A la
mémoire de mes maîtres de Mazouna, de Tlemcen et d’Alger
dont le
savoir et le dévouement, m’ont
tracé la voie et montré le chemin.
1 - Chacun des vingt-quatre
chapitres est suivi de ses propres notes.
2 - Le système de
transcription adopté pour les noms arabes est celui de
l’Encyclopédie de l’Islam.
Les noms figurant dans les citations n’ont pas été modifiés.
A.C.C.M.
Archives de la chambre de commerce de Marseille.
A.C.F.A.
Archives du consulat de France à Alger.
A.D.B.R.
Archives départementales des Bouches du Rhône.
A.E.S.C.
Annales, Economies, Société, Civilisation.
A.I.E.O.
Annales de l’Institut d’études orientales (Alger).
A.G.G.A.
Archives du Gouvernement Général de l’Algérie.
A.M.M.
Archives Municipales de Marseille
A.N.
Archives nationales (France).
A.O.M.
Archives d’Outre-mer (Aix en Provence).
B.S.A.V.T.
Bulletin de la Société des Amis du Vieux Toulon.
B.S.G.A.
Bull, de la Société de géographie d’Alger.
B.S.G.0.
Bull, de la société de géographie d’Oran.
C.T.
Cahiers de Tunisie.
E.I.
Encyclopédie de l’Islam.
R.A.
Revue africaine.
R.A.C.
Revue algérienne et coloniale.
R.E.H.
Revue des Etudes historiques.
R.H.
Revue historique.
R.H.C.M.
Revue d’Histoire et de Civilisation du Maghreb.
R.H.M.
Revue d’histoire moderne.
R.H.E.S.
Revue d’histoire économique et sociale.
RM.
Revue maritime.
R.O.M.M
Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée.
R.T.
Revue tunisienne.
On peut s’étonner de la
place qu’occupe la marine de la Régence à l’époque ottomane, dans de
très nombreux écrits européens d’histoire, de littérature, de
correspondance diplomatique ou de rapports militaires traitant de ce
pays. Ce grand intérêt justifie amplement l’importance acquise par
cette arme et le rôle qu’elle assuma durant trois siècles.
En effet, c’est par ses
escadres qu’Alger se distingua dans l’épopée de la Méditerranée.
Malgré de multiples difficultés et en dépit des nombreuses
tentatives pour la contenir et l’écraser, la marine, avec des moyens
modestes, sut imposer sur l’échiquier international et se rendre
redoutable aux nations qui cherchaient sa perte. Et sa vitalité
demeura jusqu’à la fin.
C’est vers la mer que le
gouvernement de la Régence, devenu rapidement une puissance navale,
tournait ses principales activités. Dès le XVIème siècle, le volume
grandissant du commerce international, la succession de crises
politiques menant aux conflits armés, les appétits territoriaux de
certains Etats et les tendances à l’hégémonie en Méditerranée
rendaient indispensable la constitution et l’entretien d’une marine
agissante, capable de défendre une politique déterminée : la défense
du territoire, notamment du littoral, l’appui aux Musulmans
d’Espagne agressés par le fanatisme religieux de leurs vainqueurs,
la présence aux côtés du Sultan ottoman face à ses adversaires, le
contrôle de la navigation pour connaître les amis des ennemis et
enfin la guerre de course.
Cette activité débordante
distingue la marine d’Alger de celles de son temps. C’est elle qui a
créé l’Etat, assuré sa force et son prestige à tel point que les
puissances d’en face, frémissantes et désemparées, avouèrent leur
impuissance à écraser cette organisation et en vinrent à acheter à
prix d’or sa neutralité ou son alliance.
Les Barberousse et leurs
successeurs à la tête du nouvel Etat avaient mis leur génie, leur
courage, leur expérience et leur foi au service de cette arme qui
devint très tôt la plus grande école militaire de l’Islam. Ils lui
assurèrent, par une politique intelligente un rôle prépondérant en
mer, le mordant dans les combats et de nombreux succès dans les
tâches entreprises[1],
malgré des possibilités financières limitées, un manque de bases
navales suffisamment sûres et un littoral inhospitalier ou
constamment menacé. En dépit de ces aspects négatifs, le
gouvernement d’Alger parvint à transformer la Méditerranée en une
zone chaude et dangereuse pour la navigation. Aux marines
européennes, les grosses unités, les grandes écoles, le savoir des
états-majors ; aux galères d’Alger l’expérience des flots, l’audace
des Raïs, la foi, la volonté et les prouesses légendaires. D’où ce
souci compréhensible des gouvernements ennemis, de leurs diplomates,
leurs agents, leurs marchands et leurs prêtres, de suivre les
mouvements de cette marine, d’en étudier les forces, d’imaginer la
riposte à ses actions, d’expérimenter « des choses » pour stopper
l’activité soutenue de ces Raïs, nés pour la mer et se servant
d’elle pour s’imposer.
Cependant, si en Europe on
accordait beaucoup d’attention à cette marine, si on observait avec
intérêt ou inquiétude ses mouvements, ce fit moins pour chanter ses
exploits ou justifier son action que pour l’arroser d’injures et
l’inonder de calomnies.
Sa vigueur et sa vitalité
créèrent un climat d’algérophobie, nourri par des écrits tendancieux
qui agissaient sur les sensibilités, remuaient « le zèle chancelant
des croyants » afin de « mieux manœuvrer les âmes » et transformer
des préjugés en réalités. Et c’est ainsi que la conscience des
lecteurs de l’époque fut souvent violée par des auteurs mal
intentionnés, avec une mauvaise foi et une facilité déconcertantes.
Cette marine au grand renom,
particulièrement aux XVIème - XVIIème siècles, n’a eu droit, à
travers les milliers de textes européens, qu’à une histoire déformée
et une étude partisane. En gonflant démesurément et en rabâchant
tout le temps les problèmes de la Course, des captifs et de la
cruauté des Algériens, on finit par tomber dans une monotonie
fatigante et une hystérie inutile. L’histoire de l’Algérie, à partir
de 1516 et jusqu’en 1830, n’est rien d’autre qu’un récit fleuve des
esclaves chrétiens et de leurs malheurs, d’où ces développements
rituels et ces clichés « passe-partout » pullulant de diatribes,
d’injures et d’anathèmes.
Toute une littérature sur la
marine algérienne, ses chefs et son action, reste à balayer sans
regret, à enterrer à jamais, parce qu’elle est le fruit de passions
mal contenues, de mensonges grossiers, de jalousies maladives et
d’inimitiés haineuses.
Aussi, est-il grand temps de
revoir sans parti pris le passé de notre histoire maritime, de
réfuter ce qui la défigure, d’en chasser les idées préconçues, les
mythes accumulés et les préjugés gratuits, savamment entretenus par
des prêtres fanatiques, des prisonniers à la recherche d’une gloire
à bon compte, des consuls peu scrupuleux ou des historiens au
service d’une cause bien connue. L’histoire forgée doit céder la
place à l’histoire vraie.
Le premier devoir de
l’historien de la marine est de dépassionner les débats, de
reprendre les recherches en s’armant de patience, d’interroger les
nombreux documents d’archives dont une bonne partie fut,
consciemment ou non, ignorée, de confronter les textes pour
approcher la vérité, afin de mieux saisir et comprendre les
événements, notamment l’action de ces Raïs qui « savaient rendre la
monnaie » et pour pénétrer le sens de leur combat.
Nous avons commencé par une
quête laborieuse et systématique des documents d’archives, afin de
réunir les matériaux, les bons matériaux si indispensables à tout
projet d’une histoire de la marine algérienne, puisque les écrits
arabes s’avèrent si brefs quand ils ne sont pas totalement muets et
les ouvrages publiés sur les Barbaresques sont à utiliser avec
précaution.
Les documents d’archives
sont si nombreux et si divers qu’ils ne laissent au chercheur que
l’embarras du choix. C’est un véritable trésor dans lequel on prend
vraiment plaisir à puiser. Avec ces sources on « nage » en pleine
réalité : correspondances suivies, rapports détaillés, lettres
privées ou officielles, mémoires de spécialistes côtoient les livres
de port, de commerce, les procès-verbaux des criées, les pièces de
chancelleries, les délibérations d’assemblées. On y glane le
renseignement le plus sûr, le détail essentiel, les données
fondamentales pour une étude approfondie de cette marine, les
principaux événements, l’activité économique et militaire, le
commerce extérieur, la santé, la navigation, les négociations et
traités, l’espionnage, les mentalités de l’époque, les projets
d’occupation, les rivalités entre puissances européennes, les
mesures pour atténuer les crises avec Alger, tout y est consigné...
Ces documents fourmillent de nouvelles, de données et de
renseignements, qu’on chercherait vainement dans bon nombre de
travaux publiés. On ne citera ici que quelques exemples pour
illustrer le caractère fragmentaire et sélectif de nombreux
ouvrages: l’attaque de Jijel en 1664 est sommairement traitée par
les historiens, on est tenté de dire bâclée! Elle a, par contre, une
large place dans les documents d’archives de l’époque. Chaque
épisode de cette aventure est consigné avec maints détails.
L’odyssée des captifs
Musulmans retenus en Europe est absente dans ce que nous offrent
ceux qui ont dénoncé avec véhémence « la rapine et la cupidité » des
Deys. Des centaines de documents permettent de découvrir les
malheurs de ces infortunés depuis leur capture jusqu’à la mort ou à
la délivrance. On a présenté, sous un jour sombre et par des plumes
agressives, la course algérienne, en faisant à peine allusion aux
activités des corsaires d’outre-Méditerranée. Les documents livrent,
sans réserve, les secrets de cette guerre lucrative où ceux qui s’en
plaignaient en profitaient largement.
Les archives d’outre-mer à
Aix, de la Chambre de Commerce à Marseille, les archives
départementales des Bouches du Rhône, celles à Paris, des Affaires
Etrangères, des Archives Nationales, celles, enfin, de Toulon, nous
ont donné la preuve qu’elles sont irremplaçables quand il s’agit
d’entreprendre l’histoire maritime de notre pays. Pour rétablir des
vérités, pour dresser un tableau authentique, pour lever un voile
qui recouvre tel ou tel aspect de cette marine, pour proposer une
histoire sans complaisance, il faut recourir à ces milliers de
pièces de toutes natures, traitant de tous les sujets. Les archives
d’Espagne, d’Italie, de Malte, de Turquie, d’Angleterre et de
Tunisie ne sont nullement à dédaigner. Quelques investigations,
hélas, trop rapides, nous ont assuré que leur étude exhaustive
enrichirait considérablement nos recherches sur la question. La
véritable mémoire de l’Algérie moderne est conservée en Europe[2].
Une fois les matériaux
réunis, les renseignements récoltés, la confrontation et l’analyse
faites, l’on pourra, avec ces données disparates, élaborer un
travail de synthèse embrassant toutes les questions touchant la
marine et les marins de la Régence.
Nous avons placé sous les
yeux du lecteur de larges extraits de documents inédits et de livres
rares ou pas toujours à la portée de ceux qui, à un titre
quelconque, s’intéressent au passé de l’Algérie.
Cependant, malgré une
persévérance qui a duré plus de dix ans, malgré l’effort fourni pour
ne laisser dans l’ombre aucun côté de cette longue histoire, nous ne
dissimulons point le caractère incomplet de notre travail. Puisse la
recherche se poursuivre et les investigations futures développer nos
connaissances sur cette marine.
« Dans les contrées
barbaresques, écrit Gentil de Bussy, à côté de la mine de l’avenir
est celle du passé. Si l’administrateur doit exploiter l’une, il
appartient à la science de fouiller dans l’autre[3]. »
Pour que ce travail puisse
embrasser tous les aspects de l’activité des marins et de la marine
d’Alger, nous l’avons divisé en trois parties.
La première partie (Chap. I
à IX) intitulée LES NAVIRES
ET LES HOMMES, est consacrée aux particularités de cette
organisation depuis l’environnement et le climat géopolitique qui
l’ont vu naître et évoluer jusqu’aux structures internes, les
rouages de son administration, les techniques de construction, les
coutumes de ses marins, les traditions maritimes de la cité mère, la
vie du port d’Alger, la vie des hommes sur les flots et leurs
méthodes de combat.
Parler de la flotte, c’est
aussi évoquer ces Raïs qui la manièrent en déchaînant tant de fureur
ou en suscitant tant d’admiration. Etant le plus souvent mal connus,
il fallait chaque écrit et relever chaque indication afin de dresser
leur portrait et montrer leur valeur trop souvent défigurée par des
plumes mal informées ou mal intentionnées.
La deuxième partie (Chap. à
XVIII) appelée FACE A
L’EUROPE, montre tout le dynamisme dont fut capable cette marine
de guerre. En effet, durant trois siècles, elle ne cessa de
guerroyer, seule ou aux côtés des escadres ottomanes contre les
formations de la Chrétienté. Les tâches qui lui furent assignées
furent multiples et périlleuses: Défendre Alger et le littoral du
pays, repousser les assaillants, prêter main forte au Sultan,
défendre aussi les Musulmans en danger, soutenir la guerre de course
et fatiguer l’Europe...
L’Histoire intérieure du
pays étant figée, c’est sur les flots que les plus belles pages sont
écrites. Ces luttes sans fin ne furent cependant pas sans dommages
pour notre marine qui, conformément aux lois de la guerre, subit
bien des revers donc des pertes en hommes et en navires. C’est
pourquoi le sujet des captifs algériens retenus en Europe est abordé
ici longuement et leur drame étudié afin de briser le complot du
silence dont il fit l’objet.
Enfin, la troisième partie
(Chap. XX à XXVI) aborde la grandeur de cette armée, les facteurs
qui y ont contribué et les résultats obtenus. Cependant, d’autres
facteurs ruinaient déjà la marine qui empruntait, dès le XVIIIème
siècle, le chemin de la décadence. Causes extérieures et causes
intérieures arrivèrent à point pour faire tomber une organisation
qui ne sut pas, ou ne put pas, résister aux mobiles destructeurs au
milieu de l’indifférence.
Il faut cependant préciser
que cette recherche est consacrée à la marine de guerre. Nous en
donnerons plus loin les raisons. Elle est limitée dans le temps à la
période ottomane, de 1518 (date du rattachement du Maghreb central à
la Porte) jusqu’en 1830, non pas que le pays n’ait pas eu,
auparavant, de flotte ou d’activité en mer, mais parce que, le
contexte politico-militaire fut autre.
Bien avant l’arrivée des
Turcs dans le Maghreb, les dynasties locales avaient disputé la
Méditerranée à leurs adversaires. Parlant de celle-ci, Ibn Khaldoun
écrivait déjà qu’elle est « un lac musulman où les Chrétiens ne
peuvent même pas faire flotter une planche. » Diego Suarez fait
mention des différents qui opposèrent, avant 1492, les marins de
Majorque aux corsaires d’Oran, de Mars al-Kabir. Il dresse
l’inventaire des prises en mer et fait le récit des subterfuges et
des exploits des uns et des autres[4].
Le XVIème siècle est une ère
nouvelle : le siècle des grandes batailles, des exploits fondateurs,
des sièges mémorables et des renversements d’alliances. C’est aussi
le siècle de la course sur une grande échelle, du commerce européen
florissant. Pour les Algériens, il est la période héroïque, celle de
la mobilisation contre les défis espagnols, les croisades
européennes. Les exigences du moment demandaient des efforts
militaires soutenus, dont la constitution d’une marine capable de
stopper les entreprises hostiles. Elle fut donc bien différente de
celles qui l’avaient précédée.
Si l’on a insisté sur les
hauts faits de cette armée si originale, on n’a pas omis de faire
état de ses erreurs et de ses faiblesses. Les grandes qualités n’ont
pas fait perdre de vue les défaillances et les facteurs de
décadence.
De Khayr ad-Din qui traça la
voie, à Husayn Dey qui avait clos la marche, que de pages sont à
écrire ! Avec les grands capitaines, l’histoire moderne de l’Algérie
ne devait plus rester confinée dans le Tell ou le Sahara, mais
déborder à l’intérieur pour embrasser l’immensité des mers connues
et fréquentées à l’époque de nos Raïs. Que d’actions et que de
sacrifices de la part de ces marins indomptables, de ces soldats
téméraires, restent à connaître, à apprécier et à méditer[5]
!
Pour parvenir à cette fin,
il faut que nous ayons présent à l’esprit le mot d’Evarist Bavoux:
« Tout homme, dit-il, qui écrit sur les affaires de son pays doit
penser à la source la plus pure et la plus féconde : LA VERITE[6]. »
« UNE LOI DOMINE L’HISTOIRE
: TOUT PEUPLE MAITRE DE LA MER, A CONNU LA FORTUNE ET JOUI DE LA
PROSPERITE, TOUT PEUPLE PERDANT LA MAITRISE DE LA MER A PERDU EN
MEME TEMPS LA RICHESSE ET LA LIBERTE. »
G. TOUDOUZE
(Bulletin de l’Académie du
Var, 1991, p.229)
Le profit que tire
l’historien de ses lectures touchant la période ottomane en général
et la marine de la Régence en particulier, reste très limité et les
résultats en deçà de ses espérances.
Les sources sollicitées,
arabes ou occidentales, pour des raisons diverses, ne répondent
guère aux besoins du travail à entreprendre.
A - Les
sources musulmanes ou le silence coupable.
Les écrits musulmans de
l’époque sont si rares et si épars que leur indigence laisse
perplexe. La plupart ne soufflent mot sur la marine algérienne qui
faisait pourtant couler beaucoup d’encre en Europe.
Les chroniques, les récits
de voyage, les œuvres biographiques sont presque aveugles sur la mer
et le monde marin. Le bilan s’avère en fin de compte, très maigre et
fort décevant.
Ibn Hamadouch est un lettré
algérois fort curieux[7].
Il dit s’être exercé à la fabrication des bombes et au maniement des
mortiers du côté de Bâb al-Wâd. Mais, dans sa Rihla (relation
de voyage), il décrit en quelques lignes, sans intérêt, son voyage
par mer de Tétouan à Alger[8].
Le ministre marocain az-Zayyânî, lors de son périple oriental,
séjourna à Alger, vingt-quatre jours à l’aller et sept mois au
retour. A peine, fait-il allusion à une visite au port « pour y voir
les navires et leur matériel et vérifier les ouï dire par
l’observation (personnelle)[9] ».
C’était vers la fin de XVIIIème siècle.
Quelques rares ouvrages
prêtent une timide attention aux problèmes de la marine et de la
navigation. Voyages par mer, incidents, dangers de routes y sont
décrits avec parcimonie. Quelques batailles ou incursions réussies y
sont développées. Voilà les seules indications à glaner dans le
petit nombre de livres qui nous sont parvenus.
Quelques rares exceptions
cependant :
1)
Ghazawât ‘Arrûdj wa Khayr ad-Dîn, une chronique anonyme,
probablement du XVIème siècle, nous fait vivre, certes avec les
Frères Barberousse, les exploits mémorables en Méditerranée, nous
fournit de précieux détails sur la course, sur son organisation, les
zones d’opérations, le butin acquis après chaque sortie, le courage
et les sacrifices des Moujahidines, le désespoir des riverains
espagnols ou italiens[10].
Mais, la chronique est moins une histoire de la marine qu’un
panégyrique du grand amiral qu’était Khayr ad-Dîn.
A la fin du XVIème siècle,
un voyageur marocain, Abû al-Hasan Alî at-Tamagrûtî, envoyé du
Sultan sa’adien Ahmad al-Mansûr, fut amené à séjourner, lors d’une
mission à Istambûl, par deux fois à Alger. Il fut frappé par le
trafic du port de notre capitale, par le nombre de navires qui y
entraient ou en sortaient, par les coups de mains des chrétiens et
par la réputation méritée des Raïs d’ici « bien supérieurs à ceux de
Turquie[11]. »
Enfin, al-Hâjj Ahmad
az-Zahhâr, un Algérois bien au courant des démêlés de la Régence
avec ses nombreux ennemis chrétiens, consacre, dans ses mémoires,
une place à la politique maritime des Deys, à la participation de la
flotte aux guerres des Sultans ottomans, le tout avec des
indications précises mais trop brèves[12].
Cependant, ces sources,
quoique importantes pour l’étude de la période, ne sauraient
constituer une histoire de la navigation ou de la marine, ni suffire
pour en entreprendre une. Comparées à ce que l’Europe a légué sur le
même sujet, leur concours demeure très modeste dans l’élaboration
d’un travail ambitieux.
Comment expliquer le
désintérêt des sources et le manque de documents sur une
organisation qui fut le fer de lance de l’Etat et à un moment où les
menaces extérieures étaient quasi permanentes ?
Comment expliquer que des
centaines de valeureux capitaines, de chefs prestigieux de « la plus
guerrière et la plus enviée des marines de l’époque », n’aient point
écrit de mémoires ou consigné des notes touchant leur vie ou leur
métier, ou dicté à leurs scribes quelques réflexions ou récits
susceptibles d’éclairer l’historien ?
Les Raïs, a-t-on dit,
étaient ignorants, illettrés et peu portés vers ce qui s’écrit.
L’argument semble excessif, car ils ne pouvaient tous être
analphabètes. Ils pouvaient s’assurer le concours d’un compagnon
d’arme ou d’un captif sachant écrire. Sans citer nommément ses
sources, l’Algérois az-Zahhâr, parlant d’un capitaine, Al-Hâjj
Muhammad, dit : « Ce qui est consigné dans les registres des Raïs
est que ce capitaine[13]... ».
Ce qui prouve que les gens de mer n’étaient pas tous insensibles à
la vie mouvementée des marins et aux rôles important joué par la
flotte. Cependant, les contemporains et rivaux de ces légendaires
corsaires furent moins négligents[14] !
Quant au silence de nos
chroniqueurs ou leur mépris du monde de la mer, peut-il s’expliquer
? L’engouement des Maghrébins pour l’histoire locale pouvait-il
éclipser tout l’intérêt pour la navigation ou les guerres sur les
flots[15]
?
On a attribué aux
populations de la contrée « une répulsion sans borne » pour les
choses de la mer, « la phobie du large. » Ils furent, dit-on, sourds
à l’aventure marine Chameliers, ils préféraient « les dunes de sable
à la houle dont ils redoutaient la colère[16]. »
Comme l’histoire, la poésie
resta fidèle aux guerriers sur leurs coursiers, aux batailles dans
le désert, tout en demeurant insensible aux rudes combats sur les
flots qui furent à l’origine de l’épopée méditerranéenne de notre
marine.
Ainsi, le technicien,
l’historien et le poète n’avaient rien tenté pour faire connaître la
vie, la bravoure et les sacrifices de ces combattants qui, face à
des ennemis irréductibles, se trouvaient en première ligne.
La circulation sur l’eau, la
vie à bord d’un navire et les accrochages entre flottes étaient-ils
si nouveaux et si effrayants pour les Maghrébins ?
Les traditions maritimes ne
manquent ni en Orient ni en Occident musulmans. Déjà, la poésie
antéislamique avait fait allusion à la mer, aux aventures sur l’eau
et aux bateaux[17].
Al-Qur’ân mentionne
trente-quatre fois « al-bahr, al-bahrâni, al-bihâr, al-abhur
(les mers) », quatre fois « safîna (le navire) », cinq fois
« al-mawj (les vagues). » Les commentateurs de ces versets
n’avaient rien épargné pour nous familiariser avec les mers et
océans. Les nombreux « Hadîth » font ressortir le mérite du
« Jihâd » et du martyr sur l’eau[18].
Les principaux dictionnaires
arabes, tels Lisân al-‘arab et al-Qâmûs mentionnent
les bateaux avec leurs caractéristiques: al-harrâga, al-ghurâb,
al-bârija, al-jafh, al-markab, as-safina, ach-chatiya, al-jâriya,
al-qârib. Ce qui démontre que la navigation n’était ni inconnue,
ni méprisée des Arabes.
Les premières conquêtes
islamiques n’avaient pas négligé la flotte. En l’an 15 de l’Hégire
(637), cinq ans à peine après la mort du Prophète (Saluts et
Bénédictions d’Allah sur lui), une flotte arabe, partie de ‘Umân,
débarqua à Tanah, près de Bombay, tandis qu’une seconde se dirigea
vers le golfe de Daibul[19].
Le fondateur de la marine
arabe fut, sans conteste, Mu’âwiya[20]
(qu’Allah soit satisfait de lui) qui organisa des expéditions
navales couronnées de succès contre Byzance. Ses successeurs se
dotèrent d’une marine. Les premiers vaisseaux, appelés « Chawânî »,
transportaient déjà le matériel et les troupes. Les villes côtières
d’Egypte, de Palestine et de Syrie, fournissaient navires et marins.
Cette activité des premières années de l’Islam fit dire à
l’orientaliste Welhaussen que « malgré leur aversion pour l’eau, les
Arabes firent leur passages du désert et du chameau à la mer et au
navire d’une manière étonnamment rapide. »
Les expéditions maritimes et
les guerres navales marquèrent la conception et la construction des
navires. On rapporte qu’al-Hajjâj avait été le premier à lancer, sur
les flots, des navires goudronnés et charpentés et dont les parties
étaient réunies par des clous, tandis qu’avant, elles étaient
seulement maintenues par des cordes[21].
Au Maghreb, dès le début de
l’administration islamique, la nécessité d’avoir une flotte se fit
sentir. Abû ‘AbdAllah ibn al-Habhab fonda l’arsenal de Tunis en 114
de l’Hégire (732-733), ‘Umar ibn ‘Abd al-‘Azîz ordonna à al-Hassan
ibn an-Nu’mân de se lancer dans la construction de vaisseaux, ce qui
permit la conquête de la Sicile du temps de Ziyâdat Allah et sous le
commandement d’Asad ibn al-Furât. Sous le règne de ‘Abd ar-Rahmân
Nâsir, la flotte d’Espagne avait atteint deux cents navires. Celle
du Maghreb en comptait autant[22].
Les victoires navales et la conquête de plusieurs îles de la
Méditerranée sont une preuve de la vitalité des marines musulmanes
de cette période.
Les ‘Oubaydi, les Zirides,
les Mouwahhidines et les Hafsides s’opposèrent victorieusement aux
chrétiens sur mer. Des marins prestigieux parmi lesquels Abû
al-Qâsim ach-Chît et ses fils, Mujâhid al-‘âmirî et Ahmad as-Siquilî
avaient assuré à l’Islam une prépondérance sur mer qui dura
longtemps.
Souverains andalous et
maghribins comprirent tôt l’indispensable possession de navires pour
le transport et le combat. Al-Mu’izz al-‘Oubaydi[23]
et le Mouwahhid ‘Abd al-Mu'min accordèrent un intérêt particulier à
la construction navale.
Les traditions maritimes du
Maghreb étaient déjà établies. « C’est de la ville de Bône
(‘Annaba), affirme al-Bakrî, que partent les galères pour faire la
course sur les côtes du Pays des Rûm, l’Ile de Sardaigne, l’Ile de
Corse et d’autres lieux[24]. »
Les habitants de Jijel
avaient autrefois « la réputation méritée d’être d’excellents
constructeurs de navires, en même temps que des marins très
habiles. » Les bâtiments qui sortaient du port « étaient admirés
pour leur élégance et leur solidité[25]. »
‘Abd al-‘Azîz, le roi de
Bijâya, à la fin de son règne, armait souvent des fustes pour
attaquer les côtes chrétiennes[26].
Les habitants de la ville étaient riches. Ils pouvaient équiper, eux
aussi, des galères pour courir les îles et les côtes d’Espagne[27]
« afin de venger et de secourir leurs frères andalous chassés de
leur pays. »
Les ports de Rachgûn, Oran,
Ténès, Alger, Dellys et Bijâya ne chômaient pas; Ils facilitaient
l’armement et l’approvisionnement des navires, ainsi que la
formation des équipages[28].
Avec les exemples que nous
venons de citer, peut-on soutenir encore les thèses qui traitent les
Maghrébins de « blédards par essence, cavaliers, bergers, nomades,
sédentaires[29]
et sans vocation de la navigation ? D’autre part, peut-on
comprendre, devant tant de faits d’armes glorieux de sacrifices
consentis, de victoires remportées, le silence ou l’indifférence des
lettrés locaux, toujours attachés à la personne d’un souverain et
aux fastes de sa cour ? Comment accepter le peu d’intérêt témoigné à
une arme qui durant plus de trois siècles, donna à l’Etat sa
puissance et les moyens de sa politique ?
La carence des sources
islamiques pousse l’historien à se réfugier dans les sources
occidentales qui, malgré les péchés qui seront démontrés, ont le
mérite d’avoir consacré à la marine d’Alger une très grande place.
B - Les sources occidentales ou le dénigrement permanent.
A l’inverse des sources
précédentes, les documents et ouvrages européens abondent et
remontent parfois loin dans le passé. Contrairement aux écrits
musulmans, c’est l’activité de la marine et les exploits des marins
d’Alger qui retint le plus l’attention des auteurs.
En effet, à partir du XVIème
siècle, et à la suite d’une succession d’événements ayant entrainé
des bouleversements politiques, le Maghreb central sort de son
isolement, se constitue des frontières, se donne une capitale, une
armée et une administration et joue un rôle sur le plan
international, méditerranéen, notamment.
Cette situation nouvelle
intrigue les nations d’en face et éveille chez elles une attention,
puis une inquiétude de plus en plus grandissantes vis à vis du
gouvernement d’Alger
Grâce au commerce, à la
diplomatie, au rachat des captifs, aux voyages d’études et aux
activités d’espionnage, l’Europe s’octroie de multiples occasions de
connaître cette région, d’en suivre les événements, d’en analyser la
politique, d’en relater tel ou tel fait. L’intérêt est porté surtout
vers les activités de l’Algérie littorale, de la capitale et du
port.
Un pareil engouement, on
pourrait dire une pareille mode, se traduit par d’innombrables
écrits de tous genres: récits épisodiques, relations de voyages,
rapports de consuls, mémoires de captifs, projets de traités,
aventures vécues, lettres, etc... Et, dans cette masse de documents,
la marine de la Régence et ce qui s’y rattache, font l’objet d’une
attention particulière. Envoyés spéciaux, agents secrets,
diplomates, religieux, voyageurs, tout le monde en parle, mais très
souvent avec plus de passion que d’objectivité, plus de hargne que
de retenue. Les chroniques, les lettres personnelles, les documents
officiels, les correspondances commerciales, échappent rarement à
l’esprit de l’époque. C’est pourquoi, cette moisson d’écrits déçoit
le chercheur sur plus d’un point. La « bibliothèque barbaresque »
n’est riche qu’en apparence. Les sources occidentales, malgré leur
variété et leur disponibilité, sont loin de satisfaire l’historien,
même si, sur le plan quantitatif, elles surclassent les sources
locales.
Durant la période ottomane,
la mode était à l’algérophobie. Les mêmes thèmes et les mêmes
préjugés se retrouvent, généralement, partout. L’orgueil, l’amour
propre, la passion religieuse, le mépris systématique, l’ignorance
de la réalité et la mauvaise foi calculée, avaient frappé de cécité
nombre d’auteurs, contemporains des événements ou venus après.
L’effort personnel pour se libérer des clichés vieillis et des idées
ancrées, reste exceptionnel et l’hostilité permanente et aveugle
avait anéanti, en fin de compte, tout espoir de s’en dégager et
toute indépendance de jugement.
De Grammont avait
parfaitement remarqué la grande tare, à savoir que « la plupart des
historiens de la Régence se sont contentés de se copier les uns les
autres, se transmettant ainsi les appréciations du premier d’entre
eux, qui, en sa qualité d’espagnol[30]
qualifia durement la conduite des Barbaresques sans s’apercevoir que
ses compatriotes leur avaient donné l’exemple sur le littoral
maghrébin[31]. »
C’est pourquoi, la
« bibliothèque barbaresque » colporte, avec une constance fatigante,
les mêmes idées, les mêmes images et les mêmes appréciations sans
renoncer au dénigrement et à la partialité.
Les modernes puisent encore
de nos jours dans Haëdo, Marmol, Mouette et d’autres sans tenter de
réfuter ou d’essayer de comprendre.
Il serait long et fastidieux
d’exposer tous les aspects négatifs d’une volumineuse littérature.
Notre but n’est point d’en faire le procès. Cependant, arrêtons-nous
devant quelques thèmes.
La Régence appelée Barbarie,
est le pays « inhospitalier » où l’on risque mille morts, « un
repaire de brigands[32],
une contrée qu’il importe de détruire au plus tôt ! Un enfer qu’il
faut anéantir !
Alger a droit à un torrent
d’invectives, difficiles à contenir : « République de larrons,
...tanière de voleurs[33],
...nid de pirates, ...enfer des chrétiens, ...cavernes de monstres
africains, ...ramassis de forbans, ... « ses habitants sont des
démons[34], « ville
de pirates, réceptacle où sont accumulés les fruits de plusieurs
siècles de brigandage[35], »,
honteux repaire d’aventuriers...
Les Deys ont tous les torts
et tous les vices: amour du plaisir, cupidité, caprices despotiques.
Ce sont des gens sans moralité, des jouisseurs... des monstres
africains.
Les corsaires d’Alger sont
différents des corsaires français ou anglais. Ils sont des pillards,
« tous brigands[36], »
larron impitoyables..., des écumeurs de mer, « une poignée de
misérables pirates, un véritable épouvantail des enfants et des
vieilles femmes[37], »
des coupeurs de grands chemins, « des forbans qui glacent d’effroi
nos paisibles navigateurs[38], »
la lie de l’Empire ottoman[39]...,
des monstres marins déchaînés, ennemis naturel et invétérés de
l’industrie[40]...,
des nuées de vautours s’élançant du haut de leurs immondes repaires[41],
une abominable canaille[42].
Avides de s’enrichir des dépouilles de la chrétienté, ne vivant que
de rapines et de la traite des esclaves avec un souverain mépris du
droit des gens[43].
La course, ce fléau
permanent et universel, est, à lire les auteurs anciens et modernes,
un apanage des Musulmans en général et des Algériens, en
particulier. On fermera les yeux sur les autres pirateries.
« L’existence des Algériens, dit Renaudot, tient au brigandage, au
malheur d’autrui, à la désolation des peuples... Ils jouissent des
maux d’autrui[44]. ».
Les détracteurs professionnels s’accrocheront à de telles idées. On
écrira, et on répéta que « l’état naturel des puissances
barbaresques est d’être engagé dans la guerre, leur haine de toute
industrie honnête et leur avidité naturelle, les poussent à la
piraterie. Cet amour inné du pillage est encouragé par une religion
barbare[45].
Un chercheur contemporain va plus loin que ses devanciers : « Sans
la piraterie, nous dit-il, la Régence d’Alger n’aurait jamais existé[46]. »
Un autre trouve que « la fortune véritable des Turcs était sur la
mer [...] et que la course aux dépends des chrétiens représentait
pour eux une industrie nationale ou, pour mieux dire, une industrie
d’Etat[47].
La condamnation des
Algériens fut si générale et si brutale que les opinions qui
contredisent ces courants de pensées, sont à signaler. Mas Latrie,
un des rares, avait émis des réserves, « Nous croyons, dit-il, que
la statistique des forfaits dont la Méditerranée a été le théâtre du
XIIème siècle au XVIème, s’il était possible
de la dresser, mettrait à la charge des chrétiens une quantité fort
lourde dans l’ensemble des pillages et des dévastations maritimes
que nous rejetons tous trop facilement au compte des Barbares[48]. »
Les esclaves retenus à Alger
ont inspiré des milliers de plumes. C’était à qui lancerait le plus
d’invectives et cracherait le plus de venin. Ce fut le thème qui
mobilisa les prêtres et les dévots. Chroniques, œuvres religieuses,
récits de propagande, sermons et correspondances foisonnaient même
après la chute de la Régence.
Les captifs chrétiens y
étaient présentés, et l’exagération aidant, par les traits les plus
noirs: bêtes de somme, le corps toujours presque nu, battus à tout
moment, abreuvés d’injures, « ne mangeant que des biscuits moisis[49]
» végétant dans les prisons affreuses, « lieux d’horreur[50] »
sans pareil. Alger était ainsi la cible vers laquelle tous les
doigts accusateurs de l’Occident étaient braqués.
Ces textes respirent sans
peine l’intolérance. On dénonce avec rage la violence, lorsqu’elle
est le fait des Musulmans, mais on incite avec force à l’exercer
envers ces derniers.
L’exemple typique fut le
Père Dan. Tout au long de sa longue histoire[51],
il voulut frapper les esprits, secouer les sensibilités, terroriser
le lecteur, en présentant partout le danger musulman et en exaltant
« la mémoire des anciens Français qui allèrent se battre contre les
Barbares. » Pour lui, l’hostilité entre les chrétiens et les
musulmans est fondamentale.
Son livre abonde en récits
curieux où se mêlent l’anthropophagie (cadavres dévorés) et les
folies sanguinaires (supplices affreux, horreurs indescriptibles sur
des chrétiens), fruit d’une imagination mal intentionnée et d’une
haine incurable. Ne parle-t-il pas de la « la maudite race des
Morisques » chassés d’Espagne par le Roi, regrettant qu’on ne les
ait pas exterminés entièrement ?
Dan n’était pas un cas
unique. D’autres décrivaient le Musulman comme un être dépourvu de
foi, fourbe, partenaire dangereux, infidèle par excellence, fléau de
Dieu et son instrument de punition pour les péchés des chrétiens...
le pervers, le barbare. Alors, tout est permis envers ces
perfides... même la perfidie.
Le Père Hérault, dans sa
« Continuation... » a recours à la vulgarité pour exprimer ses
sentiments anti-algériens. « Il faut croire, dit-il, que cette race
de Turcs, Mores, Arabes et Tagarins sont tous fils de p...[52]. »
Exmouth qualifie ses soldats « d’une poignée d’Anglais combattant
pour la noble cause de la chrétienté, » quant aux Algériens qui
osaient se défendre, ils n’étaient aux yeux de l’Amiral « qu’une
horde de fanatiques[53] »
De telles attitudes figées,
régulièrement manifestées, firent dire à Laugier de Tassy que « la
plupart des chrétiens sont si fort prévenus contre les Turcs et tous
les autres mahométans, qu’ils semblent manquer de termes pour
exprimer leur animosité contre ces peuples. Plusieurs y sont portés
par les rapports de certains moines espagnols qui répandent milles
faussetés pour rehausser le mérite de leur rédemption. Cette haine
est augmentée quelquefois par les fausses relations de prétendus
esclaves qui mendiaient çà et là, chargés de chaînes qu’ils n’ont
jamais portées sur les lieux[54].
»
Un Mémoire militaire sur
Alger, adressé au baron de Damas parle de « vagabondage maritime des
Algériens[55]. »
Esquer dénonce « le banditisme maritime » de ces derniers[56]
et taxe le Dey de « chef de pirates[57]. »
La même cécité frappe
encore, de nos jours, certains auteurs. L’amiral Barjot et J.
Savant, auteurs d’une « Histoire Mondiale de la Marine » feignent
d’ignorer les Barbaresques. Les quelques lignes du livre ne
soufflent mot sur les Raïs et leurs actions en Méditerranée. Paul
Auphan, ancien secrétaire d’Etat à la Marine, ose affirmer en 1962
que « l’Islam arabe avait introduit, en Méditerranée, l’habitude de
la Course, c’est à dire, du brigandage en haute mer au détriment des
chrétiens[58]. »
[1]
Mercier (E.). Histoire de l’Afrique Septentrionale. III. p.
146.
[2]
Les archives espagnoles, italiennes, anglaises, yougoslaves
et ottomanes doivent faire l’objet d’une étude. Certains
sondages effectués, çà et là, ont donné de précieux
renseignements sur certains aspects du sujet. A titre
d’exemple:
Archives
espagnoles : Ministère des Affaires Etrangères, dossier n°25
(Politique Extérieur, Algérie 1786- 1931) - Ministère de la
Marine, section Course (Corsaires d’Alger, marchandises
algériennes transportées par des neutres ou des ennemis,
navires algériens secourant Toulon en 1794, course
espagnole, captifs algériens, informations sur Alger,
nouvelles d’Oran, combat entre Espagnols et Algériens sur la
côte oranaise).
Archives
italiennes : « La sacra Congregazione de Propagande fide »
fondée en 1597 par le Pape Clément VIII, organisée par
Grégoire XV en 1622, fournit de précieux renseignements sur
le rachat des esclaves chrétiens, la situation politique
dans les Régences du Maghrib.
Archives d’Etat de
Venise (rapports des Consuls et des envoyés vénitiens
notamment au XVIIIème siècle. Lettre des Consuls aux cinque
savii, versement annuel dû par Venise, arrivée et départ des
navires d’Alger, Traités de Paix, navires vénitiens capturés
par les Algériens.
Archives de l’Etat
de Turin (les rapports des consuls de Sardaigne en poste à
Alger).
Archives de
Livourne (Registre de la Santé Maritime).
[3]
Gentil de Bussy. De l’Etablissement des Français dans la
Régence d’Alger. Paris. 1839. II, p. 300.
[4]
Berbrugger (A.), R.A., IX, p. 259, note 1.
[5]
Mon Histoire de la Marine Algérienne, (Alger 1983) se veut
un travail de sensibilisation.
[6]
Algérie, Voyage Politique et Descriptif, Paris, 1849, p. 71.
[7]
Né à Alger en 1107 de l’Hégire (1695).
[8]
Relation de voyage intitulée
Lisân al-Maqâl,
p. 103 et pp. 113-114.
[9]
(3) Belhamissi (M.),
L’Algérie vue par les voyageurs marocains à l’époque
ottomane (en arabe), pp. 174- 175.
[10]
Edition critique du manuscrit de Paris avec introduction,
notes et commentaires, thèse de 3ème cycle, Aix en Provence,
1972.
[11]
At-Tamagrûtî
(mort en 1003 de l’Hégire (1594-1595), est l’auteur d’une
Rihla (relation
de voyage) intitulée
an-nafha al-miskiaya... La partie relative à l’Algérie
dans les voyageurs marocains...pp.45 - 62.
[12]
Mudhakkirât
(Mémoires), publiés par A T. al Madanî, Alger, 1979.
[13]
Zahhâr, op. cit. p. 25. (مما
وجد مقيدا في دفاتر الروساء اىن هدا القبطان...)
Parlant du Ministre de la Marine d’Alger, le consul de Kercy
dit qu’il « songe à remettre en vigueur le livre de
Barberousse dans lequel il est prescrit que les Algériens
doivent confisquer tout bâtiment qui sera rencontré à la mer
avec du canon (Mémoire sur Alger, p. 96) ».
Des écrits ont
bien existé mais ont disparu depuis.
[14]
On peut citer:
- Hoste (le Père),
1652-1701, auteur de l’Art
des Années Navales.
- Romme, auteur de
l’Art de la Marine ou
Principes et Préceptes Généraux de l’Art de construire,
d’Armer, de Manœuvrer et de Conduire des vaisseaux, La
Rochelle, Chauvet, 1787.
Duhamel du Monceau,
Eléments de l’architecture navale du Traité Pratique de la
Construction des Vaisseaux, Paris, 2ème édition, 1758.
[15]
Parmi les chroniqueurs algériens de la période ottomane :
- Ibn Mahmun
(Muhammad.. al Jaza’iri) :
At-tfha al-madhiya fi
ad-dawla al-bagdachiya, publiée par Ibn Abd al-Karim,
Alger, 1972.
- Ibn
Sahnûn (Ahmad ibn Muhammad ar-Râchidî) :
At-taghr al-jumânîfi
ibtisâm at-taghr al-wahrânî, publié par al-Mahdi
al-Bu’abdelli, Alger, 1973.
- Az-Ziyyânî
(Muhammad ibn Yûsuf) :
Dalîl al-Hayrân...fi
akhbâr-î-Wahrân, publié par al-Mahdi al-Bu’abdalli,
Alger, 1978.
- Ibn Hattâl
at-Tilimçanî (Ahmad) :
Rihlat Muhammad
al-Kabîr ilâ al-janûb... publié par Ibn Abd al-Karim, Le
Caire, 1969.
[16]
Charasse (P.), « Le Mogreb et la mer », Revue Marseille,
104/1972, pp. 17-32
[17]
Ce vers du poète ‘Amr ibn Kathûm dans sa Mu'allaqa :
ملانة البر حتى ضاق عنا ...وماء البحر نملاه سفينا.
« La terre, nous
l’emplissons jusqu’à la rendre plus étroite; Et la mer, nous
la couvrons de nos vaisseaux ! »
[18]
-شهيد
البحر متل شهيدي البر.
« Le martyr sur mer en vaut deux sur terre. » (Ibn Mâja, Bâb
al Jihad)
-
لا
يركب البحر إلا حاج أو معطمر أو غازي.
« Ne prend la mer que celui qui veut accomplir un Hajj
(pèlerinage à la Mecque), une 'Umra ou faire la guerre. »
- .غزوة
فالبحر مثال عشر غزوة في البار
« Une guerre sur mer équivaut à dix sur terre. » (Abû Dâwûd)
- .ناس
من أمتي عرضوا على (و كان صلعم نائمة) يركبون ظار هدا البحر
كالملوك على الاسترة
« Il m’a été présenté, alors que je dormais, des hommes de
ma communauté, prenant la mer comme des rois assis sur leur
trône. »
[19]
Al-Baladhuri, Futûh...
p. 431.
[20]
Hoenerbach (W), La
Marina araba del Mar Méditerranée en tempo de Mu'awiya,
Instituto Mulay al-Hasan, S.D. et S.L., (30 p.)
[21]
Al-Jâhiz, Kitab
al-Hayawân, p. 41
[22]
Ibn Khaldûn,
Muqaddima, p. 449.
[23]
Le poète andalous, Ibn Hâni' (IV/Xème) composa de nombreux
vers à la gloire de la flotte d’al-Mu’izz.
Sur les raids
musulmans en Méditerranée, au Moyen-Age, voir Ph. Senac,
Provence et piraterie
sarrasine, Paris, 1982.
[24]
Description de
l’Afrique, édit. De Slane, p.85.
[25]
La Primaudaie (Elie de),
Le commerce et la
navigation... p. 113, note 1.
[26]
Féraud (Ch.), in R.A., 1858, pp. 45-46.
[27]
Léon l’Africain,
Description de l’Afrique, II, p. 360.
[28]
Ibn Khaldûn,
Muqaddima, chap. « Qiyâdat al-ustûl », p. 449.
Marçais (G), « Les
villes de la côte algérienne et la piraterie au Moyen-Age, »
A.E.I.O., XIII, 1955, p. 118-142.
[29]
Charasse (P.), « Le
Mogreb et la mer, » Rev. Marseille, 104,1/1976, pp.
17-22.
Dans un autre
article de la même revue (n° 76, p. 6) il prétend que « les
arabes chameliers préféraient les dunes de sable à la houle
dont ils redoutaient les colères. »
Ibn Khaldûn
engageait les Musulmans à entreprendre des attaques contre
la Chrétienté et de faire des conquêtes outre-mer, dans le
pays des Francs, ce qui nécessite une flotte.
« الابد
المسلمين من الكرة على النصرانية و إفتتاح ما وراء البحر
من بلاد الافرنجية وأن ذلك يكون فالأسطول
»
Hamdân Khûdja
contredit les assertions de Charasse: « Parmi les Kabyles,
dit-il, on trouve des hommes intelligents qui embrassent
l’état de marins. On cite des exemples merveilleux de leurs
dispositions naturelles ; il en est qui, dès le premier
voyage qu’ils feront sur mer, s’empareront du gouvernail
sans connaître les principes élémentaires de la navigation »
(Le Miroir, édit.
Sindbâd, p. 100).
[30]
Allusion à Haëdo. Bénédictin espagnol de Fromestra qui avait
séjourné à Alger de 1578 à 1580 ; il est l’auteur de trois
ouvrages sur la Régence au XVIème siècle, largement
exploités par les historiens européens. Cependant, nombre de
renseignements fournis par ce chroniqueur sont manifestement
inexacts.
[31]
Grammont (H.de).
Histoire d’Alger sous les Turcs, p. 51.
[32]
Reaudot, Tableau du
Royaume de la Ville d’Alger et de ses environs, Paris,
1830, p. 166.
[33]
Arvieux (Chev; d'),
Mémoires, V, p. 83 et 288.
[34]
Abellt (L.), cité par Tuibet-Delof,
L’Afrique Barbaresque,
p. 73.
[35]
A.N. Aff.Etr,
Mémoires et Documents, n°l 1 (Mémoire militaire sur
Alger).
[36]
Dan, Histoire de
Barbarie..., p. 299. Parlant des Raïs, il écrit:
« Instruits dans l’école de Satan » (p.326); « ... s’allient
facilement avec le démon » (p.328).
[37]
Shaler (W.), Esquisse
de l’Etat d’Alger, p. 53.
[38]
Shaw, Voyage, p.
214.
[39]
A propos de « lie, » rappelons que le chevalier Paul était
le fils d’une lavandière de Marseille, qu’il naquit à bord
d’un canot. La guerre qu’il mena contre les Musulmans lui
valut d’être anobli et fait chevalier de Malte. Promu
Capitaine du Roi, en 1638, il fut nommé par la suite chef
d’escadre.
Michel Ney, né
tonnelier, devint Maréchal de France et Murât, né garçon
d’écurie, devint Roi de Naples... Monter d’’une échoppe à un
palais, c’est beau pour tout le monde ! Don Antonio Barcelo
fut corsaire avant d’être amiral espagnol.
On trouvera,
d’autre part, dans La Primaudaie (Documents R.A., 1875, p.
67) un certificat délivré à Pedro de Azevalo, auteur d’un
homicide et par lequel il obtenait le pardon du délit En
effet, au début de l’occupation d’Oran par les Espagnols,
pour effacer un crime commis, il suffisait d’aller en
Afrique du Nord, y servir deux mois à ses frais contre les
Algériens, « ennemis de la sainte foi catholique. »
[40]
Pananti, Relation
d’un séjour à Alger, trad. française, p. 572.
[41]
Pavy (Mgr), La
piraterie musulmane..., R.A., 1857, p. 337.
[42]
Paul (Chev.), Mémoire,
cité par Charles Roux, La France et l’Afrique du Nord... p.
145.
[43]
Plantet,
Correspondance des consuls de France à Alger, p. 39.
[44]
Renaudot, op. cit., p. 165.
[45]
Pananti, op. cit., p; 481.
[46]
Boyer (P.), La vie
quotidienne à Alger, p. 231.
[47]
Albertini, L’Afrique
du Nord française dans l’histoire, Lyon-Paris, 1941, p.
217.
[48]
Relations et
commerces de l’Afrique septentrionale avec les nations
chrétiennes au Moyen-Age, Paris, 1866.
[49]
De Fercourt, capturé par les Algériens en 1678, écrit que
« le pain remis aux esclaves était bon et toujours tendre »
(Relation de
l’esclavage des sieurs... p; 50).
[50]
La Croix qui vit les bagnes du Sultan en 1670 constatait que
« l’esclavage turc est le moins rude de tous et qu’il
vaudrait bien mieux tomber entre les mains du moindre bey
des galères que du vice-roi de Naples. »
[51]
Le titre de son livre est révélateur : « Histoire
de Barbarie et de ses Corsaires, le royaume et les villes
d’Alger, de Tunis et de Salé où il est traité de leur
gouvernement, de leurs mœurs, de leur cruauté, de leu
brigandage, de leurs sortilèges et de plusieurs
particularités remarquables ».
[52]
R.O.M.M., 1/1974, p. 35 et 1/1975, p; 33. Egalement,
Tuibet-Delof,
Bibliographie critique, n° 165.
[53]
R.A., 1880, p. 148.
[54]
Histoire d’Alger,
préface.
[55]
A N. Aff.Etr.,
Mémoires et Documents, XI, (Alger).
[56]
La prise d’Alger,
p. 15.
[57]
Op.cit., p; 87.
[58]
Histoire de la
Méditerranée, Paris, 1962, p. 13.