Le départ de l’armée musulmane

 

Lorsque l’armée musulmane fut enfin prête, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donna le signal du départ au début du mois de Mouharram de l’an 07 de l’Hégire, trois années après le siège du Fossé.

 

Avant de sortir, il désigna Siba’ Ibn ‘Artafa al-Ghifari émir de Médine jusqu’au retour puis envoya une patrouille de reconnaissance sous le commandement d’Abbad Ibn Bishr pour assurer la sécurité des troupes. Enfin, comme la route lui était inconnue, il choisit deux guides, Houssayl Ibn Kharijah et ‘AbdAllah Ibn Nou’aym, tous deux de la tribu Ashja’ du Najd, dont les hommes avaient l’habitude de se rendre dans la région de Khaybar.

 

En se dirigeant vers Khaybar, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fit passer son armée par l’itinéraire suivant : Thaniyah al-Wada’ ; az-Zoughaba le principal défilé au nord de Médine, un lieu à quelques miles au nord de Médine entre al-Jourf et al-Ghaba-Naqma ; -al- Moustanakh, un lieu près du point ouest du mont Ouhoud puis ‘Isr, un mont entre Médine et la vallée d’al-Far’ et enfin as-Sahba’, un lieu près de Khaybar.

 

Al-Waqidi a rapporté : « Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fit la prière d’al-‘Asr à as-Sahba’ puis demanda à manger. On lui apporta alors des dattes et as-Souwayq (un plat modeste fait de céréales). Après avoir mangé avec ses Compagnons, il dirigea la prière du Maghrib sans (refaire) ablutions puis celle de ‘Isha'. »

 

A as-Sahba’, il décida que l’offensive se ferait du côté nord de Khaybar afin de couper toute retraite ou fuite juive vers la Syrie. Il convoqua alors les deux guides Houssayl Ibn Kharijah et ‘AbdAllah Ibn Nou’aym puis leur fit part de son plan d’attaque et dit : « Qui donc connait le chemin qui nous mènera à travers les vallées jusqu’à Khaybar afin que nous leur coupions toute voie vers la Syrie, et toute communication avec Ghatafan ? » Houssayl répondit : « Moi, je vous mènerai ! »

 

Et effectivement, Houssayl mena l’armée musulmane à un endroit d’où tous les chemins allaient à Khaybar. Là, le guide dit au Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « O Messager d’Allah, voici des chemins qui vont tous vers (Khaybar). » Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) lui demanda alors de les décrire et de les nommer aussi, et sur la base de l’exposé du guide, il (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) choisit un chemin du nom de Marhab que les Musulmans empruntèrent pour arriver à Khaybar.

 

L’espion

 

Pendant le trajet de la patrouille de reconnaissance, un homme de la tribu Ashja’ fut arrêté par les hommes de Abbad Ibn Bishr qui s’avéra être un espion à la solde des Juifs. Au début de l’enquête menée par le chef de la patrouille, cet homme nia être un espion mais après quelques pressions, il avoua tout et n’était pas, comme il le prétendit, un berger à la recherche de ses chameaux égarés mais plutôt un véritable espion ayant une mission précise.

 

Voici comment il fut découvert.

- « Qui es-tu » lui demanda ‘Abbad ?

- « Un homme à la recherche de ses chameaux perdus. Je suis leurs traces. »

- « Peux-tu nous informer sur Khaybar ? »

- « J’y étais, il n’y a pas si longtemps. De quoi veux-tu que je te parle ? »

- « Des Juifs, par exemple. »

- « Oui. J’ai entendu dire que Kinana Ibn Abou al-Houqayq et Houdah Ibn Qays avaient contacté leurs alliés de Ghatafan et leur avaient promis la récolte de dattes d’une année de Khaybar s’ils venaient se joindre à eux et ils ont accepté. Ils sont actuellement à l’intérieur des forts, armés et soutenus par de nombreux cavaliers. Je peux dire qu’il y a là dix mille hommes en plus des forts inaccessibles, de l’armement, et des stocks de vivres. Des quantités qui leur suffiront même s’ils sont assiégés pendant des années. Ajoutez à cela, l’eau intarissable qu’ils ont dans leurs forts. Je crois que personne ne peut les vaincre. »

 

A ces paroles, le chef de la patrouille soupçonna le bédouin d’être un agent des Juifs. Il le frappa donc avec un fouet puis il lui dit : « Toi, tu n’es qu’un espion à la solde des Juif ! Dis-moi la vérité, sinon ta tête tombera ! »

Sur ce, il lui parla de tout ce qu’il savait après que Abbad lui eut promis de ne pas lui faire de mal. Il dit : « Ces gens-là sont terrorisés après ce que vous avez fait à ceux de Yathrib. Leurs frères de Médine leur ont envoyé une lettre avec un cousin à moi qui était à Médine pour commerce. Ils ont dit à Kinana ibn Abou al-Houqayq par l’intermédiaire de mon cousin que vous n’étiez pas nombreux tout comme vos armes et vos chevaux. Ils lui ont dit de rester ferme et de frapper fort pour vous pousser à abandonner le siège et qu’ainsi Qouraysh et les Arabes seraient très contents après votre départ car ils connaissaient la supériorité de Khaybar en tout, en vivres, en hommes et en armes. Et moi, j’écoutais tout cela.

Après, Kinana m’a dit : « Va à leur rencontre. Ils ne vont pas te soupçonner. Et essaie de nous apporter des informations sur l’état de leurs forces. Rapproche-toi comme si tu ne savais rien et divulgue leur notre puissance en nombre et en vivres puis reviens vite pour nous informer. »

Sa déposition terminée, ce bédouin fut emmené chez le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) qui décida de le garder ligoté jusqu’à la fin de la bataille. Quand la bataille se termina par la défaite des Juifs, le Prophète Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fit ramener le prisonnier et lui demanda d’embrasser l’Islam, ce qu’il accepta.

 

Le plan des Juifs et de Ghatafan

 

Cette affaire d’espionnage ne fut pas le seul problème rencontré par les Musulmans sur leur chemin vers Khaybar. Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) savait que son armée allait traverser un pays hostile et que toutes les tribus arabes qui se situaient au nord-est de Médine se considéraient encore ennemies de l’Islam et plus particulièrement les tribus du Najd qui étaient encore alliés aux Juifs de Khaybar et qui représentaient un véritable danger qui ne pouvait pas être négligé par le Prophète en tant que chef militaire et qui pris par conséquent des mesures préventives.

 

Cependant, nous n’avons pu accéder à la nature de ces mesures décidées par le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) afin d’assurer le chemin du retour ou d’éviter l’encerclement de son armée par les bédouins idolâtres. La seule information que nous avons pu recueillir est le plan adopté par les Juifs et les Ghatafan venus au secours de leurs alliés.

 

 

Selon ce plan, Ghatafan engagerait ses forces armées dans le conflit à l’intérieur des forts et derrière les lignes musulmanes, comme suit :

1. Des compagnies d’hommes prendraient position avec les Juifs derrière les murs des forts et ce premier point du plan fut concrétisé par ‘Ouyaynah Ibn Hisn, Toulayhah Ibn Khouwaylid et Hadhifa Ibn Badr[1].

2. Quatre-mille autres hommes contourneraient les Musulmans pour frapper un grand coup sur les arrières de ces derniers.

En contrepartie, les seigneurs de Khaybar leur promirent la moitié de la moisson annuelle des dattes.

 

Le premier point du plan-accord fut concrétisé mais le second ne put se réaliser qu’en partie. En effet, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) n’était pas encore arrivé dans les environs de Khaybar que les quatre mille Ghatafani se mirent en marche avec l’intention de couper toute retraite à l’armée musulmane[2].

 

Ce mouvement des Ghatafan causa certainement quelques gênes aux Musulmans dont les forces ne dépassaient pas les mille quatre cents hommes et qui s’attendaient à une attaque d’un moment à un autre ce qui poussa le Prophète le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), à entrer en contact avec Ghatafan et à conseiller ses chefs d’observer la neutralité dans ce conflit après les avoir informés avec force que Allah allait lui ouvrir les portes de Khaybar.

 

D’autres historiens dirent que le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) proposa aux seigneurs de Ghatafan qu’il était disposé à leur laisser Khaybar s’ils embrassaient l’Islam et observeraient la neutralité dans le conflit.

 

D’autres historiens encore dirent que le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) ne posa pas la condition de la conversion à l’Islam, leur demanda seulement de ne pas s’interposer et en contrepartie, il leur promis la moitié des produits agricoles de Khaybar après la victoire[3] que ces seigneurs, à la vue de leurs nombreuses troupes, rejetèrent, croyant que leurs quinze mille hommes allaient défaire facilement les mille quatre cents Musulmans de Muhammad, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam). Ils l’informèrent qu’ils ne laisseraient pas leurs alliés tomber et qu’ils combattraient à leurs côtés[4].

 

L’Imam al-Waqidi a rapporté son livre al-Maghazi (tome II, page 650) : « Quand le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) sut l’arrangement de Ghatafan, il envoya Sa‘d ibn ‘Oubadah, le seigneur des Khazraj comme émissaire à ‘Ouyaynah Ibn Hisn qui se trouvait alors dans le fort d’un seigneur juif de Marhab.

 

« ‘Ouyaynah, qui vit Sa‘d arriver devant le fort, s’apprêta à le faire entrer à l’intérieur, mais Marhab en tant que chef militaire juif s’opposa en disant : « Ne le laisse pas entrer pour qu’il ne voie pas les points faibles de notre fort. Cependant, tu peux parler avec lui devant l’entrée. »

Il sortit donc et s’entretint avec Sa‘d ibn ‘Oubadah.

- « Le Messager d’Allah te dit : « Allah m’a promis Khaybar. Retire-toi et reste à l’écart, et si nous vaincrons, vous aurez la production de dattes d’une année. »

- « Par Allah, nous ne laisserons pas tomber nos alliés. Nous savons ce que vous avez et combien d’hommes sont avec toi en comparaison avec la force et la puissance de ceux-là (les Juifs). De plus, ils ont des forts imperméables renforcés par leurs nombreuses troupes et leurs armes. Si tu restes pour le siège, tu vas périr, toi et ceux qui t’accompagnent, et si tu veux combattre, ils enverront hommes et armes pour t’écraser. Non, par Allah, ils ne sont pas comme Qouraysh. »

‘Ouyaynah chargea Sa‘d ibn ‘Oubadah de transmettre sa réponse au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) mais Sa‘d, avant de se retirer, avertit ‘Ouyaynah : « Rappelle-toi bien car quand il viendra ici devant ce fort, tu nous demanderas alors ce que nous venons de te proposer et à ce moment, tu n’auras de nous pour réponse que le sabre. Tu as vu ce qui est arrivé aux Juifs de Yathrib. »

 

Puis il retourna rendre compte de sa mission puis dit au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « O Messager d’Allah, Allah va réaliser Sa promesse pour toi et va faire triompher Sa religion. N’offre donc même pas ne serait-ce qu’une seule datte à ce bédouin. O Messager d’Allah, dès qu’il verra le sabre, il les laissera à leur sort et s’enfuira vers son pays comme il l’a fait avant, lors du Khandaq. »

 

 

Même si ce nouveau élément vint s’ajouter au conflit, les Compagnons du Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) poursuivirent leur route vers Khaybar car ils étaient confiants en la victoire d’Allah dans cette bataille. Ils avancèrent surs et sereins car ils savaient que toutes ces forces réunies (les Juifs, Ghatafan et les Banou Asd) n’auraient aucune incidence quant à l’issue finale de la bataille : Allah, à Lui les Louanges et la Gloire, avait promis Khaybar à Son Messager (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et Khaybar allait tomber sans l’ombre d’un doute.

 

L’arrivée à Khaybar

 

Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) demanda à ‘Amir Ibn al-Akwa’ de chanter pour accélérer la marche des chameaux. ‘Amir céda effectivement à la demande de son Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) et chanta des vers.

Les historiens rapportèrent que ce chant plu au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) qui, par conséquent, lui dit : « Qu’Allah t’accorde Sa miséricorde. » Et à chaque fois que le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) disait cela à quelqu’un, ce dernier tombait Shahid sur le champ de bataille. Et c’est ce qui arriva à ‘Amir Ibn al-Akwa’ à Khaybar.

 

Durant ce trajet aussi, une partie de son armée commença à prier et à prononcer le Takbir à haute voix, ce qui fit dire au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « O gens, épargnez vos voix. Vous n’êtes pas en train de prier un sourd ou un absent. »

 

Lorsque l’armée se rapprocha de Khaybar, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donna l’ordre de s’arrêter puis fit cette invocation : « O Allah, Maitre des cieux et des terres, Maitre des démons et des vents, nous te demandons de nous octroyer les biens de cette agglomération et les biens de ses habitants. Nous te demandons aussi de nous protéger contre leurs méfaits. » Puis, il s’adressa à ses Compagnons et leur dit : « Avancez au nom d’Allah[5]. »

 

Les Musulmans arrivèrent à Khaybar en pleine nuit cependant, aucun Juif ne remarqua la présence des Musulmans, malgré l’état d’alerte maximale. Cette nuit, tous les Juifs dormirent d’un profond sommeil et ne se réveillèrent que lorsque le soleil était déjà bien haut dans le ciel pour apercevoir les mille quatre cents combattants menés par Muhammad, le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) voulut surprendre son ennemi en pleine obscurité mais, il s’abstient car lui et ses Compagnons ignoraient le terrain et l’offensive ne se déclencha que dans la matinée. Avant l’affrontement le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), en tant que chef militaire, donna sa dernière recommandation : « Ne cherchez pas la rencontre directe avec l’ennemi. Demandez plutôt à Allah Exalté la sécurité : vous ne savez ce qui peut vous arriver. Mais si vous le rencontrez, dites alors : « Allah tu es notre Maître comme le Leur. Nos têtes et leurs têtes sont entre Tes mains. C’est Toi qui les tue. »

 

Les forts de Khaybar

 

Khaybar comportait deux parties qui possédaient plusieurs forts dont cinq importants ou se livrèrent la plus violente bataille :

- Le fort « Na’im » qui fut le premier à être pris d’assaut par les Musulmans et devant lequel fut tué son chef Marhab.

- Le fort « as-Sa’d Ibn Mou’ad, » le plus important fort qui tomba entre les mains des Musulmans et qui recelait des quantités impressionnantes d’armes et de vivres.

- Le fort « citadelle d’az-Zoubayr. »

- Le fort « Oubay. »

- Le fort « an-Nazzar » appelé aussi « al-Bazat. »

 

Les trois premiers forts se situaient dans la zone appelée an-Natat. Quant aux deux derniers, ils se situaient dans la zone ash-Shaq. Ces cinq forts formaient au début de la bataille la première ligne de défense juive.

 

Dans la deuxième partie, il y avait aussi des forts et les plus importants étaient au nombre de trois seulement.

- Le fort « al-Qamous » appartenant aux Banou Abou al-Houqayq des Banou an-Nadr.

- Le fort « al-Watih. »

- Le fort « as-Salalim. »

Ces trois forts se rendirent sans livrer bataille malgré les troupes qui s’y trouvaient et les armes dont elles disposaient.

 

La bataille

 

Au début donc de la matinée, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) proposa d’abord aux Juifs de rallier la famille de l’Islam.

La demande du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) fut présentée aux Juifs par ‘Ali Ibn Abou Talib mais ces derniers refusèrent.

 

D’après al-Boukhari, ‘Ali fut le premier chef à demander aux Juifs d’embrasser l’Islam. Selon al-Boukhari toujours, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) convoqua ‘Ali et lui donna l’étendard. Ce dernier profita du moment et lui demanda : « O Messager d’Allah, dois-je les combattre jusqu’à ce qu’ils deviennent musulmans comme nous ? »

- « Reste calme jusqu’à ce que tu les invites à embrasser l’Islam, par Allah, mieux vaut un homme qu’Allah guide[6], » lui répondit le Prophète  (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

Après le refus des Juifs, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donna l’ordre de mobilisation générale et répartit les commandements comme dernières mesures avant la bataille.

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) avait ce jour un étendard nommé al-‘Iqab (de couleur noire) sur lequel était écrit « Il n’y a de divinité qu’Allah, Muhammad Messager d’Allah. » Il distribua aussi quatre autres étendards dont deux à Abou Bakr as-Siddiq et ‘Umar Ibn al-Khattab représentant les Mouhajirine et les deux autres à Sa’d Ibn ‘Oubadah et à al-Houbab Ibn al- Moundir[7]. Il constitua aussi un détachement pour garder le camp pendant la campagne afin de prévenir toute surprise dont il donna le commandement à ‘Umar Ibn al- Khattab[8] tandis que la responsabilité du camp fut confiée à ‘Uthman Ibn ‘Affan[9].

 

Selon les historiens, la première action militaire décidée et exécutée fut l’occupation des vergers par les Musulmans ou ils coupèrent quatre cents palmiers au total dans les jardins occupés qui se situaient dans an-Natat avant de s’arrêter sur ordre du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

Après avoir désigné le premier objectif militaire à attaquer, le fort Na’im, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) participa lui-même aux opérations offensives. Devant ce fort, un violent accrochage dura la journée, jusqu’à la tombée de la nuit et toutes les tentatives des Musulmans de prendre d’assaut le fort se soldèrent par des échecs.

Les Juifs montrèrent ce premier jour une réelle volonté à défendre leur citadelle au point où ils ouvrirent même les portes du fort et sortirent combattre sous le commandement d’Abou Zaynab, le frère de Marhab une première fois et de ‘Oussayr, un membre de la famille Marhab, une deuxième fois. La riposte de ce dernier fut tellement dure que les Musulmans se retirèrent du champ de bataille[10].

 

A la fin de cette journée, les Musulmans comptaient dans leurs rangs cinquante blessés qui furent évacués le jour suivant vers un centre de soins aménagé près de la vallée d’ar-Raji’. Le premier Shahid à Khaybar fut Mahmoud Ibn Maslamah qui succomba trois jours plus tard à sa grave blessure après l’offensive sur le fort Na’im.

 

Pendant ce premier jour, aussi où les Musulmans rencontrèrent beaucoup de difficultés, un des Compagnons Ansar, al-Houbab Ibn al- Moundir, remarqua que l’emplacement du poste de commandement du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) n’était pas stratégiquement disposé.

Avant de tirer cette conclusion, il inspecta d’abord les lieux et remarqua que les forts d’an-Natat se trouvaient très élevés de ce côté-là et que le camp des Musulmans était installé sur un terrain découvert si bien que les flèches de l’ennemi l’atteindrait facilement. De plus, ce terrain était infectieux à cause des palmiers et de l’abondance des eaux qui étaient aussi des sources d’épidémie. Après ses observations, il alla faire part de son inquiétude au Messager de d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) en lui disant :

- « O Messager d’Allah, tu as campé ici ! Si c’est un ordre d’Allah, je ne dirais rien mais si c’est une idée de toi, je peux parler. »

- « C’est plutôt une idée, » lui répondit le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

- « O Messager d’Allah, tu t’es trop rapproché du fort et tu as installé le camp entre les palmiers et les sources d’eau. De plus, je connais les habitants d’an-Natat. Ils sont très habiles dans le tir à l’arc et de ce côté, ils ont une position idéale. Enfin, je crains une attaque de nuit. O Messager d’Allah, je te demande de déplacer ton camp loin des infections et des flèches. »

 

Le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) adopta aussitôt la proposition de son compagnon en lui disant : « C’est une bonne idée. Nous changerons la place du camp après la tombée de la nuit. »

Puis tout en poursuivant le combat, il demanda le Compagnon très connu Muhammad Ibn Maslamah, le chef de sa garde et lui demanda de chercher un autre emplacement pour le camp de l’armée en l’informant de ce qui avait dit al-Houbab.

 

Muhammad Ibn Maslamah passa immédiatement à l’action, laissa le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) dans la bataille et revint un peu plus tard pour lui dire qu’il avait trouvé l’endroit idéal près de la vallée d’ar-Rajî’[11].

 

A la tombée de la nuit, après la fin des combats, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) donna l’ordre aux troupes de lever le camp et d’aller le placer à l’endroit choisi, près de la vallée d’où partirent désormais les combattants musulmans pour les forts d’an-Natat et ne revenaient qu’à la tombée de la nuit après avoir combattu toute la journée. C’était là aussi où furent soignés la cinquantaine de blessés du premier jour des hostilités.

 

D’autre part, pendant le siège du fort Na’im, un esclave Abyssin des Juifs se convertit à l’Islam après avoir rencontré le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) puis mourut au combat juste après sa conversion sans même avoir accompli une seule Sajdah. Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) dit alors que ce martyr avait été accepté au Paradis.

 

Les livres d’histoire ont retenu le nom de cet esclave abyssin qui appartenait à ‘Amir, l’un des cinq seigneurs de Khaybar, qui s’appelait Aslam et était un berger. Quand il vit les Juifs se préparer à la guerre, il demanda ce qui se passait. On lui avait répondu alors qu’ils allaient livrer combat contre celui qui se prétendait être prophète.

 

Lorsque le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) arriva avec ses compagnons près de Khaybar, cet Abyssin vint le trouver et lui dit : « O Muhammad, que dis-tu donc, et à quoi appelles-tu les gens ? »

- « J’exhorte les gens à embrasser l’Islam, que tu attestes qu’il n’y a de divinité qu’Allah et que je suis le Messager d’Allah ainsi que tes prières ne soient que pour Allah. »

- « Et que gagnerais-je si j’atteste cela et si je crois en Allah Tout-Puissant et Très-Haut ? »

- « Tu auras le Paradis si tu meurs Musulman. »

Sur ces paroles seulement, il embrassa l’Islam.

Ensuite, cet Abyssin dit au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) : « O Messager, ces moutons (parce qu’il était venu avec son troupeau) sont un dépôt chez moi. Que dois-je en faire ? »

- « Fais-les sortir du camp puis éloigne-les avec des pierres et en criant, ils retrouveront leur maitre, par la volonté d’Allah Tout-Puissant et Très-Haut. »

Ce qu’ils firent exactement comme dit le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

Quand cet Abyssin, devenu Musulman vit ‘Ali Ibn Abou Talib aller au champ de bataille, il l’accompagna et combattit jusqu’à ce qu’il fut tué par les Juifs. Ramené au camp, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), en le voyant mort dit alors : « Allah Exalté a honoré cet esclave en le guidant au bien. J’ai vu près de lui deux Houris, bien qu’il n’a pas accompli une seule Sajdah[12]

 

La chute du fort Na’im

 

Les assauts répétés et les âpres batailles qui se s’ensuivirent devant ce fort prouvèrent que ses défenseurs étaient de puissants et courageux guerriers, conduits par les non moins célèbres et courageux frères Marhab, Yassa et al-Harith.

 

Malgré ce courage et cette abnégation à défendre le fort, malgré la fatigue des Musulmans à cause de la résistance violente des Juifs, et malgré la fièvre et les risques d’infection, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) demanda à ses combattants d‘accentuer la pression et de resserrer davantage le siège car ce fort était la première ligne de défense de Khaybar. Il envoya à cet effet détachement après détachement mais à chaque fois le résultat fut le même.

 

L’auteur d’Imta’ al-Asma, a rapporté : « Il (le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam)) donna l’étendard à un Mouhajir qui revint après du champ de bataille sans résultat. Il le donna encore à un autre Mouhajir qui revint aussi sans résultat. Il confia l’étendard des Ansar à un Ansari mais ce dernier retourna plus tard du champ sans avoir pu changer le rapport des forces.

« Chaque fois qu’une attaque musulmane se déclenchait, les Juifs sous le commandement d’al-Harith Abou Zaynab (le frère de Marhab) la brisaient aussi promptement qu’elle avait commencé. Son aide ‘Oussayr, l’autre chef militaire sortait devant les murs des forts pour repousser l’avancée des Musulmans, à tel point que la situation préoccupa le Messager d’Allah (sallallahou ‘aleyhi wa sallam). »

 

La mort de Marhab

 

Dans al-Bidayah wa an-Nihayah[13], Ibn Kathir a rapporté : « Le Juif Marhab sortit devant son fort pendant le siège et avait lanca le duel en narguant les Musulmans avec de la poésie. ‘Amir Ibn al-Akwa’ répondit le premier à ce défi en répondant aussi d’abord avec de la poésie. Mais l’issue du combat qui s’ensuivit tourna en faveur du Juif et ‘Amir succomba à la blessure qu’il s’infligea (involontairement) lors du duel[14]. »

 

Quant à la mort de Marhab, les historiens se divisèrent à propos d’elle.

Le premier groupe dont Muhammad Ibn Ishaq et Moussa Ibn Ouqbah dit que ce fut Muhammad Ibn Maslamah qui tua le chef juif pour venger la mort de son frère Mahmoud Ibn Maslamah[15]. 

Le second groupe dont al-Waqidi dit que ce fut plutôt ‘Ali Ibn Abou Talib qui le tua après qu’il fut blessé à mort par Ibn Maslamah.

Quant au troisième groupe d’historiens, ils dirent que ce fut ‘Ali Ibn Abou Talib, après un duel.

 

Nous ne rapporterons ici que le témoignage d’al-Bayhaqi : « Lorsqu’il (le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam)) arriva à Khaybar, il ne sortit pas (de sa tente) car il avait un mal de tête. Pendant ce temps, Abou Bakr prit le drapeau et alla combattre, mais il revint sans changement notable de la situation. Il fut remplacé par ‘Umar Ibn al-Khattab, mais ce dernier ne put la changer non plus. Devant cette situation, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) dit : «Je vais le (l’étendard) confier demain à quelqu’un qui aime Allah et Son Messager et qu’Allah  aime ainsi que Son Messager. Et il va le prendre de vive force. »

Le lendemain matin, ‘Ali Ibn Abou Talib se présenta près du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), prit l’étendard et se dirigea vers le fort devant lequel il tua Marhab et pris enfin la place. »

 

Voici un résumé des différents témoignages concernant la mort de Marhab ou il apparait que ce fut ‘Ali qui tua ce chef juif dans un duel. Cet avis est renforcé par le témoignage de l’Imam Mouslim[16]  (même si ce dernier n’avait pas rapporté les essais infructueux d’Abou Bakr et de ‘Umar Ibn al-Khattab) et celui de l’Imam al-Boukhari qui n’ont cité que le discours (précédent) du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam)[17].

           

Malgré l’élimination du commandant en chef Marhab par ‘Ali, la résistance juive se poursuivit sous la direction de Yassir, le frère de Marhab qui organisa la défense du fort après la mort de son frère, remonta le moral des troupes et les encouragea à redoubler d‘efforts. Mais son courage et son audace le tuèrent dans un duel avec az-Zoubayr Ibn al-‘Awwam devant le fort.

En effet, lorsque Yassir vit que la résistance de ses troupes persistait, il sortit devant le fort, planta sa lance et lança le défi habituel aux Musulmans. Ce fut az-Zoubayr Ibn al-‘Awwam qui lui répondit et livra un duel acharné qui se termina par la victoire du Musulman[18].

 

Enfin, selon Zad al-Mi’ad, deux autres chefs militaires furent tués devant ce fort. Le premier du nom de ‘Amir par ‘Ali Ibn Abou Talib et l’autre par Muhammad Ibn Maslamah.

Après la mort de cinq chefs du fort Na’im, Marhab, al-Harith, ‘Amir, Asir et ‘Oussayr, la résistance des défenseurs Juifs s’effondra complètement suite à quelques pressions et quelques attaques exercées ci et là et le fortin ouvrit ses portes aux Musulmans.

 

Juste avant la chute de ce fort, un Juif fut capturé près du camp par la patrouille de nuit commandée par ‘Umar Ibn al-Khattab qui donna l’ordre de l’exécuter mais le Juif s’interposa en dit : « Ramenez-moi chez votre Prophète. J’ai à lui parler. » ‘Umar Ibn al-Khattab revint alors sur sa décision et l’emmena au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

 

Sous la tente, il révéla au Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) des informations très importantes sur la situation qui régnait dans les rangs juifs. Voici l’essentiel de l’entretien :

- « Qu’est-ce que tu as à dire et qui es-tu ?, » lui demanda d’abord le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) avant de lui assurer sa protection à la condition que ce dernier dise la vérité.

- « Je viens de sortir du fort an-Natat, » dit le juif qui s’appelait Sammak[19], « j’ai laissé les gens sans aucune organisation et qui sont en train de fuir le fort cette nuit. »

- « Et où se dirigent-ils ? »

- « Vers ash-Shaq (une zone fortifiée se situant dans la première partie de Khaybar). Ils sont terrorisés de te voir les encercler. Et puis, ce fort[20] contient des armes et des vivres. En plus, il y a un instrument de combat qu’ils utilisaient dans leurs conflits internes et qu’ils cachent maintenant dans une pièce sous terre. »

- « Quel est cet instrument ? »

- « Une catapulte, deux chars et d’autres armes. Si tu y entres demain et tu y entreras... »

- « Si Allah Exalté le veut, » interrompit le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

- « Si Allah Exalté le veut, » reprit Sammak, « je te montrerai cette cache car aucun des juifs, à part moi, ne connait son emplacement. Tu extrairas cet armement et je te monterai la catapulte que tu utiliseras, ainsi que les deux chars pour creuser sous le fort afin que tes hommes puissent y entrer facilement. Tu feras la même chose avec le fort al-Katiba. »

- « O Messager d’Allah, » intervint ‘Umar Ibn al-Khattab : « je crois qu’il dit la vérité. »

- « O Messager d’Allah, épargne ma vie » dit aussitôt le Juif.

- « (N’aie pas peur), tu es sous ma protection,) assura le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

- « J’ai aussi ma femme dans le fort an-Nazzar. Laisse-la-moi. »

- « Elle est à toi, » dit le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) « mais pourquoi les Juifs déplacent-ils leurs enfants d’an-Natat ? »

- « Ils l’ont vidé pour le combat, » répondit le Juif.»

A la fin de l’entrevue, le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) invita le juif à embrasser l’Islam mais ce dernier demanda un temps pour réfléchir.

 

Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) le laissa libre de ses mouvements et ne le rappela qu’après la chute du dernier fort (an-Nazzar). Ce juif, Sammak ne se convertit alors à l’Islam qu’après avoir eu sa femme auprès de lui.

 

Ainsi après de longues et dures batailles autour du fort Na’im, les Musulmans sous le commandement de ‘Ali Ibn Abou Talib purent arracher la victoire avec l’occupation de cette véritable citadelle, après quinze jours de résistance de la part des défenseurs juifs. Et sa chute ouvrit les portes de la victoire finale des Musulmans. Si tous les Juifs ne se rendirent pas à l’annonce de cette première victoire musulmane, ils ressentirent toutefois une profonde impuissance et amertume à la perte de ce fort qu’ils considéraient la plus importante de toutes les forteresses de la région.

 

Si tous les historiens s’accordèrent à dire que les combats furent violents et qu’ils durèrent plus de quinze jours, aucun ne rapporta le nombre des pertes dans les rangs de chaque camp excepté les trois Musulmans, Mahmoud Ibn Maslamah, ‘Amir Ibn Sinan Ibn al-Akwa’ et l’abyssin esclave ; et les cinq chefs Juifs Marhab, Yassir, al-Harith, ‘Amir et ‘Oussayr.

 

Cela ne veut pas dire qu’il n’y eut pas d’autres pertes lors du siège d’an-Na’im. Au contraire, plusieurs indices nous mènent à la conclusion qu’il y eut plus de pertes que celles citées par les historiens, par exemple, parmi les cinquante blessés musulmans lors de la première journée d’affrontements et celui de la dernière journée où les Juifs continuèrent à lutter même après l’entrée des Musulmans dans le fort.




[1] Ibn Sa‘d, at-Tabaqat al-Koubra, t.II, p.106.              

[2] Maghazi al-Waqidi, t.II, p.640.

[3] As-Sirah al-Halabiya, t.II. p.175, et Moukhtassar Maghazi al-Waqidi, p.312.

[4] Sirah Ibn Hisham, t.II, p.330 et as-Sirah al-Halabiya, t.II, p.175.

[5] As-Sirah al-Halabiya, t.II. p.175.

[6] Al-Bidayah wa an-Nihayah, t.IV, p.181, Moukhtassar al-Waqidi, p.312, et as-Sirah al-Halabiya, t.II, p.175.

[7] Zad al-Mi‘ad, t.II, p.328.[7]                             

[8] As-Sirah al-Halabiya, t.II. p.159, 160.

[9] Sahih al-Boukhari, t.V, p.220.

[10] Imta’ al-Asma, p.p.312, 313.

[11] Ar-Raji’, une vallée près de Khaybar.  A ne pas confondre avec ar-Raji’, le point d’eau situé entre La Mecque et at-Ta'if où les mécréants Hazli tuèrent traîtreusement les cinq compagnons du Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam).

[12] As-Sirah al-Halabiya, t.II. p.163, Maghazi al-Waqidi, t.II, p.649 et Zad al-Mi’ad, t.II, p.329.

[13] T.IV, p.187.

[14] Voir aussi Sahih Mouslim.

[15] Sirah Ibn Hisham, t.II, p.334.

[16] Sahih Mouslim, t.V, p.195.

[17] Sahih al-Boukhari, t.V, p.379.

[18] Sirah Ibn Hisham, t.2, p.334, Imta’ al-Asma’, p.312, as-Sirah al-Halabiya, t.2. p.163, Zad al-Mi’ad, t.2, p.329.

[19] Maghazi al-Waqidi, t.2, p.647.

[20] D’après les historiens, il s’agit du fort « as-Sa’d Ibn Mou’ad. »