Maghreb al-Aqsa (actuel Maroc)
La dynastie régnante des Banou Marine souverain du Maghreb al-Aqsa
ou de l’actuel Maroc, jouèrent aussi un grand rôle en Andalousie ou
ils se portèrent au secours des Musulmans comme nous l’avons vu dans
le premier volume sans toutefois trop rentrer dans les détails. Nous
allons donc revenir en partie sur les premiers souverains de cette
dynastie avant de revenir au résumé de notre chronologie.
Les informations qui suivent sont extraites du livre « kitab
al-anis al-moutrib bi-rawd al-qirtas fi akhbar moulouk al-maghrib wa
tarikh madinat fas » de ‘Ali Ibn ʻAbdAllah Ibn Abi Zar’
al-Fassi.
De la généalogie des Bani Marine az-Zinata
Les Bani Marine étaient une tribu berbère des Zenâta, originaire
d’Ibn Ourtajan Ibn Makhoukh Ibn Wajij Ibn Fatin Ibn Yiddir Ibn
Yajfit Ibn ‘AbdAllah Ibn Wartib Ibn al-Maqir Ibn Ibrahim Ibn Sighik
Ibn Wassine Ibn Islitan Ibn Mazri Ibn Zakya Ibn Warsij Ibn Zinat Ibn
Jana Ibn Yahya Ibn Tamsit Ibn Dzaris, ou Jalout le premier
roi des Berbères, Ibn Warjih Ibn Madghis al-Abtar Ibn Baz Ibn
Kis Ibn Ghilan Ibn Moudzir Ibn Nizar Ibn Mad Ibn ‘Adnan. Zinat Ibn
Djanah est le fondateur de la tribu des Arabes Zenâta qui changèrent
leur langue arabe en langue berbère comme l’ont rapporté les
généalogistes.
Moudzir Ibn Nizar eut deux fils, Ilyas et Ghilan, de leur mère Rihab
Bint Hajah Ibn ‘Omar Ibn Mad Ibn Adnan. Ghilan eut également
deux fils, Kis et Dahman. Dahman n’eut qu’une faible
postérité, qui donna naissance aux Bani ‘Amam, de la tribu de Kis.
Celui-ci engendra quatre fils et une fille : Sa’id, ‘Omar et Hafsah,
qui eurent pour mère Mouznah Bint Assad Ibn Rabi’ah Ibn Nizar. Le
quatrième fils, Baz et sa sœur Toumadzar, naquirent de Barighah Bint
Madjdal Ibn Majdoul Ibn ‘Omar Ibn Moudzir al-Barbari al-Majdouli.
A cette époque, les Berbères Majdouli habitaient la Syrie et
fréquentaient les Arabes. Or Baha, fille de Dahman Ibn
Ghilan, était la femme la plus accomplie de son temps en beauté et
en qualité, et de toutes les tribus arabes se présentaient des
prétendants nombreux mais les fils de son oncle Kis, ses cousins et
cousine Sa’d, ‘Omar, Baz et Hafsah, déclarèrent qu’elle ne
sortirait pas de la famille et qu’elle n’épouserait que l’un d’eux.
Invitée à faire un choix parmi les quatre, elle choisit Baz, qui
était le plus jeune et le meilleur de tous, et l’épousa en dépit de
ses frères, qui conçurent le dessein de le tuer. Sa mère, Barighah
prévint Baha qui convint avec elle de s’échapper dans le pays de ses
frères, les Berbères et elle partit avec son fils Baz et sa
belle-fille. Arrivés chez les Berbères, elle établit Baz dans sa
famille, où il épousa en toute sécurité sa cousine Baha et devint
puissant et capable de résister à ses ennemis. Baha lui donna deux
fils, ‘Alouan et Madghis. ‘Alouan mourut jeune et sans enfants et
Madghis, surnommé al-Abtar, fut le père des Berbères al-Boutr, d’où
sont issus les Zenâta.
Baz mourut chez les Berbères et son fils Madghis eut une innombrable
descendance qui adoptera les mœurs et la langue berbère.
L’arrivée des Bani Marine au Maghreb
C’est avec le désastre de la bataille d’al-’Iqab que les Mouwahhidine
perdirent leur puissance. An-Nassir vaincu, rentra au Maroc et son
gouvernement ne cessa d’aller de mal en pis jusqu’à sa mort, en l’an
610 de l’Hégire (1213), où il fut remplacé par son jeune fils non
pubère al-Moustansir, qui incapable de diriger les affaires, laissa
les rênes du gouvernement aux Sheikhs des Mouwahhidine qui
s’entretuèrent pour le pouvoir. L’anarchie se généralisa, leurs
forces s’affaiblirent, la décadence gangréna le pays, la religion se
perdit et la guerre civile éclata entre eux pavant ainsi la route de
la nouvelle dynastie qui allait prendre les rênes du pays en mains :
Les Bani Marine.
Les Bani Marine, étaient un peuple de nomades qui vivaient sur les
terres du Zab jusqu’à Sijilmasa qui ne connaissaient ni argent, ni
monnaie et ni émir. Fiers et dédaigneux, ils ne supportaient ni
attaque, ni alliance, ne connaissaient ni l’agriculture ni le
commerce, et leurs seules occupations étaient la chasse, le cheval
et les razzias. Leurs biens consistaient en chevaux et en chameaux
qu’ils menaient paître une fois par an au Maghreb puis en automne,
retournaient chez eux.
C’est ainsi qu’en amenant leurs animaux paitre et s’abreuver qu’ils
apprirent, en l’an 613 de l’Hégire (1216), que toute l’armée des
Mouwahhidine avait péri à la bataille d’al-’Iqab, et ils
trouvèrent partout que des lieux déserts ou fréquentés seulement par
les lions et les chacals. Alors ils s’établirent sur ces terres
ainsi abandonnées et envoyèrent aussitôt prévenir leurs frères de la
situation.
Les Bani Marine en nombre considérable vinrent alors d’étapes en
étapes, montés sur leurs chevaux ou sur leurs chameaux, jusqu’à Oued
Talagh et entrèrent au Maghreb, avec leurs animaux, leurs bagages et
leurs tentes.
Abou Faris dit dans son poème : « C’est en l’an 610 que les Bani
Marine vinrent au Maghreb de leurs pays barbares, après avoir
traversé le désert et les plaines de sable sur le dos de leurs
chameaux et de leurs chevaux, comme avaient fait les Lamtounah avant
eux ».
Les Bani Marine et
les Mouwahhidine
Lorsque les Bani Marine entrèrent au Maghreb, ils se répandirent
dans le pays et s’y affermirent, faisant grâce à ceux qui se
soumettaient à et massacrant ceux qui les repoussaient. En apprenant
cette invasion, l’émir Youssouf al-Moustansir conçut de l’inquiétude
et il rassembla les Sheikhs Mouwahhidi qui lui dirent : « O
émir des Musulmans ! Ne leur fait pas attention et soit sans crainte
car ils sont simples et peu nombreux. Pour les arrêter, il suffira
seulement d’envoyer contre eux l’un des nôtres qui les anéantira et
s’emparera de leurs femmes et de leurs biens après les avoir
poursuivis et dispersés ».
L’émir expédia alors aussitôt une armée de vingt-mille Mouwahhidine
sous le commandement du Sheikh Abou ‘Ali Ibn Wandin avec ordre de
massacrer les Bani Marine jusqu’au dernier d’entre eux. Lorsque les
Bani Marine furent informé de son approche, ils mirent à l’abri
leurs familles et leurs richesses dans la forteresse de Tazout et
avancèrent résolument contre l’armée des Mouwahhidine. La
rencontre eut lieu dans les environs de l’Oued Nakour, dans la
région de Badis dans le Rif ou ils livrèrent une sanglante et
mémorable bataille. Les Bani Marine assistés par le Très-Haut,
remportèrent la victoire et ils massacrèrent la plus grande partie
des Mouwahhidine. Avec cette écrasante victoire, le pouvoir
des Bani Marine grandit et celui des Mouwahhidine
s’affaiblit.
Les Sheikhs Mouwahhidi nommaient les sultans et les tuaient
ensuite pour en nommer d’autres, pillant chaque fois leur trésor et
se partageant leurs femmes et le butin. C’est ainsi qu’ils nommèrent
‘Abdel Wahid avant de le tuer pour le remplacer par al-‘Adil,
qu’ils étranglèrent à son tour avant de désigner al-Ma'moun qu’ils
déchurent et élire pour le remplacer son frère Yahya. Ce
désordre engendra leur ruine et la disparition de leur pouvoir et de
leurs forces, dont les Banou Marine héritèrent.
Abou Muhammad
‘Abdel Haqq
L’émir Abou Muhammad était fils de l’émir Abou Khalid Mayou
Ibn Abou Bakr Ibn Hamamah Ibn Muhammad az-Zinati
al-Marini et son père, Abou Khalid combattit lors de la Bataille
d’al-Arak au côté d’al-Mansour qui lui avait confié ce jour, le
commandement des Zenâta, avec lesquels il se couvrit de gloire et au
cours de laquelle il fut blessé avant de mourir des suites de ses
blessures en l’an 592 de l’Hégire dans le sud du Zab. Son fils lui
succéda et prit la direction des affaires et Abou Muhammad
‘Abdel Haqq était connut par ses vertus, sa religion, sa
piété, sa justice et il était le refuge des orphelins et la
providence des pauvres. Il était un savant dans sa tribu et veillait
avec le plus grand soin aux affaires des siens et n’entreprenait
absolument lieu sans le consulter.
Au mous de Dzoul Hijjah de l’année 613 de l’Hégire (1216),
Abou Muhammad ‘Abdel Haqq marcha avec son armée sur
Ribat et le gouverneur de la ville sortit pour l’attaquer mais
l’émir Abou Muhammad le battit et mit son armée en déroute.
Il distribua le riche butin à ses soldats sans rien garder pour lui
et dit à ses enfants : « Faites bien attention de ne pas toucher à
ce butin, la victoire et la renommée doivent vous suffire ».
Au mois de Joumadah Thani de l’année 614 de l’Hégire (1217), les
Banou Marine rencontrèrent les Banou Riyah qui étaient la
plus puissante tribu arabe du Maghreb et les deux armées se
rencontrèrent aux environs de l’Oued Sebou. À quelques milles de
Tafarthast au cours de la sanglante bataille qui s’ensuivit Abou Muhammad
‘Abdel Haqq fut tué ainsi que son fils Idriss. Les Bani
Marine jurèrent alors de ne point enterrer les corps de leurs chefs
avant de les avoir vengés et les Banou Riyah après avoir
déployé une grande résignation furent presque tous massacrés tandis
qu’un petit nombre d’entre eux s’enfuit.
Après la bataille, les Bani Marine nommèrent ‘Uthman, le fils d’Abou
Muhammad ‘Abdel Haqq, pour succéder à son père.
Abou Sa’id ‘Uthman Ibn Muhammad
‘Abdel Haqq
Après la mort de son père, Abou Sa’id ‘Uthman Ibn Muhammad
‘Abdel Haqq à la tête des Bani Marine marcha sur les Bani
Riyah et après avoir massacré un grand nombre d’entre eux
ces derniers se soumirent ce qui pour effet d’affaiblir
encore plus les Mouwahhidine qui perdirent ainsi le contrôle
des campagnes.
L’émir Abou Sa’id rassembla alors les Banou Marine et les exhorta à
se soulever au nom de la religion et des intérêts des Musulmans et
bientôt il avança avec ses légions conquérantes et victorieuses dans
le Maghreb, donnant la sécurité à ceux qui le reconnaissaient et lui
promettaient obéissance tandis que ceux qui lui résistaient, étaient
combattus. Un très grand nombre de tribus se soumirent à lui et il
accorda la paix aux habitants de Fès, de Meknès, de Ribat qu’il
promit de défendre des actes de brigandages des Berbères.
Dans les années qui suivirent, Abou Sa’id ‘Uthman conduisit une
série d’expédition contre des tribus rebelles et resta un grand
guerrier mais il fut assassiné en l’an 638 de l’Hégire (1240) par un
renégat qu’il avait élevé tout jeune, et qui le frappa d’un coup de
poignard à la gorge. La durée de son règne fut de vingt-trois ans et
sept mois.
Abou Marhouf
Muhammad
Ibn ‘Abdel Haqq
Aussitôt après la mort de ‘Uthman, les Banou Marine portèrent
allégeance à son frère Muhammad qui suivit les traces de son
frère, conquit de nouvelles terres et ne cessa de faire la guerre
aux Mouwahhidine si bien que ces derniers lui envoyèrent une
armée de vingt-mille cavaliers en l’an 642 de l’Hégire (1244). Les
deux armées se rencontrèrent à as-Sakhrat Abi Biyyar près de Fès et
se livrèrent une autre sanglante bataille qui dura de l’aurore au
coucher du soleil et ou Abou Mahrouf trouva la mort, tué par un chef
chrétien. Et bien qu’il fût écrasé par son cheval qui tomba sur lui,
le chrétien n’en tint pas compte et lui donna le coup mortel. Nous
avons déjà rapporté dans le premier volume qu’un certain nombre de
chrétiens mercenaires combattaient dans les rangs des Mouwahhidine.
Après la mort de leur chef, les Bani Marine battus se retirèrent du
champ de bataille sous le couvert de la nuit avec leurs bagages,
leurs familles et leurs biens. Au point du jour, ils arrivèrent au
Jabal Ghiyatah où ils se retranchèrent pendant quelque temps. Abou
Mahrouf fut tué le jeudi 9 du mois de Joumadah Thani de cette même
année. Son frère Yahya Ibn ‘Abdel Haqq lui succéda.
Yahya
Ibn ‘Abdel Haqq
L’émir Abou Bakr Ibn ‘Abdel Haqq fut surnommé Abou Yahya.
Cavalier accompli, il fut aussi un grand guerrier, énergique,
résolu, qui combattait des deux mains et les meilleurs guerriers
craignaient de se mesurer avec lui. Il était aussi bienfaisant,
généreux et fidèle à sa parole, il tenait toujours ses promesses. Il
fut le premier des émirs des Bani Marine qui organisa son armée et
son camp et qui lit battre le tambour et déployer ses étendards.
Il rassembla les Sheikhs des Bani Marine, et leur divisa le
commandement des provinces du Maghreb, en donnant à chacun une
certaine étendue de terre que personne ne pouvait plus revendiquer
et leur ordonna aussi de préparer des troupes pour la guerre. Puis,
il se rendit au Jabal Zraoun, ou il établit son camp et d’où, il
harcela continuellement, jour et nuit, la ville de Meknès qu’il
finit par prendre en l’an 643 de l’Hégire (1245) après que le Sheikh
Abou al-Hassan lui remit pacifiquement la ville.
Lorsque Sa’id, l’émir des Mouwahhidine, fut informé de la
prise de Meknès, il se mit aussitôt en campagne et sortit avec une
armée considérable puis arriva sur les rives de l’Oued Bath, où il
campa, menaçant l’armée d’Abou Yahya qui sortit de Meknès
seul secrètement une nuit pour venir s’assurer par lui-même de la
position des troupes des Mouwahhidine. Il entra incognito
dans le camp ennemi, et, ayant examiné le nombre et les forces de
ses ennemis, il comprit qu’il ne pourrait pas se mesurer avec eux et
battit prudemment en retraite en abandonnant le pays et la ville et
avec les Bani Marine, il partit pour le Rif, où il se fortifia dans
le château de Tazountah. Lorsque le souverain des Mouwahhidine
Sa’id arriva sous les murs de Meknès, il fut reçu par les habitants,
qui vinrent au-devant de lui avec leurs femmes et leurs enfants pour
implorer la sécurité qu’il leur accorda. Puis, il se rendit à Fès et
campa sous ses murs tandis que les Sheikhs de la ville sortirent
pour l’inviter à entrer dans la ville. L’émir les accueillit avec
faveur et reprit aussitôt sa route vers Ribat ou il reçut l’acte de
soumission de l’émir Abou Yahya, qu’il agréa, et en réponse
accorda la sécurité à tous les Bani Marine, à condition qu’il lui
envoie un corps de cinq-cents de leurs meilleurs cavaliers pour le
servir. Abou Yahya lui répondit alors: « O émir des Musulmans
! Retourne dans ta capitale et confie-moi quelques renforts, si tu
veux que je te débarrasse de Yaghmourassan et que je te rende maître
de Tlemcen (Tilimsen) et de ses dépendances, » L’émir Sa’id fut sur
le point de consentir à ces offres mais il consulta ses ministres,
qui lui dirent: « O émir des Musulmans ! Garde-toi bien d’une
pareille imprudence. Souviens-toi que les Zenâta sont frères des
Zenâta, et que celui-ci, au lieu de faire ce qu’il te dit, pourrait
bien, au contraire, s’unir contre loi avec ceux qu’il te propose de
combattre ».
En conséquence, l’émir lui donna l’ordre de rester où il était et de
s’en tenir à lui envoyer le contingent demandé. Yahya, lui
expédia un corps de cinq-cents de ses meilleurs cavaliers tandis que
l’émir Sa’id s’en alla à Tlemcen et mourut sous les murs de la
forteresse de Timzizdaqt, où il assiégeait Yaghmourassan Ibn
Zayyan.
Les Bani Marine au service de Sa’id, apportèrent aussitôt la
nouvelle à leur maitre et Abou Yahya se mit aussitôt en
marche en toute hâte vers Meknès où il entra et prit le
gouvernement. Après y être resté quelques jours, il marcha sur Ribat
qu’il s’empara, ainsi que de toutes les forteresses de la
Moulouïyyah durant le mois de Safar de l’année 646 de l’Hégire
(1248) et le jeudi 26 du mois de Rabi’ Thani, il entra dans Fès la
capitale ou les gens sortirent à sa rencontre, deux mois après la
mort de Sa’id. C’est ainsi que le gouvernement du Maghreb passa dans
ses mains. Aussitôt qu’il fut maître de l’empire et de l’armée, les
troubles s’apaisèrent, la sécurité des routes et l’abondance
revinrent, le commerce reprit son mouvement. Les Berbères reçurent
l’ordre de rester sur leurs terres, de repeupler les villages et les
hameaux abandonnés, et de se livrer à l’agriculture.
Abou Yahya resta à Fès durant une année entière à recevoir
les députations qui vinrent lui porter allégeance et au mois de
Rabi’ Awwal de l’année 647 (1249), l’émir Yahya quitta la
ville pour se rendre à al-‘Aouam, dans le Fizaz, et laissa le
commandement de la ville à son Mawlah (affranchi) as-Sa’oud
Ibn Kharbash al-Hashimi. Dès qu’il se fut éloigné, les Sheikhs de la
ville se réunirent chez le Qadi Abou AbderRahmane al-Moughali
et décidèrent de renverser l’émir Abou Yahya, de tuer
as-Sa’oud, son lieutenant, et d’envoyer leur soumission au souverain
des Mouwahhidine al-Mourtadi. Etant tous tombés d’accord, ils
envoyèrent chercher Shadid, le général des chrétiens, pour lui faire
part du complot. Le Qaïd Shadid commandait à Fès, pour les
Mouwahhidine, une garnison de deux-cents cavaliers chrétiens
et lorsque les Bani Marine s’emparèrent de cette capitale, ils
restèrent fidèles aux Mouwahhidine.
En conséquence, dans la matinée du 22 du mois de Shawwal, les
Sheikhs se rendirent chez as-Sa’oud qu’ils saluèrent avant de
s’assoir près de lui. Puis, as-Sa’oud leur adressa des reproches et
ils ripostèrent avec colère avant d’appeler le Qaïd chrétien,
qui s’était posté avec ses soldats non loin du pavillon où as-Sa’oud
leur donnait audience, et as-Sa’oud et quatre de ses gardes furent
tués et leurs têtes placées au bout de piques furent promenées dans
les rues et sur les marchés de la ville. Les Sheikhs envahirent le
palais qu’ils pillèrent puis fermèrent les portes de la ville et
envoyèrent leur allégeance à al-Mourtadi.
Informé, Abou Yahya revint en toute hâte mais il trouva les
portes closes et durant sept mois, il assiégea la ville sans succès
quand il apprit que Yaghmourassan Ibn Zayyan était sorti de Tlemcen
pour s’emparer de Ribat. Laissant une partie de son armée sous les
murs de Fès pour continuer le siège, il marcha contre Yaghmourassan
qu’il rencontra près de l’Oued Isly, aux environs d’Oujda et après
une lourde bataille au cours de laquelle un grand nombre de chefs de
Bani al-Ouad périt, Yaghmourassan vaincu s’enfuit en abandonnant ses
trésors et son camp dont l’émir s’empara avant de revenir sur Fès,
dans le courant du mois de Joumadah Thani de l’année 648 de l’Hégire
(1250). Alors il renforca le siège et la violence des attaques, et
les habitants désespérés envoyèrent un message à Abou Yahya
pour implorer son pardon et la sécurité que l’émir accepta à
condition qu’ils rendent jusqu’à la dernière pièce d’argent les
100,000 dinars en or qui avaient été pillés. Ceci convenu, ils
ouvrirent les portes à l’émir, qui entra solennellement et
triomphalement le 23 Joumadah Thani de cette même année.
Après un certain temps, dans les premiers jours de Rajab, voyant
qu’on ne s’empressait pas de lui remettre l’argent, et qu’en maintes
circonstances on avait manqué au respect qui lui était dû, il fit
arrêter les Sheikhs, les chefs et les nobles, et les mit aux fers en
leur demandant la restitution de l’argent et de tout ce qui avait
été pillés dans le palais. Un de ces Sheikhs du nom d’Ibn al-Khibah,
lui dit :
- « Ceux qui ont fait tout le mal étaient seulement six, pourquoi
devons-nous être tous punis ? En faisant ce que je vais te dire, tu
ne seras que juste ».
- « Que vas-tu donc me dire » lui demanda l’émir ?
- « Fais d’abord trancher la tête aux six qui ont causé les
troubles, et alors ce sera à nous qu’il appartiendra de te rendre
l’argent que l’on t’a pris ».
- « En vérité », reprit l’émir, « tes paroles sont justes » et il
condamna aussitôt à mort les six principaux Sheikhs : le Qadi Abou
AbderRahmane al-Moughali, son fils, al-Mousharraf Ibn Dashir
et son frère, Ibn Abi Thala et son fils. Puis, il confisqua leurs
biens et leurs trésors, et ils furent exécutés à Bab ash-Shariyah,
le dimanche 28 Rajab.
Alors il se fit rembourser par tous les autres Sheikhs, que ce coup
abattit au point que nul d’entre eux n’osa plus relever la tête.
En l’an 649 de l’Hégire (1251), l’émir Abou Yahya s’empara de
la ville de Salé dont il confia le gouvernement à son neveu Ya’qoub
Ibn ‘Abdel Haqq. En 653 de l’Hégire (1255), il défit
al-Mourtadi al-Mouwahhidi à Jabal Bahloul, aux environs de
Fès et s’empara de tout ce qui se trouvait dans son camp et suite à
cela, les Banou Marine s’enrichirent considérablement.
En l’an 655 de l’Hégire (1267), l’émir Abou Yahya conquit
Sijilmasa et le Dar’a tandis que Yaghmourassan sortit avec son armée
des Bani ‘Abdel Ouad pour agrandir son territoire. Abou Yahya
qui se trouvait à Fès apprit cette nouvelle, rassembla aussitôt ses
soldats des Bani Marine, et marcha sur Sijilmasa où il trouva
Yaghmourassan déjà campé sous les murs du Bab Tahsinah. A
l’issue de la grande bataille qui s’ensuivit, Yaghmourassan battu
s’enfuit pour Tlemcen, en renonçant à ses projets de prendre
Sijilmasa et le Dar’a. Abou Yahya s’empara alors de tout ce
pays et y demeura le temps nécessaire pour organiser son
gouvernement qu’il confia à Abou Yahya al-Qatrani avant de
revenir à Fès.
C’est ainsi qu’il agrandit son empire et le nombre de ses troupes,
qu’il assura la tranquillité du pays et dispersa les pervers, qu’il
vit s’accroître la population et disparaître les fauteurs de
troubles.
Au mois de Rajab 656 (1268), Abou Yahya tomba malade à Fès et
mourut quelques jours après. Son règne dura dix ans et un mois.
Après sa mort, le gouverneur de Sijilmasa al-Qatrani se révolta et
déclara son indépendance et après un règne de deux ans il fut tué en
l’an 658 de l’Hégire (1270) et succédé par ‘Ali Ibn ‘Omar, un des
lieutenants d’al-Mourtadi, qui régna à son tour trois années jusqu’à
sa mort en l’an 662 de l’Hégire (1263). La ville fut alors prise par
la tribu arabe d’al-Milabat au nom de Yaghmourassan Ibn Zayyan à qui
ils portèrent allégeance et qui leur envoya un gouverneur des Bani
‘Abdel Ouad. Sijilmasa resta entre les mains de Yaghmourassan
jusqu’au moment où l’émir des Musulmans, Abou Youssouf Ya’qoub Ibn
‘Abdel Haqq, rentra dans la ville, le dernier jour du mois de
Safar de l’année 673 de l’Hégire (1274).
Abou Youssouf
Ya’qoub Ibn ‘Abd al-Haqq
az-Zinati
Ya’qoub naquit en l’an 607 de l’Hégire (1210) et selon d’autres
historiens, en l’an 609 et il fut surnommé Abou Youssouf, et aussi
al-Mansour Billali. Il était blanc, beau, fort, les épaules larges,
une longue barbe, affable, bienveillant, généreux, puissant, clément
et pieux. Il ne frappa jamais ses serviteurs, défit tous ses
ennemis, battit toutes les armées et n’attaqua jamais une place sans
s’en emparer.
Il aimait soulager les pauvres et les nécessiteux, fit construire
des hôpitaux pour les malades et les fous, pourvut à tous les frais
nécessaires à leur entretien et donna ordre aux médecins de les
visiter deux fois par jour, une le matin, une le soir, au frais de
Bayt al-Mal, le Trésor Public. Il en fit autant pour les
lépreux, les aveugles et les Faqhi, auxquels il alloua des fonds
tirés de la Jizyah des Juifs, qu’Allah les maudisse[1].
Il bâtit des écoles et y établit des étudiants pour y lire le
Qur’an et d’autres pour étudier les sciences, à qui il octroya
un salaire mensuel. Tout cela pour mériter les récompenses du
Très-Haut, qui Lui inspirait toutes ces bonnes œuvres.
Ya’qoub fut proclamé émir huit jours après la mort de son frère Abou
Yahya, le 27 Rajab de l’année 656 de l’Hégire, alors qu’il
était âgé de quarante-six ans. Sous son règne, il soumit tout le
pays, depuis Souss al-Aqsa jusqu’à Oujda et mit fin au règne des
Mouwahhidine dont il effaça les dernières traces. Il conquit
également Sijilmasa, le Dar’a, Tanger, fut acclamé par les habitants
de Ceuta qui lui payèrent un tribut annuel et il traversa en
Andalousie pour combattre dans la voie d’Allah les mécréants (al-kaffara)
et y gouverna plus de cinquante forteresses entre villes et
châteaux, parmi lesquelles Malaga, Ronda, Algésiras, Tarifa,
al-Mounqab, Merbala et Ouchounah, ainsi que tous les forts, les
villages et les tours de leur environ.
La Khoutbah fut lu en son nom sur toutes les chaires du
Maghreb, et il fut le premier des rois des Bani Marine qui combattit
pour la suprématie du Verbe d’Allah Exalté, ou l’Islam, qui renversa
les croix et subjugua les pays chrétiens, dont il abattit les rois
et pilla les palais. Allah Exalté, à Lui les Louanges et la Gloire,
se servit de lui pour relever la religion et faire briller le
flambeau de l’Islam. Avant lui, les Chrétiens prirent la plupart de
l’Andalousie, où les Musulmans n’avaient remporté aucune victoire
depuis le désastre d’al-‘Iqab, en l’an 609 de l’Hégire (1212). Les
étendards musulmans ne se relevèrent que lorsque ses drapeaux
victorieux et son armée passèrent en Andalousie, en l’an 674 de
l’Hégire (1278). C’est ainsi qu’il gouverna doublement, fit des
expéditions célèbres, des actions mémorables. Pieux, religieux et
juste, il combla les Musulmans de bienfaits, renversa les ennemis
d’Allah et telle fut la voie qu’il suivit jusqu’à sa mort.
Ya’qoub Ibn ‘Abdel Haqq passait un tiers de la nuit à lire le
Qur’an, priait et récitait ses invocations jusqu’au lever du
soleil. Ensuite il étudiait les livres de morale et d’histoire,
entre autre « foutouh ash-sham » ou la conquête de Syrie, et
écrivait lui-même de très belles pages qui l’occupait jusqu’à dix
heures ou il faisait alors sa prière avant de se remettre au
travail. Il écrivait de sa propre main ses lettres et ses ordres
puis donnait audience et présidait le conseil des Sheikhs des Bani
Marine, qui l’entouraient comme les perles étoilées entourent la
lune. A midi, il se rendait à la mosquée et y restait jusqu’à trois
heures avant de rendre dans la salle de justice, où il jugeait le
bien et le mal jusqu’à l’heure de la prière du soir, après laquelle
il congédiait ses ministres et ses serviteurs. Puis, il se retirait
dans ses appartements où il s’endormait pour rêver de combattre les
croisés.
Lorsqu’il consolida son gouvernement, Ya’qoub Ibn ‘Abdel Haqq
sortit de Fès et se rendit à Ribat ou il se renseigna sur
Yaghmourassan Ibn Zayyan. Il y entra le 1 du mois de Sha’ban de
l’année 658 de l’Hégire (1259), et y demeura jusqu’au 1 du mois de
Shawwal quand il apprit que les croisés s’étaient emparés de Salé
par surprise l’avant-veille, et qu’ils y massacraient les habitants,
enlevaient les femmes et pillaient les biens. Il partit aussitôt en
toute hâte et arriva d’une traite sous les murs de Salé, après être
sorti de Ribat à l’heure même du ‘Asr avec une cinquantaine de
cavaliers, et le lendemain, à la même heure, il fit sa prière sous
les murs de Salé, où il était ainsi arrivé en vingt-quatre heures.
Puis, il tomba sur les croisés qui rôdaient dans les environs, et,
en rien de temps, il se vit entouré d’une armée musulmane, formée
des contingents de toutes les tribus du Maghreb. Il assiégea alors
les mécréants et ne cessa de les attaquer jour et nuit, jusqu’à ce
qu’il s’empara de la ville, où ces derniers furent chassés, après y
être restés pendant quatorze jours. C’est alors que l’émir ordonna
de bâtir les murailles et les fortifications qui donnent sur la
rivière et qui n’existaient pas à cette époque, par où justement les
Chrétiens entrèrent par ce côté ouvert. Les premiers travaux furent
ceux du Dar as-Sina’ (arsenal), donnant sur la mer. Ya’qoub
assista lui-même aux travaux qu’il dirigeait et auxquels il prit
part de ses propres mains en s’humiliant pour mériter les sublimes
récompenses d’Allah Exalté ainsi et en dotant les croyants
d’ouvrages protecteurs.
Cette même année, Ya’qoub s’empara de la province de Tamsina et de
la ville d’Anfa’ ou l’actuelle Dar al-Baydah. C’est là qu’il reçut
les présents d’al-Mourtadi, l’émir du Maroc, lui demandant la paix
qu’il lui accorda, en convenant que la frontière de leurs états
respectifs serait marquée par l’Oued Oumm ar-Rabyah.
Abou Youssouf
Ya’qoub et les Mouwahhidine
En l’an 659 de l’Hégire (1260), les rapports entre Abou Youssouf
al-Marini et al-Mourtadi al-Mouwahhidi se dégradèrent et ce
dernier envoya une immense armée qui fut interceptée par l’armée des
Banou Marine près d’Oumm ar-Rijlayn ou l’armée des Mouwahhidine
fut écrasée.
En l’an 660 de l’Hégire (1261), Abou Youssouf vint camper sur le
mont Jaliz, d’où il menaça la ville en déployant ses troupes en
grand apparat sous ses étendards flottants. Al-Mourtadi se retrancha
dans la ville, dont il ferma lui-même les portes avant d’envoyer son
commandant Abou al-‘Oulah Idriss, surnommé Abou Dabbous, pour livrer
bataille. Le combat fut sanglant et ‘AbdAllah, le fils d’Abou
Youssouf fut tué au cours de la bataille ce qui incita son père à se
retirer à Fès, où il entra à la fin du mois de Rajab de l’année 661
de l’Hégire.
Dans la soirée du 12 du mois de Sha’ban, une comète apparut dans le
ciel et fut visible chaque nuit jusqu’à l’aurore, pendant environ
deux mois.
Toujours cette même année, le célèbre cavalier ‘Amar Ibn Driss à la
tête d’un corps d’armée de plus de trois-mille cavaliers des Banou
Marine et de volontaires traversa la mer pour aller combattre dans
la voie d’Allah en Andalousie. Abou Youssouf Ibn ‘Abdel Haqq
lui confia sa bannière victorieuse, équipa ses troupes d’armes, de
chevaux et d’argent et leur donna sa bénédiction. Ce fut la première
armée des Bani Marine qui passa en Andalousie.
En l’an 662 de l’Hégire (1263), mourut Abou al-‘Oulah Idriss Ibn Abi
Qouraysh le gouverneur des Mouwahhidine au Maghreb.
En l’an 663 de l’Hégire, al-‘Azfi le gouverneur de Ceuta, envoya ses
navires pour détruire les murs et les forts de ‘Assilah, de crainte
que ses ennemis ne s’emparent de cette ville et s’y fortifient.
En cette même année, Abou Youssouf se rendit dans les territoires
des Mouwahhidine pour les saccager; mais, à son arrivée, il
fut acclamé par tous les Musulmans qui habitaient les champs et le
voisinage de cette capitale si bien qu’il revint à Fès.