La réaction des Qouraysh

 

Toutes les routes menant à La Mecque étaient contrôlées par les Musulmans. Personne ne pouvait quitter ou entrer dans la Cité sacréee dont les habitants ignoraient tout ce qui se passait dans l’armée du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) car leurs espions n’avaient récolté pratiquement aucun renseignement et la seule qui leur parvint fut celle de l’Aman accordé à Abou Soufyan qui les laissa totalement enragés puisqu’ils l’avaient délégué pour que la protection soit accordée à tous les Qouraysh et non pas lui seul, une trahison manifeste des Qouraysh , à leurs yeux.

 

A notre avis, cette information ne filtra que parce que le Prophète le voulut. Elle eut pour effet de laisser les Mecquois, ces implacables ennemis de l’Islam, si désemparés que résister ne leur vint même pas à l’idée. « Que faire, » se dirent-ils, « Muhammad va commettre une tuerie et capturer les femmes et les enfants Il va s’emparer de tous nos biens et ne quittera La Mecque qu’après avoir laissé les ruelles pleines de cadavres et de cris. »

 

En réalité, ces psychologiquement vaincus interprétèrent les évènements de la manière des anciennes peuplades et ils pensèrent que le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) allait se comporter comme tout vainqueur ou tout conquérants. Attendons donc l’entrée triomphale du Messager à La Mecque pour voir quelle sera son attitude envers ses anciens ennemis qui l’oppressèrent, l’insultèrent, le blessèrent, le frappèrent, qui tentèrent de l’assassiner, l’expatrièrent et infligèrent à ses partisans les pires des tortures physiques et morales. Attendons donc la chute de la Cité sacrée pour voir si Muhammad appliquera une juste vengeance, de voir comment il se comportera envers Hind, l’épouse d’Abou Soufyan, qui mangea le foie de Hamza après la bataille d’Ouhoud, attendons de voir le traitement qu’il infligera à ces polythéistes au moment de sa grande victoire et de voir s’il sera à ce moment précis aveuglé par la toute puissance et l’orgueil du grand conquérant, écrasant tout sur son passage, coupables et innocents ?

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) invite Abou Soufyan à embrasser l’Islam

 

Au lever du jour, al-‘Abbas se présenta devant le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) en compagnie du seigneur mecquois. Il trouva le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) avec quelques-uns de ses Compagnons dont Abou Bakr, ‘Umar Ibn al-Khatab et ‘Ali Ibn Abou Talib tandis qu’au même moment, les habitants de La Mecque étaient sous intense tension alors qu’Abou Soufyan discutait les détails de reddition.

Cependant avant cela, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) lui proposa l’Islam n disant : « Malheur à toi, ô Abou Soufyan! N’est-il pas temps que tu reconnaisses qu’il n’y a nul autre dieu hormis Allah ? »

- « Que mon père et ma mère soient sacrifiés pour toi, » répondit Abou Soufyan, « tu es généreux et indulgent et tu respectes les liens de parenté. Par Allah, je pense que j’aurais été soutenu s’il y avait avec Allah un autre dieu ! »

- « Malheur à toi !, » poursuivit le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), « n’est-il pas temps que tu saches que je suis le Messager d’Allah ? »

- « Que mon père et ma mère soient sacrifiés pour toi, que tu es généreux, indulgent et respectueux envers les liens de parenté ! Quant à ce point, j’hésite encore[1]. »

 

Al-‘Abbas tenait aussi à la conversion du chef Qourayshi. Il voulait, avec cette conversion, que les Mecquois renoncent à toute résistance pour éviter l’utilisation de la force des armes des Musulmans pour empêcher un nombre considérable de victimes dans les rangs des polythéistes.

Le résultat de la conversion d’Abou Soufyan aurait une grande influence sur la grande majorité mecquoise et la laisserait certainement choquée et paralysée moralement peut-être même que cette conversion faciliterait celle de plusieurs polythéistes qui se diraient : « Abou Soufyan, le grand seigneur en personne, a choisi l’Islam. »

 

De plus, l’oncle du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) craignait aussi des vengeances de quelques musulmans, surtout des non Qouraysh. Ses craintes furent justifiées surtout lorsque Sa’d Ibn ‘Oubadah, le chef des Khazraj, menaça Abou Soufyan avec ces paroles : « O Abou Soufyan, ce jour-ci sera une tuerie. »

 

Poussé par ces sentiments, al-‘Abbas, en voyant l’hésitation d’Abou Soufyan devant la proposition du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), le conseilla de manière convaincante en lui montrant les bénéfices de sa conversion. Finalement, le seigneur mecquois annonça sa conversion devant le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et dit : « Je témoigne qu’il n’y nul dieu excepté Allah et que Muhammad est le Messager d’Allah[2]. »

 

Abou Soufyan qui venait tout juste d’embrasser l’Islam n’eut aucun gêne pour dire après au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « O Messager d’Allah ! Pourquoi ne diriges-tu pas ton armée sur les Hawazin, leur lien de sang est plus lointain et leur animosité envers toi est plus grande ? » Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) lui répondit : « J’espère que mon Seigneur m’accordera cela à partir de la prise de La Mecque. (J’espère aussi) que l’Islam sera glorifié par cela ainsi que la défaite de Hawazin[3]. »

 

Que cette hardiesse de la part d’Abou Soufyan soit justifiée du fait de ses crainte pour les siens peut-être compréhensible  mais que dire de ses paroles : « O Muhammad ! Tu es venu avec un assemblage de gens de toutes espèces connues et inconnues, (dans le but de combattre) les tiens, tes origines. Ce que je vois ne sont que des visages qui me sont inconnus. Qu’ils sont nombreux ! » Et le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) eut la réplique adéquate : « Que ton injustice et ta perfidie sont grandes ! Vous avez violé le pacte d’al-Houdaybiyah en vous entraidant, avec iniquité et animosité, contre les Bani Ka’b, et en plus dans le sanctuaire d’Allah. Vous êtes les coupables tandis que ceux-ci m’ont cru quand vous m’avez démenti et m’ont soutenu alors que vous m’avez exilé[4]. »

 

Le résultat fut que la plupart des Mecquois déposèrent les armes et préférèrent se rendre sans aucune résistance, à l’exception de ‘Ikrimah Ibn Abou Jahl et de Safwan Ibn Oumayya dont la résistance fut stoppée par Khalid Ibn al-Walid.

 

Les clauses de la reddition

 

La diplomatie d’al-‘Abbas fut très active avant la chute de La Mecque et c’est lui qui dit au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « O Messager d’Allah ! Tu connais Abou Soufyan et son amour envers les hommes et sa fierté, accorde-lui une chose qui le distinguera du reste de son peuple ! »

- « Certainement, » accepta le Prophète « quiconque entrera chez Abou Soufyan sera en sécurité[5]. »

 

Dans une autre version rapportée par Ibn Kathir dans al-Bidayah wa-an Nihayah, t IV, p 291, Abou Soufyan dit : « O Messager d’Allah, ma maison ne suffira pas ! »

- « Celui qui rendra à la Ka’bah sera en sécurité, » rajouta le Messager (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

- « Et à quoi peut suffire la Ka’bah ? »

- « Celui qui se rendra à La Mosquée sera en sécurité. »

- « La Mosquée ne peut suffire. »

- « Celui qui fermera derrière lui la porte de sa maison sera en sécurité. »

- « (Maintenant) c’est assez suffisant. »

 

Nous pouvons résumer les détails de la reddition comme suit :

1 - Ne pas toucher aux vies et aux biens des habitants de La Mecque

2 - Les Qouraysh ne doivent manifester aucune résistance contre les membres de l’armée lors de la rentrée de celle-ci.

3 - L’armée musulmane peut recourir aux armes dans le cas de l’existence d’une résistance armée.

4 - Les habitants de La Mecque doivent respecter le couvre-feu soit en restant chez eux, soit en allant à la Mosquée ou la maison d’Abou Soufyan, et ce jusqu’à ce que les Musulmans aient occupé les points stratégiques de la ville.

Et le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donnera aussi l’ordre solennel à ses troupes de respecter ces clauses.

 

Le défilé militaire musulman

 

Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) retint le grand chef mecquois avant qu’il ne retourne chez les siens afin qu’il voit le défilé militaire de l’armée pour le convaincre un peu plus de la puissance musulmane pour impressionner le reste de Qouraysh.

 

D’après les historiens, lorsqu’Abou Soufyan quitta le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) pour retourner à la Cité sacrée, Abou Soufyan fut retenu par les Musulmans : « Retiens-le afin qu’il voie les soldats d’Allah passer devant lui !, » ordonna le Prophète Cité sacré  à al-‘Abbas. »

 

Al-‘Abbas (radhiyallahou ‘anhou)  a dit : « Je le retins (en l’amenant) de la gorge de la vallée sur un monticule et (là), Abou Soufyan s’écria : « Trahison, ô Bani Hashim ! »

- « Les gens de la prophétie, » lui dis-je, « ne trahissent jamais mais je dois te montrer quelque chose. »

- « Pourquoi n’as-tu donc pas commencé par cela en me disant : « J’ai quelque chose à te montrer, » cela aurait était meilleur[6]. »

- « Je ne pensais pas que tu serais effrayé à ce point ! »

 

Quand le seigneur Mecquois arriva près de la gorge de la vallée, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donna l’ordre aux troupes musulmanes de commencer la parade.

Et, avec un ordre extraordinaire, les corps de l’armée s’avancèrent, l’un après l’autre, sous le regard ahuri d’Abou Soufyan qui ne crut pas ses yeux de voir comment ces anciens bédouins, ces anciennes tribus déchirées par les guerres, avaient-ils pu arriver à ce stade d’organisation et de parfaite coordination en quelques années seulement ! Le seigneur mecquois ne cacha pas son ravissement et dit à al-‘Abbas : « Je n’ai jamais vu, un ordre semblable à celui-ci, ô Abou al-Fadl, ni dans le royaume de Chosroes, ni chez les Byzantins. »

 

En défilant cette matinée, les troupes musulmanes étaient disposées comme l’avait décidé le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) lors de la mobilisation générale à Qoudayd. Les tribus défilèrent commandées par leurs chefs respectifs et chaque compagnie de combattants sous son étendard respectif.

 

Le premier qui ouvrit la marche fut Khalid Ibn al-Walid devant les mille cavaliers des Banou Soulaym (un véritable corps de cavalerie) avec trois étendards portés par ‘Abbas Ibn Mirdas, Khoufaf Ibn Nadba et al-Hajjaj Ibn ‘Ilat suivit par leurs hommes couverts de boucliers et de cuirasses défilèrent sur leurs chevaux telle une vague de fer devant Abou Soufyan étonné et craintif qui questionna al-‘Abbas :

- « Qui sont-ils ? »

- « Ce sont les Banou Soulaym et leur chef Khalid Ibn al-Walid, » répondit al-‘Abbas.

Et Abou Soufyan de dire : « Le gamin ! »

Quand le « gamin » passa devant les deux hommes, il lança trois fois le Takbir et continua sa marche avec ses cavaliers suivit immédiatement par az-Zoubayr Ibn al-‘Awwam avec cinq cents combattants (Mouhajirine et autres) précédé par un étendard de couleur noire. Devant les deux spectateurs, az-Zoubayr lanca aussi le Takbir par trois fois.

 

Abou Soufyan qui connaissait pourtant très bien az-Zoubayr ne le reconnu pourtant pas à cause de son bouclier et casque et il demanda :

- « Qui est-ce ? »

- « C’est az-Zoubayr Ibn al-‘Awwam, » répondit al-‘Abbas,

- « Ton neveu alors ? »

- « Oui (Az-Zoubayr est le fils de Safiyah, la fille de ‘Abd al-Moutalib). »

 

Puis vint le tour des Banou Ghifar au nombre de trois cents dirigés par Abou Dar al-Ghifari portant leur étendard qui lancèrent tous trois fois le Takbir.

- « Qui sont ces hommes, o Abou al-Fadl ? »

- « Ce sont les Banou Ghifar. »

- « Qu’ai-je donc à voir avec les Banou Ghifar ? »

 

Et le défilé se poursuivit ainsi. Les combattants des différentes tribus dirigés par leurs chefs passèrent en rangs, puis lançaient le Takbir, provoquant les questions d’Abou Soufyan ébahi et les réponses d’al-‘Abbas serein.

 

Les combattants qui participèrent aussi au défilé et par ordre furent les Banou Aslam, les Banou ‘Amr Ibn Ka’b de Khouza’a, les Mouzaymah, les Jouhaynah, les Banou Doumrah, les Banou Leyth, les Banou Sa’d Ibn Bakr de Kinana et enfin les Banou Ashja’.

 

Immédiatement après le passage des Banou Ashja’, le seigneur qourayshi demander à son interlocuteur : « Muhammad n’est-il  pas encore passé ? »

- « En effet, il n’est pas encore passé. Si tu vois la compagnie qui l’accompagne, tu ne verras que fers, chevaux et hommes. Personne ne peut lui résister. »

- « Par Allah ! Je n’en doute pas ô Abou al-Fadl, qui donc est capable de tenir tête à ceux-là ? »

 

Abou Soufyan encore sous l’effet de l’éblouissement de la puissance dévoilée des Musulmans demandait sans cesse : « Muhammad n’est pas encore passé ? » Et al-‘Abbas répondait : « Non, pas encore. » Mais lorsque le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) s’avança à son tour sur sa chamelle Al-Qaswa, au milieu des Ansar et des Mouhajirine alors au nombre de cinq mille, al-‘Abbas le rassura et lui dit : « Voici le Messager d’Allah ! »

Et de l’endroit où se trouvaient les deux hommes, ils eurent l’impression de voir un gigantesque corps vert en mouvement, du fait des boucliers, des casques et des armures peintes en vert et de ce fait, les cinq mille combattants musulmans furent surnommés la « compagnie verte. »

 

Lors du passage de la « compagnie verte, » le seigneur des Ansar Sa’d Ibn ‘Oubadah qui était à la tête de ses Compagnons, étendard à la main, lanca à voix haute au seigneur qourayshi : « O Abou Soufyan ! Aujourd’hui, c’est le jour du corps-à-corps (sanglants) ! Aujourd’hui, les interdits sont levés ! Aujourd’hui, Qouraysh va être humiliée par Allah ! »

 

Cette déclaration lourde de menaces en complète contradiction avec les conditions de la capitulation paniquèrent Abou Soufyan qui se rendit chez le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et lui dit : « O Messager d’Allah, as-tu ordonné d’anéantir les tiens comme prétends Sa’d et ceux qui sont avec lui ? J’implore Allah pour que tu épargnes ton peuple, tu es le plus généreux des hommes, le plus clément des hommes, le plus convenable des hommes ! »

 

‘Abd ar-Rahman Ibn ‘Awf, ‘Umar Ibn al-Khattab et ‘Uthman Ibn ‘Affan qui étaient près du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) joignirent leurs voix et dirent : « O Messager d’Allah, Sa’d ne nous rassure pas. » Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) montra aussi des signes de désapprobation puis dit pour tranquilliser tout le monde : « Aujourd’hui c’est le jour de la clémence ! Aujourd’hui, Allah exaltera la Ka’bah ! Aujourd’hui, Allah accroitra le prestige de Qouraysh ! » Et pour dissiper concrètement les peurs et les angoisses d’Abou Soufyan et de certains Mouhajirine, il donna l’ordre de destituer Sa’b Ibn ‘Oubadah de son poste et désigna à sa place son fils Qays Ibn Sa’d.

 

Le retour d’Abou Soufyan à La Mecque

 

A la fin du défilé des troupes intentionnellement ordonné par le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) pour persuader Abou Soufyan, ce dernier se tourna vers al-‘Abbas et lui dit :

- « Louanges à Allah ! Personne n’a le pouvoir ni la capacité de faire face à ceux-là ! Par Allah, ô Abou al-Fadl, le royaume de ton neveu est devenu grand. »

- « Malheur à toi, ô Abou Soufyan, ce n’est pas un royaume, c’est la prophétie !, » répliqua al-‘Abbas

- « C’est très beau ![7] »

 

Puis le seigneur qourayshi regagna La Mecque suffisamment impressionné par le nombre, l’armement, l’organisation, la discipline et la certitude quasi-certaine du pouvoir des troupes musulmanes de mettre fin à toute résistance. Mais allait-il convaincre les Mecquois de déposer les armes ? Sur son chemin du retour, il se dit que ce serait un suicide si quelqu’un des Qouraysh se hasardait dangereusement à résister devant cette armée.

 

A La Mecque, Abou Soufyan exposa directement la réalité telle qu’il l’a vit et répondit aux inquiétudes de ses concitoyens assemblés autour de lui sans oublier de leur dire que la solution la plus raisonnable était de ne pas résister à l’entrée du Prophète et de ses Compagnons. Il leur demanda même d’embrasser l’Islam tout comme il l’avait fait.

 

En leur parlant, Abou Soufyan rencontra une opposition très violente de certains Qouraysh dont sa propre femme Hind. Cependant, il put convaincre la grande majorité des habitants qui peu après regagnèrent leurs demeures puis déposèrent leurs arme devant leurs portes si bien que les rues de la Ville sacrée devinrent pratiquement désertes.

...

 

La marche finale

 

Si le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) répartit les troupes musulmanes sur une base tribale à Qoudayd, il compléta cette fois, près de La Mecque, à Dzi Touwa (appelé aujourd’hui az-Zahir), la formation de son armée en cinq brigades principales dont la première dirigée par lui comprenait les Mouhajirine, les Ansar et les seigneurs des tribus arabes. Quant aux quatre autres brigades, il désigna pour chacune d’entre elle un commandant en chef : az-Zoubayr Ibn al-‘Awwam, Khalid Ibn al-Walid, Abou ‘Oubaydah Ibn al-Jarrah et Qays Ibn Sa’d Ibn ‘Oubadah.

 

Chaque commandant entra avec sa troupe dans la direction décidée auparavant par le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) ; Khalid Ibn al-Walid par le sud, à l’endroit appelé al-Lit[8] (Mahallat al-Masfala), ‘Oubaydah Ibn al-Jarrah par le nord-ouest[9], Qays Ibn Sa’d Ibn ‘Oubadah par le sud-ouest[10]  et az-Zoubayr Ibn al-‘Awwam par le nord, à l’endroit appelé Kouda[11].

Quant au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), les historiens et les chroniqueurs rapportent qu’il l’effectua par le même chemin qu’Abou ‘Oubaydah Ibn al-Jarrah[12].

 

Avant d’investir la ville sainte et d’occuper les points névralgiques, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) ordonna expressément à ses Compagnons de n’user leurs armes que dans les cas d’extrême urgence et leur dit : «Ne combattez que s’ils vous combattent[13]. »

 

Tous ses ordres furent scrupuleusement respectés par l’ensemble de l’armée sauf en partie le détachement de Khalid Ibn al-Walid qui dut faire face à une insignifiante opposition vite réprimée.

 

A Dzou Tawa, l’armée musulmane en formation finale attendit le dernier ordre du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) pour commencer la libération définitive de la ville sainte. En ces moments importants où l’histoire s’arrête pour enregistrer le moindre détail, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fit ses ablutions, demanda qu’on lui rapproche sa chamelle al-Qaswa qu’il monta après avoir revêtu son armure entre deux rangées de combattants bien disposées, tandis qu’un peu plus loin les chevaux allaient et venaient entre al-Hajoun et al-Khandama sous les regards interloqués de quelques Mecquois juchés sur le haut des montagnes avoisinantes.

 

Ibn Hisham a rapporté cette scène magnifique de l’armée du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) par la bouche d’un témoin installé en haut de la montagne[14] Abou Qoubays. Ce témoin, Abou Qouhafa, le père d’Abou Bakr as-Siddiq qui avait perdu la vue, assista au spectacle grandiose du haut d’Abou Qoubays par les yeux de sa petite fille qui lui servit de guide :

- « Que vois-tu, ma petite fille ? »

- « Je vois une masse noire compacte. »

- « Ce sont les chevaux. »

- « Devant eux, je vois aussi un homme qui va et vient. »

- « C’est l’organisateur des rangs. »

- « Par Allah, la masse vient de se mettre en mouvement ! »

- « Par Allah, on vient de faire signe aux chevaux ! Vite, vite, ramène-moi à la maison[15] ! »

 

En ces instants décisifs, la balance de l’Histoire rétablit son équilibre par la concrétisation de la promesse d’Allah, à Lui les Louanges et la Gloire, à Ses adorateurs persévérants et croyants : « Allah a été véridique en la vision par laquelle Il annonça à Son messager en toute vérité : vous entrerez dans la Mosquée Sacrée si Allah veut, en toute sécurité, ayant rasé vos têtes ou coupé vos cheveux, sans aucune crainte. Il savait donc ce que vous ne saviez pas. Il a placé en deçà de cela (la trêve de Houdaybiyah) une victoire proche. » (Qur’an 48/27)

 

Les pendules du temps s’arrêtèrent le lundi des dix derniers jours du mois de Ramadan de l’an 08[16] de l’Hégire pour laisser entrer le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), Muhammad Ibn ‘AbdAllah, l’homme recherché par Qouraysh et dont la tête était mise à prix pour avoir magnifié Allah Exalté le Très-Haut, le Hashimi musulman qui endura tellement qu’il dû s’exiler à Médine parmi les Ansar.

 

En entrant dans la ville sainte, les Musulmans trouvèrent les rues et les ruelles vides. Les Mecquois étaient presque tous restés chez eux, en application du couvre-feu convenu entre le Prophète et Abou Soufyan (une mesure nécessaire pour éviter toute effusion de sang). Certains Mecquois toutefois tentèrent d’empêcher l’entrée des Musulmans du côté de la brigade de Khalid Ibn al- Walid.

 

Ces Mecquois soutenus par un groupe de la tribu Bakr et la tribu Hathil et commandés par Safwan Ibn Oumayyah, ‘Ikrimah Ibn Abou Jahl et Souhayl Ibn ‘Amr choisit le passage étroit par lequel la cavalerie allait passer pour attaquer. Cependant, leur attaque fut aussitôt anéantie grâce à l’intervention énergique des cavaliers de Khalid Ibn al-Walid. Le bilan de l’accrochage fut de vingt-huit polythéistes tués[17] et selon at-Tabari soixante-dix.

 

Les personnes condamnés à mort par le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam)

 

En interdisant l’utilisation des armes, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) ordonna toutefois de les utiliser contre dix individus même dans le cas où ils s’accrocheraient au rideau de la Ka’bah pour leurs crimes et ils sont :

1 -Ikrimah Ibn Abou Jahl,  

2 -’AbdAllah Ibn Khatal,  

3 - Mouqays Ibn Sababa,

4 -’AbdAllah Ibn Sa’d Ibn Abou Sarh,

5 - Habbar Ibn al-Aswad,

6 - Al-Houwayrith Ibn Nouqayth,

7 - Hind Bint ‘Outbah Ibn Rabi’ah,

8 - Sara, l’auxiliaire des Banou Hashim,

9 - Faranti et,

10 - Arnaba, deux esclaves de ‘AbdAllah Ibn Khatal.

 

Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) accorda plus tard son pardon à la plupart de ces condamnés. Cependant, trois d’entre eux furent tués par des combattants le jour même de la libération de La Mecque :

1- ‘AbdAllah Ibn Khatal,

2 - Mouqays Ibn Sababa et,

3 - Al-Houwayrith Ibn Nouqayth.

 

Le premier, ‘AbdAllah Ibn Khatal fut tué par Said Ibn Harith al- Makhzoumi et Abou Barza al-Aslami à l’endroit même où il se réfugia en s’accrochant au rideau de la Ka’bah. Il fut exécuté parce qu’il devint apostat après avoir tué un esclave affranchi musulman[18].

L’application de la peine de mort contre Mouqays fut pour les mêmes raisons mais pas dans les mêmes conditions.

Et si Mouqays Ibn Sababa fut tué par son cousin paternel entre as-Safah wa al-Marwah, le dernier, al-Houwayrith, fut exécuté par ‘Ali Ibn Abou Talib, non loin de sa maison.

 

Aucun chroniqueur ou historien n’a rapporté les raisons de sa condamnation même si al-Waqidi a avancé quelque explication[19].

 

L’entrée du Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) à La Mecque

 

Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) se mis en marche avec sa brigade composée de deux mille combattants dont son état-major constitué des seigneurs Ansar et Mouhajir en même temps que les quatre brigades à Dzou Jawa.

A ses côtés, se trouvait aussi al-Aqra’ Ibn Habis et ‘Ouyaynah Ibn Hisn al-Fazari en tant que seigneurs des deux tribus arabes des Tamim et Ghatafan, bien qu’aucune d’elles ne prit part à la libération de la ville sacrée excepté dix Tamimi.

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) entama sa marche du côté nord-ouest de La Mecque, jusqu’à al-Hajoun devancé par az-Zoubayr Ibn al-‘Awwam, ou il s’arrêta et pris une pause sous une tente aménagée pour lui[20].

Al-Boukhari dans son Sahih a rapporté que le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) entra à La Mecque du côté de Kouda (du côté nord) et Ibn Kathir rapporte la même information mais avec un autre Isnad.

 

En arrivant à al-Hajoun, certains de ses Compagnons lui suggérèrent de s’installer dans son ancienne maison mais le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) refusa car sa maison avait déjà été vendue par ‘Aqil Ibn Abou Talib et quand ils lui proposèrent de prendre une autre maison mecquoise, il refusa aussi en leur répondant : « Je n’entre pas dans les maisons (des gens). »

 

Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) resta ainsi à al-Hajoun durant tout son séjour à La Mecque sans qu’il ne força une seule maison et d’al-Hajoun, il se rendit uniquement à la Mosquée[21].

 

Après s’être reposé et après que les Musulmans eurent pacifié toute la ville, il prit sa chamelle et se dirigea vers la Ka’bah au milieu des Takbir lancés par les milliers de combattants musulmans. Depuis, le cœur de La Mecque ne cessa de battre son cœur qu’au rythme d’Allahou Akbar.

 

A peine le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) vit-il la Ka’bah qu’il lança le Takbir, suivi des Takbir des Musulmans qui continuèrent avec ferveur jusqu’au moment où le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) leur fit signe d’arrêter.

 

Ce fut des moments historiques, inoubliables. Une armée en marche, pacifique et croyante qui se dirigeait vers la Ka’bah sous les regards hagards des quelques polythéistes disséminés sur les sommets des montagnes après leur défaite devant Khalid Ibn al-Walid, une armée qui exalta Allah, à Lui les Louanges et la Gloire, sous l’oreille attentive des Mecquois immobiles derrière leurs portes fermées.

 

Des instants indescriptibles qui furent les témoins de l’entrée libératrice de Muhammad Ibn ‘AbdAllah et de ses Compagnons dans la Mosquée sacrée, l’entrée promise par Allah Exalté : « Allah a été véridique en la vision par laquelle Il annonça à Son messager en toute vérité : vous entrerez dans la Mosquée Sacrée si Allah veut, en toute sécurité, ayant rasé vos têtes ou coupé vos cheveux, sans aucune crainte. Il savait donc ce que vous ne saviez pas. Il a placé en deçà de cela une victoire proche. C’est Lui qui a envoyé Son messager avec la guidée et la religion de vérité [l’Islam] pour la faire triompher sur toute autre religion. Allah suffit comme témoin. Muhammad est le Messager d’Allah. Et ceux qui sont avec lui sont durs envers les mécréants, miséricordieux entre eux. Tu les vois inclinés, prosternés, recherchant d’Allah grâce et agrément. Leurs visages sont marqués par la trace laissée par la prosternation. Telle est leur image dans la Thora. Et l’image que l’on donne d’eux dans l’Evangile est celle d’une semence qui sort sa pousse, puis se raffermit, s’épaissit, et ensuite se dresse sur sa tige, à l’émerveillement des semeurs. [Allah] par eux [les croyants] remplit de dépit les mécréants. Allah promet à ceux d’entre eux qui croient et font de bonnes œuvres, un pardon et une énorme récompense. » (Qur’an 48/27 à 29)

 

Sur son chemin vers la Ka’bah, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) courba la tête sur sa chamelle si bien qu’il faillit à plusieurs reprises toucher la selle en guise de reconnaissance à Allah Exalté tout en récitant la Sourate al-Fath et rassurant même les habitants de La Mecque par des gestes significatifs.

 

Lorsqu’il (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) rentra, un Mecquois hésita à lui parler par crainte du cortège de cavaliers et de fantassins, il l’appela et lui dit : « N’aie pas peur. Je ne suis que l’enfant d’une femme de Qouraysh qui mange de la viande séchée. » A al-Batha’a, il sourit devant les filles d’Abou ‘Ouhayhah qui dévoilèrent leurs cheveux et frappèrent avec leurs foulards les chevaux des Musulmans en signe de désapprobation. Il rassura même deux grands seigneurs associateurs (‘AbdAllah Ibn Abou Rabi’ah et al-Harith Ibn Hisham) qui étaient alors recherchés par ‘Ali Ibn Abou Talib après que Oum Hani Bint Abou Talib intervint en leur faveur.

 

Le Tawaf du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) autour de la Maison d’Allah

 

Lorsque le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) entra avec son armée dans le périmètre de La Mosquée sacrée, il fit immédiatement le Tawaf autour de la Ka’bah[22], et comme il y avait beaucoup de monde, il ne pouvait du haut de sa chamelle que toucher le coin où se trouvait la Pierre Noire à chaque fois qu’il faisait un tour. Ensuite, il pria deux Rak’a puis se rendit à la source de Zamzam où il but et fit des ablutions, avant que ses

Compagnons ne se bousculent autour du vase qui contenait l’eau de ses ablutions. Enfin, il se rendit à la Station (d’Ibrahim).

 

Ce jour-là, c’est al-‘Abbas Ibn ‘Abd al-Moutalib qui lui avait servi de l’eau de Zamzam et Muhammad Ibn Maslamah, le chef de sa garde qui guida al-Qaswa lors du Tawaf.

Lors de l’accomplissement du Tawaf, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fut sauvé par Allah d’une tentative d’assassinat d’un homme des Banou Bakr Ibn Kinana du nom de Fouzala Ibn ‘Oumayr al-Moulawah.

 

Ibn Kathir a rapporté : « Fouzala Ibn ‘Oumayr décida de tuer le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) alors que celui-ci faisait le Tawaf autour de la Maison sacrée. Au moment où il se rapprocha, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) le surprit par une question subite : « Fouzala ? » et l’autre de répondre : « Oui, Messager d’Allah, je suis Fouzala. »

- « Tu parlais de quoi à ta propre personne ? »

- « De rien, j’exaltais Allah. »

- « Demande pardon à Allah, » lui dit le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) non sans lui avoir souri auparavant. Puis le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) posa sa main sur sa poitrine et il s’apaisa.

Fouzala ne cessa alors de dire plus tard : « Par Allah, sa main s’est à peine détachée de ma poitrine qu’il est devenu pour moi la plus aimée des créatures d’Allah[23] ! »



[1] Ibn Hisham, Sirah t IV, p 46.

[2] Al-Waqidi, Sirah, t II, p 816.

[3] Al-Waqidi, Maghazi, t II, p 819.

[4] Al-Bidayah wa an-Nihayah, t. IV, pp. 290-291 ; Maghazi al-Waqidi, t. II, pp. 818-819 ; as-Sirah al-Halabiya, t. II, pp. 205-206 ; Sirah Ibn Hisham, t. IV, pp 6-7 ; at-Tabaqat Ibn Sa‘d, Tarikh at-Tabari, Zad al Mi’ad et Tarikh Ibn ‘Assakir.

[5] Ibn Kathir, al-Bidayah wa-an Nihayah, t IV, p 291.

[6] Sirah Ibn Hisham, t. IV, p. 49.

[7] Ar-Rassoul al-Qaïd, p. 131 et p. 133.

[8] Maghazi al-Waqidi, t. II, p. 825.

[9] Sirah Ibn Hisham, t. IV, p. 49.

[10] As-Sirah al-Halabiya, t. II, p. 207.

[11] Sirah Ibn Hisham, t. IV, p. 48.

[12] Maghazi al-Waqidi, t. II, p. 826.

[13] Sirah Ibn Hisham, t. IV, p. 52.

[14] Al-Maghazi, t. II, p. 828.

[15] Id, p. 829-829.

[16] Id, p. 829.

[17] Id, p. 831.

[18] Al-Bidayah wa an-Nihayah, t. IV, pp. 293-294.

[19] Maghazi al-Waqidi, t. II, pp. 831-832.

[20] Al-Bidayah wa an-Nihayah, t. IV, p. 308.

[21] Zad al-Mi’ad, t. II, p. 395.

[22] Zad al-Mi’ad, t. II, p. 395, Maghazi al-Waqidi, t. II, p. 833.

[23] Al-Bidayah wa an-Nihayah, t. IV, p. 305, Zad al-Mi’ad, t. II, p. 397.