Turquie

 

Les Turcs se réveillèrent tôt à la dure réalité de leur déclin par les coups durs qu’ils reçurent dans les deux guerres avec Catherine II de Russie (1182-1188 et 1201-1206 (1768-74 et 1787-92)).

 

Le Sultan Salim III, un dirigeant éclairé, s’efforça de moderniser ses forces armées et d’acquérir les arts militaires qui étaient utilisés par ses ennemis pour humilier le Grand Empire Ottoman. Il introduisit également de nombreuses autres réformes mais fut déposé par les janissaires, le corps militaire d’élite. Son successeur, Mahmoud II put détruire les janissaires en 1241 (1826) et introduire ainsi des réformes militaires. Malgré toute cette modernisation, la désintégration de l’Empire se poursuivit. La Turquie perdit plus de territoire au profit de la Russie et la Grèce se détacha après avoir obtenu son indépendance.

 

Dans l’atmosphère générale de la réforme, les institutions religieuses subirent également des changements, mais il n’y a pas eu en Turquie de réexamen introspectif et de réforme de la théologie comme dans les pays arabes. Ici, la fonction religieuse faisait elle-même partie de l’état. Il y avait un Sheikh al-Islam ou chef des ‘oulémas, qui donnait des fatwas ou des jugements religieux, dirigeait les tribunaux dans lesquels la justice était rendue conformément à la Shari’ah et maintenait des écoles religieuses dans lesquelles le Fiqh ou la jurisprudence apprenait à former le personnel des tribunaux. La religion officielle de l’état était l’Islam (sounnite), tandis que l’école de jurisprudence hanafite et la théologie Matouroudi étaient suivies. Les hommes de religion étaient fermement ancrés dans le système et n’avaient ni l’esprit ni la volonté de se rebeller.

 

C’est de sources laïques que vint l’initiative de la réforme des institutions religieuses. De vastes réformes furent entreprises sous le règne du Sultan ‘Abd al-Majid lorsqu’une série de lois appelées Tanzimat furent adoptées de 1254 à 1277 (1838 à 1861). Cela commença avec le Khatt-e-Sharif ou Noble Re-script de Sha’ban 1254 (novembre 1838) qui accorda la première charte impériale des libertés civiles. Cela fut suivi par d’autres innovations importantes dans le corpus de droit islamique existant, comme le Code de commerce promulgué en 1850. Un Ministère d’Awqaf fut créé pour prendre en charge toutes les fondations religieuses et un Ministère de la Justice pour gérer les tribunaux. Tout cela dans un effort pour relever le défi des temps modernes en entreprenant le nécessaire Ijtihad ou pensée positive et progressiste, pour la solution des nouveaux problèmes auxquels le peuple musulman était confronté. En cela, les Turcs furent les pionniers du monde musulman mais cela ne changea rien comme toute les fois où il fut question d’abolir le Din des Salaf.

 

Sous le règne du Sultan ‘Abd al-‘Aziz, la Turquie eut la malchance d’avoir de vils hommes d’état comme ‘Ali Bacha, Fouad Bacha et Medhat Bacha qui menèrent de vastes réformes administratives, éducatives et juridiques dont le plus important était le Mejelle ou Code civil (1870-77) qui fut rédigé en grande partie par l’éminent sommité juridique, Ahmad Judet, qui passa des rangs des ‘oulémas pour devenir un homme d’état. Le Mejelle impliquait une application encore plus grande de l’ijtihad et l’abandon du taqlid ou de la conformité parce qu’il entraînait une modification du droit de la preuve et du droit des obligations. Est-ce que cela entraina des changements ? Rien de tout cela.

 

Medhat dépose le Sultan

 

Cependant, lorsque Medhat Bacha trouva le Sultan ‘Abd al-‘Aziz opposé aux idées démocratiques, il déposa le Sultan et organisa l’accession du Sultan ‘Abd al-Hamid II au trône. En tant que chef du Parti réformiste, Medhat Bacha put rédiger une Constitution et la faire promulguer par le Sultan en Dzoul Qi’dah 1293 (décembre 1876).

 

La Constitution accordait la liberté de l’individu, la liberté de conscience et de presse, l’égalité fiscale et un système parlementaire de gouvernement. La Turquie eut la distinction d’avoir le premier parlement parmi les nations musulmanes, mais ce fut de très courte durée car le Sultan abolit la constitution, prorogea le parlement et congédia Medhat Bacha en février 1877. Medhat se réfugia à Paris chez ses maitres où il fut rejoint par de nombreux turcs.

 

Pendant ce temps, en Turquie, le mouvement de réforme s’arrêta et une réaction massive apparue sous la forme de la renaissance des ordres mystiques ou tariqas, dont certains se répandirent depuis les territoires nord-africains de l’Empire Ottoman. La promotion de la religion traditionnelle et la condamnation du matérialisme furent encouragées.

 

Cependant, en 1896, Medhat Bacha pu former le mouvement des Jeunes Turcs à Paris et un autre en grand secret en Turquie ou ils purent élever le niveau de la révolte à Resna en Macédoine et forcer le Sultan à restaurer la Constitution de 1876. Plus tard, le Sultan fut déposé et remplacé par Muhammad V.

 

Le gouvernement des Jeunes Turcs, cependant, subit de graves revers lors de la Première Guerre des Balkans et la Turquie, à nouveau, par la force des circonstances, se retrouva du côté des perdants de la Première Guerre mondiale. À la fin de la guerre, les Alliés démembrèrent complètement l’Empire Ottoman par le traité de Sèvres (1920) que les Turcs devaient signer. En plus d’avoir subi leur plus grande défaite de l’histoire, les Turcs vécurent également l’expérience traumatisante de trouver des soldats apostats arabes et indiens combattant contre eux dans les armées britanniques.

 

Les agents secrets britanniques, comme Lawrence d’Arabie, avaient préparé la révolte arabe contre les Turcs. Il y eut un tollé dans le monde musulman contre le démembrement de l’Empire Ottoman parce que le Sultan était aussi le calife des Musulmans du monde entier. Une agitation féroce contre les Britanniques fut lancée par les Musulmans d’Inde pour condamner l’éclatement du califat et même en Indonésie, il y eut une manifestation publique de soutien au Califat. Mais les Turcs étaient tellement désillusionnés par ce qu’ils vécurent pendant la guerre qu’ils déclarèrent la Turquie république en octobre 1923 et, en mars 1924, abolirent le califat.

 

Avec l’émergence d’Atatürk, en tant que président de la République, une nouvelle ère de l’histoire turque commença - une ère de nationalisme turc contre l’internationalisme islamique ; de la laïcité contre le gouvernement islamique et de l’occidentalisation contre l’orientalisme.

 

Les idées nationalistes furent promues par une toute nouvelle littérature qui commença à apparaître dans le langage simple du peuple et sur des sujets portant sur le présent vivant.

 

L’idéologue principal, cependant, du nouveau nationalisme renaissant était Zia Gokalp (1875-1924) qui écrivit Principes du nationalisme turc. Il souligna les liens raciaux et culturels communs de leur passé islamique à leurs racines turques. Il préconisa l’utilisation de mots turcs purs, l’utilisation du turc dans l’éducation et même dans les appels à la prière, plaida pour les droits civils des femmes et un nouveau code juridique. Il familiarisa les Turcs avec la philosophie des droits naturels et du contrat social. Il développa un système de philosophie qu’il appela idéalisme social dans lequel l’histoire était interprétée en termes spiritualistes par opposition à matérialiste. Il rejeta les philosophies individualistes de la société et plaça la société comme un tout transcendantal au-dessus de l’individu. En d’autres termes, il développa une philosophie collectiviste qui pourrait former la base du nouveau nationalisme turc.

 

Les forces laïques et nationalistes d’Iblis triomphèrent et le nationalisme turc se développa selon des principes séculiers. L’aspect islamique de la vie turque continua sans doute mais il fut relégué au secteur privé et dénigré à cela. Certaines des mesures prises à cet égard furent : l’abolition du Califat en mars 1924 ; la dissolution des ordres religieux soufis ou tariqas en 1925 et la fermeture de leurs lieux de rencontre appelés Tekkes, ainsi que de tous les sanctuaires et écoles religieuses ; le remplacement des tribunaux de la Shari’ah appliquant le Droit Canonique de l’Islam, en 1926, par des tribunaux civils et l’adoption d’un code civil basé sur le Code suisse ; l’amendement de la Constitution en 1928 pour supprimer la clause déclarant que « la religion de l’état turc est l’Islam » ; et l’établissement de la laïcité comme l’un des six principes cardinaux de l’état ; le remplacement de l’alphabet arabe par le latin en 1933 et l’utilisation du turc dans l’appel à la prière au lieu de l’appel arabe universellement utilisé et familier ; et enfin l’adoption d’une loi en 1938 interdisant la formation de sociétés ou de partis et, plus tard encore, l’ajout de sanctions dans le code pénal pour violation du principe de « laïcisme. » De 1923 à 1946, les Turcs ne furent pas autorisés à faire le Hajj (pèlerinage à La Mecque).

 

Le fait est que les vastes masses de Turquie, qui sont principalement des populations rurales vivant sur le plateau anatolien, sont solidement islamiques et il n’y a qu’une petite minorité de modernistes sceptiques, la cinquième colonne, qui vivent dans les villes et qui sont si bruyants qu’ils figurent en bonne place dans presse et autres forums publics. Sinon, de la naissance à la mort, le Turc moyen suit les mêmes pratiques religieuses de l’Islam que les autres Musulmans.

 

Voici maintenant la véritable histoire de la destruction du califat.