La Restructuration d’Istanbul en ville Ottoman-Turque

 

Après la conquête. Muhammad II ajouta le titre Kaiser à ses autres titres tels que Hakan (Khan), Sultan et Padishah. Comme le répètent les sources italiennes contemporaines, Muhammad II après avoir conquis Istanbul et l’avoir déclarée capitale, se considérait comme le successeur des Empereurs Byzantins. Il prévoyait de conquérir toutes les terres qui étaient auparavant soumises à l’Empire Byzantin, et de les incorporer à Istanbul en mettant en œuvre une politique strictement centralisatrice. Son plan comprenait des lieux en dehors de l’Anatolie et des Balkans qui étaient autrefois soumis à l’Empire Byzantin, comme le sud de la Crimée et le sud de l’Italie. D’un point de vue stratégique, la conquête d’Istanbul, le contrôle du Bosphore et des Dardanelles et la souveraineté en Anatolie, dans les Balkans, la Mer Noire et la Mer Égée marquèrent la véritable fondation de l’Empire Ottoman proprement dit.

Après la conquête, Muhammad II accepta le titre de « Sultan des Deux Continents et Khan des Deux Mers » et, en 858 (1454), envoya sa flotte vers la Mer Noire et la Mer Égée, demandant aux gouvernements locaux de la région de le reconnaître comme leur suzerain. De plus, il construisit deux forteresses des deux côtés des Dardanelles, le Kale-yi Sultaniye (Canakkale) et le Kilidulbahr, pour amener Istanbul à une position clé sûre reliant l’Anatolie et les Balkans. D’autre part, les forteresses d’Anadolu et de Roumélie devaient protéger Istanbul et le trafic entre ses deux rives d’une éventuelle attaque de la Mer Noire. Ces fortifications établirent pour la première fois un contrôle turc réel dans le détroit. Les Ottomans, sous le règne de Muhammad II al-Fatih et surtout sous celui de Bayazid II (886-918/1481-1512), entreprirent la construction d’une immense flotte, qui pouvait défier les Vénitiens, la grande puissance maritime contrôlant la Méditerranée. Au cours du XVIe siècle, les Ottomans accomplirent avec succès cette tâche.

 

Le contrôle de la Mer Égée et de la Mer Noire et la sécurité du détroit étaient d’une importance vitale pour l’approvisionnement d’Istanbul. Pendant la période byzantine, le gouvernement dû laisser le contrôle de la Mer Noire et de la Mer Égée aux Génois et aux Vénitiens, et le détroit était devenu un passage libre pour tous. La ville était donc confrontée à des difficultés pour se procurer les vivres nécessaires et était devenue totalement dépendante du pouvoir discrétionnaire des Italiens en matière d’approvisionnement. Il convient de noter que le seul moyen de transport de marchandises telles que les céréales, la viande et le bois vers Istanbul était les routes maritimes, alors que le transport par voie terrestre était extrêmement difficile et coûteux. C’est le contrôle du gouvernement sur les routes maritimes qui permit à Istanbul de devenir l’une des plus grandes villes d’Europe sous domination ottomane au XVIe siècle. Riz, haricots et épices d’Egypte, blé, graisse et poisson mariné de Kefe, viande et céréales de Dobroudja, Belgorod-Dniestrovski (Akkerman) et Bogdan (Moldavie), bois et charpenterie du nord de l’Anatolie, fruits secs d’Anatolie occidentale, blé de Thessalie et Thrace, fruits et légumes de la région de Marmara furent tous transportés à Istanbul par voie maritime. En bref, c’est la position qu’Istanbul reprit en tant que centre d’un empire géant régnant sur « les deux continents et les deux mers » qui la conduisit à devenir l’une des plus grandes métropoles du monde à l’époque ottomane. Après 1453, la « Constantinople » Byzantine décéda et l’« Istanbul » Ottomane naquit.

 

La composition patrimoniale de la société ottomane dirigée par un souverain donna à la ville un caractère particulier. Les quartiers de la ville s’établirent autour des mosquées et les complexes socio-économiques qui les entourent, furent construits par le Sultan, par l’élite ou les notables du quartier. La destruction des murs et la conquête de la ville en 55 jours révéla le haut niveau de technologie et l’efficacité institutionnelle distinguée de l’Empire Ottoman à cette époque et prédestina son évolution en un empire mondial au cours du siècle suivant. L’historien roumain Nicolae Iorga décrivit le Conquérant d’Istanbul comme suit : « Pour lui, la victoire ne signifiait pas laisser d’énormes ruines derrière lui. Son objectif était plutôt de reconstruire systématiquement la ville conquise et de la recréer. »

 

Les campagnes militaires de Muhammad II al-Fatih en Roumanie ainsi qu’en Anatolie visaient à établir un empire centralisé, souverain des « deux continents et des deux mers. » Un autre objectif de Muhammad II était de co-reconstruire Istanbul en tant que ville métropolitaine et capitale digne de l’immensee. Il acheva l’infrastructure nécessaire à l’installation et à la subsistance des peuples, sans discrimination ethnique ou religieuse. La tradition ottomane bien développée de l’urbanisme, dont le succès auparavant prouvé dans les villes de Bursa et d’Edirne, fut maintenant mise à profit pour la restructuration d’Istanbul.

 

Ce point important a généralement été omis dans la littérature occidentale tout comme les bonnes qualités et accomplissements des Musulmans. On pense généralement que la ville islamique, et avec elle la ville ottomane, est une colonie amorphe, se développant par elle-même, sans plan au sol. Les détails suivants prouvent cependant que le contraire est vrai. Comme les anciennes villes grecques et romaines, les villes ottomanes furent construites autour d’une zone centrale planifiée, comprenant des édifices caritatifs et religieux et des marchés. La construction du « Bedestan, » considérée comme le cœur de la zone commerciale et industrielle de la ville, fut décidé en 860 (1456) Durant l’époque byzantine, ces bâtiments s’appelaient Basilica (Kaysariyya). Le premier Bedestan d’Istanbul, un bâtiment en forme de dôme où étaient vendus des textiles, des armes et des objets de valeur similaires, comprenait 140 magasins et « coffres forts. » Les marchands les plus aisés résidaient dans ce bâtiment sûr et envoyaient leurs agents dans des pays lointains par bateaux ou caravanes pour ramener des marchandises étrangères avec eux. Alternativement, ils conclurent des accords de partage des bénéfices appelés Mudaraba, avec les marchands itinérants qui étaient principalement engagés dans le commerce des caravanes.

 

En 898 (1493), les marchands du Bedestan se composaient de dix Arméniens, cinq Juifs, trois Grecs et cent vingt-deux Musulmans. Cependant, plus tard, cette composition changea en faveur des marchands non musulmans. Au cours des années suivantes, avec le développement du commerce, Muhammad II al-Fatih construisit le Sandal Bedestan (aujourd’hui utilisé pour les enchères publiques), où des tissus de soie étaient vendus. Comme dans toute grande ville ottomane, autour du Bedestan, les boutiques des Carsi étaient situées dans des allées parallèles aux quatre rues principales à partir des quatre portes du Bedestan. Les magasins vendant des turbans et autres, considérés comme les plus « nobles » selon la philosophie orientale, étaient situés le plus près du Bedestar. Les magasins les plus éloignés, au contraire, formaient le marché aux puces, où étaient vendus des objets d’occasion. Tous ces magasins constituaient ensemble le Grand Bazar ou Carsi (Bazar Couvert d’aujourd’hui).

 

En 894 (1489), le Grand Bazar comprend 641 boutiques, dont 33 cordonniers, 33 bottiers, 44 chapeliers, 50 couturiers et tailleurs, 76 bijoutiers et autres artisans. Au cours des années suivantes, le nombre de magasins atteignit un millier et les magasins furent couverts d’un toit, constituant ainsi le « Grand Bazar, » le centre commercial d’Istanbul.

Le deuxième plus grand complexe commercial avec 265 magasins, construit par le Mahmoud Bacha, Grand Vizir de Muhammad II al-Fatih, est situé à côté du Grand Bazar construit par le Sultan lui-même.

 

Toutes ces installations qui étaient louées à des marchands étaient organisées en Waqf (fondation pieuse) liées chacune à une mosquée. L’institution islamique du Waqf constitue la base de l’urbanisme ottoman et cette institution développa toutes sortes d’organisations sociales, économiques et caritatives. Waqf est la cession de biens meublés et immeubles à durée illimitée à une institution religieuse, au nom d’Allah, à Lui les Louanges et la Gloire. Le Waqf était géré selon une charte, assurant son fonctionnement ininterrompu. Un Waqf se composait de deux parties, la première partie étant l’institution caritative elle-même et la seconde partie les sources de revenus du Waqf. La première partie comprenait l’édifice religieux et autour de lui les fondations pieuses suggérées par la religion islamique : la Madrasa, la bibliothèque, l’hôpital, la cuisine publique pour les pauvres et les voyageurs, l’école primaire et la fontaine. La seconde partie était constituée de biens immobiliers générant des revenus, le bazar, l’arasta, le caravansérail, le han (auberge), les magasins, l’entrepôt, la salle des marchés et le bain public. Les salaires des fonctionnaires religieux et des employés ainsi que les frais de réparation du Waqf étaient payés sur les revenus de ces sources. On sait que Muhammad II al-Fatih organisa les magasins, les halles publiques, les auberges et les bains publics en tant que Waqf qui servaient de source de revenus aux Mosquées Sainte-Sophie et Fatih. Les loyers des maisons, églises, monastères et entrepôts laissés par les Byzantins furent également utilisés pour les travaux de construction comme Waqf. Les autres institutions commerciales liées aux mêmes fondations étaient les suivantes : Le Bey Caravansérail, les Halles à farine, les Halles aux fruits. Le dépôt de sel, la fabrique de bougies, la fabrique de savon, la maison de finition du textile, la tannerie, l’abattoir, la maison de teinture.

De plus, deux bains publics, 46 boucheries, 41 restaurants, 28 bozahares (les magasins de boza ?), des boulangeries et 2000 autres magasins tout autour de la ville furent inclus dans les Waqf de Muhammad II al-Fatih. 14000 pièces d’or, obtenues de diverses sources de revenus Waqf, furent affectées à la réparation de la Mosquée Sainte-Sophie et aux salaires de ses employés. Un architecte fut employé en permanence pour les travaux de sa réfection. Grâce à ces rénovations et à cet entretien, ce magnifique bâtiment survécut jusqu’à nos jours.

 

La construction des installations d’approvisionnement en eau alimentant en eau les mosquées et les maisons de la ville était considérée comme un devoir religieux. Dans ce but, Muhammad II al-Fatih rénova les anciens aqueducs byzantins et construisit les célèbres fontaines Kirkcesme. La mise en place de nouveaux quartiers autour d’une zone centrale planifiée se fit de la manière suivante : Tout d’abord, un groupe de personnes appelées communauté, qui avaient été soit exilés, soit étaient venus dans la ville de leur propre gré, furent installés dans une zone vide. Par exemple, deux communauté juives exilées d’Italie et d’Espagne, furent installés séparément sous des noms différents tels que les Catalans et les Siciliens (non pas comme les envahisseurs de la Palestine qui ont non seulement volés les terres de ses habitants mais les ont expulsés quand ils ne les ont tout simplement massacrés et cela dure jusqu’à nos jours. Cependant la délivrance est toute proche).

Au fil du temps, chacune de ces communautés créa un quartier séparé organisé autour d’un édifice religieux et les membres de ces communautés furent dispersés dans les quartiers juifs existants de la ville. L’intégration des communautés dans la ville était vraisemblablement un processus graduel.

 

Sous le règne de Muhammad II al-Fatih, Istanbul se composait essentiellement de trois unités administratives appelées Istanbul intra murale. Galata et Ayyoub (Haslar). Chaque zone était divisé en cantons (municipalités) administrés par les Na'ib (juges de substitution) et des Qadi. Les cantons se composaient à leur tour de district administrés par l’Imam (guide-prière) de la mosquée du district et l’intendant de la ville ou  le représentant des habitants du district.

L’expansion des districts fut lancée par des particuliers plutôt que par l’état. Les quartiers se sont développés autour d’une mosquée construit majoritairement par un riche, un marchand ou un artisan.

Conformément à la règle du respect de la vie privée de la religion islamique, l’état n’intervenait pas directement dans le quartier, considéré comme relevant du domaine de la vie privée. Les affaires quotidiennes du district étaient traitées par l’Imam ou le représentant local.

 

La population de 160 villages autour de la ville, située dans la zone s’étendant des rives européennes du Bosphore à la Mer Noire et Ayyoub fuit ou fut asservie pendant le siège. Dans les conditions qui prévalaient, la production faite dans ces villages avait une importance profonde pour l’alimentation de la ville et il fallait donc les peupler immédiatement. La stratégie de Muhammad II al-Fatih pour la mise en valeur de ces villages fut la suivante :

Il installa d’abord de force les Yoraks dans certains de ces villages. Une centaine de villages étaient peuplés de villageois grecs et serbes, qui avaient été faits prisonniers lors de ses campagnes militaires dans les Balkans. Ces villageois reçurent le statut métayers puisqu’ils étaient considérés comme des prisonniers de guerre et furent contraints de devenir des métayers travaillant sur des terres appartenant à l’état.

 

Muhammad II le Conquérant construisit d’abord le complexe et les infrastructures attachées à la Mosquée Sainte-Sophie. Puis en 867 (1463), conformément à la tradition ottomane de la construction de la ville, il ordonna la construction d’une Mosquée et d’un Complexe Sultanesque en son propre nom. Les bâtiments des pieuses fondations de ce complexe, achevé en huit ans, s’étendent sur une superficie de 100000 m2. Le complexe comprenait une mosquée, huit grandes et huit petites madrasas des deux côtés de la mosquée, un hospice d’hiver chauffé, une cuisine publique et maison d’hôtes, un hôpital, une école primaire et une bibliothèque. De plus, des maisons pour les ‘Ulémas (érudits en théologie) furent construites autour du complexe.

Les installations mises en place comme source de revenus pour les fondations pieuses comprenaient un grand bazar (le Bazar Sultan) avec 280 magasins, une salle des selliers avec 110 magasins entourés d’un mur et deux Hammams (le Hamam Chukur et le Hamam Irgatlar). Au nord, il y avait le marché aux chevaux et les écuries. Au sud de Sarachane, de nouvelles casernes pour les janissaires furent construites. Le revenu annuel du complexe provenant de diverses sources atteignit 1321219 akfas (environ 32000 pièces d’or). Le nombre de fonctionnaires, dans la mosquée et dans les autres fondations pieuses qui recevaient leurs pensions du Waqf de Fatih était de 383. De plus, les théologiens et les soldats invalides touchaient des pensions sur ces revenus, Outre la nourriture gratuite cuisinée à l’Imaret (cuisine publique), 3300 miches de pain furent distribuées gratuitement par jour. En bref, ces installations constituaient le cœur d’une ville ottomane typique, offrant toutes sortes de services religieux, sociaux et économiques. Les emplacements des installations byzantines à l’intérieur d’Istanbul intra mural restèrent en général inchangés pendant la période ottomane.

 

Les sections Bedestan et Grand Bazar de la ville, par exemple, avaient également les mêmes fonctions pendant la période byzantine. L’hippodrome des Empereurs Byzantins fut transformé en Atmeydani de la période ottomane, où des spectacles et des spectacles étaient organisés lors d’événements tels que les mariages, les circoncisions ou les lancées de javelot. L’Un-kapani, lieu de la région portuaire de la Corne d’Or, utilisé pour le pesage et la distribution de farine, avait la même fonction à l’époque byzantine. Cependant, la ville d’Ayyoub, au-delà des murs de la ville, était de ses racines établie en tant que ville turque. Ici, un mausolée, une mosquée et un complexe imaret (cuisine publique) construits par Muhammad II al-Fatih près de la tombe du Compagnon du Prophète Muhammad (sallallahou ‘aleyhi wa sallam), Aba Ayyoub (radhiyallahou ‘anhou) se développèrent avec le temps pour devenir une ville ottomane typique. Les premiers habitants de cette ville furent amenés de force de la ville de Bursa. Plus tard, Aba Ayyoub commença à être considéré comme le patron d’Istanbul. A l’image des villes saintes européennes du Moyen Âge qui s’établissaient autour des tombes des saints, la ville d’Ayyoub devint un point de visite pour tout le Monde Islamique et acquit un caractère unique.

 

En 863 (1459), les Vizirs du Sultan commencèrent, sur ses ordres, à construire des complexes similaires dans d’autres parties de la ville et les nouveaux quartiers d’Istanbul se développèrent autour de ceux-ci. Les complexes les plus importants construits par et après Muhammad II al-Fatih pendant le règne de Bayazid II, étaient les complexes de Mahmoud Bacha, Mourad Bacha, Ahmed Bacha Gedik (Kadik), Mustafa Bacha, Ibrahim Bacha Chandarli et Khadim ‘Ali Bacha. Avec le temps, des nouvelles municipalités émergèrent autour de ces complexes, qui fournirent à la ville des mosquées, des madrasas, des écoles, des imaret et d’autres services religieux et sociaux et en l’an 905 de l’Hégire (1500), les 12 cantons d’Istanbul avaient déjà vu le jour. L’Istanbul intra mural, qui couvre une superficie de 13 km2, ne peut être considérée comme une ville prototypique organisée en cercles concentriques autour d’un centre-ville. La ville s’est plutôt développée en diverses municipalités au sein de cette immense zone, autour des complexes construits par le Sultan ou ses Vizirs. Chaque canton avait un grand complexe au centre et les quartiers se développaient à leur tour autour d’une mosquée, d’une église ou d’une synagogue. Ainsi, ces complexes reflètent un ordre patrimonial et hiérarchique dans la constitution de la ville. Aucun Vizir ne pouvait construire des complexes plus grands que ceux du Sultan.

Les gens ordinaires n’étaient autorisés à construire des mosquées que dans les districts. Si nous devons attribuer un « centre » à la ville d’Istanbul, ce centre devrait probablement être la région portuaire de la Corne d’Or et le marché où se trouvait le Grand Bazar.

La région du Port, point d’arrivée de la nourriture et d’autres marchandises par la mer et l’emplacement d’immenses halles commerciales et de peseuses, et le Grand Bazar, le point final des caravanes, étaient reliés entre eux par des rues parallèles. Les magasins étaient situés des deux côtés de ces rues comme à l’époque de l’Empire Byzantin, cette région était la zone commerçante la plus distincte et le centre d’Istanbul ottomane, comme c’est encore le cas aujourd’hui.

 

La ville islamique, comme la ville de l’Antiquité, semble se composer de deux parties. La vie économique et sociale de la ville se concentre autour du temple principal et du marché principal, qui ont tous deux un caractère hautement planifié et organisé. Au-delà des complexes se trouvent les quartiers situés au hasard, où vivent les habitants de la ville. On peut dire que l’Istanbul ottomane proprement dite apparue sous le règne de Bayazid II, lorsque la population de la ville atteignait probablement 200000 habitants dans ses 12 districts. L’Istanbul intra mural était la véritable zone métropolitaine de l’époque.

Uskudar, le point final des caravanes venant d’Asie, Galata et Ayyoub (Haslar), constituaient des villes séparées. Au XIXe siècle, la région de Galata-Pera se développa rapidement vers le nord et éclipsa le vieil Istanbul. La transformation de la zone de villégiature d’été existante le long des rives d’Uskudar-Kadikoy et de Pendik en une ville métropolitaine dû attendre la période 1369-1440 (1950-1990). Cependant, la fonction de la zone commerciale Istanbul-Galata en tant que centre de la ville ne changea pas avec aucun de ces développements.

 

Sans aucun doute, c’est Muhammad II al-Fatih qui jeta les bases de la ville turque d’Istanbul. Comme le dit la Charte : « Ce qui compte vraiment, c’est de donner naissance à une ville et d’accorder ses habitants. » Ces mots reflètent l’objectif fondamental de la tradition ottomane bien établie de l’urbanisme, qui reposait sur l’institution du Waqf.

 

Galata

 

Le 23 Joumadah al-Oula 857 (1er juin 1453), la région de Galata, avec la plupart de ses habitants et des bâtiments importants, passa sous la domination ottomane, après avoir obtenu un ahdname (un document écrit conférant au porteur certaines immunités) par le Sultan Muhammad II. Avec ce document, les habitants de Galata se virent octroyer un aman (la sécurité), ce qui signifie que leur vie et leurs biens étaient garantis par le Sultan conformément aux règles de la religion islamique. Ce document cependant, n’est en aucun cas un document accordant un droit d’autonomie en matière intérieure, comme cela fut généralement suggéré par les étrangers d’Europe et des Levantins au XIXe siècle. Après la soumission de Galata, le Sultan nomma immédiatement un voïvodat (gouverneur) et un Qadi, établissant ainsi la domination ottomane directe dans la ville.

 

Pendant la période de l’Empire Byzantin, les Génois avaient transformé Galata en une colonie génoise indépendante en encerclant la ville avec de solides murs de la ville. Sous le règne des Ottomans cependant, ce statut de la ville changea complètement. Selon le recensement ottoman de 859 (1455), la population non musulmane de Galata se composait de trois catégories. La première catégorie comprenait les marchands génois et vénitiens qui vivaient temporairement dans la ville. La deuxième catégorie comprenait les génois natifs qui acceptèrent la nationalité ottomane et la troisième et dernière catégorie était composée des Grecs, des Juifs et des Arméniens installés dans la ville depuis l’époque des Génois. Les marchands génois avaient obtenu des garanties de résidence et de commerce et le reste du peuple génois devint soumis aux Ottomans, comme les autres peuples Dhimmis, sujets non musulmans de l’Empire.

 

Muhammad II al-Fatih accorda une importance particulière à ce que Galata reste un port commercial très actif, comme par le passé. Avec cet objectif en tête, il déclara que les habitants qui quittaient la ville se verraient restituer leurs maisons et leurs biens s’ils revenaient dans les trois mois. Le recensement de 859 (1455) indique que certaines personnes revinrent effectivement. Les riches génois et les grecs constituaient une part importante des fugitifs. Il n’y avait que deux Arméniens parmi eux et aucun Juif.

 

De toute évidence, les Juifs, les Arméniens et les Grecs, qui étaient contre le gouvernement génois, jouèrent un rôle important dans la soumission de la ville aux Ottomans. Avec l’augmentation de la population et la création de nouveaux quartiers à l’époque génoise, de nouveaux murs furent construits autour de la ville, transformant ainsi Galata en une forteresse à cinq sections. Le Sultan ordonna que certaines parties des murs de terre de Galata soient partiellement démolies pour des raisons de sécurité. Cependant, la ville conserva fondamentalement sa topographie de l’époque génoise. Le noyau génois initial de la ville, la zone entre Azep-kapi et Karakoy, s’étendit au fil du temps vers la Grande Tour et est resté la zone commerciale la plus animée de Galata pendant la période ottomane. Cette section de la ville comprenait la Vieille Logia et la Nouvelle Logia des Génois et les principales églises des Latins telles que St Michael, St Francis, St Anne, St Mary, St Domenic et St Zani. Les Juifs étaient installés dans la région de Karakoy-Yuksekkaldirim à l’est des premiers remparts de la ville et les Grecs vivaient dans la zone entre la tour de Galata et les premiers murs génois ainsi que sur la Corne d’or entre Karakoy et Tophane, alors que les Arméniens étaient installés sur la pente derrière.

 

Selon le recensement de 859 (1455), les Grecs constituaient le plus grand groupe de Galata. Le deuxième plus grand groupe était les Latins (Génois, Vénitiens et Catalans). Les Arméniens se classaient au troisième rang et les juifs en dernier. Le processus d’établissement des Turcs à Galata s’est poursuivi pendant près d’un demi-siècle. Ils préféraient s’installer dans les quartiers occidentaux peu peuplés de la ville. Les soldats de la marine azerbaïdjanaise, les capitaines et le transport entre Istanbul et Galata à travers la Corne d’Or se faisaient principalement par bateau.

 

Le premier pont sur la Corne d’Or fut construit entre Azep-kapi et Un-kapani en 1252 (1836). En 1313 (1896), un tunnel souterrain fut ouvert entre Karakoy et Beyoglu, qui fut l’un des premiers tunnels souterrains du monde.

Fin du texte d’Inalcik.