’Alfonsh et les grands de sa cour. Lorsque les
mécréants surent dans le camp des assiégeants ce qui venait
d’arriver aux troupes navales, massacrées ou prisonnières, ils
craignirent de voir arriver sur eux l’émir Abou Ya’qoub et ils
prirent aussitôt la fuite, abandonnant tout, armes, bagages et
munitions derrière eux. Les habitants d’Algésiras, voyant cette
déroute, sortirent tous ensemble, hommes et femmes, et tombèrent sur
le camp, où ils pillèrent et tuèrent tout ce qu’ils purent. Ils
firent un butin considérable de bagages, d’argent, de provisions de
toute espèce, et ils rentrèrent en ville avec des quantités
innombrables de légumes, de beurre, d’orge et de farine.
C’est ainsi que, par la grâce et le secours d’Allah, à Lui les
Louanges et la Gloire, soixante-dix navires musulmans remportèrent
la victoire sur la flotte des croisés, qui comptait plus de
quatre-cents bâtiments. Un courrier, porteur de la bonne nouvelle,
partit aussitôt pour annoncer à Abou Ya’qoub ce que le Très-Haut
avait fait pour Ses serviteurs dans cette magnifique et mémorable
circonstance. L’émir adressa des louanges en actions de grâces au
Grand Seigneur et écrivit immédiatement à son père pour lui faire
part de la victoire.
Cette glorieuse bataille eut lieu le 12 du mois de Rabi’ Awwal, mois
béni de la naissance de notre Prophète (que Dieu le comble de
bénédictions), de cette même année. La nouvelle arriva à l’émir des
Musulmans alors qu’il assiégeait encore Mas’oud Ibn Qannoun sur le
mont Saksiwah qui se prosterna devant le Très Haut en lui adressant
de longues actions de grâces. Il donna alors l’ordre de distribuer
des aumônes, de délivrer les prisonniers, de faire des réjouissances
et de battre le tambour dans tout son royaume, qu’Allah Exalté lui
fasse miséricorde. Depuis qu’il eut connaissance du siège
d’Algésiras, il ne dormit plus et mangea sans plaisir, ne
s’approchait plus de sa femme, négligea sa mise et prit la vie en
grand dégoût et il resta en cet état jusqu’à la nouvelle de la
destruction et de la dispersion des mécréants d’Algésiras.
L’alliance des Bani al-Ahmar
avec les Bani ‘Abdel Ouad contre les Bani Marine
Dans les premiers jours de Rabi’ Thani, Abou Ya’qoub vint à
Algésiras, et les croisés saisis de terreur, s’attendirent à être
assiégés et il se trouva que, indisposé contre Ibn al-Ahmar
depuis qu’il avait pris Malaga, l’émir Abou Ya’qoub fit alliance
avec Alfonsh pour attaquer Grenade ensemble, et les principaux
croisés se rendirent chez son père pour la ratification de ce pacte
mais dès que l’émir eut connaissance de cela, il lui adressa les
plus vifs reproches. Plein de courroux, il ne ratifia point le
traité, et, bien au contraire, il resta à Souss, en jurant qu’il ne
verrait jamais un seul de ces croisés amenés par son fils, si ce
n’était dans leur propre pays. Les chefs mécréants s’en retournèrent
fortement humiliés.
L’émir Abou Youssouf se rendit alors à Fès, où il écrivit aux tribus
des Banou Marine et Arabes de se préparer pour le combat dans la
voie d’Allah et, dans les premiers jours de du mois de Rajab, il
quitta Fès pour aller en Andalousie mettre fin aux querelles et
combattre les ennemis d’Allah.
Il arriva à Tanger vers le milieu du mois et descendit à la Casbah.
En examinant la situation, il reconnut que le feu de la discorde
s’était rallumé en Andalousie, et que les haines et les brigandages
s’étaient beaucoup accrus, tant du côté des Musulmans que de celui
des mécréants. Il trouva que l’ennemi avait fait de grands progrès
depuis son éloignement et qu’il avait profité de sa mésintelligence
avec Ibn al-Ahmar au sujet de Malaga. Il envoya donc un
émissaire à ce prince pour lui offrir son alliance moyennant la
restitution de Malaga mais ce dernier rejeta avec hauteur ses
propositions car il avait déjà fait la paix avec Yaghmourassan Ibn
Zayyan, auquel il avait envoyé de riches trésors et des magnifiques
présents pour s’allier avec lui contre Abou Youssouf, l’émir des
Musulmans et harceler son armée en pénétrant sur ses terres pour
l’empêcher de passer en Andalousie.
L’émir des Musulmans ayant eu connaissance de cette intrigue,
expédia un courrier chez Yaghmourassan pour lui demander une
explication et lui offrir la paix mais Yaghmourassan répondit à
l’émissaire : « Il n’y a pas d’entente possible entre l’émir
et moi et jamais il n’y aura d’alliance entre nous, et, ma vie
durant, il ne doit s’attendre qu’à la guerre. Tout ce qu’on lui a
dit de ma coalition avec Ibn al-Ahmar est la vérité. Qu’il
s’attende donc à me rencontrer et qu’il se tienne prêt au combat ».
L’envoyé rapporta cette réponse à l’émir des Musulmans, qui s’écria
: « O Grand Seigneur, accorde-moi la victoire contre eux, o Toi le
Meilleur des Victorieux ! »
Après être resté trois mois et dix-sept jours à Tanger, l’émir
revint à Fès et envoya un second message à Yaghmourassan pour
entamer de nouvelles négociations et lui démontrer son erreur : « O
Yaghmourassan », lui écrivit-il, « jusqu’à quand persisteras-tu dans
cette voie et quand te désisteras-tu de cette amertume en faveur de
sentiments meilleurs ? Sache que tous nos différends sont vides ;
aie donc du bon sens et agrée la paix qui est la plus belle chose
qu’Allah ait faite pour ses serviteurs. Je désire que tu sois fort
et puissant, capable de prêter ton appui pour le Jihad, et
que cette guerre et que les conquêtes sur les mécréants deviennent
ta seule ambition. Nous devons être absolument en bonnes relations
ensemble. Si tu refuses d’aller à la guerre et que tu ne veuilles
point entrer toi-même dans cette voie, laisse au moins agir les
croyants pour leur soutien et leur propre défense, et ne t’oppose
plus au passage des Toujini, qui sont les alliés des Bani Marine ».
Pendant que l’envoyé de l’émir parlait, Yaghmourassan remua à
plusieurs reprises sur son siège, et quand il entendit prononcer le
nom des Toujini, il s’écria, hors de lui-même :
- « Par Allah ! Je ne veux plus entendre un mot de ces gens-là. Si
Alfonsh en personne venait chez eux, je ne l’empêcherais point et le
laisserais faire ».
La bataille de l’Oued Tafna
Quand l’émir victorieux eut perdu tout espoir d’alliance avec
Yaghmourassan, il sortit de Fès dans le courant du mois de Dzoul
Hijjah 679 de l’Hégire (1280) pour l’attaquer.
Arrivé au défilé de ‘AbdAllah, il fut rejoint par son fils, Abou
Ya’qoub, et se rendit à Ribat puis à l’Oued Moulouïyyah ou il fut
rejoint par les contingents des Banou Marine et des Berbères, qui
arrivèrent nombreux comme la pluie, et son armée couvrit bientôt les
hauteurs et les plaines. Il s’avança alors jusqu’à Tama (Mania ou
Nama), où il perdit son fils Ibrahim puis, il poursuivit sa route
jusqu’à l’Oued Tafna. Là, Yaghmourassan se présenta à lui avec ses
trésors, sa famille et ses bagages, entouré de paisibles tribus
arabes conduisant leurs chameaux et leurs bestiaux. Lorsqu’il les
vit, l’émir des Musulmans ordonna de suspendre l’attaque mais les
Bani Marine voulaient se battre, et une partie d’entre eux se mit en
campagne pour chasser et, en même temps, pour découvrir l’armée de
Yaghmourassan. Emportés par la chasse, ils arrivèrent sans s’en
rendre compte dans le camp ennemi, où les ‘Abdel Ouad et autres
Arabes s’élancèrent sur eux comme un essaim de sauterelles. Les
cavaliers des Banou Marine, battus et poursuivis, atteignirent avec
peine les bords de la rivière et à leur vue, l’émir, qui finissait
sa prière du Zouhr, monta à cheval et bondit comme un lion
avec tous ses soldats et sa cavalerie se divisa, sur son ordre, en
deux parties ; l’une se précipita sur le camp et l’autre sur la
troupe d’Arabes qui s’était présentée à lui.
L’émir et son fils Abou Ya’qoub restèrent en arrière avec environ
mille cavaliers des plus vaillants des Bani Marine. Le combat
s’engagea et s’échauffa, Satan apparut et la bataille devint de plus
en plus sanglante jusqu’au ‘Asr ou l’émir se montra avec ses
mille cavaliers tandis que son fils Abou Ya’qoub se présentait aussi
d’un autre coté et tous deux, avec leurs tambours et leurs
étendards, s’élancèrent dans la mêlée et combattirent
courageusement. Yaghmourassan, comprenant que toute résistance était
devenue impossible pour lui, s’en alla, abandonnant son camp, ses
trésors, sa famille et sa suite. Il prit la fuite en courant vers le
désert, sans tenir compte, selon sa coutume, des biens et des femmes
qu’il laissait derrière lui. Ses troupes furent massacrées et ses
étendards abattus tandis qu’il rentra en cachette dans sa capitale.
Tout son camp fut livré au pillage, et les Musulmans passèrent la
nuit entière à faire du butin et à saccager les environs, pendant
que le tambour de l’émir battait la victoire sans discontinuer. Tous
les biens des Arabes furent pris, et les Marine s’enrichirent de
butin, de chameaux et de bestiaux.
En l’an 981 de l’Hégire (1282), il reçut un message d’Alfonsh, qui
lui adressait des louanges et lui écrivait : « O roi victorieux !
Les Chrétiens se sont soulevés contre moi et veulent me renverser
pour élever mon fils Don Sancho à ma place, sous prétexte que je
suis vieux, sans bon sens et sans forces. Puissé-je leur tomber
dessus avec toi ! » L’émir lui répondit aussitôt : « Je suis prêt et
j’accours ».
Il traversa donc pour l’Andalousie au mois de Rabi’ Thani. Alfonsh
vint à lui, humble et faible, et se plaignit de la misère dans
laquelle il était tombé, et ajouta : « Je n’ai d’autres secours à
attendre que ceux que tu m’accorderas, et d’autres victoires à
espérer que celles que tu remporteras. Il ne me reste d’autres biens
que ma couronne, c’est celle de mon père et de mes aïeux, prends-la
en gage et donne-moi l’argent nécessaire pour me relever ».
L’émir lui remit 100.000 dinars, et ils commencèrent ensemble à
faire des razzias sur les terres des croisés jusque sous les murs de
Cordoue où s’était enfermé le fils d’Alphonse et où ils établirent
leur camp et battirent les murs pendant quelque temps. L’émir envoya
des troupes vers Jaén pour détruire les moissons; il se rendit
lui-même dans les environs de Tolède, et s’avança jusqu’à Madrid, en
saccageant tout sur son passage avant de retourner à Algésiras, en
Sha’ban ou il resta jusqu’à la fin du mois de Dzoul Hijjah
pour en partir le 1 du mois de Mouharram 682 (1288) pour
Malaga, qu’il assiégea et conquit un grand nombre de places fortes
des environs, entre autres les forteresses de Qartoumah, de Dakhwan
et de Souhayl.
Durant cette même année le fils d’Alphonse fit alliance avec Ibn
al-Ahmar, pour contrebalancer celle de son père avec l’émir
des Musulmans Abou Youssouf. Toute l’Andalousie fut en feu. Ibn al-Ahmar,
voyant que la perte de son royaume était imminente, envoya des
ambassadeurs à Abou Ya’qoub, au Maghreb pour le supplier de venir
mettre de l’ordre en Andalousie. Abou Ya’qoub passa, en effet, le
détroit durant le mois de Safar 682 de l’Hégire et après de longues
et terribles discussions, Allah Exalté fit faire la paix entre les
Musulmans, et Sa bénédiction releva les étendards de la religion et
unit la parole de l’Islam. Les razzias contre les adorateurs de la
croix recommencèrent, et l’émir des Musulmans retourna une fois
encore sur les terres des mécréants.
L’expédition d’al-Bira
L’émir quitta Algésiras le 1 du mois de Rabi’ Thani de l’année 682
de l’Hégire et avança jusqu’à Cordoue, dont il rasa les environs et
pilla les châteaux avant de se diriger vers al-Bira après avoir
laissé son camp et le butin à Bayza sous la garde de cinq-mille
cavaliers des plus vaillants, et en cela il fit preuve de beaucoup
de jugement et de prudence. Il se rendit en toute hâte à al-Bira,
traversa durant deux jours un pays désert avant d’atteindre des
lieux habités. Les cavaliers qui étaient avec lui ne cessèrent de
galoper, et il n’y eut de halte qu’aux environs de Tolède, à une
journée d’al-Bira. Le butin et les richesses que les Musulmans
acquirent dans cette expédition, et le nombre de milliers de croisés
qui périrent sont incalculables.
L’émir, changea de direction et se porta sur ‘Oubidah, renversant,
pillant et incendiant tout ce qu’il trouva sur son passage et arrivé
sous les murs de la place, il commença aussitôt l’attaque mais un
instant après, un barbare, posté sur les remparts, lui décocha une
flèche qui atteignit son cheval. L’émir fut protégé par la grâce
d’Allah néanmoins cet accident le décida à se retirer, et il revint
au camp de Bayza, où il demeura trois jours pour laisser reposer ses
troupes avant de retourner à Algésiras avec les trésors et les
dépouilles au mois de Rajab puis à Tanger et à Fès, où il arriva
dans la dernière décade de Sha’ban.
Au mois de Mouharram 683 de l’Hégire (1281), il envoya son fils Abou
Ya’qoub dans le sud à Souss tandis qu’il tomba gravement Maroc et
donna l’ordre à son fils de revenir qui rentra aussitôt. L’émir des
Musulmans retrouva la santé et put bientôt se lever pour aller
combattre de nouveau dans la voie d’Allah en Andalousie, vers la fin
du mois de Joumadah Thani de cette même année. Il rentra à Ribat
al-Fath vers le milieu de Sha’ban et dans les derniers jours
de Shawwal, il se rendit au Qasr al-Mijaz, d’où il appela les tribus
Berbères à combattre dans la voie d’Allah et toute la fin de l’année
683 de l’Hégire fut employée aux préparatifs et au passage des
troupes en Andalousie.
Quatrième passage de l’émir Abou Youssouf en Andalousie
L’émir Abou Youssouf passa pour la quatrième fois en Andalousie pour
conduire le Jihad contre les croisés, le jeudi 5 du mois de
Safar, an 686 (1285). Il débarqua à Tarifa, et se rendit à
Algésiras, où il demeura quelque temps avant de se mettre en route
sur les terres chrétiennes qu’il rasa jusqu’à l’Oued Loukka de
Guadalete avant de marcher à Xérès avec l’intention de reprendre
toutes les terres des mécréants pour rétablir les Musulmans jusque
dans leurs extrêmes limites, en s’arrêtant dans chaque contrée,
aussi longtemps qu’Allah, à lui les Louanges et la Gloire, le
voudrait.
Il arriva à Xérès le 20 du mois de Safar et dès ce jour-là, chaque
matin, après avoir fait sa prière, il montait à cheval avec ses
guerriers et se rendait devant la porte de la ville avant d’envoyer
ses troupes dans toutes les directions pour détruire les moissons,
couper les arbres, saccager les habitations sans relâche jusqu’à
l’heure de la prière de ‘Asr, où il ralliait tout son monde,
puisse Allah Exalté lui faire faire miséricorde, et revenait dans
son camps. Il ne cessa d’exhorter les Musulmans et de les pousser en
avant, parce qu’il savait que les croisés, avaient leurs greniers
vides et qu’ils seraient menacés par la famine s’il détruisait leurs
moissons et toutes leurs ressources.
Le 21 du mois de Safar, les détachements des Bani Marine et des
Arabes rentrèrent au camp après avoir tout dévasté sur leur route
jusqu’au voisinage de la ville d’Ibn Salim tandis que la cavalerie
musulmane qui était restée à Tarifa, ainsi que les troupes des
garnisons des diverses forteresses d’Andalousie, rejoignirent l’émir
avec armes et bagages.
Le mercredi 25 du mois de Safar, l’émir des Musulmans envoya Ayad
al-‘Assami attaquer la forteresse de Shaloukah où il massacra tous
les croisés qui s’y trouvaient. Le jeudi 26, l’émir, envoya ses deux
ministres, les Sheikhs Abou ‘AbdAllah Muhammad Ibn Athou et
Abou Muhammad Ibn ‘Imran, pour lui ramener des renseignements
sur les forteresses d’al-Qantarah et de Routhah ce qu’ils firent
accompagnés d’un détachement de cinquante cavaliers.
Le vendredi 27, l’émir demeura dans son camp et ne monta pas à
cheval mais cela n’était qu’une ruse pour que les croisés se sentent
à l’abri d’une attaque ce jour-là et ils ne manquèrent pas de faire
sortir leurs troupeaux de la ville pour les faire paître aux
alentours, et dont s’empara Abou ‘Ali Ibn Mansour Ibn ‘Abdel Wahid,
qui s’était embusqué dans les oliviers avec trois-cents cavaliers.
Le samedi 28, l’émir monta à cheval avec tous ses guerriers, et se
rendit devant la ville de Xérès, qu’il bombarda pendant une heure
avant de se retirer en abattant sur son passage un nombre
considérable de vignes et de figuiers.
Le dimanche 29, il donna à son petit-fils, Abou ‘Ali Mansour Ibn
‘Abdel Wahid, le commandement de mille cavaliers, et l’envoya à
Séville avant de partir devant Xérès, ou il ordonna à sa troupe de
continuer l’œuvre de destruction.
Abou ‘Ali Mansour se mit en marche avec ses mille cavaliers des
tribus des Bani Marine, des Arabes, des ‘Assam, des Khilouth,
al-Aftaj et al-Aghzaz et ne s’arrêta qu’au Jabal Jirir, où il fit la
prière de ‘Asr, et remonta à cheval avec tous les croyants
qui l’accompagnaient jusqu’à ce qu’il arrive sous les arches du pont
d’al-Qantarah au coucher du soleil. Là ils firent halte pour nourrir
les chevaux et ils se remirent en marche toute la nuit. L’aube les
surprit alors qu’ils étaient entre le Jabal Rahmah de la
Sierra Morena et Séville, ou ils attendirent le lever du soleil.
L’émir Abou ‘Ali Mansour consulta alors les chefs de la troupe, et
il fut décidé que cinq-cents cavaliers se porteraient en avant pour
attaquer Séville tandis que le reste resteraient en arrière pour les
suivre à distance.
Le premier groupe partit suivit à une allure moindre par Abou ‘Ali
Mansour avec le reste de sa troupe. Les croisés attaqués par
surprise furent taillés en pièces ou faits prisonniers et leurs
maisons pillées. Un corps de Musulmans des Bani Souhoum, des
Bani Wanhoum et quelques Bourghwatah rencontrèrent un
détachement de croisés et Allah Exalté anéantit ce groupe de
mécréants, qui furent tous tués ou faits prisonniers.
Les troupes ayant rallié l’émir Abou ‘Ali Mansour demandèrent au
Sheikh Abi al-Hassan ‘Ali Ibn Youssouf Ibn Yarjatan, quelle
route il convenait de prendre pour le retour. Le Sheikh leur
répondit : « S’il plait à Allah, entre Carmona et al-Qila’ ».
L’émir ayant donné ordre de réunir le butin, le confia à un Amin, et
le faisant passer devant, il se dirigea vers Carmona. Les Musulmans
souffrirent beaucoup en route de la chaleur et de la soif.
L’émir Abou ‘Ali envoya le cavalier Abou Samir en avant pour aller
reconnaître Carmona. Abou Samir partit au galop et tomba peu après
sur une troupe de Musulmans en déroute et en fuite de Carmona. Abou
Samir, s’arrêtant, leur dit :
- « Que vous arrive-t-il donc ? » Ils répondirent :
- « Nous étions devant Carmona, quand une troupe de cavaliers et de
soldats en est sortie et nous a attaqués et qui arrivent à notre
poursuite derrière cette colline ».
Abou Samir s’arrêta donc en cet endroit avec les fuyards, et
attendit l’arrivée de l’émir Abou ‘Ali escorté de ses troupes et du
butin qu’il informa à son arrivée et ils se précipitèrent tous
ensemble pour intercepter les croisés, qui firent aussitôt
volte-face et s’enfuirent en désordre poursuivit par les Musulmans
qui les atteignirent à la porte même de la ville et les massacrèrent
tous, à l’exception d’un petit nombre qui parvint à se réfugier
derrière les remparts. L’émir ordonna alors d’incendier les moissons
et de couper les arbres dans les environs de Carmona ce qui fut fait
jusqu’à l’heure de ‘Asr.
Au coucher du soleil, il rejoignit sa caravane sur les bords de
l’Oued Loukka avant de partir pour les Arches (al-qwass) ou
il saccagea le pays et les moissons jusqu’à l’heure de la prière de
‘Asr avant de marcher vers l’Oued Milhah pour
rejoindre le camp avec tout son butin.