2) L’Atlantique. Comme la Méditerranée, l’Océan était labouré dans tous les sens. Les fortunes d’Espagne, de Hollande et d’Angleterre provenaient essentiellement des colonies. Il fallait, pour les corsaires, étendre le rayon d’action à l’Atlantique, la Manche et la mer du Nord.

 

La lettre de Fourquevaux au roi de France, signalant ces faits, ajoute que « les Espagnols qui savent la vérité ne veulent pas qu’ils s’y soient perdu sinon quelques armes et vivres[1]. »

 

Les îles de Madère[2], des Açores, des Canaries, les côtes d’Espagne, de Tarifa au golfe de Cadix, du cap Finistère au golfe de Gascogne, l’embouchure du Tage au Portugal, la côte française des frontières espagnoles au canal de La Rochelle, de là à la Manche , partout, on était à la recherche des bateaux venant du Mexique ou des Indes, des côtes africaines ou de l’Amérique du Nord.

 

Les parages de Cadix attiraient nos marins. Durant le seul mois d’août 1566, ils mirent la main sur vingt-huit navires espagnols artilleries et munitions en grande quantité.

 

En 1613, les Raïs Sulaymân, Mustapha et Mourad saccagèrent les îles : Sainte Marie et un peu au-delà du détroit, Porto Santo, proche des Canaries.

 

Un flamand établi à Salé, Juan Jansz, alias Morat Raïs, celui-là même qui conduisit l’extraordinaire raid vers l’Islande en 1627 et dirigea le sac de Reykjavik... avec 3 vaisseaux. Il en ramena 400 captifs. D’Aranda, alors captif à Alger, vit quelques-uns de ces derniers au bagne Ali Bitchin[3].

 

En 1616 et 1627, les corsaires arrivèrent sur la côte ouest de l’Islande[4]. Ils marquèrent tellement leur passage que Lespes pouvait écrire : « Nous avons pu constater, nous-même, au cours d’un voyage en Islande, que le souvenir de leur débarquement s’est conservé dans les îles Westmann sur la côte S-0[5]. »

 

L’Angleterre ne fut pas oubliée. Les formations qui évoluaient dans l’Océan capturèrent des dizaines de navires (on dit 466) dont les équipages furent conduits en captivité à Alger. Le consul de Sa Majesté, en poste ici, écrivait à son souverain en 1631 que « si les rançons n’étaient pas versées sans retard, il y aurait un millier d’esclaves à Alger [...] de leur seule dernière croisière, les corsaires avaient ramené neuf voiliers britanniques... » La lettre du consul se terminait par l’avertissement suivant : « ...Ils (les Algériens) disent que si vous ne vous dépêchez par d’envoyer les rançons, ils iront en Angleterre et sortiront les hommes de leur lit, comme ils ont l’habitude de la faire en Espagne[6]. »

 

En 1647, une descente sur les côtes de Cornouailles ! En 1650 et 1654, on s’emparait de bâtiments jusque devant Plymouth !

 

La hardiesse et le succès poussèrent les Raïs jusqu’à Baltimore, à Terre Neuve, et dans le Texel[7]. Dans une lettre à MM. de Commerce, le consul Lemaire signalait qu’« il est arrivé, le 4 de ce mois (décembre 1690), deux corsaires d’Alger avec un gros vaisseau génois, de fabrique hollandaise, sortant de Cadix, lequel allait en Portugal, chargé de tous les biens du monde[8]. »

 

Le Nord comme le Centre de l’Atlantique restèrent un champ de bataille et un lieu de chasse privilégiés pour des marins expérimentés.

 

Deux vaisseaux génois venant de Lisbonne, en 1709, trouvèrent sur leur route « deux vaisseaux algériens de 36 à 40 canons... Trois autres de 40 canons, croisaient sur le cap Saint Vincent, pendant que dix-sept autres attendaient l’ennemi sur son chemin habituel[9]. »

 

Les coups devinrent sévères au XVIIIème siècle. Les côtes atlantiques de la France ne furent pas épargnées. Un document de 1720, nous dit que « les négociants hollandais voient à leur grand déplaisir et considérable dommage que les corsaires barbares, et particulièrement ceux d’Alger, augmentent tellement leurs forces maritimes, non seulement dans la Méditerranée, mais même sur les côtes de France, interrompant le commerce de ce pays-ci[10]. »

 

Entre 1717 et 1720, toutes les marines d’Europe avaient à déplorer des pertes. Le brigantin français, « Charles François » venant de la Martinique « fut amariné à 18 lieues Nord et Sud du cap Saint Vincent et 60 lieues de Cadix... » La flûte hollandaise « Le Jean, » fut prise par une caravelle d’Alger à 9 lieues de la terre d’Ouessant, près de Brest. Elle allait d’Amsterdam à Bordeaux. La même année, ce fut le tour de « La Demoiselle Anne-Marie, » navire hollandais, pris lui aussi « à 5 ou 6 lieues de la terre de Bretagne. » Le vaisseau français, « Maréchal d’Estrées » parti du Havre pour le Sénégal, en décembre 1720, fut saisi par deux galères de la Régence à 90 lieues au Nord de Madère[11].

 

Quand l’ennemi ne donnait pas signe de vie sur les flots, quand l’attente se prolongeait inutilement, on allait le chercher sur la côte. En 1749, trois chébecs, las de voguer sans rencontrer une proie, « firent une descente à l’île de Lancerotte, une des îles Canaries, où ils capturèrent onze esclaves[12]. »

 

Les Américains dont le commerce était ruiné par les corsaires depuis de longues années, durent consentir d’énormes sacrifices avant de parvenir à un traité avec Alger.

 

D - Le bilan

 

Il serait fastidieux (et impossible) d’énumérer, dans le détail et avec exactitude, les produits d’une activité débordante, échelonnée sur plus de trois siècles. Néanmoins, pour fixer les idées, il nous a paru utile d’inclure, ici, quelques échantillons de prises et de leur contenu.

 

1) Une guerre lucrative. Si pour la première moitié du XVIème siècle, notre planche de salut reste les « Ghazawât » qui nous embarquent avec les « ghuzât » effectuant des croisières bien lucratives[13], pour le siècle suivant, les documents, plus nombreux et plus précis, nous placent au centre de la question.

 

Les Raïs de cette période, plus nombreux et plus entreprenants, devinrent les maîtres incontestés de la mer. ‘Alî Mamy ‘Arabadlî, Safi Mustapha, Calafât Hasan, Mustapha Raïs, Sulaymân Raïs, M’Hammed Raïs et Qara Mustapha avaient vidé la Méditerranée et l’Océan de leurs usagers : barques, vaisseaux, tartanes, navires, lougres, polacres et d’autres types de bâtiments prirent le chemin d’Alger.

 

Le consul Chaix affirme que, de 1613 à 1621, neuf cent trente-six bâtiments avaient été capturés, « et ce chiffre ajoute-t-il, est loin de représenter le total des prises qui avaient été faites[14]. »

 

De La Motte estime que depuis le 10 décembre 1712 jusqu’à son départ d’Alger, le 4 janvier 1720, le nombre de prises se montait à soixante-quatorze et celui des esclaves chrétiens à mille-cent-soixante-huit[15].

 

Pour avoir une idée sur les exploits des Raïs, rappelons que de 1737 à 1799, la marine de la Régence avait armé mille-huit navires, soit une moyenne de seize par an[16]. Le consul Van Den Broegh, en poste à Livourne, parlant de la course algérienne, signalait qu’il est arrivé quelques vaisseaux français, venant d’Alger, avec avis que les corsaires avaient de nouveau fait diverses conquêtes consistant dans les suivantes :

- 16 août dernier : un hoeckre hollandais, « La Hélène, » destiné pour Rotterdam.

 

- 19 août, une flûte dânoise nommée « Margriete » destinée pour Lisbonne, chargées de 3.500 planches, ayant à son bord 24 hommes, prises sur les côtes du Portugal, par deux grands algériens.

 

- 13 septembre : il y revient trois corsaires algériens qui, depuis le 4 septembre jusqu’au 12, avaient fait les prises suivantes sur les côtes de France, à la vue de Fontenai, dont ils ont amené deux hollandais et un hambourgeois[17].

 

L’année 1749, semble avoir été une année de belle moisson pour nos Raïs. Les prises étaient, non seulement nombreuses, mais aussi intéressantes.

 

Le paquebot royal d’Angleterre fut capturé lors de son retour de Lisbonne. Il y avait pour plus de « deux-cent-mille piastres en monnaie d’or de Portugal et en diamants bruts[18]. »

 

Les quatre vaisseaux qui ramenaient le fameux paquebot, rentrèrent le même jour avec « un gros vaisseau vénitien richement chargé qui retournait de Londres à Venise[19]. »

 

L’année ne finit pas sans deux beaux succès pour les corsaires. En effet, le 26 décembre « deux chébecs emmenèrent une barque espagnole chargée d’orge dont l’équipage a eu le moyen de s’enfuir, » le lendemain la corvette partie depuis le 15 octobre, rentra avec une prise, la « Nuestra Senora Labadia, » vaisseau portugais de huit-mille quintaux, armé de 24 canons. Il était parti de Porto, pour rejoindre le Brésil. Il fut abordé sur les hauteurs de Madère. Sa cargaison, dit Lemaire, se constituait d’une infinité d’articles différents[20].

 

Dubois Thainville, citant O’Brien, consul d’Amérique, affirme que la course algérienne a emporté, au début du siècle passé, vingt-sept navires napolitains, siciliens, maltais ayant des passeports anglais totalisant deux cent cinq hommes d’équipage conduits en captivité ; dix-sept navires grecs et treize navires impériaux « estimés à un million de piastres fortes[21]. »

 

Un capitaine français parti d’Alger, rapporte que « cinq bâtiments rentrés successivement à Alger, amenèrent quatorze navires dont huit suédois, un danois, deux hollandais et trois espagnols, en avril 1814[22]. Pour 1820, on note le retour « d’une division algérienne, partie pour la course et rentrée, après quarante jours de croisière, avec deux grosses polacres et une bombarde tunisienne, richement chargées dont la valeur est estimée à 600.000 francs, et trois navicelles toscanes chargées de provision pour les corailleurs[23]. »

 

Quant au butin qui a défrayé les chroniques, préoccupé les consuls et alimenté la correspondance entre Alger et les Cours d’Europe, il englobe pratiquement tout ce qui pouvait se vendre, s’échanger ou s’offrir en plus des passagers et membres des équipages qui tombaient dans la captivité.

 

2) Le butin. Les textes parlent de marchandises de toutes sortes, de bateaux richement chargés de trésors, de sommes considérables. Mis à part, l’exagération calculée pour ameuter l’Europe, l’inventaire des chargements capturés nous donne : 

- Produits de consommation : blé, orge, fèves, riz, amandes, cacao, viandes salées, poissons salés, fromages, sucre, sel, poivre, cannelle, noisettes, huile, vin, tabacs du Brésil, tabac en poudre, eau de vie, patates, oignons, ail, épices ... 

- Minerais et matériaux : fer, soufre, charbon, briques, bois, faïence, planches, clous, salpêtre, douves. 

- Matières premières et produits manufacturés : laine, coton, draps, soie, satin, velours, glaces, savon. 

- Animaux : chevaux, bœufs, chiens de chasse, faucons. 

- Armes et munitions : canons, boulets, poudre, fusils, couteaux... 

- Métaux précieux : or, argent, dinars, doublons, monnaie vénitienne...

 

Le consul Chaix évaluait les dommages occasionnés aux seuls français dans les huit premiers mois de 1616 à 1.800.000 écus et le père Dan, en 1634, estimait la valeur des prises depuis le commencement du siècle à vingt millions de francs[24].

 

Pour ceux qui croyaient que la course était une opération financière, Alger regorgeait de richesses. L’état de prospérité de la ville était lié à l’intensité du trafic maritime en Méditerrané et dans l’Océan.

 

De 1628 à 1643, la course aurait rapporté aux Algériens plus de cinq millions de francs et quatre-vingt bateaux. A elle seule, Cassis perdit quarante barques et trois vaisseaux[25]. De 1797 à 1808, un seul Raïs, Hamîdû, aurait fait près de deux millions de prises[26].

 

3) Le partage du butin. Le retour des Raïs était une véritable fête. L’un après l’autre, ou par petites formations, les navires rejoignaient le port qu’ils avaient quitté, depuis quelques semaines.

 

Dès qu’ils étaient en vue, chaque Raïs pavoisait son vaisseau puis tirait des slaves de réjouissance auxquelles répondaient les canons des batteries et des forts. Toute la population accourait vers le port, plusieurs heures auparavant, car les vigies de Bouzaréah avaient déjà signalé l’arrivée des corsaires.

Le débarquement avait lieu au milieu des manifestations de joie et des cris d’allégresse. Puis à tout Seigneur tout honneur ! Le Dey recevait, un rapport détaillé de la mission qui venait de s’achever. On procédait ensuite au partage.

 

L’opération ne manquait pas de complexité et la réglementation avait subi des changements, parfois en faveur des équipages[27].

 

Avant toute chose, on commençait par un inventaire minutieux des prises. Le Khûdja al-Ghanâ’im, secrétaire des prises, en dressait la liste avec précision.

 

L’état armateur avait la grande part. Du lot des captifs, le capitaine, le pilote, l’écrivain et le charpentier lui revenait de droit.

 

De pareils techniciens étaient très utiles à la marine. La carcasse, les agrès et les armes allaient également au Dey.

 

Du produit de la vente, on déduisait : les droits du port afin d’entretenir le môle et les différents services, le salaire des Biskri qui déchargeaient le contenu des prises, la solde des gardiens, le loyer du local où étaient entreposées les marchandises, les indemnités des crieurs publics annonçant les ventes, celles de mesureurs, des changeurs, etc...

 

On prélevait ensuite 1% pour les « tolba » au service des mosquées de la ville et une somme « pour le rachat des Raïs tombés entre les mains de l’ennemi. »

 

On procédait alors au partage du reste[28]. Raïs et armateurs s’arrogeaient la moitié du butin. Les 50% qui restaient étaient distribués en une infinité de parts, où l’état-major (officiers, chirurgiens, calafat, charpentier, maître de la hache) recevait plus que les autres. Dans ce lot, les marins étaient plus avantagés que les soldats[29].

 

En 1637, armateurs et Raïs touchaient la moitié du butin, mais ces derniers percevaient encore de la deuxième moitié, 10, 20 ou même 15 parts. L’agha en prenait : 3 ; son adjoint : 3, le chirurgien : 3, et les soldats : 1[30].

 

Le partage a pu paraître manquer d’équité aux yeux de certains mais à l’époque qui nous préoccupe, la chose était normale et volontairement admise. D’Arvieux a pu écrire, après avoir constaté et médité la réglementation en vigueur ici. « Il est surprenant que les peuples aussi brutaux et aussi barbares que les Algériens gardent autant d’ordre et de justice, qu’ils gardent dans leurs brigandages. On ne voit jamais, entre eux, la moindre difficulté sur leurs partages pendant qu’ils font des injustices à tout le monde, ils se rendent entre eux, une justice que l’on remarque à peine entre les chrétiens les plus parfaits[31]. »

 

Cependant, les sorties n’étaient pas toujours couronnées de succès. Souvent, le séjour en mer s’avérait inutile et l’on rentrait les mains vides pour diverses raisons, une voie d’eau, un mauvais temps persistant, une croisière défavorable, un ennemi plus fort, un incendie à bord, une épidémie affectant l’équipage etc...

 

Quand les sorties étaient sans butin, les Raïs et les armateurs n’avaient rien à payer au personnel embarqué. Il n’y avait aucun salaire fixe à donner. C’est pourquoi le bonheur de tous provenait des prises seules, « afin de mieux les inciter au combat par l’espoir de réaliser un gain[32]. » Une paie assurée d’avance diminuerait l’ardeur la plus téméraire.

 

Les prises qui ne trouvaient pas preneurs étaient expédiées vers Livourne et de là, vers les grands marché de l’Europe. Des juifs, spécialisés dans la liquidation de ces prises, se taillaient les plus gros bénéfices[33].

 Le retour des corsaires en 1806 - Maurice_ORANGE

E - La parade européenne

 

Les coups sévères portés à la sécurité et à l’économie des nations chrétiennes par une course infatigable, amenèrent ces dernières à adopter une série de mesures défensives et offensives. Examinons d’abord les premières, ainsi que les résultats obtenus.

 

1) Fortification et surveillance des côtes. Dès le XVIème siècle, certains Etats d’Europe, ayant ressenti durement l’action de nos Raïs, s’empressèrent de fortifier les rivages dans l’espoir de stopper les incursions. Plusieurs solutions furent envisagées. Presque toute la côte nord de la Méditerranée se trouva hérissée de citadelles, de forts, de constructions spéciales à tel point qu’un contemporain disait « qu’il n’était villa qui ne soit plus ou moins fortifiée. »

 

Aux Baléares, les « atayalas » (tours de guet) édifiées, ainsi que sur la côte espagnole exposée, les défenses « torrigiana » de la Corse par les Génois, la construction d’une ceinture « de cent-cinquante paratas » et de trois-cent-treize tours de guet autour du royaume de Naples, les cent-trente-sept sur la côte est et sud de la Sicile... devaient mettre ces régions, en principe, à l’abri des menaces. On y ajouta des places fortes, des points d’appui solides, des batteries, des liaisons par signaux optiques.

 

A Baudon, près d’un petit lieu de plaisance appelé « Sixfour, » la maison d’un modeste gentilhomme était « assez forte, ayant au-devant une terrasse qui regarde l’entrée de la mer et sur celle-ci, deux pièces de fer coulé, deux pierriers, un de fonte verte et l’autre de fer, six arquebuses et douze mousquets. » On installa à Gibraltar même des canons renforcés qui atteindraient les bâtiments ennemis, on fortifia l’îlot de Peregel au large de Ceuta mais on passait le détroit par surprise « profitant d’une nuit favorable d’hiver » ou par force en malmenant les escadres de garde[34]. » Les habitants des côtes vivaient dans une perpétuelle terreur, même quand leurs maison étaient construites « en matière de forteresse » comme ce couvent de Caloyers, édifié sur la plus grande île des Strophades, aux abords de Navarin[35]. On augmenta le nombre des tours de garde. En 1652, on comptait une centaine en Calabre.

 

Les fortifications n’ayant pas suffi, on en vint à la surveillance des lieux. Milices et troupes de campagne y furent affectées. Un arrêt du Parlement de Provence, rendu le 11 avril 1622, « enjoignait aux consuls des villes et communautés voisines de la mer de faire bonne garde jour et nuit, sur la côte et d’équiper des vaisseaux et tartanes pour poursuivre les pirates barbaresques[36]. » A la Ciotat, les habitants faisaient bonne garde. Toutes les nuits, un guetteur montait au sommet d’une forteresse, ou à l’entrée du port, y veillait en tenant un feu. Dès qu’il apercevait un corsaire, il en allumait aussitôt un autre. C’était alors le signal convenu et qui se transmettait sur tous les points de la côte, depuis Antibes jusqu’à Port de Bouc. Dès que l’alarme était donnée, on mettait les objets précieux en sûreté[37].

 

Sur les côtes de Provence et du Languedoc « les riverains furent obligés de convertir leurs maisons en places fortes ou en "logettes" dans lesquelles on entretenait des hommes experts en la navigation lesquels s’y tenaient nuit et jour pour prendre garde aux galères et navires ennemis ; des signaux avaient été établis le long de la côte pour annoncer l’approche des Algériens[38]. »

 

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Malgré ces dispositions, l’obsession du corsaire algérien hantait les esprits. Début 1777, les habitants de la Magdelaine dont les deux tiers étaient Corses fomentèrent une émeute « lorsqu’ils ont vu transporter toutes les munitions de guerre dont le fort Saint Etienne, de crainte, disent-ils, d’être insultés par les Barbaresques lorsqu’il n’y aura plus personne pour les défendre[39]. »

 

Les résultats étaient décevants, malgré les ruineuses dispositions. Les côtes étaient si étendues, toutes les initiatives ne pouvaient avoir qu’un effet limité. Le nombre de tours de garde restait, en certains endroits, inférieur aux normes. « Il y a, en Sardaigne, reconnaissait une note officielle[40], que quatre tours qui sont évidemment insuffisantes pour mettre à l’abri, de tous ces dangers, une étendue de sept cent milles de côtes que comprend l’île[41]. »

 

D’un autre côté, les mesures d’auto-défense furent vaines car les « ghuzât » apprirent vite à déjouer cette surveillance. Ils abordaient de nuit, très souvent, guidés par des captifs originaires de la région et à qui on promettait une libération prochaine. Les dispositions prises ne purent empêcher les habitants de Pallogorio de fuir en masse et de s’installer à Borgia, en 1604 !

 

2) Patrouilles dans les eaux territoriales. Venise entretenait sur mer plusieurs escadres : la première surveillait l’Adriatique en permanence. Elle était placée sous les ordres du capitaine du golfe. La seconde, fixée à l’entrée de l’Adriatique était commandée par l’Amirante et la troisième, croisait dans le bassin oriental sous la responsabilité du Provediteur.

 

En 1749, le Pape Benoît XIV, préoccupé de l’insécurité qui régnait dans les eaux territoriales d’Italie, protesta d’abord auprès de l’Empereur d’Autriche contre l’admission des navires algériens dans les ports méditerranéens. Démarche vaine. Alors le Souverain Pontife, invita le Grand maître de Malte, le Roi des deux Siciles, le Roi du Piémont et les Républiques de Gênes et de Venise à pourvoir, en commun, à la défense de ces eaux... On se partagea les zones à surveiller, mais la défense des eaux n’avait abouti à rien ! Deux ans plus tard, les cinq sages du commerce informaient le Sénat que les mers qui baignaient l’Italie continuaient à être infestées de corsaires barbaresques[42]. Le capitaine Trifon Zambella, vénitien, surpris par trois chébecs algériens dans les eaux de Toscane, avait dû abandonner son navire chargé de marchandises et se réfugier à terre avec son équipage.

 

3) Interdiction de naviguer en Méditerranée : Devant l’ampleur des prises et l’incapacité d’arrêter les attaques des Algériens, Louis XIV prit, en 1683, la décision suivante : « Sa Majesté étant informée qu’il y a, à présent, dans les mers du Levant, un nombre considérable de vaisseaux algériens qui occupent tous les passages, et voulant éviter les prises qu’ils pourraient faire des vaisseaux appartenant à des sujets qui navigueraient avant qu’elle ait suffisamment pourvu à leur sûreté. Sa Majesté a fait et fait très expresses inhibitions et défenses à tous ses sujets des provinces de Provence et de Languedoc et de quelque qualité et condition, qu’ils soient maîtres, patrons ou propriétaires de barques, tartanes ou autres bâtiments, d’en noliser ni faire sortir aucun des ports des dites provinces pour le Levant [...] à peine de confiscation des bâtiments et des marchandises et de mille livres d’amendes, leur permettant seulement de continuer leur commerce et navigation en Italie et port en port[43]. »

 

Cinq ans plus tard, les ordres donnés aux capitaines en partance pour le Levant furent "de naviguer de conserve jusqu’à la hauteur de l’île de Candie et de se secourir mutuellement en cas de rencontre des Hollandais ou des Algériens en guerre contre la France[44]. »

 

Cependant, dans le bassin occidental, le grand nombre d’escales rendait impossible la réalisation des convois. D’autre part, cette solution obligeait les navires d’attendre longtemps, prolongeait la durée des voyages et augmentait les frais. Personne n’y trouva son compte.

 

4) Les « Navi atte. » Pour défendre son commerce maritime, Venise fît construire, à grands frais, de gros bâtiments marchands armés et équipés de façon à pouvoir repousser d’éventuelles attaques corsaires. Elle accorda certains privilèges fiscaux à ces navires afin que les armateurs puissent faire face aux dépenses accrues d’armement et d’équipement.

 

A peine mis en service, ces géants de la mer montrèrent une efficacité limitée. Attaqués, ils ne réussissaient pas toujours à repousser leurs assaillants. Les corsaires augmentaient sans cesse le nombre de leurs bâtiments qui, « à partir de 1748, ne naviguaient plus isolément mais par groupes de trois ou quatre. » Ils purent ainsi se mesurer, avec succès, aux « Navi atte. » Sacerdoti cite un exemple, parmi tant d’autres, de performance de nos Raïs. « Au-delà du Détroit de Gibraltar, dit-il, la navi atte commandée par le capitaine Bronza fut vaincue dans un combat contre quatre navires algériens[45]. »

 

5) Le recours à l’escorte. Quand les routes devinrent incertaines, malgré toutes les mesures prises[46] et les voyages dangereux, le commerce, principalement celui de Marseille, connut de difficiles moments.

 

Pour atténuer la pression des Raïs, on eut recours à l’escorte. Et les bateaux ne quittaient leur port que sous la protection de bâtiments de guerre. Mais il fallait en avoir d’abord !

 

Au début, une sécurité relative fut assurée au commerce de Marseille. Mais vite les inconvénients dépassèrent les avantages. On s’aperçut que la présence d’unités de guerre n’intimidait nullement les formations algériennes et l’attaque était souvent concluante.

 

M. de Sartihe, Secrétaire d’Etat à la Marine dit dans une de ses lettres : « J’ai appris, avec beaucoup de peine le malheur qu’ont essuyé cinq bâtiments français qui sont tombés entre les mains de ces scélérats, malgré les mesures qui avaient été prises, dans la vue de pourvoir la sûreté de la navigation dans la Méditerranée. Sa Majesté a été affectée au compte que je lui en ai rendu[47]. »

 

Il y avait pénurie de navires de guerre pour protéger tous les convois sortant des ports français et allant dans des directions différentes. Le détroit de Gibraltar semble avoir été le plus critique[48].

 

Une pétition des armateurs, signée en novembre 1827[49] réclamait l’augmentation des navires de guerre et s’étonnait que « trente-six navires étaient sous l’escorte d’un seul brick[50]. »

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En octobre 1828, les négociants de Marseille lançaient à leur tour, un cri d’alarme et réclamaient plus d’escorteurs : « Un seul navire par mois pour escorter des navires marchands à destination de l’Océan...! Le commerce de Marseille déjà anéanti, dans le Levant, entravé par la gêne des escortes [...] a besoin d’être sérieusement protégé, si on ne veut pas le voir tomber dans le découragement [...] Depuis la déclaration de guerre à la Régence d’Alger, deux escortes ont été envoyées, chaque mois, elles sont aujourd’hui réduites à une seule ! »

 

Après avoir demandé au préfet maritime de révoquer son ordre relatif à la réduction des escortes, les signataires réclamaient le retour dans la Méditerranée du plus grand nombre de bâtiments légers, seul moyen, pensaient-ils, de soustraire les navires français aux dépravations des Barbaresques[51]. Et comme les corsaires algériens étaient en croisière « du Cap Saint Vincent au Cap Finistère, » on insistait pour que l’escorte se prolongeât jusqu’aux ports français de l’Atlantique.

 

L’opération « convoi » fut négative à cause de l’indiscipline ou de l’impatience des capitaines de la marine marchande, de leur cupidité, car ils se séparaient de leurs compagnons de route dans le but d’arriver les premiers aux ports pour y vendre leur chargement.

 

Efficacité et rentabilité étaient l’objet de vives controverses. Les navires d’escorte étaient jugés « gros mangeurs de primes, de soldes et de crédits. »

 

L’insécurité de la navigation devint si générale que les corallines prenaient à Naples, à leurs frais, une grande felouque armée pour les escorter en venant de Sardaigne, les défendre pendant la pêche et les escorter de nouveau à leur retour. Au sujet des coups assénés à Venise par la Marine d’Alger, Bonaparte, dans une lettre à son Ministre concerné lui dit : « Venise qui fournit de grands avantages à la marine, réclame de vous, citoyen ministre, douze ou quinze permissions qui mettent les bâtiments les plus riches à l’abri des Algériens. Ces corsaires lui ont déclaré la guerre depuis environ trois mois, ce qui ruine entièrement son commerce. Si pouvez prendre en considération cet objet, il sera très avantageux, pour indemniser ce pays des pertes qu’il fait tous les jours[52]. »

 

6) Les autres mesures. Pour permettre au navire attaqué de se défendre, on imagina quantité de mesures, « on augmenta les effectifs des équipages, on fit appel aux soldats de métier, aux volontaires aimant le risque, on doubla les gratifications des capitaines et du personnel à bord « qui résisteront ou couleront un navire ennemi, » on décerna « chaîne et médaille d’or à l’effigie du Roi et aux armes de Marseille[53]. »

 

Venise prit des dispositions d’un autre genre : armer les navires de commerce, assurer des avantages et privilèges à qui utiliserait les navires habilités à faire le commerce dans les bassins oriental et occidental de la Méditerranée... Cependant, pour être déclaré habilité à naviguer, sans protection, « un navire devait mesurer à la quille 70 à 80 pieds, être armé de 24 bouches à feu dont 18 pour boulets de 14 livres et les autres pour boulets de n’importe quel calibre, avoir un équipage de 40 hommes au moins, dont dix devaient être des soldats appartenant à des régiments d’outre mer, porter à bord 30 barils de poudre, 500 boulets assortis, pour les diverses bouches à feu, 40 fusils, 40 bandoulières et 40 dagues[54]. »

 

En France, une ordonnance royale, envoyée aux échevins de Marseille, « interdisait aux capitaines français de vendre leurs navires à des étrangers » de peur d’être achetés par les algériens.

 

Pour ne donner au Dey aucun motif de mécontentement, on prit certaines distances avec l’Espagne. Le Grand Amiral de France fit part aux officiers de l’Amirauté que « M. le Duc d’Orléans[55] ayant défendu qu’aucun vaisseau français ait à se noliser à l’avenir, pour le service de l’Espagne, il est nécessaire que vous teniez la main à ce que cet ordre soit exactement observé dans votre port, et que vous le fassiez à tous les participants et maîtres de bâtiments de votre port qui s’y trouveront. »

 

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A côté de toutes ces mesures défensives, les Cours d’Europe, en conflit avec la Régence, adoptèrent une série de dispositions offensives dans l’espoir d’enrayer la course et l’activité des Algériens.

 

1) L’armement des galères. Le testament de Charles Quint (19 janvier 1548) indique les mesures que l’empereur croyait susceptibles de contrecarrer les Algériens : « Quant aux galères, je ne crois pas que l’Espagne, Naples et la Sicile puissent se distinguer d’en entretenir pour la garde ordinaire de leurs états contre les Turcs et contre les Maures. On ne saurait avoir confiance dans la trêve conclue avec le Turc. Il est donc nécessaire de tenir ces galères armées, ne fussent que pour réprimer les incursions des corsaires[56]. »

 

Pour défendre son commerce, Marseille prit des initiatives jugées parfois inopportunes et susceptibles de faire plus de mal à ses intérêts que de bien.

 

Elle arma des galères à ses frais pour entamer la chasse aux Algériens. Cependant, l’opération se révéla coûteuse sinon ruineuse. De 1611 à 1616, elle dut payer 4 500 livres ! Aux frais d’armement, s’ajoutaient ceux de voyages escortés et de la surveillance des côtes de Provence[57]. Pour trouver l’argent indispensable, il fallait augmenter les taxes. Un arrêt du Conseil établissait, en 1688, « un droit de trois livres par tonneau sur les bâtiments venant du Levant. Le produit du dit droit, devait contribuer aux frais d’armement contre Alger. Un second étendait les dispositions du précédent aux navires en provenance de Candie et de l’Archipel.

 

Un incident survenu en 1703 permit au Duc de Praslin de rappeler la Chambre de Commerce à l’ordre. Un corsaire inconnu que l’on suppose appartenir à la Régence d’Alger » pillait les navires qui sortaient de Marseille. La Chambre avait cru opportun d’armer des navires pour faire la chasse à ce corsaire. Le Duc blâma vivement cette initiative qui pouvait provoquer des représailles des Algériens : « Je ne comprends pas que vous ayez pu agir avec aussi peu de réflexion. Une seule vous fera sentir combien vous êtes fait illusion à vous mêmes et combien vous vous êtes écartés, essentiellement de votre devoir et de votre état en suivant, au hasard, une impulsion de chaleur et de crainte qui vous a porté à la délibération la plus inconsidérée qu’un corps municipal put prendre ; c’est que vous avez établi de votre chef, des représailles possibles qu’il n’appartient qu’au Roi d’ordonner et que vous avez exposé le pavillon de sa Majesté à une rupture presqu’inévitable avec Alger[58]. »

 

De leur côté, les consuls en poste à Alger réclamaient, régulièrement, dès la fin des soulèvements protestants, le retour en Méditerranée, des galères royales. A leurs yeux, la présence de la flotte dans l’Atlantique n’avait plus sa raison d’être. Leur principal souci étant la lutte contre la Régence, ils prétendaient « qu’on détruirait dans deux ans ces tanières de brigands et de voleurs qui seraient contraints de venir demander la paix à genoux. »

 

Beaucoup de bruit pour rien ! « Les corsaires barbaresques, dira un spécialiste, établissent leurs croisières le long des côtes, nos vaisseaux de guerre fuyant les côtes, il n’est pas étonnant que ceux qui ont été employés contre ces corsaires en 1728, 1729 et en 1742 n’en aient pris aucun ! »

 

2) Construction de vaisseaux légers. La marine de guerre n’était pas adaptée à cette forme de lutte contre les bâtiments d’Alger. Le port de Toulon abritait de nombreux vaisseaux, frégates, barques et chébecs, mais ils étaient trop forts pour être destinés « au service qui paraissait le plus urgent » pour le moment. Ils n’étaient pas, à beaucoup près, aussi utiles, surtout pendant de nombreux mois de l’année. Il fallait « avoir recours à des bâtiments plus petits et plus propres par leur légèreté et la nature de leur construction, à poursuivre les forbans dans les anses où ils se retirent. »

 

En 1750, De Rouillé, Ministre de Louis XV, fit construire quatre chébecs pour les opposer aux Maghrébins. On les appela : « Le Requin, l’indiscret, Le Rusé, Le Serpent. » On décida en 1764, la construction de quatre autres : « Le Renard, Le Séduisant, Le Singe, et le Caméléon. »

 

Ces mesures ne semblent pas avoir rassuré les marins français. Le sieur Pras, consul de France à Oran, occupé alors par les Espagnols, le disait à Rouillé : « Les capitaines qui abordent ici naviguent avec crainte par rapport aux corsaires d’Alger voyant ce qu’ils ont exécuté au dit Alger avec le capitaine Prépau[59]. Ils appréhendent d’une guerre avec cette République. Ils viennent à moi savoir si j’ai quelques ordres de votre Excellence. »

 

3) Accentuation de la course. Certaines associations marchandes de Marseille armèrent à leur tour des bateaux corsaires qui « avaient pour mission de courir sus aux bâtiments des pirates barbaresques, de les détruire ou, tout au moins, de les empêcher de sortir de leurs ports d’attache. » Les capitaines de ces navires chasseurs recevaient de l’Amirauté des commissions qui les mettaient en règle avec les bâtiments de guerre. Les marchands payaient et entretenaient ces navires et leurs équipages. Les prises faites leur appartenaient sauf une part qui revenait de droit au Grand Amiral de France. Parmi les aventuriers qui furent au service de Marseille, il faut citer Simon Dansa.

 

Seignelay engagea des particuliers à armer pour leur compte en leur offrant des vaisseaux du Roi « gratis » et n’exigeant aucune rétribution dans les prises. Il s’obligeait même à prendre, pour le compte du Roi, les esclaves qu’ils feraient à trois cent cinquante francs, pièces[60]. Ces armements privés persistèrent jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Un arrêt du Conseil d’Etat rendu le 17 septembre 1687, ordonnait que « le commerce de Marseille payera 3.000 livres à chaque armateur qui prendra un vaisseau d’Alger, armé en course et 1.500 livres pour chaque barque armée en guerre, qu’ils prendront sur les dits corsaires. » Suite à cet arrêt, une gratification de 1.000 livres fut consentie au Marquis d’Amfreville « armateur particulier ayant activement collaboré à la prise d’un vaisseau corsaire d’Alger, de trente canons, cent-quatre-vingt un Turcs en vie et quarante-six chrétiens dont vingt-cinq Français » et amené à Toulon[61].

 

La même année, de Mortemart eut ordre de poursuivre les Algériens sans prévenir, de séparer son escadre en plusieurs croisières : la plus forte, au détroit, la deuxième sur Ivice, la troisième sur le cap Saint Vincent et le cap du Finistère, la dernière aux îles Saint Pierre [...][62] et de chercher le coup d’éclat.

 

4) Plan de police des mers. Dans le cadre de la poursuite des Algériens en mer, on étudia la construction d’une flotte spécialisée dans la lutte contre ces derniers.

 

Il y eut le plan Henri de Seguiran, en 1633. Son auteur suggérait « que le Roi de France tienne vingt galères divisées en deux escadres. La première, de douze, pour assurer le port de Toulon qui est comme le centre de la dite côte, la seconde, qui serait assez grande, de huit galères pour demeurer à Marseille, battrait la côte de la mer à divers temps depuis la dite ville de Marseille jusqu’au cap Sicret, proche de Toulon du côté du Levant et du côté du Ponant, jusqu’à la Tour de Bouc, proche de l’embouchure du Rhône. »

 

Jacques Vacon avait son opinion : « Guetter entre Oran et l’Espagne les pirates algériens chargés de nos dépouilles aux bouches de Bonifacio, les receleurs de Livourne venus d’Alger ou de Tunis, au Sud de Candie, les détrousseurs du Levant[63]. »

 

L’autre plan est de Tourville, adressé à Seigneley, en octobre 1687. « Il faut, lui dit-il, douze navires pour faire la guerre contre les Algériens, c’est à dire, deux pour croiser contre les Salétins sur le cap Saint Vincent, la Roque et Finistère et qui soient assez forts pour prendre les Algériens ; il en faudrait quatre pour demeurer dans ce détroit ; en cas qu’ils n’y passent pas, il faudrait que ces quatre navires aient la liberté de courir par toute la Méditerranée et même d’y consommer leurs vivres parce qu’il serait fâcheux que, sachant qu’il y a des corsaires dans la Méditerranée, on les abandonnerait pour rentrer dans le détroit et prendre un mois et demi de vivres qu’on réserve pour passer dans le détroit et pour se rendre en France. Pour les six autres vaisseaux, je pense qu’il serait à propos de les envoyer dans la Méditerranée, selon les nouvelles que l’on apprendra de ces corsaires [...] Pour les navires des caps Saint Vincent, la Roque et les Barlingues, ils faut qu’ils restent toujours dans l’Océan. »

 

Chaque échec d’un plan amenait l’élaboration d’un autre. De Kersaint avait le sien en 1720. Ecoutons-le : « Si j’avais l’honneur d’être Ministre de la Marine, je regarderai, comme une bonne fortune, l’insulte que les Algériens viennent de nous faire et, bien loin d’employer toute la puissance du Roi pour écraser, tout d’un coup, cette insolente République, je profiterai de l’occasion qui se présente de tenir toute l’année, sans alarmer nos voisins, une douzaine de bons vaisseaux armés pour harceler et bloquer les pirates dans leurs ports ; il y en aurait, sans cesse, six en croisière, deux en face d’Alger, deux ou trois lieues au vent, deux à égale distance sous le vent et, en outre, des chébecs et de petites frégates tout le long de l’étendue de cette côte, tant pour empêcher qu’il ne sortit aucune de leurs galiotes que pour fouiller exactement tous les neutres qui peuvent y aborder pour leur fournir des agrès et des munitions de guerre. Une de ces frégates pourrait aller jusqu’en Sardaigne d’où elle apporterait aux gros vaisseaux toutes sortes de rafraîchissements qui y sont en abondance et à très bon compte.

 

Il serait heureux qu’il y eut, dès ce moment, un couple de vaisseaux prêts à se rendre devant Alger, pour arrêter les secours que nos ennemis ne manqueront point de leur porter [..].

 

Quant au projet de bombarder Alger pour renverser des maisons, outre qu’il en coûterait des sommes considérables, ce n’en vaut pas la peine[64]. »



[1] S.I.H.M. Série Sa‘adiens - France, t. I, p. 284. Lettre au roi Charles IX. Ségoire. 3 septembre 1566.

[2] Ile de l’Atlantique dépendant du Portugal, 740 km2.

[3] Mon article, Turkjaranio (Le raid Turc), Connaissez-vous ? Sous presse.

[4] Dan, Histoire, p. 312.

[5] Lespes, Alger, Paris 1930, p. 131. Mon article : Turkjaranio (Le Raid Turc) Revue Maghrébine. 1996 pp.

[6] Cité par Gosse, Histoire de la Piraterie. Le maire de Plymouth faisait savoir en 1625 que « les pirates au cours de cette année avaient capturé un millier de marins des régions de l’Ouest. »

[7] Laugier de Tassy, Histoire d’Alger, p. 264.

[8] Cité par de Grammont : Correspondance des Consuls... Lettre du 11 décembre 1690.

[9] Marine B7/2 f° 225, Lettre de Cadix, 24 août 1709.

[10] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, n° &" (1720-1789), Projet pour la ruine des pirates turcs d’Algiers, Tripoli, Tunis et Zalé (Salé).

[11] La principale raison de ces arraisonnements était la non-conformité des passeports présentés aux modèles détenus par les Algériens.

[12] A.N.Aff.Etr. B III - 303, p. 37 (1749).

[13] Ghazawât. Ma thèse de 3ème cycle, première partie, Aix en Provence, 1972.

[14] Grammont (H.de), « Relation entre la France et la Régence d’Alger, » R.A., 1879, p. 139.

[15] Voyage, p. 139.

Sur les prises de 1685 à 1686, A.N. Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 12, Alger, (1604 - 1719).

[16] Desfeuilles, « Scandinaves et Barbaresques, » C.T. 15/1956, p. 330 ; Az-Zahhar, Mudhakkirât, p. 66.

[17] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, n° 13 (1720 - 1789).

[18] A.C.C.M. Série J 1365, Lemaire, Journal (1749) et Série J 1363, Lettre du Consul Thomas.

Une intéressante polémique s’engageant entre Anglais et Algériens au sujet de cette prise : le Dey jugeait que le paquebot n’avait pas de passeport ordinaire des vaisseaux marchands conforme aux modèles que l’on délivre ici... Donc, le chargement était de bonne prise.

La Cour de Londres : le Commandant était muni de la commission du Roi. Le bâtiment appartient à Sa Majesté. Il est uniquement destiné au service de la Couronne.

Réponse du Dey : le vaisseau ayant chargé des biens de particuliers (une vingtaine environ cesse d’être un vaisseau du Roi (qui de plus, n’a pas jugé bon de répondre à trois lettres du Dey). Dét dans L.Chailloux, Textes pour servir à l’Histoire de l’Algérie au XVIIIème siècle, pp. 77,78.

[19] A.C.C.M. Série J 1363, Lettre du Consul Thomas, 5 avril 1749.

[20] A.C.C.M. Série J 1364, Lettre du 15 janvier 1750.

[21] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 14

[22] A.C.C.M. Série M R. 46.1.41, Le capitaine rentrait en France avec la polacre française, « Aziza. » La série présente une liste exhaustive des prises.

[23] A.C.C.M. Série MR.46.1.41. (20 août 1820).

[24] Sans citer de sources, P.Boyer affirme que : « De 1800 à 1815, le chiffre des ventes atteint 6 millions et demi de francs-germinal soit près de 20 millions de francs. » « L’année qui voit le plus grand nombre de captures est 1802 : 20 au total dont celle de la frégate portugaise. » (La Vie Quotidienne à Alger, p. 239).

[25] La Roncière. Histoire. IV, 692.

[26] Jurien de La Gravière, Doria et Barberousse, p. 374.

[27] En 1817. 1818 et 1826 notamment. Voir Dan. Histoire. pp. 303-304-305.

[28] Les auteurs occidentaux donnent des répartitions différentes. A titre d’exemple, d’Arvieux, Mémoires, v. p. 269, Laugier de Tassy, Histoire. p. 265

[29] Si les janissaires avaient l’organisation et les privilèges attachés au corps de ceux de l’Empire Ottoman, les Raïs ne recevaient aucune solde et ne vivaient que par le produit de la course.

 

[30] Douin nous donne le partage dans la course anglaise et française au début du XIXème siècle : « Parmi les corsaires qui lui tombaient entre les mains, dit-il, Nelson choisissait les navires les mieux taillés et, au lieu de les vendre, comme prises, proposait à l’Amirauté de les acheter à son compte. » (La Méditerranée de 1803 à 1805, p. 186).

En France la répartition se faisait conformément à l’arrêté consulaire du 9 ventôse an IX.

« Tous les vaisseaux, frégates ou autres bâtiments de guerre ennemis qui seront pris par les bâtiments de l’Etat, ainsi que leur artillerie, agrès, vivres et munitions, matières d’or et d’argent et autres objets chargés sur les bâtiments capturés, appartiendront en totalité aux individus composants les États-majors et équipages des bâtiments preneurs. »

« A l’égard des corsaires, bâtiments armés en guerre, marchandises et navires marchands capturés, les 2/3 seulement du produit de la prise devaient être distribués entre les Etats-majors et les équipages, le dernier tiers étant versé à la caisse des invalides de la marine [...] Si les vaisseaux ennemis étaient pris à l’abordage, une prime de 200 francs par canon était allouée en sus. » (Douin, op. cit. pp. 199-200).

[31] D’Arvieux, Mémoires. V, pp. 262 - 263.

[32] Dan, Histoire... pp. 265 - 266.

 

[33] On a toujours accusé les Juifs d’Alger ou de Livourne d’être seuls friands de prises invendues ici. Beaucoup de consuls en poste à Alger ou dans les Etats Italiens concouraient directement ou par des intermédiaires, à l’acquisition de navires, de marchandises ou même d’esclaves.

M.Rosalem, Vénitien, chargé de conclure avec Alger un traité de paix, désigna nommément les consuls Logie de Suède, et Fordt d’Angleterre, comme grands « acheteurs » de prises (R.A.. 1952, pp. 85-86).

[34] Braudel, Méditerranée. II, p. 110.

[35] Douin, La Méditerranée, p. 29.

[36] A.D.B.R. Série B IX - B 2 f° 1

[37] Pie V (1566 - 1572) ordonna de couper les arbres et les buissons autour de Santa Lorenza.

[38] Primaudaie (E. de La), Le Commerce, p. 29.

[39] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents 1541 - Corse (1681 - 1779) p. 18 v°. Lettre de Vergennes à Tillet, 5 février 1777.

[40] Bureau de l’Etat pour les Affaires Etrangères, 4 septembre 1779, Réflexions sur l’état envoyé de Sardaigne.

[41] Cité par B.Manca, Gli stati delMaghrib e la politica estera del regno sardo (1773 - 1783), p. 153.

[42] Sacerdoti, R.A., 1957, p. 286.

[43] A.C.C.M. Série E/53.

[44] AC.C.M. Série B/5 F 382 (11 décembre 1688).

[45] Sacerdoti, R.A., 1957, p. 288.

[46] On les comparait à l’époque « aux chemins les plus écartés de la Calabre et de l’Albanie ».

[47] A.C.C.M. Série E, Lettre du 16 janvier 1775. De nombreux détails dans les articles 42, 43, 44, 45 de la même série.

[48] A.C.C.M. Série MR 46.1.41, Lettre des négociants de Marseille, 2 juin 1827.

[49] Le blocus d’Alger avait déjà commencé.

[50] Copie de cette lettre dans les documents, à la fin dut. II.

[51] A.C.C.M. Série MR 46.1.41.

[52] Napoléon, Correspondance... publiée par Berbrugger : « La Régence d’Alger sous le Consulat et l’Empire, » R. A., 1875, p. 18, Lettre du 20 Messidor V/17 juillet 1797.

[53] A.C.C.M. B6 f° 640 (1695).

[54] Sacerdoti, R.A., 1957, p. 284.

Dague : épée à lame large et courte.

[55] Philippe, Duc d’Orléans : Régent de France (1715 - 1723)

[56] Jurien de La Gravière. Les Corsaires Barbaresques, p. 140

[57] En 1621, un voyage escorté revenait à 20.000 livres et en 1652, une simple surveillance de la côte provençale coûtait à la Chambre de Commerce 4.000 livres.

[58] A.C.C.M. Série AA/88, Lettre du 14 février 1703.

[59] A.N.Aff.Etr. B 1 - 928, p. 396 v°, Lettre du 22 mars 1754. Sur l’affaire Prépau (1753), Devoulx, R.A., 1871.

Plantet, Correspondance, II, 216-217.

Chaillou (L.). Textes. pp. 114-116.

 

[60] A.N.Aff.Etr. B III - 305.

[61] A.C.C.M. Série B 5 f° 350 v° (18 décembre 1687).

[62] A.N.Aff.Etr. B III - 305 (mai 1687).

[63] A.N.Aff.Etr. Mémoires et Documents, t. 13, Alger (1720 - 1789).

[64] La Roncière, Histoire. IV, p. 693 citant Süe, Histoire. III, p. 276.