Chapitre Onze

 

 

LA DEFENSE DU LITTORAL

 

Deux missions incombaient à l’armée de la Régence : déloger l’occupant et défendre la côte. La marine prit une grande part dans cette lourde tâche.

 

A - LIBERER LES POINTS OCCUPÉS

 

1. Chasser les Génois

 

Le coup d’envoi de l’anti-croisade fut donné, dès le début de la présence turque, à propos de Jijel.

Après leur premier échec devant Bijâya, en 1512, les frères Barberousse se mirent à explorer la côte afin d’établir une base pour se lancer dans la bataille contre l’occupant.

 

Ils trouvèrent insupportable la présence des Génois installés depuis peu à Jijel. Ils étaient six cents environ. Aidé par les tribus voisines, ‘Arrûdj chassa les Italiens en 1513 et fit de cette bourgade du littoral, une base active d’où partaient les coups contre Bijâya[1].

2. Déloger les Espagnols

 

Une des préoccupations majeures du nouveau pouvoir établi à Alger était de libérer « ard al-Islâm » (la terre de l’Islâm). En effet, dès le début du XVIème siècle, et profitant des déchirements et des faiblesses militaires dont souffrait le Maghreb central, les espagnols s’étaient emparés de quelques villes côtières avec l’espoir de dominer, directement ou indirectement, l’arrière-pays.

 

a) Le Penon d’abord[2] : En 1510, Pedro Navaro, après s’être emparé de Bijâya, vint construire, à grands frais, sur l’îlot principal, à trois cents mètres de la terre ferme, une forteresse appelée « penon » à cause de la base rocheuse qui la supportait. A une portée d’arbalète de la côte, le bastion se voulait « un gage sûr de la soumission des Algérois. »

 

On espérait les tenir en respect, prévenir ainsi la course musulmane et assurer la perception du tribut annuel imposé à Alger par les rois catholiques.

 

De 1510 à 1529, les Espagnols retranchés dans la fameuse forteresse bombardaient, de temps à autre, la nouvelle capitale du Maghreb central.

 

Dès son installation à la tête de la Régence, Khayr ad-Dîn devait résoudre l’épineux problème du Penon. Le moment venu, Barberousse prit la décision d’en finir avec la présence espagnole qui « était la fois une gêne et une honte » et un obstacle aux mouvements de la marine. Elle empêchait la construction d’un port et les bateaux n’étaient en sécurité ni contre les tempêtes ni contre les attaques ennemies.

 

Ainsi, par un beau matin de mai 1529, c’était la veille du Ramadhân, les batteries placées sur la porte de Bâb al-Wâd, crachèrent un feu nourri qui dura « vingt jours et vingt nuits. » Les Espagnols tinrent bon. Alors Khayr ad-Dîn fit battre la forteresse du côté de la mer par ses galères « afin de contraindre l’ennemi à tirer de tous les côtés et disperser ses boulets. » Grâce à un espion juif à la solde des Espagnols nous connaissons la tactique de Barberousse : Il ordonna d’armer toutes les galères et fustes et fit courir le bruit qu’elles allaient partir pour croiser les côtes d’Espagne. Elles s’exécutèrent mais au milieu de la nuit, elles rentrèrent dans la rade et allèrent se cacher dans le port de Matifou. Le jeudi, toute l’artillerie bombarda le Penon et le lendemain, toute la division, protégée par le bruit des canons et par la fumée s’approcha de l’îlot et aborda à la pointe du rocher « sans que les Espagnols eussent vu quelque chose. » Puis les combattants, sautant à terre donnèrent l’assaut au fort. Malgré l’alarme donnée, la victoire fut totale, une grande partie du château fut démolie et avec les débris, une jetée fut posée sur une trainée de rochers.

 

Les Occidentaux ont mis l’accent, quant aux causes de la défaite chrétienne, sur un certain nombre de facteurs :

 

- Un appui français ? Khayr ad-Dîn sortit donc victorieux « avec le secours du Sultan et celui des canons d’un bâtiment français qui était venu se radouber à Alger[3]. »

 

- Des secours espagnols arrivés trop tard ? Jurien de la Gravière a sa version : « Quand le Penon fut attaqué, écrit-il, les secours réclamés n’arrivèrent qu’une fois ses murailles rasées à fleur d’eau. Neuf vaisseaux de transport, chargés de troupes de munitions de guerre, de provisions, se montrèrent dans les premiers jours de juin en vue d’Alger. Les capitaines cherchèrent vainement des yeux le fort qu’ils venaient de ravitailler. Pendant qu’ils scrutaient l’horizon, les chébecs algériens, les demi-galères se mirent à la poursuite des naves qui s’éloignaient à toutes voiles [...] Les habitants d’Alger, portés en foule sur la plage voyaient débarquer deux mille sept cents captifs[4]. »

 

Cette victoire sur l’Espagnol, marqua un tournant dans l’histoire du pays. Elle ouvrit une brèche dans le système d’occupation élaboré par l’ennemi. Le nouveau port permit aux Algériens, de mieux se lancer dans la guerre de course. On n’abordait plus à la plage de Bâb al’Wâd ou de Bâb ‘Azzûn. On n’essuyait plus les tirs espagnols. On n’allait plus, par mauvais temps, se réfugier à Jijel ou à Cherchell. Enfin, si en 1516 et 1518, l’Espagne avait perdu seulement des soldats et du matériel de guerre, en 1529, elle perdit une garnison et un point stratégique important[5].

 

Ces premières victoires firent trembler les Etats ibériques.

 

Quand Khayr ad-Dîn prit Tunis (1534), les places portugaises de l’extrême ouest du Maghreb tremblèrent. Le gouverneur de Ceuta, D. Nuno Alvarès Pereira réclama à Francisco Labo, fiétor portugais en Andalousie la somme de 500 cruzados « afin de mettre en place en état de défense » et ce « en raison d’informations sûres qu’il a reçu (sic) de diverses sources annonçant que Barberousse se préparait à venir attaquer Ceuta. »

 

L’évêque d’Algarve fit dire au roi de Portugal tout « le danger que courait Ceuta si Barberousse attaquait la place. Avec ses cent cinquante galères, il l’enlèverait en trois heures[6]. »

 

 

b) Chute du second préside[7] : Bijâya était à sa quarante cinquième année d’occupation. Deux tentatives pour l’arracher aux Espagnoles furent sans résultat. Les galiotes de ‘Arrûdj, jointes aux fantassins locaux, ne purent libérer la capitale des Hammadites en 1512 et 1514, malgré un siège par mer et par terre.

 

Durant cette longue période, les Musulmans ne se découragèrent point. Tout en harcelant l’occupant, on préparait le coup décisif.

 

Salah Raïs, Beylerbey de 1552 à 1556, malgré les dangers qui menaçaient la Régence à l’ouest[8] et pour montrer qu’il restait au service de l’Islâm, face à des chérifs complaisants, déclencha les hostilités contre le préside espagnol en juin 1555.

 

Vingt-deux galères quittèrent Alger en même temps que les troupes terrestres, en direction de Bijâya. Le corps expéditionnaire aurait pu être plus fourni, si le Sultan n’avait réclamé plus de navires et plus de soldats « pour venir en aide au Roi de France, Henri II, qui soutenait, à cette époque, une guerre contre Philippe II[9]. »

 

A l’arrivée, la Soumân avait tellement grossie par les premières pluies, qu’elle devint navigable. Les galères de nos Raïs remontèrent pendant trois milles le cours de la rivière. Le débarquement fut sans inquiétude.

 

Les opérations débutèrent le 15 septembre par un siège qui se resserrait de plus sur la ville. Le caïd Yûsuf commandait les batteries algériennes. Les forts ennemis tombaient l’un après l’autre, jusqu’à la capitulation du Gouverneur Peralta.

 

La chute de la célèbre ville mit fin au rêve qu’entretenaient les chrétiens de fonder un empire dans le Maghreb central. L’espoir s’écroula. Perafon de Ribera, le commandant de la garnison du Présidé, le dit à Charles Quint : « Je remercie votre Majesté et je désire qu’elle sache que Bougie n’est pas le Pérou ou l’on peut ramasser de l’or et des perles en courant le pays. En Afrique, on ne trouve que des Turcs et des Maures[10]. »

 

Penon

c) Les sièges d’Oran : Depuis son occupation en 1509, Oran n’a jamais cessé de préoccuper les dirigeants de la Régence.

 

La retentissante victoire de Bijâya fut un encouragement à Salah Raïs. Il voulait en finir avec les Espagnols d’Oran. Il commença par mettre ses galères en état de se diriger vers l’Ouest. A l’arrivée d’une escadre turque venue l’appuyer, il sortit avec une trentaine de bâtiments de Tamantfoust... Mais le lendemain, il fut emporté par une mort subite.

 

Hasan Corso prit alors le commandement de l’expédition, secondé par ‘Alî Portuco et Muhammed Bay. Il envoya, par mer, à Mostaganem, son artillerie et une partie des troupes. Puis de là, on se dirigea vers Oran, vers la mi-août 1556.

 

La place fut investie dès le débarquement de l’artillerie sur la plage de « Uyûn at-Tore. » Des escarmouches, on passa à l’engagement qui fut sévère pour l’occupant. La canonnade dura plusieurs jours. Des succès furent enregistrés[11] quand, un événement imprévu changea le cours des choses. La flotte ottomane venue appuyer les Algériens, reçut l’ordre de regagner l’Orient en toute hâte[12]. On renonça à une entreprise qui avait bien commencé pourtant. Le siège fut levé et l’escadre rentra à Alger.

 

En 1563, Hasan Ibn Khayr ad-Dîn[13] revenu à la tête du pays, pour la troisième fois, organisa une grande tentative contre Oran, avec le concours de la marine.

 

Hasan expédia l’artillerie par mer. Les galères étaient sous le commandement du Raïs Cochulpari. A Mostaganem, marins et fantassins se rencontrèrent, pour élaborer la dernière phase de l’expédition.

 

Avril 1563, la flotte alla bloquer Mars al-Kabîr. L’armée de terre entreprit la conquête des points indispensables. Mais les assauts successifs contre la base navale furent vains.

 

Les bâtiments algériens se trouvèrent entre les feux des forts et ceux d’une flotte espagnole dépêchée de Malaga. Les difficultés augmentant, on leva le siège encore une fois. Pourtant, le préside fut bloqué durant deux mois[14]. Plus tard, d’autres efforts et d’autres sacrifices apporteront leurs fruits et les deux bases seront libérées en 1708[15] et définitivement en 1792.

 

Entre-temps, il y eût la réoccupation de la ville en 1732 par les Espagnols.

 

L’escadre d’Alger, composée de dix vaisseaux et frégates, de seize à soixante-six canons, suivies de plusieurs barques et brigantins, sortit pour porter secours à l’armée de terre engagée devant Oran.

 

« Le Dey, lit-on dans un document de l’époque, avait totalement dégarni Alger de troupes et de munitions et comptait que, avec un tel effort porté sur Oran, la ville devait être prise d’assaut, mais ce ne fut pas possible[16]. »

 

B - PROTEGER LE LITTORAL

 

Alger n’était pas l’unique cible de l’ennemi. Les convoitises de celui-ci s’étendaient à toute la côte du pays. Les propriétés militaires du long littoral, avaient très tôt, éveillé l’attention des stratèges. « ...Il s’avance en mer comme un immense bastion. Il commande sur une longueur de cent myriamètres, la route qui conduit des mers du Levant à tous les marchés du Nord de l’Europe et de l’Amérique ; il touche au détroit de Gibraltar et au canal de Malte...[17]. »

 

Cependant, si une bonne partie du rivage était protégée par des falaises abruptes et par un rideau de montagnes qui la borde, certains golfes, comme Ceux d’Oran, de Bougie ou de Skikda, présentaient des brèches encourageant l’invasion.

 

Le littoral constantinois faisait partie d’un plan d’occupation. Les établissements français de l’Est algérien respectaient, de moins en moins, les accords conclus avec le gouvernement de la Régence. Ils élevaient à la Calle de nouvelles fortifications défendues par une artillerie, en violation des traités. Ils favorisaient la fuite des denrées et apportaient un concours à la course maltaise. L’expédition française sur Jijel, en 1664, illustre les visées européennes. D’autres appétits voulaient ‘Annâba et la Calle. On cultivait et entretenait des complicités locales[18]. Devant les multiples dangers, il revenait au gouvernement d’assurer la sécurité du rivage.

 

1. Les fortifications côtières

 

Une première mesure prise consistait à fermer les brèches en fortifiant les rades qui les commandaient. Déjà Piri Raïs avait remarqué le procédé. Toutes les villes de la côte, de Mars al-Kabîr à Mars al-Kharaz étaient dotées de forts de surveillance[19].

 

A l’ouest, les ports de Mostaganem, Arzew, Oran et Mars al Kabir étaient sous la protection d’une garnison et d’une artillerie. Les efforts étaient encore plus soutenus quand il s’agissait de points particulièrement sensibles. Les rades d’Arzew et de Falcon, les ports de Bijâya, Stora et Jijel étaient en mesure de recevoir, dès le printemps les navires de guerre ennemis.

 

‘Annâba avait sa forteresse construite sur des rochers inaccessibles et qui étaient des bastions. On y entrait par trois portes dont une du côté de la mer. Les rues étaient étroites et des maisons fortifiées servaient de dépôts d’armes et de munitions difficiles à atteindre et à ouvrir.

 

Toutes ces dispositions rendaient la ville imprenable. Des six-mille habitants, un tiers formait la milice. La garnison de la forteresse comprenait deux cents arquebusiers et cinquante cavaliers. A un demi-mille, une autre forteresse, assise au sommet de la montagne, avec ses tours et ses pièces d’artillerie, dominait la ville et la mer.

 

Toutefois, les mesures prises pour défendre le littoral avaient occasionné de lourdes dépenses. D’où le besoin constant qu’éprouvaient les dirigeants et qu’ils ne pouvaient satisfaire que par les impôts. Le voyageur algérien al-Warthilâni[20] dénonçait les coûts dus à l’édification de citadelles, tours, remparts, forteresses ainsi qu’à l’entretien des garnisons implantés là où il y avait le danger provenant de la mer.

 

2. Les patrouilles maritimes

 

En dehors de ce chapelet de points défendus par l’artillerie, le reste de la côte était sous la surveillance des chaloupes. Leur mission consistait d’abord à courir sur les bâtiments qui venaient à passer trop près du littoral ou qui accostaient sans autorisation.

 

La côte du ponant était gardée par les galiotes sous les ordres du Bey. Un document datant de 1732 nous décrit avec détails l’armement en service « devant Oran, Arzew et aux environs » :

 

Nom de navires

Canons

Equipages en

hommes

Compagnie du Beylik

78

1.100

Le Suédois

58

660

Compagnie Vieille du Beylik

48

548

Compagnie particulière

44

436

Benesparie

40

405

Barbe Noire

40

382

Soliman

40

382

CaraMostefa

38

318

Galesa

36

278

Mulaque

36

268

Archimisa

36

268

Carife

20

165

La barque à courir

 

600

Sept galiottes

 

420

 

       512

                     6.230[21]

 

 

Sous estimant pareille force, les Anglais durent payer en 1749 le prix de leur arrogance. Ils étaient venus charger du blé, sur la côte ouest, à Tarare précisément. Les galiotes intervinrent à temps et confisquèrent les deux vaisseaux et leur chargement.

 

Les Anglais, par la bouche du Consul Keppel, prétendirent que Tarare « était de la domination du Roi du Maroc ou, tout au moins, un état indépendant entre les deux royaumes où les Algériens n’ont aucun droit de vouloir donner la loi [...] La confiscation est donc injuste. »

 

La réponse du Dey fut cinglante : « Tarare est un pays de ma domination. Il n’appartient point au roi d’Angleterre de régler les confins des Etats du roi du Maroc et des miens [...] J’ai défendu qu’on y charge. J’ai déclaré bonne prise ceux qui iraient. Tant pis pour quiconque y contrevient et est surpris par mes garde-côtes[22]. »

 

A l’Est du pays, en 1820, trois navicelles étrangères à la pêche du corail, portant pavillon toscan, furent capturées sur la rade de ‘Annâba, par une corvette de guerre algérienne.

 

C’était le 5 juillet et la trêve entre la Toscane et la Régence avait pris fin le 31 mars ! Préférant la témérité au renouvellement d’un accord, les deux bateaux tombèrent entre les mains de nos marins.

 

A côté de ces missions de surveillance, les bâtiments algériens faisaient voile pour aller relever les garnisons des villes côtières, transporter du matériel de guerre et des soldats près des frontières ou, pour entreprendre le siège des places espagnoles implantées dans le Maghreb central.

 

 

 

 

 

 



Chapitre Douze

 

 

LES CONFLITS ALGERO-ESPAGNOLS

 

Poussée par des impératifs religieux, des calculs politiques et des nécessités économiques, l’Espagne ouvrit, après 1492 et sous le prétexte de réprimander la piraterie musulmane, une longue série d’expéditions militaires contre le nouveau régime établi à Alger. Le but était clair : chasser le Turc devenu menaçant, s’emparer d’une partie de la Régence, la mettre au service de la couronne catholique[23] et dominer le bassin occidental de la Méditerranée.

 

Malgré les premiers échecs, les tentatives allaient se renouveler jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.

 

Les Espagnols s’étaient fixés devant Alger dès 1510. Les nombreux succès de ‘Arrûdj et de son frère, tant sur mer que sur terre, inquiétèrent sérieusement les dirigeants de la Péninsule.

 

1. Il fallait agir pour endiguer le flux ottoman. Cependant, ‘Arrûdj eut vent d’une imminente action espagnole, il se prépara à la repousser. Juan de Tuleda, avisant la Cour, disait que le nouveau chef « se fortifiait tant qu’il pouvait, creusant fossés et tranchées car il savait déjà que l’armada allait venir. »

 

Une intéressante lettre de Juan Negrylli, officier de garnison espagnole du Penon, en date du 25 août 1516, décrit l’atmosphère qui régnait alors à Alger : « Chaque jour, notait-il, ‘Arrûdj se fortifie de tout son pouvoir, il a cent Turcs en tout et il attend son frère d’un moment à l’autre. Toutefois, je vous engage à ne pas le dédaigner [...] Il faut 9 à 10 000 hommes pour prendre la ville sans péril [...] Barberousse a pour amis tous les Arabes qui le favorisent. Il a fait la paix avec le fils du Chaikh [...][24]. Vous ne devez pas compter, qu’en Berberie, il se trouve un seul indigène de votre parti. »

 

Le 30 septembre, les troupes espagnoles débarquaient sur la plage de Bâb al-Wâd. Là de Vara, le commandant en chef, commit plusieurs erreurs d’ordre militaire.

 

Il divisa l’armée d’invasion en quatre corps, pensant que les Algériens, attaqués de quatre côtés à la fois, résisteraient difficilement, et le calcul s’avéra faux.

 

‘Arrûdj sortit de la ville, au moment voulu et chargea l’ennemi qui, désemparé, fuyait en désordre. « Il dompta facilement, dit Sandoval, trois-mille soldats et fit prisonnier quatre cents. » La déroute fut totale. Les assaillants réembarquèrent à la hâte et dans la confusion. Au dire de Rotalier, le général lui-même, dans cette situation critique, perdant toute présence d’esprit, avait fui, honteusement, et passa une partie de cette triste journée, caché avec son fils parmi les rochers au bord de la mer[25].

 

Les causes de la débâcle furent différemment analysées : tempêtes ? Indiscipline des soldats ? Manque de cohésion d’un corps « qui n’était qu’un ramassis de vagabonds que le cardinal paraît avoir à tâche d’éloigner ? » On n’a guère insisté sur le fait que les Barberousse avaient des galères et une artillerie et étaient en mesure de jeter à la mer les hordes venues le défier[26] !

 

2. Deux ans plus tard, l’Espagne revint à la charge. Début 1518, Charles Quint, après avoir reçu l’envoyé du Vatican venu le décider à la lutte contre la Régence, confia à Hugo de Moncade, vice-roi de Sicile, le commandement de la deuxième expédition.

 

Une escadre emmenant près de cinq-mille hommes, partie de Naples et de Sicile, cingla vers Alger. Dès le débarquement, le 17 août, et les premiers accrochages, l’échec fut immédiat. Khayr ad-Dîn fit un carnage dans les rangs ennemis. Captifs et butin firent la joie du chef de la Régence[27]. II récupéra aussi ce que la mer, son alliée fidèle, avait poussé sur le sable comme armes et munitions. La victoire était d’autant plus éclatante qu’elle était remportée sur un chevalier de Malte, « capitaine connu par la valeur qu’il avait montrée en Italie, dès le temps du Grand Capitaine. »

 

3. Sachant que la capitale restait sur ses gardes, l’Espagne conçut le projet d’attaquer Cherchell.

 

La ville avait son importance à l’époque. Des Andalous chassés de leur pays s’y réfugièrent. La forteresse devint leur quartier général[28]. Les Turcs en tiraient la plus grande partie de leurs approvisionnements. Ils y possédaient des fabriques de biscuits, des ateliers de cordage et de voilure ainsi que des entrepôts de bois de construction provenant des forêts de la région.

 

D’autre part, la flotte algérienne préparant une attaque contre Cadix, s’y trouvait rassemblée. Toutes ces raisons amenèrent Doria à s’en prendre à Cherchell, en 1531 avec le ferme espoir d’y installer après la perte du Penon, une tête de pont.

 

Partie de Gênes, une flotte franco-impériale de vingt-neuf galères cingla donc vers Cherchell. Dès leur arrivée, les assaillants lancèrent une attaque d’une rare violence. Neuf galiotes algériennes furent la proie du feu. Le reste fut coulé par les Algériens pour empêcher l’ennemi de s’en emparer. Ensuite, la garnison se retira dans la forteresse[29]. Pendant que les troupes espagnoles se livraient au pillage, Andalous et Turcs firent une sortie vigoureuse. Les trois compagnies de Gorgio Pallavicini furent surprises et laissèrent une centaine de prisonniers et beaucoup plus de tués[30].

 

On lira avec intérêt le mémoire du capitaine Ochoa d’Ercilla sur les affaires du roi de Tunis (1533). Celui-ci déclarait déjà à l’époque qu’il lui paraît plus facile de se rendre maître de Tunis que d’Alger ; que toutefois il est convaincu que si cette dernière ville était prise et occupée le reste de l’Afrique tomberait promptement au pouvoir de Sa Majesté.

 

Pour subvenir aux frais d’une guerre contre les corsaires d’Alger, l’Empereur demanda, en 1539, un subside au Pape, qui, voulant favoriser cette entreprise, accorda au monarque la moitié des revenus ecclésiastiques et écrivit à ce sujet aux cardinaux de Tolède et de Burgos, à l’archevêque de Séville et à l’évêque de Cordoue[31].

 

4. En 1541, à la suite des campagnes concertées de Doria, du vice-roi de Sicile, de l’escadre espagnole, le seul point d’appui important entre les mains des ottomans qui restait à enlever était Alger.

 

Malgré les échecs précédents, l’Empereur ne se donnait pas pour battu. Le désir de se venger, excité par des lettres pressantes du Pape Paul III[32] le décida. Il résolut de passer en personne au Maghreb central. Le prétexte était de remettre sur le trône d’Alger, le fils de Salim at-Tûmî. En réalité, le but était tout autre : raser la ville, s’emparer du pays, en expulser les Turcs, les éloigner du bassin occidental, isoler la France et la priver de tout secours de la part de ses alliés[33].

 

 

Les préparatifs étaient à la hauteur des ambitions. La gigantesque expédition se trouva en octobre 1541 devant Alger. Le choix du moment avait ses raisons : y surprendre la flotte algérienne dans le port et la détruire.

 

La formidable armada[34] ne devait faire qu’une bouchée des défenseurs de la capitale. Alger ne disposait que de quelques centaines de soldats, Turcs et indigènes car les reste étaient en campagne.

 

Il faut signaler que, malgré l’alliance du Lys et du Croissant, et malgré les visées hostiles de l’Empereur, François 1er prêta sa flotte à son ennemi pour mettre à genoux une Régence qui tenait tête. Douze galères, quatre galions et quatre nefs de France allèrent rejoindre les divisions espagnoles[35].

 

Sitôt arrivée et débarquée, l’armée fut affrontée à des combats éclairs et taillée en pièces. Désorganisée, c’est à grand peine qu’elle parvint à rejoindre le petit centre de Tamentafoust. Les troupes de Hasan Agha, lancées aux trousses des fuyards, tuèrent nombre de soldats et capturèrent chevaux et provisions[36].

 

Les Raïs et leurs hommes eurent leur part dans la victoire. Le débarquement s’étant opéré dans la rade, à l’est de la ville, c’est dans cette partie que se trouvaient concentrés tous les moyens de défense.

Dans un long rapport d’un agent à François 1er sur l’expédition d’Alger, nous relevons : « Il (l’Empereur) vient tenir ses états à Tolède, pour voir s’il pourra recouvrer argent car je vous assure qu’il en a grand besoin. Jamais en sa vie il ne fit une si grande perte comme il a fait à présent que de toute l’artillerie, munitions de guerre et chevaux qui étaient en sa compagnie, tout à été perdu et sont morts tant de gens et de mariniers que l’on ne sait le nombre ; que de 130 naux et 17 galères qui se sont perdues à la côte rien n’est échappé de ce qui était dedans, sans [compter] la perte de ceux qui étaient à terre... Les pertes se montent à quatre millions d’or[37]. ».

 

Les conséquences politiques et militaires de la grande défaite furent telles que le XVlème siècle ne vit aucun succès remporté par les adversaires de la Régence. La triste expérience de Charles Quint allait décourager, pour un temps, les entreprises de l’Europe qui ne renonça pas, du reste, au rêve devenu obsession d’en finir avec Alger[38].

 

Dans toute l’Europe, en Espagne plus particulièrement, l’humiliante défaite de l’Empereur eut l’effet d’un tremblement de terre[39].

 

B - L’ECHEC DE 1601[40]

 

Sous Philippe III, on fut tenté de surprendre Alger. On prépara, en secret, une expédition forte de soixante-dix galères sous les ordres d’A. Doria, amiral génois au service de l’Espagne[41].

 

Le plan prévoyait une attaque surprise en août parce que les six ou sept-mille janissaires se trouvaient, à pareille époque, à l’intérieur du pays, pour percevoir les impôts et les marins en course. La plus grande partie des habitants se retiraient à la campagne.

 

Il fallait entrer dans le port sur de faux navires marchands, attaquer la porte de la Marine et inciter les esclaves chrétiens à la révolte.

 

Les soixante-dix galères, réunies à Majorque, prirent enfin la mer et se présentèrent, fin août, devant les côtes algériennes... pour reprendre le chemin du retour !

Le projet avait-il perdu son caractère initial d’attaque surprise ? Le renseignement était-il déjà parvenu à Alger[42] ? Craignait-on le retour imminent des Raïs et des janissaires ? Il semble qu’on avait peur de provoquer un pouvoir qui, jusque-là, n’avait jamais été battu par les armes européennes.

 

Cayet raillant ces insuccès écrit que « leurs seuls effets ont été les représailles exercées sur les pauvres esclaves de Barbarie, lesquels furent durement enferrés[43]. »

 

C - LA GRANDE GUERRE (1775)

 

L’état de tension permanent entre la Régence et l’Espagne amena le Roi Carlos III[44] à entreprendre une grande expédition contre Alger[45].

 

Cherchait-il la sécurité de la navigation, l’agrandissement de ses Etats, le crédit et le prestige au sein d’une Europe effrayée par l’activité de la course algérienne ?

 

Les différents ports du royaume s’affairaient dans les préparatifs et les observateurs se perdaient dans leurs efforts de pénétrer les intentions du monarque. Voulait-il fortifier ses colonies pour faire la guerre à l’Angleterre ? Attaquer Gibraltar ou Mahon ? Punir les Siciliens de leur ancienne révolte ? Le doute était savamment entretenu pour ne pas éveiller les soupçons de la Régence.

 

Les divisions de la flotte rassemblées à Carthagène embarquèrent plusieurs corps de cavalerie, quatre-mille mulets pour le service de l’artillerie de campagne, des centaines de canons, des ingénieurs, des ouvriers, des matériaux « pour élever des forts, » le tout « pour s’emparer d’une partie de la Régence et d’y former un établissement. »

 

Le 28 juin, on mit à la voile. Plus de cent-trente bâtiments, grands et petits, cinglaient vers les côtes algériennes. Le 1er juillet, les croisés étaient devant « al-mahrûsa. »

 

On entreprit de reconnaître la rade, le port et les environs. On trouva le tout « formidablement armé de batteries. » Alors on débarqua à l’ouest de l’oued el-Harrach. En effet, malgré les fausses nouvelles répandues en Espagne quant à la direction de l’armada, Alger était sur la défensive. Le consul La Vallée fait état de services rendus par le capitaine Vidal, envoyé en mission du côté de l’Espagne et « auquel la Régence a eu l’obligation d’avoir un temps suffisant pour achever ses préparatifs et tous les consuls de se déterminer à envoyer leurs familles à Marseille[46]. »

 

Le Dey, Muhammad Ibn Uthman avait déjà pris toutes les dispositions que la prudence et l’habileté pouvaient lui suggérer. Le capitaine français, Doumergue, parti d’Alger le 26 juin, dit que le chef de la Régence s’était préparé à une vigoureuse résistance et « qu’il avait fait monter deux-mille canons en batterie pour défendre la rade d’Alger[47]. » L’Agha de la ville, avec deux-mille hommes et le Qasmâdjî, avec six-mille se portèrent sur Bâb al-Wâd. La marine plaça deux-mille sur le môle et trois-mille sur le fort Cassine[48] !

 

Une frégate espagnole, pavoisée de toutes sortes de pavillons et flammes, devait certainement servir de guide aux bâtiments. Elle poussa son avance jusque près des forts de la marine. Elle devait aussi tester la portée des canons algériens[49]. Puis, une division ennemie jeta l’ancre, une autre se détacha pour examiner les fortifications de la place et reconnaître jusqu’où on pouvait échapper aux bombes et boulets des forts. Et pour laisser l’assaillant incertain, le Dey interdit de tirer.

 

Quand les hostilités éclatèrent, l’échange fut violent. La Vallée remarqua que "les Algériens, jusqu’ici, méprisent la mousqueterie européenne, la leur est beaucoup plus redoutable, elle porte infiniment plus loin. En revanche, ils se sont plaints de la mitraille[50]. »

 

L’artillerie avait fait cependant merveille. Le consul de Kercy avait noté que les Espagnols furent maltraités par un petit fort (Bâb ‘Azzûn) dont chaque coup de canon leur enlevait cinquante hommes. Des frégates avaient tiré tout un jour sur ce fort sans pouvoir l’atteindre[51]. »

 

Sept tentatives contre la ville restèrent sans résultat. La défaite devenant certaine, l’escadre combinée fut contrainte de se retirer, mais le 9 juillet, les Algériens firent irruption dans le camp des croisés. Le butin fut des plus riches : épées, fusils, provisions de bouche, munitions de guerre, piquets, fascines, chevaux de frise, mortiers et canons de campagne... « tous neufs, de bronze, tous montés sur leurs affûts à ressort et de la plus élégante construction. On les fit remporter en ville [...] un drapeau algérien à chaque, en signe de triomphe et en présence de la flotte [...] Ils sont aujourd’hui exposés à la marine en spectacle, comme un monument de la victoire de la Régence [...] On ramassa dix-mille boulets dans le sable au bord de la mer et dans les buissants[52]. » Les Espagnols laissèrent les cadavres de leurs morts « épars sur le sable. Leurs squelettes ont fondu avec ceux des chameaux[53]. »

 

Battues, les troupes espagnoles « n’ont eu d’autres ressources que la fuite et, sans la valeur des gardes Vallons qui, par une manœuvre ferme, ont donné le temps au reste de l’armée de s’embarquer, cette journée aurait vu tailler en pièces l’élite des troupes de Sa Majesté Catholique[54]. »

 

Les causes de l’échec espagnol furent différemment analysés. Le Chevalier de Malte, d’Estoumel les voit « dans l’ignorance, l’imprévoyance et l’impéritie presqu’incroyable du commandant en chef, d’Oreilly. » La Vallée, les attribue « à la défense vigoureuse et bien ordonnée que les Algériens lui ont opposée[55]. »

 

Tout le pays était debout pour chasser l’Espagnol et le gouvernement de Madrid avait bâti ses plans sur la révolte des indigènes contre les Turcs. Il s’attendait, devant une expédition aussi importante, que les Algériens « prendraient l’épouvante et ouvriraient les portes, » que si les combats s’avéraient nécessaires, les sept ou huit-mille Turcs seuls se battraient, » que les autochtones « seraient traîtres ou lâches. » Aucune de ces présomptions ne se réalisa. Alger reçut des renforts de tous les coins du pays et « leurs ennemis les plus irréconciliables sont venus se joindre à eux[56]. » Une telle expédition ne pouvait réussir. Le projet était chimérique et mal combiné. L’idée de reconquérir la Régence était romanesque. Vouloir détruire Alger dont l’action en mer minait l’Espagne n’était pas plus réaliste. Même dans le cas d’une occupation restreinte, les Algériens pouvaient harceler l’ennemi, miner son armée et multiplier les coups contre ses navires.

 

Une place espagnole sur le littoral algérien « coûterait beaucoup d’argent et ne servirait à rien[57]. » Il faut signaler que l’Espagne, dans le dernier quart de ce XVIIIème siècle, était dépeuplée par les émigrants, son commerce languissait, sa marine était médiocre et ses troupes se faisaient souvent battre au Maghreb ou ailleurs[58].

 

D - LES DERNIERS BOMBARDEMENTS

 

A peine la guerre de 1775 était-elle terminée que l’on pensait déjà à la suivante. Début septembre 1775, un bâtiment arrivant à Mahon, rapportait que "l’opinion générale était que les Espagnols se proposaient de revenir[59]. »

 

Les préparatifs allaient bon train dès cette époque. Dans les premiers mois de 1776, on rassembla tout le nécessaire pour réapparaître devant Alger. On fit construire des galiotes, on commanda un train d’artillerie considérable. La plupart des bâtiments de guerre restaient armés.

 

1) 1783

 

En juillet de cette année, les Espagnols aidés par le Portugal, Naples, Gênes et les Chevaliers, imitant Louis XIV un siècle auparavant, s’embarquèrent pour laver la défaite de 1775[60]. Quatre vaisseaux de ligne, six frégates dont deux maltaises, douze chébecs, trois cutters, dix ou onze petits bâtiments et quarante chaloupes et bombardières quittèrent Carthagène sous les ordres de Barcelo.

 

Les Algériens, à peine relevés de la précédente guerre, comptaient surtout sur le feu des batteries. La marine traversait une crise de moyens. Elle ne disposait que « de deux mauvaises bombardes plus quelques chaloupes » affirme de Kercy dans son Mémoire ce qui est inexact.

 

Venture de Paradis relate autrement la riposte des Algériens. « Ils firent, dit-il, sortir deux galiotes à bombes et quelques bâtiments à rames. Le 28 juillet, à six heures, il est sorti du port quelques barques et galiotes voguant à force de rame, droit sur la flotte comme bravade [les Algériens] ont fait remorquer par leurs barques une bombarde armée de deux canons de 24 et d’un mortier à bombe. Arrivée en dehors de la marine, cette bombarde a tiré 5 coups de canon et lancé une bombe[61]. »

 

Du 1er au 9 août, on arrosa copieusement la ville qui reçut mille boulets[62]. Mais du 4 au 7, la marine, avec ses modestes moyens, sortit du port, sous les ordres de Hadj Muhammad al-Qubtân. Celui-ci avait, auparavant, rempli les chaloupes de chaux et placé les canons. Il engagea le combat et tint l’ennemi à distance. Les Espagnols, craignant les canons et mortiers, avançaient le matin vers la place, lançaient leurs bombes pendant une heure ou deux et se retiraient. N’étant pas près des objectifs, quelques projectiles tombèrent sur les bâtiments de la marine ou sur des maisons voisines du rivage. Une seule fois, ils osèrent approcher de très près. Devant un résultat aussi négatif, les assaillants levèrent l’ancre.

 

2) L’ultime « baroud » (1784)[63]

 

Les insuccès successifs ne découragèrent point les enragés de la guerre. Une coalition de forces espagnoles, napolitaines, portugaises et maltaises préparait son expédition à Majorque et Carthagène.

Les Algériens, toujours bien renseignés sur les intentions de leurs ennemis, ne restaient pas les bras croisés. Ils s’armaient à outrance[64]. En une année, ils mirent à l’eau soixante chaloupes et bombardières.

 

Malgré une situation financière critique, le Ministre Florida Blanca voulait sa guerre avec Alger. Il en faisait un point d’honneur. D’après la Gazette de France de 1784, cent-trente bâtiments gros et petits cinglèrent vers la capitale Les forces combinées étaient impressionnantes. Par un bref[65] du 18 juin, le Pape avait accordé des indulgences plénières et la bénédiction « in articulo mortis » à tous les soldats de l’armada.

 

Tirant la leçon de l’attaque précédente, les canonnières algériennes se précipitèrent, cette fois, à la rencontre de l’ennemi, engagèrent la lutte à demi-portée du canon obligeant ainsi l’adversaire à garder une certaine distance. Les Raïs restèrent maîtres de la rade et du champ de bataille. Une ligne d’environ cent chaloupes espagnoles lançait des bombes dont la plupart tombaient à la mer, car les navires algériens se trouvaient entre la ville et l’escadre des croisés. Les tirs furent échangés entre deux lignes de bâtiments[66].

 

« Les Algériens, écrit M. d’Estoumel, nous disputaient l’approche de la ville avec 73 barques canonnières qui s’avançaient même quelquefois sous le feu de l’escadre au mouillage. » En effet, après le dernier combat, six unités qui n’avaient pas consommé toutes leurs munitions, s’avancèrent sur l’ennemi qui dût engager tous ses canons pour tenter de repousser cette formation, laquelle, après avoir craché son feu rentra triomphante dans le port.

 

Les méthodes de combat différaient d’un camp à l’autre. « Vous serez étonné, note d’Estoumel au comte de Vergennes, de voir employer d’aussi grands moyens pour produire un si petit effet [...] En fait de tactique militaire, comme de science, les Espagnols en sont encore au XVIème siècle [...] leur général les [soldats] exposait souvent une heure entière au feu des ennemis sans leur permettre d’y répondre. »

 

« Les Algériens plus forts eussent pu nous faire plus de mal, soit en tirant horizontalement sur nos barques au lieu de tirer à toute élévation, soit en tentant des abordages, soit enfin, en faisant des sorties de nuit qui eussent amené, inévitablement, le désordre parmi nous[67]. »

 

L’insuccès des Espagnols était prévisible : tâtonnements dans les préparatifs, manque de plan d’attaque et riposte vigoureuse des Algériens[68]. Barcelo qui commandait, écrit Venture de Paradis, était fort bon corsaire mais il n’avait pas assez de science pour combiner les opérations d’une flotte aussi nombreuse. »

 

La retraite fut décidée le 22 juillet dans la précipitation, « vue la supériorité des Algériens sur nous » reconnaît d’Estoumel. Le 23, on mit à la voile, la plupart des vaisseaux ayant laissé leurs ancres avec leurs câbles et bouées sur la plage.

 

Au sujet des pertes concernant les Chevaliers de Malte, d’Estournel affirme que quelques bombes avaient touché la capitaine et blessé quatre marins, sa galère avait cassé deux rames, deux y avaient été tués et cinq autres blessés. La Patronne avait reçu dans son grand mât un boulet qui l’a percé « d’outre en outre. » Les chevaliers déplorèrent la perte de quelques barques[69].

 

Tirant la leçon de trois guerres, bien préparées mais mal terminées, de Kercy mettait en garde contre d’éventuelles entreprises : « Une guerre contre les Algériens, note-t-il dans son mémoire, est plus redoutable qu’une guerre avec toute autre nation[70]. » Voltaire trouva l’occasion pour ironiser sur les mésaventures espagnoles : « Ils ont passé la mer atlantique, écrit-il, et conquis un nouveau monde sans pouvoir se venger à cinq lieux de chez eux[71]. »

 

Cependant, malgré les cuisants revers espagnols, il s’est trouvé des auteurs européens qui donnèrent une singulière analyse sur la combativité des Algériens. De Kercy qui, dans ses Mémoires avait mis en garde contre une guerre avec Alger, affirme dans ces mêmes Mémoires ce qui suit : « On a observé qu’un combat de huit heures est le plus long que les Algériens puissent soutenir, qu’ils combattent avec plus de chaleur mais que tout le monde est à la fois à la marine, que les combattants fatigués ne peuvent être remplacés, qu’ils mettent toujours dans leurs canons, la même quantité de poudre, qu’ils y passent rarement l’éponge et que leurs affûts d’ailleurs sont mauvais, que dans l‘intervalle d’un combat à l’autre, ils ne peuvent pas les réparer, que leurs canons sont à fleur d’eau, que de la manière dont ils pointent, ils portent loin et sont peu redoutables[72]. »

 

Comme il s’est trouvé des auteurs qui ne s’empêchaient pas de prendre des contrevérités pour la vraie histoire, Barcelo, responsable des débâcles espagnoles est vu par Renaudot comme « le seul homme de sa nation qui ait su combattre ces corsaires avec bravoure et habileté. Il les a toujours battus[73]. »

 

D’autres observateurs furent lucides, plus réservés ou plus sceptiques.

 

Répondant à Jefferson qui lui demandait son avis sur un éventuel blocus d’Alger, le comte d’Estaing vice-amiral de France, pensant sans doute à toutes ces infructueuses tentatives espagnoles répondit désabusé : « Les bombardements n’ont qu’un effet momentané. Ils ne consistent qu’à briser des vitres avec des guinées. Aucun n’a réussi à impressionner sérieusement ces brigands[74]. »

 

Tous les historiens ont rappelé la malheureuse aventure de Charles Quint en 1541... Une imposante armada... avec ses deux cents vaisseaux, soixante-dix galères et ses vingt-cinq mille hommes de débarquement !...

 

« Cette croisade, prêchée par Paul III lui-même » ne fit qu’exalter la haine des Algériens contre les étrangers. « Cinq fois, écrit Plantet, l’Espagne a tenté de réparer ce désastre et par une fatalité qu’on a peine à concevoir, elle subit autant de revers[75]. »

 

Les trois attaques espagnols du XVIIIème siècle furent à l’origine d’un nombre considérable de chansons consacrées à la défense d’Alger sous le règne de Muhammad Pacha (février 1766 - juillet 1791)[76].

 

L’expédition de 1784 avait inspiré les ‘Achiq (poètes Turcs d’Alger) et tient le plus de place dans le manuscrit 1640 de la B.N.

 

La renommée des longon (اللنجور) est définitivement établie. Les échos du succès de ces chaloupes canonnières sortirent de nos frontières. Deux ans plus tard (1786), les Tunisiens opposant une défense contre les Vénitiens qui assiégeaient Sfax, s’en rappelèrent.



[1] Rinn, B.S.G.O., 1908, p. 210.

[2] Penon : augmentatif de pena, gros rocher.

Sur le Penon :

- Imbert (A), L’Amirauté d’Alger, B.S.G.A, 12/1907, pp. 418- 437.

- Gaukler (Ph), Le port d’Alger, 1530- 1902, Alger, 1902.

- Parisot, Description spéciale du port, des fortifications... de la ville d’Alger, Paris-, 1830.

- Rinn (Cmt), Le Penon d’Argel, B.S.G.A., 1902, (206 pages).

- Ghazawât ‘Arrudj wa Khayr ad-Din.

[3] A.N.AFF.Etr. B III - 305, p. 106.

[4] Jurien de la Gravière, Doria et Barberousse, p. 106

[5] Sur les événements de 1529:

« Ghazawât ,» chapitre sur le rocher d’Alger; Haëdo, Rois, pp.41- 44.

La Primaudaie, Documents. pp. 32- 33, R.A., 1875, p. 165.

Berbrugger, Le Penon d’Alger, Alger, 1880.

Devoulx, « Quelques tempêtes à Alger, » R.A., 1871, pp. 341- 342.

S.I.H.M., Série Sa’adiens -Portugal, t. II, p. 698, (Lettre du 20 décembre 1534), p. 574, (Lettres des 1er mai et 15 juillet 1534).[6]

[7] En 1515, selon Léon l’Africain (Description de l’Afrique, pp. 318- 319) ‘Arrûdj attaqua d’abord la Tour devant laquelle il perdit le bras. Il la rasa presqu’entièrement et força la garnison espagnole à rentrer dans la ville. Ensuite, il mit le siège devant l’autre forteresse construite par P. Navarro, près de la mer. Malgré les nombreux assauts, les Espagnols ne bougèrent point. A la mi-octobre, les pluies puis les labours donnèrent aux tribus d’autres soucis. Au même moment, cinq navires, venant du Penon de Velez (Sakhrat Bâdis, sur la rive rifaine du Maroc), amenèrent vivres et munitions aux Espagnols, tandis que les Musulmans en manquaient. ‘Arrûdj se retira à Jijel.

[8] Négociations secrètes entre le Sa’adien Muhammad al-Chaïkh et le Gouverneur Espagnol d’Oran en vue d’une action concertée contre la Régence. Rappelons que Salah Raïs, en 1553, avec une escadre de quarante voiles, battit une flotte espagnole dans la rade de Bâdis Le Penon fut enlevé en 1554. De là, l’audacieux Yahia Raïs portait la désolation sur les côtes de la péninsule. Pour riposter à l’aventure du Sultan sa’adien qui occupa Tlemcen en 1557, Hasan Pacha dépêcha une flotte de galères, galiotes et brigantins sur les ports marocains... (Ruff, La domination espagnole... p. 114- 115 et 130).

[9] En vertu de cet ordre, Salah Raïs donna au Prieur de Capoue « vingt-deux bâtiments bien munis d’hommes et d’artillerie, » (Haëdo, Histoire des Rois d’Alger, p. 93).

[10] La Primaudaie (E.de), Documents. p. 76.

Braudel rapporte que l’émotion fut si grande, en Espagne, que dès l’annonce de la défaite, on parlait sérieusement d’une guerre de revanche « dont le comte de Tendilla put espérer un instant le commandement. » L’archevêque de Tolède, Siliceo, offrit de subvenir, en partie, aux frais. (Les Espagnols et l’Afrique du Nord, 1492- 1577), R.A., 1928, p. 368.

[11]  Sur les détails des combats, voir Ruff, La Domination Espagnole à Oran, pp. 139- 143.

[12] On avait avancé diverses raisons à l’ordre de retrait donné par le Sultan ottoman :

Avait-il besoin des galères algériennes pour combattre efficacement Doria qui infestait le Bosphore ?

L’issue de la bataille d’Oran lui paraissait-elle incertaine, comme le souligne Haëdo ?

Craignait-il l’influence de Hasan Corso ?

[13] Le fils de Khayr ad-Din a gouverné la Régence :

Par intérim du vivant de son père, de 1544 à 1545.

Une première fois de 1547 à 1551,

- une seconde fois, de 1557 à 1561,

- une troisième fois de 1562 à 1567.

[14] Les premiers succès inspirèrent à ‘Abd ar-Rahmân ibn Muhammad ibn Mûsâ, une qasida à la louange du Pacha :

أنيا لك باشا الجزائر والغرب ، يفتح أساس الكفار مرسي قري  الكلب.

 

Voir ibn Maryam al Bustân. p. 132.

[15] Mon article (en arabe) « La libération d’Oran en 1708, » R.H.C.M., 9/1970, pp. 55- 75.

[16] A.N.Aff.Etr. B III - 24 f° 81.

[17] Lieussou (A.), Etude sur les ports d’Algérie, p. 33.

[18] La prise d’Oran en 1509 n’avait-elle pas été préparée par le consul du roi et favorisée par les juifs de la ville même ?

[19] Voir « Kitab al-bahriyé, » 2ème partie, pp. 628- 645, trad. par Mantran, R.O.M.M., 2/1973, pp. 159- 168.

[20] Sid al Husayn ibn Muhammad... al Charif al Warthilânî, né en 1125 (1710), mort en 1193 (1779), auteur d’une volumineuse Rihla intitulée :

نزهة الأنضار في فضل علوم التاريخ والأخبار.

(Le Divertissement des regards sur les Mérites de la Science Historique et Annalistique) éditée par M. ibn Chanab, Alger, 1908.

[21] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 13 (1732), A.C.C.M. Série MR. 4. 6. 1. 4. 1, (Déposition faite à Livourne par un patron corailleur venant de Bône).

[22] A.C.C.M. Série J 1365 ; Vallière, Mémoire... in Textes, p. 78.

Les vaisseaux d’Alger servirent aussi de transport de troupes envoyées contre Tunis, contre le Maroc ou contre les Espagnoles d’Oran. Voir Plantet, Correspondance. I, 510 ; A.N.Aff.Etr. B - 928 (Lettre du consul de France à Oran, 26 septembre 1732 et Lettre du 13 mars 1733).

 

[23] Sandoval, Historia de la vida y hachos del Emerador Carlos V, p. 94.

[24] Il s’agit du fils de Sâlim at-Tumi, tué l’année même.

[25] Rotalier, Histoire d’Alger... I, 112 -113.

[26] A partir de cette date, l’Odjaq d’Alger fut constitué. En Espagne, on mesura mieux les conséquences de la défaite. L’influence et le rôle des Barberousse allaient grandir en Méditerranée. Malgré les précautions prises par Ximenès, les détails du désastre se répandirent parmi la population. On rapporte que lorsque De Vara paraissait dans les rues, les. enfants chantaient : « Certes, de Vara n’est ni fort, ni habile, puisqu’ayant ses deux bras, il s’est battre par un manchot » (Allusion à ‘Arrûdj qui avait perdu un bras lors du siège de Bijâya).

[27] Haëdo, Histoire... p. 37

[28] Piri Rais, Kitab al-bahriyé, dont une petite partie est publiée par Mantran « Description des côtes de l’Algérie, » R.O.M.M., p. 162, 1973.

[29] Piri Raïs donne quelques détails sur les lieux : « La forteresse de Cherchell qui est à l’origine de la ville de Cherchell, est située dans cette baie. Devant celle-ci, il y a un îlot ; cependant la partie orientale de la baie est peu profonde » (p. 632 du Kitâb... p. 162 de la traduction de Mantran, R.O.M.M./1973).

[30] La Roncière, Histoire. III, p. 241.

Une autre raison peut expliquer les appréhensions espagnoles au sujet de Cherchell : C’est le point du Maghreb central le plus rapproché des Baléares. En 1531, Khayr ad-Dîn, tout en construisant un môle à Alger, en édifiait un autre à Cherchell pour rendre son port plus opérationnel. Doria voulait-il écarter tout danger ?

[31]   Devoulx, Négociations entre Charles Quint et Khayr ad-Dîn, R.A., 1871, p. 139.

[32] A.N.Aff.Etr  : B III - 305, p. 106.

[33] « Après la prise d’Alger, les armées de Charles Quint devaient être employées contre les mauvais chrétiens, alliés du Grand Turc » (Ravenet E., R.A., 3/4 Trim., 1939, p. 320).

[34] Cinq cents navires, quarante mille hommes, des armes et des munitions en quantité, des princes et gentilshommes et l’Empereur en personne pour exciter les énergies ! Bibliographie, Belhamissi, R.H.C.M., n° 6/7, 1969, pp. 34-56.

[35] Catalogue des Actes de François Premier, III, p. 340, n° 9083, cité par P. Masson : Les Galères de France, p. 94.

[36] Sur la célèbre expédition, ses motifs réels, ses épisodes, son issue et la bibliographie y afférente, notre article dans R.H.C.M., 6/1969, pp. 34 - 56.

[37] E. Charrière, Négociations de la France dans le Levant, T.I., pp. 522 - 523.

[38] Dans son Histoire de la Méditerranée, p. 175, Auphan écrit que « Le haut commandement maritime français en 1830 sera encore hanté par ce souvenir. »

[39] Après l'échec, la peur du corsaire algérien allait hanter tous les cœurs.

« Dès qu'une voile s’agite sur la mer, écrit Prieur, c’est la nef de Barberousse. Lorsqu’une tempête a englouti une barque de pêcheurs, c'est Barberousse qui est intervenu auprès du démon... Les crimes, les maladies, les sacrilèges... que la science médicale ne peut encore expliquer, sont l’œuvre de Barberousse. » La muse populaire chantait :

Barberousse, Barberousse,

Tu es le Roi du mal,

Il n'est de douleur ni de fait De caractère infernal,

Qui ne soit commis Par ce pirate sans égal.

(Les Barberousse... p. 194). Un des grands chefs de l’expédition, Fernand Cortès tombera dès 1541 en disgrâce et s’éteindra dans l'oubli.

[40] Sur la tentative avortée :

- De Grammont, Etudes Algériennes. Relations des préparatifs faits pour surprendre Alger par Jéronimo Conestaggio, R.A., 1882, pp. 287 - 308.

- Rodriguez Joulia Saint Cyr, Alarma en Argel durante 1601 a través de un manuscrito de la epoca, Rev. Tamuda, XL, 1953, pp. 293 - 302. (Il s'agit du manuscrit 18633 - 50 de la B.N. de Madrid : Relacion de cosas de Argel).

- De Thou, Histoire Universelle, XIII, p. 627.

- Braudel, La Méditerranée. II, pp. 510 - 512.

[41] Petit fils de André Doria, Gianandréa Doria dir Andrettino (1539-1606) avait combattu à Lépante.

[42] Quelques jours auparavant, on captura un navire en provenance d’Alger et on eut la confirmation qu’aucun bruit de l’expédition espagnole ne courait à Alger, ce qui n’est nullement une preuve que le Pacha ignorait le projet.

[43] Chronologie Septennaire de la paix entre les Rois de la France et d’Espagne, cité par Turbet-Delof,

B.C, n° 85, p. 65.

[44] Régna de 1759 à 1788. Rappelons qu’en 1761 fut signé le pacte de famille franco-espagnol garantissant mutuellement les possessions des deux pays et qu’en 1783, fut signé le traité de Versailles.

[45] La guerre de 1775 est très bien connue :

a) Les sources musulmanes :

- al-Jadîrî (‘Abd al-Qâdir) : az-Zahrat an-nayyira.

- Az-Zahhâr (Ahmad ach-Charîf) : Mudhakkirât.

b) Les sources européennes :

- Les documents d’archives : A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents 1542 - 1827, t. 10. Lettre de La Vallée, 18 juillet, 6 pages plus un P.S, une page. Une relation circonstanciée des opérations... depuis le 30 juin jusqu’au 15 juillet (12 pages). Une autre lettre de La Vallée, du4 septembre (31 pages), traduction d’un extrait d'un journal espagnol trouvé parmi les dépouilles après la retraite des assaillants, 8 juillet, (23 pages). Mémoires de Saint Didier à M.de Sartine, Ministre de la Marine, 24 juillet 1775 (42 pages). Le même dans A.E B III -11 n° 32 f° 63 - 79.

- La Revue Africaine a publié plusieurs récits indigènes traduits ou lettres relatives à l’expédition par Féraud, Berbrugger, Bresnier, Dabrymple. Voir les tomes VII, VIII, IX, XI.

[46] A.N. Aff.Etr. Mémoires et Documents, 1.10, Lettre du 18 juillet.

[47] Le Bey de Constantine était déjà arrivé avec 40.000 hommes à Cap Matifou (Tamantafoust). Celui du Titteri avec autant de combattants èt se trouvait à sept lieues de la capitale. Le Khalifa du Bey de Mascara arrivait à la tête de 20.000 combattants et attendait à quelques lieues. Comme on craignait ici une attaque contre Arzew, le Bey de l’Ouest surveillait le port avec 40.000 soldats.

[48] Rapport de Saint Didier qui ajoute que « Le Prince (le Dey) a permis à toutes les familles et enfants des résidents des pays étrangers de se retirer à Marseille, pour les dérober aux horreurs d’un siège. »

[49] La vallée fut un témoin attentif des événements. « La scène, dit-il dans son journal des Opérations... s’est passée sous nos yeux environ à trois quart de lieue de la maison où nous étions rassemblés, les consuls de Suède, du Danemark et moi, » Lettre du 18 juillet.

[50] A.N. Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 10 (1542 - 1824).

[51] De Kercy, Mémoire sur Alger, p. 117.

[52] La Vallée, Lettre du 18 juillet 1775.

[53] Il s’agit ici des chameaux des troupes algériennes qui servirent de boucliers dans la bataille.

[54] A.N.Aff.Etr. B III, carton 193, pièce 61, Mémoire de Saint Didier. Savoureux récit dans az-Zahhar, Mudhakkirât,... pp. 25 - 27.

[55] Il était d’usage que les Européens battus, accusent d’autres Européens d’apporter leur concours aux Algériens.

Pourtant ce fut une bataille où les prouesses des combattants algériens furent plus sensationnelles que lors des autres engagements.

Az-Zahhar, contemporain lui aussi, décrit le rôle joué par ‘Umar, dit Râmqasis qui, de la batterie appelée Khanîs, située à L’Ouest par rapport aux troupes ennemies, avait dans un premier temps, creusé à coups de canon des embrasures face aux positions espagnoles puis abreuvé les assaillants de boulets meurtriers. Il décrit avec précision, l’engagement des troupes des beyliks, des autochtones et des volontaires (p. 26).

"ولم يتالموا (الاسبان) في هذا القتل إلا من جهة وحدة واية المقابلة لهم من ناحية الغرب. فكانت انليكا طبانة تدعي خنيس وبها رجل أسماه عمر وتعرف برامقسيس أدار مدفعين إلا ناحية الاسبجنيول ولم يكون في الطابنية فرجات المدافع من تلك الناحتية فاطلق المدفعين على الحائط وأحدث به فرجة تجاء الاسبجنيول و أخذ يرميهم بالمدفعين وكان رحمه الله - عارفا بحرب المدافع."       

 

[56] La Vallée, Lettre du 18 juillet.

[57] Saint Didier, Mémoire, l’auteur y déplore le geste inconsidéré de l’Espagne. « Qui pourra (désormais) dit-il, contenir la fierté algérienne ? Alger tremblera-t-elle au bruit des armements de Toulon. Elle rira de nos menaces... Nous serons bientôt assimilés aux autres puissances du Nord et de la Méditerranée. Ou nous serons forcés d’être en guerre continuelles contre eux (les Algériens) ou d’acheter la paix par des tributs honteux et des dépenses considérables. »

Saint Didier aurait préféré, au lieu d’Alger, une attaque contre Arzew ou contre les îles Zaffarines au Maroc, car « au moyen de ces ports, les meilleures de la côte, et des forts que l’Espagne pourrait construire pour les protéger... ils pourraient avoir des retraites assurées sur la côte pour leurs vaisseaux et les nôtres en cas de guerre avec les Anglais. »

[58] La marine espagnole, écrit La Vallée, ne se lavera jamais du reproche ou de la trahison ou de la lâcheté qu’elle a encourue. »

[59] La Vallée, Lettre du 4 septembre 1775.

[60] Sous la pression du Pape Pie VI, l’attaque devait avoir lieu en 1780, mais la défaite infligée aux Espagnols par les Anglais, devant Cadix en retarda l’exécution. La même année, l’Espagne engagea des pourparlers avec l’Angleterre en vue d’échanger Oran contre Gibraltar Poème d'ibn Sahnûn, sur l'arrivée et l'armement de l’ennemi en 1783, at-Taghr. p. 262 :

حين جاء وا الجزائر دارا                النصر باسم ثغر كل بلاد

في صفين تسير في الماء سير     النشك في السهل و الفارفي الوهاد

طائرات القلوع يحدو عليها            غربي الريح ساتقا سوق حادي

شحنوها بكل أمرمضر                  بترك الصخور الصافي كرماد 

لم يقوم له البناء واإن كان            كمثل بناء اصحاب عاد

 

[61] R.A., pp. 304 - 305.

[62] La Mosquée as-Sayyida, construite en 972 de l’Hégire (1564), fut détruite.

[63] Sources :

- Le manuscrit turc n° 1640 de la B.N. d’Alger. Les auteurs : Le Lezkerc Hugasi et Alemdar Mustapha ben Hasan.

- Journal des prêtres de la Mission (extrait dans R.A., 1876, pp. 300 - 319)

- A.N.Aff.Etr., Correspondance consulaire d’Alger, 1784.

[64] Dès avril 1783, l’Espagne protesta auprès de la Cour de Versailles au sujet d’un embarquement fait dans la rade de Marseille, de 1 300 barils de poudre sur un navire danois au profit de la Régence. Le 18 mai, nouvelle protestation pour empêcher de nouveaux chargements.

A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 10.

[65] Un bref, est une lettre pastorale du Pape ayant un caractère privé.

[66] De nombreux détails dans la lettre de M.d’Estoumel, Chevalier de Malte, Capitaine de la Galère Saint Louis, adressée de Carthagène, le 7 août de la même année à M.le Comte de Vergennes. Documents publiés par H. de Grammont dans R.A., 1882, pp. 219 - 229. Au sujet des bombardements, on y lit : « Les Espagnols tirèrent 3 379 bombes, 2 145 grenades, 10 680 boulets, 401 boites à mitrailles. Les Algériens dépensèrent 13.000 projectiles (p. 221). L’historien ibn Sahnûn, contemporain des événements, va dans le sens du Chevalier de Malte.

[67] Il semble que les Algériens, voulant se borner à la défense de la ville, aient été satisfaits d’empêcher les bombes d’atteindre leur but. « Ils avaient l’adresse, dit d’Estoumel, de faire creuver leurs bombes en l’air, au-dessus de nos têtes et cette circonvallation aérienne de pluie de mitraille était, pour nous, une ligne de démarcation que nous ne pouvions outrepasser. » R. A., 1882, p. 223.

[68] Az-Zahhar apporte des détails qu’on chercherait vainement ailleurs.

Les combats étaient supervisés, du côté algérien, par Hadj Muhammad Qubtân. Des barques non armées de canon, appelées « chqâ’if » sillonnaient la mer, au moment des combats pour transporter les combattants dont le vaisseau venait d’être touché.

Les blessés étaient ramenés chez les médecins pour recevoir des soins, ou être amputés des mains et des pieds, en cas de nécessité. Les morts étaient enterrés.

Quand l’heure de sortie pour affronter l’ennemi arrivait, les gens se bousculaient pour prendre place dans les navires. Seul l’homme doté d’un grand courage y parvenait.

Au moment du départ, la prière des morts était célébrée. Les gens imploraient le Tout Puissant à haute voix... Les Moujahidines étaient accompagnés de musiciens qui jouaient comme si on allait à la promenade... (Mudhakkirât, pp. 33 - 34)

"اخرج البه المسلمندون و تلقوه باللنجور (... ) و الحاج محمد قبطان معهم (...) و معه
زوارق صغار من غير مدافع تدعى الثكايف يرسلها القبطان و قت القتال إما للقدم أو
لتحمل الناس إذا تكسر و لتجر اللنجور الذي يسقط (...) و المجروحون ينزلون لموضع
الأطباء لبخوا لهم الدواء او ليقطعوا الأيدي و الأرجل التي استحثت القطع و يدفن الأموات
(...) و عندما إياتي وقت الخروج لملاقاة العدو تجد الناس يزدحمون على الركوب معهم
و لا يصل إلى ذك إلا الرجل الشجاع (...) و وقت الخروج لملاقاة العدو يصلي الناس صلاة الجنازة على الخارجين للحرب..."

 

[69] Intéressante attaque de d’Estoumel contre Barcelo, le commandant en chef des troupes espagnoles : « Barcelo, écrit-il, a fait une relation de sa campagne à la Gazette d’Espagne. Elle doit paraître suspecte à tous ceux qui la liront : lui seul annonce la destruction de plusieurs barques algériennes, lui seul a vu des fortifications détruites dans la ville... tandis qu’on en a compté à toutes les attaques, de 60 à 73. La 7eme attaque est celle où il a été repoussé le plus vivement. » R.A., 1882, p. 227.

[70] Mémoires, Ed. Esquer, p. 107.

[71] Les historiens occidentaux ont rarement été objectifs dans leurs récits de ces guerres où la victoire fut du côté algérien. L’aperçu historique et topo graphique sur l’Etat d’Alger n’a fait que résumer le récit de De Kercy.

D’autre part, afin de ménager l’amour propre des Espagnols à qui le gouvernement français avait demandé l’autorisation d’établir, pendant l’expédition de 1830, une escale à Palma et un hôpital à Mahon, De Bourmont donna des instructions « en vue d’atténuer la rédaction des passages relatifs aux expéditions des Espagnols contre Alger, » (Esquer, La Prise d’Alger, note 1, p. 170).

[72] Mémoire, p. 113.

Avec de telles faiblesses, on se demande comment les Algériens ont pu administrer tant de leçons aux Espagnols et aux autres assaillants durant trois siècles ?

[73] Tableau du Royaume de la Ville d’Alger... p. 166.

[74] Dupuy, Américains et Barbaresques, p. 31.

[75] Les consuls de France à Alger avant la conquête 1579 - 1830, p. 53.

[76] Fagnan, Un chant algérien du XVIIIème siècle, R.A., 1894, pp. 325 - 345.