Maghreb al-Aqsa (actuel Maroc)

 

La dynastie régnante des Banou Marine souverain du Maghreb al-Aqsa ou de l’actuel Maroc, jouèrent aussi un grand rôle en Andalousie ou ils se portèrent au secours des Musulmans comme nous l’avons vu dans le premier volume sans toutefois trop rentrer dans les détails. Nous allons donc revenir en partie sur les premiers souverains de cette dynastie avant de revenir au résumé de notre chronologie.

Les informations qui suivent sont extraites du livre « kitab al-anis al-moutrib bi-rawd al-qirtas fi akhbar moulouk al-maghrib wa tarikh madinat fas » de ‘Ali Ibn ʻAbdAllah Ibn Abi Zar’ al-Fassi.

 

 

De la généalogie des Bani Marine az-Zinata

 

Les Bani Marine étaient une tribu berbère des Zenâta, originaire d’Ibn Ourtajan Ibn Makhoukh Ibn Wajij Ibn Fatin Ibn Yiddir Ibn Yajfit Ibn ‘AbdAllah Ibn Wartib Ibn al-Maqir Ibn Ibrahim Ibn Sighik Ibn Wassine Ibn Islitan Ibn Mazri Ibn Zakya Ibn Warsij Ibn Zinat Ibn Jana Ibn Yahya Ibn Tamsit Ibn Dzaris, ou Jalout le premier roi des Berbères, Ibn Warjih Ibn Madghis al-Abtar Ibn Baz Ibn Kis Ibn Ghilan Ibn Moudzir Ibn Nizar Ibn Mad Ibn ‘Adnan. Zinat Ibn Djanah est le fondateur de la tribu des Arabes Zenâta qui changèrent leur langue arabe en langue berbère comme l’ont rapporté les généalogistes.

Moudzir Ibn Nizar eut deux fils, Ilyas et Ghilan, de leur mère Rihab Bint Hajah Ibn ‘Omar Ibn Mad Ibn Adnan. Ghilan eut également deux fils, Kis et Dahman. Dahman n’eut qu’une faible postérité, qui donna naissance aux Bani ‘Amam, de la tribu de Kis. Celui-ci engendra quatre fils et une fille : Sa’id, ‘Omar et Hafsah, qui eurent pour mère Mouznah Bint Assad Ibn Rabi’ah Ibn Nizar. Le quatrième fils, Baz et sa sœur Toumadzar, naquirent de Barighah Bint Madjdal Ibn Majdoul Ibn ‘Omar Ibn Moudzir al-Barbari al-Majdouli.

A cette époque, les Berbères Majdouli habitaient la Syrie et fréquentaient les Arabes. Or Baha, fille de Dahman Ibn Ghilan, était la femme la plus accomplie de son temps en beauté et en qualité, et de toutes les tribus arabes se présentaient des prétendants nombreux mais les fils de son oncle Kis, ses cousins et cousine Sa’d, ‘Omar, Baz et Hafsah, déclarèrent qu’elle ne sortirait pas de la famille et qu’elle n’épouserait que l’un d’eux. Invitée à faire un choix parmi les quatre, elle choisit Baz, qui était le plus jeune et le meilleur de tous, et l’épousa en dépit de ses frères, qui conçurent le dessein de le tuer. Sa mère, Barighah prévint Baha qui convint avec elle de s’échapper dans le pays de ses frères, les Berbères et elle partit avec son fils Baz et sa belle-fille. Arrivés chez les Berbères, elle établit Baz dans sa famille, où il épousa en toute sécurité sa cousine Baha et devint puissant et capable de résister à ses ennemis. Baha lui donna deux fils, ‘Alouan et Madghis. ‘Alouan mourut jeune et sans enfants et Madghis, surnommé al-Abtar, fut le père des Berbères al-Boutr, d’où sont issus les Zenâta.

Baz mourut chez les Berbères et son fils Madghis eut une innombrable descendance qui adoptera les mœurs et la langue berbère.

 

 

L’arrivée des Bani Marine au Maghreb

 

C’est avec le désastre de la bataille d’al-’Iqab que les Mouwahhidine perdirent leur puissance. An-Nassir vaincu, rentra au Maroc et son gouvernement ne cessa d’aller de mal en pis jusqu’à sa mort, en l’an 610 de l’Hégire (1213), où il fut remplacé par son jeune fils non pubère al-Moustansir, qui incapable de diriger les affaires, laissa les rênes du gouvernement aux Sheikhs des Mouwahhidine qui s’entretuèrent pour le pouvoir. L’anarchie se généralisa, leurs forces s’affaiblirent, la décadence gangréna le pays, la religion se perdit et la guerre civile éclata entre eux pavant ainsi la route de la nouvelle dynastie qui allait prendre les rênes du pays en mains : Les Bani Marine.

Les Bani Marine, étaient un peuple de nomades qui vivaient sur les terres du Zab jusqu’à Sijilmasa qui ne connaissaient ni argent, ni monnaie et ni émir. Fiers et dédaigneux, ils ne supportaient ni attaque, ni alliance, ne connaissaient ni l’agriculture ni le commerce, et leurs seules occupations étaient la chasse, le cheval et les razzias. Leurs biens consistaient en chevaux et en chameaux qu’ils menaient paître une fois par an au Maghreb puis en automne, retournaient chez eux.

 

C’est ainsi qu’en amenant leurs animaux paitre et s’abreuver qu’ils apprirent, en l’an 613 de l’Hégire (1216), que toute l’armée des Mouwahhidine avait péri à la bataille d’al-’Iqab, et ils trouvèrent partout que des lieux déserts ou fréquentés seulement par les lions et les chacals. Alors ils s’établirent sur ces terres ainsi abandonnées et envoyèrent aussitôt prévenir leurs frères de la situation.

Les Bani Marine en nombre considérable vinrent alors d’étapes en étapes, montés sur leurs chevaux ou sur leurs chameaux, jusqu’à Oued Talagh et entrèrent au Maghreb, avec leurs animaux, leurs bagages et leurs tentes.

 

Abou Faris dit dans son poème : « C’est en l’an 610 que les Bani Marine vinrent au Maghreb de leurs pays barbares, après avoir traversé le désert et les plaines de sable sur le dos de leurs chameaux et de leurs chevaux, comme avaient fait les Lamtounah avant eux ».

 

 

Les Bani Marine et les Mouwahhidine

 

Lorsque les Bani Marine entrèrent au Maghreb, ils se répandirent dans le pays et s’y affermirent, faisant grâce à ceux qui se soumettaient à et massacrant ceux qui les repoussaient. En apprenant cette invasion, l’émir Youssouf al-Moustansir conçut de l’inquiétude et il rassembla les Sheikhs Mouwahhidi qui lui dirent : « O émir des Musulmans ! Ne leur fait pas attention et soit sans crainte car ils sont simples et peu nombreux. Pour les arrêter, il suffira seulement d’envoyer contre eux l’un des nôtres qui les anéantira et s’emparera de leurs femmes et de leurs biens après les avoir poursuivis et dispersés ».

L’émir expédia alors aussitôt une armée de vingt-mille Mouwahhidine sous le commandement du Sheikh Abou ‘Ali Ibn Wandin avec ordre de massacrer les Bani Marine jusqu’au dernier d’entre eux. Lorsque les Bani Marine furent informé de son approche, ils mirent à l’abri leurs familles et leurs richesses dans la forteresse de Tazout et avancèrent résolument contre l’armée des Mouwahhidine. La rencontre eut lieu dans les environs de l’Oued Nakour, dans la région de Badis dans le Rif ou ils livrèrent une sanglante et mémorable bataille. Les Bani Marine assistés par le Très-Haut, remportèrent la victoire et ils massacrèrent la plus grande partie des Mouwahhidine. Avec cette écrasante victoire, le pouvoir des Bani Marine grandit et celui des Mouwahhidine s’affaiblit.

Les Sheikhs Mouwahhidi nommaient les sultans et les tuaient ensuite pour en nommer d’autres, pillant chaque fois leur trésor et se partageant leurs femmes et le butin. C’est ainsi qu’ils nommèrent ‘Abdel Wahid avant de le tuer pour le remplacer par al-‘Adil, qu’ils étranglèrent à son tour avant de désigner al-Ma'moun qu’ils déchurent et élire pour le remplacer son frère Yahya. Ce désordre engendra leur ruine et la disparition de leur pouvoir et de leurs forces, dont les Banou Marine héritèrent.

 

 

Abou Muhammad ‘Abdel Haqq

 

L’émir Abou Muhammad était fils de l’émir Abou Khalid Mayou Ibn Abou Bakr Ibn Hamamah Ibn Muhammad az-Zinati al-Marini et son père, Abou Khalid combattit lors de la Bataille d’al-Arak au côté d’al-Mansour qui lui avait confié ce jour, le commandement des Zenâta, avec lesquels il se couvrit de gloire et au cours de laquelle il fut blessé avant de mourir des suites de ses blessures en l’an 592 de l’Hégire dans le sud du Zab. Son fils lui succéda et prit la direction des affaires et Abou Muhammad ‘Abdel Haqq était connut par ses vertus, sa religion, sa piété, sa justice et il était le refuge des orphelins et la providence des pauvres. Il était un savant dans sa tribu et veillait avec le plus grand soin aux affaires des siens et n’entreprenait absolument lieu sans le consulter.

 

Au mous de Dzoul Hijjah de l’année 613 de l’Hégire (1216), Abou Muhammad ‘Abdel Haqq marcha avec son armée sur Ribat et le gouverneur de la ville sortit pour l’attaquer mais l’émir Abou Muhammad le battit et mit son armée en déroute. Il distribua le riche butin à ses soldats sans rien garder pour lui et dit à ses enfants : « Faites bien attention de ne pas toucher à ce butin, la victoire et la renommée doivent vous suffire ».

 

Au mois de Joumadah Thani de l’année 614 de l’Hégire (1217), les Banou Marine rencontrèrent les Banou Riyah qui étaient la plus puissante tribu arabe du Maghreb et les deux armées se rencontrèrent aux environs de l’Oued Sebou. À quelques milles de Tafarthast au cours de la sanglante bataille qui s’ensuivit Abou Muhammad ‘Abdel Haqq fut tué ainsi que son fils Idriss. Les Bani Marine jurèrent alors de ne point enterrer les corps de leurs chefs avant de les avoir vengés et les Banou Riyah après avoir déployé une grande résignation furent presque tous massacrés tandis qu’un petit nombre d’entre eux s’enfuit.

Après la bataille, les Bani Marine nommèrent ‘Uthman, le fils d’Abou Muhammad ‘Abdel Haqq, pour succéder à son père.

 

 

Abou Sa’id ‘Uthman Ibn Muhammad ‘Abdel Haqq

 

Après la mort de son père, Abou Sa’id ‘Uthman Ibn Muhammad ‘Abdel Haqq à la tête des Bani Marine marcha sur les Bani Riyah et après avoir massacré un grand nombre d’entre eux  ces derniers se soumirent ce qui pour effet d’affaiblir encore plus les Mouwahhidine qui perdirent ainsi le contrôle des campagnes.

L’émir Abou Sa’id rassembla alors les Banou Marine et les exhorta à se soulever au nom de la religion et des intérêts des Musulmans et bientôt il avança avec ses légions conquérantes et victorieuses dans le Maghreb, donnant la sécurité à ceux qui le reconnaissaient et lui promettaient obéissance tandis que ceux qui lui résistaient, étaient combattus. Un très grand nombre de tribus se soumirent à lui et il accorda la paix aux habitants de Fès, de Meknès, de Ribat qu’il promit de défendre des actes de brigandages des Berbères.

 

Dans les années qui suivirent, Abou Sa’id ‘Uthman conduisit une série d’expédition contre des tribus rebelles et resta un grand guerrier mais il fut assassiné en l’an 638 de l’Hégire (1240) par un renégat qu’il avait élevé tout jeune, et qui le frappa d’un coup de poignard à la gorge. La durée de son règne fut de vingt-trois ans et sept mois.

 

 

Abou Marhouf Muhammad Ibn ‘Abdel Haqq

 

Aussitôt après la mort de ‘Uthman, les Banou Marine portèrent allégeance à son frère Muhammad qui suivit les traces de son frère, conquit de nouvelles terres et ne cessa de faire la guerre aux Mouwahhidine si bien que ces derniers lui envoyèrent une armée de vingt-mille cavaliers en l’an 642 de l’Hégire (1244). Les deux armées se rencontrèrent à as-Sakhrat Abi Biyyar près de Fès et se livrèrent une autre sanglante bataille qui dura de l’aurore au coucher du soleil et ou Abou Mahrouf trouva la mort, tué par un chef chrétien. Et bien qu’il fût écrasé par son cheval qui tomba sur lui, le chrétien n’en tint pas compte et lui donna le coup mortel. Nous avons déjà rapporté dans le premier volume qu’un certain nombre de chrétiens mercenaires combattaient dans les rangs des Mouwahhidine.

Après la mort de leur chef, les Bani Marine battus se retirèrent du champ de bataille sous le couvert de la nuit avec leurs bagages, leurs familles et leurs biens. Au point du jour, ils arrivèrent au Jabal Ghiyatah où ils se retranchèrent pendant quelque temps. Abou Mahrouf fut tué le jeudi 9 du mois de Joumadah Thani de cette même année. Son frère Yahya Ibn ‘Abdel Haqq lui succéda.

 

 

Yahya Ibn ‘Abdel Haqq

 

L’émir Abou Bakr Ibn ‘Abdel Haqq fut surnommé Abou Yahya. Cavalier accompli, il fut aussi un grand guerrier, énergique, résolu, qui combattait des deux mains et les meilleurs guerriers craignaient de se mesurer avec lui. Il était aussi bienfaisant, généreux et fidèle à sa parole, il tenait toujours ses promesses. Il fut le premier des émirs des Bani Marine qui organisa son armée et son camp et qui lit battre le tambour et déployer ses étendards.

Il rassembla les Sheikhs des Bani Marine, et leur divisa le commandement des provinces du Maghreb, en donnant à chacun une certaine étendue de terre que personne ne pouvait plus revendiquer et leur ordonna aussi de préparer des troupes pour la guerre. Puis, il se rendit au Jabal Zraoun, ou il établit son camp et d’où, il harcela continuellement, jour et nuit, la ville de Meknès qu’il finit par prendre en l’an 643 de l’Hégire (1245) après que le Sheikh Abou al-Hassan lui remit pacifiquement la ville.

Lorsque Sa’id, l’émir des Mouwahhidine, fut informé de la prise de Meknès, il se mit aussitôt en campagne et sortit avec une armée considérable puis arriva sur les rives de l’Oued Bath, où il campa, menaçant l’armée d’Abou Yahya qui sortit de Meknès seul secrètement une nuit pour venir s’assurer par lui-même de la position des troupes des Mouwahhidine. Il entra incognito dans le camp ennemi, et, ayant examiné le nombre et les forces de ses ennemis, il comprit qu’il ne pourrait pas se mesurer avec eux et battit prudemment en retraite en abandonnant le pays et la ville et avec les Bani Marine, il partit pour le Rif, où il se fortifia dans le château de Tazountah. Lorsque le souverain des Mouwahhidine Sa’id arriva sous les murs de Meknès, il fut reçu par les habitants, qui vinrent au-devant de lui avec leurs femmes et leurs enfants pour implorer la sécurité qu’il leur accorda. Puis, il se rendit à Fès et campa sous ses murs tandis que les Sheikhs de la ville sortirent pour l’inviter à entrer dans la ville. L’émir les accueillit avec faveur et reprit aussitôt sa route vers Ribat ou il reçut l’acte de soumission de l’émir Abou Yahya, qu’il agréa, et en réponse accorda la sécurité à tous les Bani Marine, à condition qu’il lui envoie un corps de cinq-cents de leurs meilleurs cavaliers pour le servir. Abou Yahya lui répondit alors: « O émir des Musulmans ! Retourne dans ta capitale et confie-moi quelques renforts, si tu veux que je te débarrasse de Yaghmourassan et que je te rende maître de Tlemcen (Tilimsen) et de ses dépendances, » L’émir Sa’id fut sur le point de consentir à ces offres mais il consulta ses ministres, qui lui dirent: «  O émir des Musulmans ! Garde-toi bien d’une pareille imprudence. Souviens-toi que les Zenâta sont frères des Zenâta, et que celui-ci, au lieu de faire ce qu’il te dit, pourrait bien, au contraire, s’unir contre loi avec ceux qu’il te propose de combattre ».

En conséquence, l’émir lui donna l’ordre de rester où il était et de s’en tenir à lui envoyer le contingent demandé. Yahya, lui expédia un corps de cinq-cents de ses meilleurs cavaliers tandis que l’émir Sa’id s’en alla à Tlemcen et mourut sous les murs de la forteresse de Timzizdaqt, où il assiégeait Yaghmourassan Ibn  Zayyan.

Les Bani Marine au service de Sa’id, apportèrent aussitôt la nouvelle à leur maitre et Abou Yahya se mit aussitôt en marche en toute hâte vers Meknès où il entra et prit le gouvernement. Après y être resté quelques jours, il marcha sur Ribat qu’il s’empara, ainsi que de toutes les forteresses de la Moulouïyyah durant le mois de Safar de l’année 646 de l’Hégire (1248) et le jeudi 26 du mois de Rabi’ Thani, il entra dans Fès la capitale ou les gens sortirent à sa rencontre, deux mois après la mort de Sa’id. C’est ainsi que le gouvernement du Maghreb passa dans ses mains. Aussitôt qu’il fut maître de l’empire et de l’armée, les troubles s’apaisèrent, la sécurité des routes et l’abondance revinrent, le commerce reprit son mouvement. Les Berbères reçurent l’ordre de rester sur leurs terres, de repeupler les villages et les hameaux abandonnés, et de se livrer à l’agriculture.

 

Abou Yahya resta à Fès durant une année entière à recevoir les députations qui vinrent lui porter allégeance et au mois de Rabi’ Awwal de l’année 647 (1249), l’émir Yahya quitta la ville pour se rendre à al-‘Aouam, dans le Fizaz, et laissa le commandement de la ville à son Mawlah (affranchi) as-Sa’oud Ibn Kharbash al-Hashimi. Dès qu’il se fut éloigné, les Sheikhs de la ville se réunirent chez le Qadi Abou AbderRahmane al-Moughali et décidèrent de renverser l’émir Abou Yahya, de tuer as-Sa’oud, son lieutenant, et d’envoyer leur soumission au souverain des Mouwahhidine al-Mourtadi. Etant tous tombés d’accord, ils envoyèrent chercher Shadid, le général des chrétiens, pour lui faire part du complot. Le Qaïd Shadid commandait à Fès, pour les Mouwahhidine, une garnison de deux-cents cavaliers chrétiens et lorsque les Bani Marine s’emparèrent de cette capitale, ils restèrent fidèles aux Mouwahhidine.

En conséquence, dans la matinée du 22 du mois de Shawwal, les Sheikhs se rendirent chez as-Sa’oud qu’ils saluèrent avant de s’assoir près de lui. Puis, as-Sa’oud leur adressa des reproches et ils ripostèrent avec colère avant d’appeler le Qaïd chrétien, qui s’était posté avec ses soldats non loin du pavillon où as-Sa’oud leur donnait audience, et as-Sa’oud et quatre de ses gardes furent tués et leurs têtes placées au bout de piques furent promenées dans les rues et sur les marchés de la ville. Les Sheikhs envahirent le palais qu’ils pillèrent puis fermèrent les portes de la ville et envoyèrent leur allégeance à al-Mourtadi.

 

Informé, Abou Yahya revint en toute hâte mais il trouva les portes closes et durant sept mois, il assiégea la ville sans succès quand il apprit que Yaghmourassan Ibn Zayyan était sorti de Tlemcen pour s’emparer de Ribat. Laissant une partie de son armée sous les murs de Fès pour continuer le siège, il marcha contre Yaghmourassan qu’il rencontra près de l’Oued Isly, aux environs d’Oujda et après une lourde bataille au cours de laquelle un grand nombre de chefs de Bani al-Ouad périt, Yaghmourassan vaincu s’enfuit en abandonnant ses trésors et son camp dont l’émir s’empara avant de revenir sur Fès, dans le courant du mois de Joumadah Thani de l’année 648 de l’Hégire (1250). Alors il renforca le siège et la violence des attaques, et les habitants désespérés envoyèrent un message à Abou Yahya pour implorer son pardon et la sécurité que l’émir accepta à condition qu’ils rendent jusqu’à la dernière pièce d’argent les 100,000 dinars en or qui avaient été pillés. Ceci convenu, ils ouvrirent les portes à l’émir, qui entra solennellement et triomphalement le 23 Joumadah Thani de cette même année.

 

Après un certain temps, dans les premiers jours de Rajab, voyant qu’on ne s’empressait pas de lui remettre l’argent, et qu’en maintes circonstances on avait manqué au respect qui lui était dû, il fit arrêter les Sheikhs, les chefs et les nobles, et les mit aux fers en leur demandant la restitution de l’argent et de tout ce qui avait été pillés dans le palais. Un de ces Sheikhs du nom d’Ibn al-Khibah, lui dit :

- « Ceux qui ont fait tout le mal étaient seulement six, pourquoi devons-nous être tous punis ? En faisant ce que je vais te dire, tu ne seras que juste ». 

- « Que vas-tu donc me dire » lui demanda l’émir ?

- « Fais d’abord trancher la tête aux six qui ont causé les troubles, et alors ce sera à nous qu’il appartiendra de te rendre l’argent que l’on t’a pris ».

- « En vérité », reprit l’émir, « tes paroles sont justes » et il condamna aussitôt à mort les six principaux Sheikhs : le Qadi Abou AbderRahmane al-Moughali, son fils, al-Mousharraf Ibn Dashir et son frère, Ibn Abi Thala et son fils. Puis, il confisqua leurs biens et leurs trésors, et ils furent exécutés à Bab ash-Shariyah, le dimanche 28 Rajab.

Alors il se fit rembourser par tous les autres Sheikhs, que ce coup abattit au point que nul d’entre eux n’osa plus relever la tête.

 

En l’an 649 de l’Hégire (1251), l’émir Abou Yahya s’empara de la ville de Salé dont il confia le gouvernement à son neveu Ya’qoub Ibn ‘Abdel Haqq. En 653 de l’Hégire (1255), il défit al-Mourtadi al-Mouwahhidi à Jabal Bahloul, aux environs de Fès et s’empara de tout ce qui se trouvait dans son camp et suite à cela, les Banou Marine s’enrichirent considérablement.

 

En l’an 655 de l’Hégire (1267), l’émir Abou Yahya conquit Sijilmasa et le Dar’a tandis que Yaghmourassan sortit avec son armée des Bani ‘Abdel Ouad pour agrandir son territoire. Abou Yahya qui se trouvait à Fès apprit cette nouvelle, rassembla aussitôt ses soldats des Bani Marine, et marcha sur Sijilmasa où il trouva Yaghmourassan déjà campé sous les murs du Bab Tahsinah. A l’issue de la grande bataille qui s’ensuivit, Yaghmourassan battu s’enfuit pour Tlemcen, en renonçant à ses projets de prendre Sijilmasa et le Dar’a. Abou Yahya s’empara alors de tout ce pays et y demeura le temps nécessaire pour organiser son gouvernement qu’il confia à Abou Yahya al-Qatrani avant de revenir à Fès.

C’est ainsi qu’il agrandit son empire et le nombre de ses troupes, qu’il assura la tranquillité du pays et dispersa les pervers, qu’il vit s’accroître la population et disparaître les fauteurs de troubles.

 

Au mois de Rajab 656 (1268), Abou Yahya tomba malade à Fès et mourut quelques jours après. Son règne dura dix ans et un mois. Après sa mort, le gouverneur de Sijilmasa al-Qatrani se révolta et déclara son indépendance et après un règne de deux ans il fut tué en l’an 658 de l’Hégire (1270) et succédé par ‘Ali Ibn ‘Omar, un des lieutenants d’al-Mourtadi, qui régna à son tour trois années jusqu’à sa mort en l’an 662 de l’Hégire (1263). La ville fut alors prise par la tribu arabe d’al-Milabat au nom de Yaghmourassan Ibn Zayyan à qui ils portèrent allégeance et qui leur envoya un gouverneur des Bani ‘Abdel Ouad. Sijilmasa resta entre les mains de Yaghmourassan jusqu’au moment où l’émir des Musulmans, Abou Youssouf Ya’qoub Ibn ‘Abdel Haqq, rentra dans la ville, le dernier jour du mois de Safar de l’année 673 de l’Hégire (1274).

 

 

Abou Youssouf Ya’qoub Ibn ‘Abd al-Haqq az-Zinati

 

Ya’qoub naquit en l’an 607 de l’Hégire (1210) et selon d’autres historiens, en l’an 609 et il fut surnommé Abou Youssouf, et aussi al-Mansour Billali. Il était blanc, beau, fort, les épaules larges, une longue barbe, affable, bienveillant, généreux, puissant, clément et pieux. Il ne frappa jamais ses serviteurs, défit tous ses ennemis, battit toutes les armées et n’attaqua jamais une place sans s’en emparer.

Il aimait soulager les pauvres et les nécessiteux, fit construire des hôpitaux pour les malades et les fous, pourvut à tous les frais nécessaires à leur entretien et donna ordre aux médecins de les visiter deux fois par jour, une le matin, une le soir, au frais de Bayt al-Mal, le Trésor Public. Il en fit autant pour les lépreux, les aveugles et les Faqhi, auxquels il alloua des fonds tirés de la Jizyah des Juifs, qu’Allah les maudisse[1]. Il bâtit des écoles et y établit des étudiants pour y lire le Qur’an et d’autres pour étudier les sciences, à qui il octroya un salaire mensuel. Tout cela pour mériter les récompenses du Très-Haut, qui Lui inspirait toutes ces bonnes œuvres.

Ya’qoub fut proclamé émir huit jours après la mort de son frère Abou Yahya, le 27 Rajab de l’année 656 de l’Hégire, alors qu’il était âgé de quarante-six ans. Sous son règne, il soumit tout le pays, depuis Souss al-Aqsa jusqu’à Oujda et mit fin au règne des Mouwahhidine dont il effaça les dernières traces. Il conquit également Sijilmasa, le Dar’a, Tanger, fut acclamé par les habitants de Ceuta qui lui payèrent un tribut annuel et il traversa en Andalousie pour combattre dans la voie d’Allah les mécréants (al-kaffara) et y gouverna plus de cinquante forteresses entre villes et châteaux, parmi lesquelles Malaga, Ronda, Algésiras, Tarifa, al-Mounqab, Merbala et Ouchounah, ainsi que tous les forts, les villages et les tours de leur environ.

La Khoutbah fut lu en son nom sur toutes les chaires du Maghreb, et il fut le premier des rois des Bani Marine qui combattit pour la suprématie du Verbe d’Allah Exalté, ou l’Islam, qui renversa les croix et subjugua les pays chrétiens, dont il abattit les rois et pilla les palais. Allah Exalté, à Lui les Louanges et la Gloire, se servit de lui pour relever la religion et faire briller le flambeau de l’Islam. Avant lui, les Chrétiens prirent la plupart de l’Andalousie, où les Musulmans n’avaient remporté aucune victoire depuis le désastre d’al-‘Iqab, en l’an 609 de l’Hégire (1212). Les étendards musulmans ne se relevèrent que lorsque ses drapeaux victorieux et son armée passèrent en Andalousie, en l’an 674 de l’Hégire (1278). C’est ainsi qu’il gouverna doublement, fit des expéditions célèbres, des actions mémorables. Pieux, religieux et juste, il combla les Musulmans de bienfaits, renversa les ennemis d’Allah et telle fut la voie qu’il suivit jusqu’à sa mort.

Ya’qoub Ibn ‘Abdel Haqq passait un tiers de la nuit à lire le Qur’an, priait et récitait ses invocations jusqu’au lever du soleil. Ensuite il étudiait les livres de morale et d’histoire, entre autre « foutouh ash-sham » ou la conquête de Syrie, et écrivait lui-même de très belles pages qui l’occupait jusqu’à dix heures ou il faisait alors sa prière avant de se remettre au travail. Il écrivait de sa propre main ses lettres et ses ordres puis donnait audience et présidait le conseil des Sheikhs des Bani Marine, qui l’entouraient comme les perles étoilées entourent la lune. A midi, il se rendait à la mosquée et y restait jusqu’à trois heures avant de rendre dans la salle de justice, où il jugeait le bien et le mal jusqu’à l’heure de la prière du soir, après laquelle il congédiait ses ministres et ses serviteurs. Puis, il se retirait dans ses appartements où il s’endormait pour rêver de combattre les croisés.

Lorsqu’il consolida son gouvernement, Ya’qoub Ibn ‘Abdel Haqq sortit de Fès et se rendit à Ribat ou il se renseigna sur Yaghmourassan Ibn Zayyan. Il y entra le 1 du mois de Sha’ban de l’année 658 de l’Hégire (1259), et y demeura jusqu’au 1 du mois de Shawwal quand il apprit que les croisés s’étaient emparés de Salé par surprise l’avant-veille, et qu’ils y massacraient les habitants, enlevaient les femmes et pillaient les biens. Il partit aussitôt en toute hâte et arriva d’une traite sous les murs de Salé, après être sorti de Ribat à l’heure même du ‘Asr avec une cinquantaine de cavaliers, et le lendemain, à la même heure, il fit sa prière sous les murs de Salé, où il était ainsi arrivé en vingt-quatre heures. Puis, il tomba sur les croisés qui rôdaient dans les environs, et, en rien de temps, il se vit entouré d’une armée musulmane, formée des contingents de toutes les tribus du Maghreb. Il assiégea alors les mécréants et ne cessa de les attaquer jour et nuit, jusqu’à ce qu’il s’empara de la ville, où ces derniers furent chassés, après y être restés pendant quatorze jours. C’est alors que l’émir ordonna de bâtir les murailles et les fortifications qui donnent sur la rivière et qui n’existaient pas à cette époque, par où justement les Chrétiens entrèrent par ce côté ouvert. Les premiers travaux furent ceux du Dar as-Sina’ (arsenal), donnant sur la mer. Ya’qoub assista lui-même aux travaux qu’il dirigeait et auxquels il prit part de ses propres mains en s’humiliant pour mériter les sublimes récompenses d’Allah Exalté ainsi et en dotant les croyants d’ouvrages protecteurs.

Cette même année, Ya’qoub s’empara de la province de Tamsina et de la ville d’Anfa’ ou l’actuelle Dar al-Baydah. C’est là qu’il reçut les présents d’al-Mourtadi, l’émir du Maroc, lui demandant la paix qu’il lui accorda, en convenant que la frontière de leurs états respectifs serait marquée par l’Oued Oumm ar-Rabyah.

 

 

Abou Youssouf Ya’qoub et les Mouwahhidine

 

En l’an 659 de l’Hégire (1260), les rapports entre Abou Youssouf al-Marini et al-Mourtadi al-Mouwahhidi se dégradèrent et ce dernier envoya une immense armée qui fut interceptée par l’armée des Banou Marine près d’Oumm ar-Rijlayn ou l’armée des Mouwahhidine fut écrasée.

 

En l’an 660 de l’Hégire (1261), Abou Youssouf vint camper sur le mont Jaliz, d’où il menaça la ville en déployant ses troupes en grand apparat sous ses étendards flottants. Al-Mourtadi se retrancha dans la ville, dont il ferma lui-même les portes avant d’envoyer son commandant Abou al-‘Oulah Idriss, surnommé Abou Dabbous, pour livrer bataille. Le combat fut sanglant et ‘AbdAllah, le fils d’Abou Youssouf fut tué au cours de la bataille ce qui incita son père à se retirer à Fès, où il entra à la fin du mois de Rajab de l’année 661 de l’Hégire.

 

Dans la soirée du 12 du mois de Sha’ban, une comète apparut dans le ciel et fut visible chaque nuit jusqu’à l’aurore, pendant environ deux mois.

Toujours cette même année, le célèbre cavalier ‘Amar Ibn Driss à la tête d’un corps d’armée de plus de trois-mille cavaliers des Banou Marine et de volontaires traversa la mer pour aller combattre dans la voie d’Allah en Andalousie. Abou Youssouf Ibn ‘Abdel Haqq lui confia sa bannière victorieuse, équipa ses troupes d’armes, de chevaux et d’argent et leur donna sa bénédiction. Ce fut la première armée des Bani Marine qui passa en Andalousie.

 

En l’an 662 de l’Hégire (1263), mourut Abou al-‘Oulah Idriss Ibn Abi Qouraysh le gouverneur des Mouwahhidine au Maghreb.

 

En l’an 663 de l’Hégire, al-‘Azfi le gouverneur de Ceuta, envoya ses navires pour détruire les murs et les forts de ‘Assilah, de crainte que ses ennemis ne s’emparent de cette ville et s’y fortifient.

En cette même année, Abou Youssouf se rendit dans les territoires des Mouwahhidine pour les saccager; mais, à son arrivée, il fut acclamé par tous les Musulmans qui habitaient les champs et le voisinage de cette capitale si bien qu’il revint à Fès.



[1] Je vous rappelle que je ne fais que traduire.