La résistance tripolitaine

 

A la suite de la victoire remportée par le général Lequio à al-Asabi (13 mars 1913) contre la résistance du Djebel, celui-ci ne parvint pas à briser la résistance tripolitaine puisque Khalifah Ibn ‘Askar continua pour son propre compte à s’opposer à la tête des Moujahidine à l’avance victorieuse des troupes italiennes de Yeffren sur Nalout. Le général Lequio atteignit Nalout en avril 1913, mais Khalifah Ibn ‘Askar et ses hommes continuèrent à tenir bon entre Kabao, Nalout et la frontière tunisienne.

 

Après un échec, vers la fin de 1914, il s’était réfugié en Tunisie « avec soixante familles de rebelles ». Ayant accepté toutes les conditions qui leur étaient imposées par les autorités françaises (désarmement et cantonnement dans un camp de concentration à Kébili dans le Sud-Tunisien à plus de 100 kms de la frontière), il s’était évadé aussitôt à la tête d’un groupe de rebelles tripolitains grossi peu à peu par les dissidents tunisiens : « Avant son évacuation de Kébili, écrivait al-Marzouqi, Khalifah Ibn ‘Askar contacta quelques groupes tunisiens : Makhalabah, Dahibat, Trayfah, Chehaydah pour les déterminer à prendre part au Jihad. En effet un certain nombre d’entre eux suivirent Khalifah Ibn ‘Askar et devinrent, par la suite, le noyau des Moujahidine tunisiens.

Selon les sources officielles, le nombre approximatif des « dissidents » tunisiens varie dans le temps et l’espace : en mai 1915, environ 1.400 hommes portés officiellement « dissidents » [accompagnées de 1.000 femmes et 2.000 enfants], se trouvaient en Tripolitaine. En oct. 1915, seulement 500 des 1.682 hommes « dissidents » étaient en Tripolitaine. A en croire les nationalistes, on estima en 1915 également à dix-mille émigrés et réfugiés Tunisiens en Libye, femmes et enfants compris, dont trois à quatre mille hommes armés combattaient côte à côte avec leurs voisins libyens contre les Italiens.

 

A quelques kilomètres des Oulad Mahmoud, non loin de Nalout, Khalifah Ibn ‘Askar planta sa tente, et, de là, assaillit régulièrement toutes les caravanes italiennes qui, de Nalout, se dirigeaient vers Sinaoun et Ghadamès.

 

Dans les premiers jours de juin 1915, il se transporta vers Ghadamès et infligea une défaite aux méharistes italiens etc. Il était, avons-nous dit, parmi les principaux lieutenants de Noury Bey, frère d’Anwar, commandant les forces de l’Islam en Libye. On sait déjà que les Moujahidine victorieux de Khalifah  Ibn ‘Askar infligèrent en 1915 des désastres aux Italiens. Celui-ci se disait le « lieutenant » de Muhammad al-‘Abid pour les « choses de guerre ».

 

En août 1915, Khalifah Ibn ‘Askar rentra en triomphateur à Nalout, se fit élire qaïmaqam et se mit à la tête de la population. Il fut confirmé qaïmaqam par le Sheikh Souf al-Mahmoudi.

Son frère ‘Amor et les autres réfugiés tripolitains, le tenaient pour « un homme courageux, énergique, endurant, mais surtout pour un excité dangereux capable des pires folies ».

La mehalla tripolitano-tunisienne de Khalifah Ibn ‘Askar composée de plusieurs centaines de cavaliers et d’hommes à pieds était armée de fusils et de canons trouvés dans les postes abandonnés par les Italiens. Elle en reçut aussi par les Turcs et les Allemands.

Elle disposait de 5.000 réguliers, 9 canons italiens et allemands et 13 officiers turcs, européens et mêmes tunisiens dont le commandant ‘Omar Ibn ‘Ali Ibn Ahmad Guellaty venu d’Islamboul avec six instructeurs turcs. Son ambition est de soulever tout le Sud-Tunisien avec l’appui du chef Sanoussi Muhammad al-‘Abid.

 

 

Les effets de la propagande pour le Jihad

 

On ne doit pas oublier que l’attitude amicale française à l’égard des Italiens était en contradiction évidente avec la soi-disant neutralité maintes fois déclarée. Or ce comportement produisait une impression désastreuse chez les tribus du Sud-Tunisien. Notons aussi que l’évacuation des Italiens découvrait non seulement la frontière tunisienne, mais elle entraînait, selon les rapports militaires, un changement sensible dans l’attitude des tribus, changement provoqué autant par l’appel au Jihad lancé par les Turcs, que par les récits des Tripolitains fréquentant les marchés tunisiens, rapportant les succès des rebelles, louant leur organisation, leur commandement, leur armement, la résolution d’attaquer prochainement les Français dans le Sud.

Le 2 août, une trentaine d’Oudema quittèrent leur tribu pour aller se joindre aux rebelles.

Le 3 août 1915, le chef d’annexe de Tataouine rendit compte que « la neutralité de beaucoup d’indigènes du cercle fut modifiée, que 200 à 500 hommes partirent clandestinement en Tripolitaine par groupe de 5 à 6, pour joindre les rebelles sans avoir été signalé par leurs Cheikhs, et que sans qu’on soit en présence d’un mouvement insurrectionnel bien dessiné », il existait « un état d’esprit défavorable à l’autorité et une situation politique mauvaise ».

 

A cette même date des informations diverses signalaient la présence d’officiers turcs ayant franchi la frontière pour mener à bien le Jihad dans le Sud et dans la Tunisie entière.

Ce fait a été confirmé : le résident général à Tunis a alerté le commandant militaire à Médenine par un télégramme le 5 août 1915 : d’après des renseignements venant de Tripoli le commandant Thierbell, cinq officiers allemands et onze officiers turcs seraient passés en Tunisie où ils vivraient, habillés à l’arabe.

 

Le Sheikh Muhammad Bwiraz, l’oncle d’Ahmad Tawfiq al-Madani, travaillant en étroite collaboration avec le Sheikh Salih Sharif, était à la tête d’un comité tunisien qui assurait l’encadrement (officiers turcs) et le ravitaillement des rebelles tunisiens en munitions par des méthodes clandestines.

 

Le 10 août sept conducteurs tunisiens « bien notés de la section d’artillerie de montagne à Dahibat » désertèrent également. Selon plusieurs sources la propagande pour le Jihad « trouvait en Tunisie un terrain bien préparé en s’adressant aux individus (...) ayant tout à gagner dans une insurrection et à quelques notables dont l’ambition n’avait pas été satisfaite et qui comptaient tirer parti des troubles ».

« A Dahibat le bruit court de l’attaque de la garnison avec persistance, un certain malaise est signalé dans le détachement du quatrième Spahis du lt. Graignic. Ces derniers et les hommes du train auraient envoyé à leur famille des sommes d’argent supérieures à celles qu’ils recevaient comme militaires ; des émissaires cherchent à persuader nos gens que nous serons obligés comme les Italiens d’évacuer tous nos postes du Sud ».

Toujours au mois d’août, le service des Affaires Indigènes signalait les efforts entrepris par les rebelles tripolitains, pour exhorter les notables des tribus tunisiennes à l’insurrection. Au milieu du mois, le Sheikh des Krachouah remit au chef d’Annexe de Tataouine une lettre qu’il venait de recevoir du Mufti de Nalout : cette lettre n’était qu’un appel au Jihad. Dans une lettre envoyée au Caïd des Ouerghemmah Mas’oud Ibn al-‘Arbi, Sheikh Souf al-Mahmoudi faisait appel aux sentiments religieux du destinataire en vue de favoriser le triomphe du Jihad et de la foi.

Le 16 août 1915, Khalifah Ibn ‘Askar, qui reprochait aux autorités françaises de traiter les réfugiés tripolitains de Kébili comme des prisonniers, et la protection donnée à la colonne italienne de Ghadamès, demanda, dans une « lettre-ultimatum », la restitution de sa famille : « En conséquence, terminait-il, demandez à votre gouvernement s’il peut nous rendre d’urgence tous nos gens qui sont chez vous et faites-moi connaître sa réponse. S’il refuse, renseignez-moi également, car nous vous ferons la guerre avec tous les gens de l’Islam qui ne forme plus qu’un seul bloc. Veillez sur vous.

Salut de la part du serviteur de son excellence Senoussi, 3 Shawwal 1333 Hégire.

Faites-moi connaître votre décision. Il est superflu d’insister.

Salut : Tous les gens de l’ouest, vos administrés, sont entièrement avec nous. Salut ! ».

 

En sept. 1915, Mas’oud Ibn al-‘Arbi recevait une seconde lettre pleine de menaces à l’égard des troupes françaises. Souf écrivit des lettres analogues au Kahia de Tataouine. Le service des Affaires Indigènes signalait également « quelques autres lettres, vantant (...) le triomphe de l’Islam, et provenant de personnages plus ou moins influents ont été en outre adressées à des indigènes du Sud (Tunisien) et il est à présumer que beaucoup de notables ont reçu des chefs tripolitains des correspondances dans le même genre, peut-être même plus explicites, mais qu’ils n’ont pas eu la loyauté de remettre aux chefs de bureaux ou d’annexes des Affaires Indigènes » .

 

Beaucoup d’entre eux, dès le début de la guerre, avons-nous dit, ont été enrôlés dans les mehellas rebelles. D’autres exaltés par les victoires des Moujahidine contre les Italiens, pressèrent leurs parents et leurs tribus pour entrer en dissidence.

 

 

L’hostilité des populations envers les colonisateurs

 

Par la suite de l’attitude amicale envers les réfugiés italiens et des menaces d’attaques tripolitaines, les passages clandestins des dissidents tunisiens eurent lieu par centaine sans être signalés par les autorités locales. Quelques centaines d’Oudarnah, à l’appel d’un chef influent des Oulad Dabbab, pourtant membre de la Conférence consultative, al-Hajj Sa’id Ibn ‘Abdel Latif, se soulevèrent en masse et passèrent la frontière pour se joindre à Khalifah Ibn ‘Askar.

Autour des Oudarnah, l’attitude des indigènes, était ambigüe selon le service des Affaires Indigènes : aux notables inquiets s’ajoutaient les défections parmi le Makhzen. Les goumiers de Nefzaoua montraient un esprit de loyalisme douteux qui amenait les autorités françaises à les licencier.

Dans le centre de Tunisie même, quelques indices étaient perceptibles de l’esprit antifrançais des Tunisiens. Dans la région de Gabès en particulier, on signalait les progrès de la propagande antifrançaise dans les troupes tunisiennes au point que le général commandant les troupes de l’Afrique du Nord estima impossible d’envoyer ces troupes dans le Sud.

Lors d’une tournée d’inspection dans les sud, un agent constata à Sfax un attachement manifeste des notables à la Turquie et à Gabès, une hostilité apparente des Lettrés à la France : le secrétaire même du Caïd assistait à des réunions de ce milieu.

La population de la région de Sfax, près de Gabès et notamment les Bani Zid d’al-Hammah, semble avoir été en relations suivies avec les rebelles : ayant encore la réputation d’avoir résisté vigoureusement à la conquête française (à partir de 1881), ils étaient suspects dès 1915.

Des nombreux poèmes populaires antifrançais, du temps de la conquête et nouveaux, commençaient à circuler. Les chefs des Fraichich et des Majir du centre montraient « peu d’enthousiasme » pour le recrutement de cavaliers volontaires en vue de servir en France même.

Dans ces conditions, la situation devait inévitablement devenir très délicate pour les autorités françaises. Bien sûr, dès le début de la guerre, les notables ne manquèrent pas de faire les déclarations « obligatoires » de loyalisme et le recrutement de troupes Makhzen supplétives se fit sans gros problèmes. Mais c’était là la limite du loyalisme : les tribus qui fournissaient ces troupes de protection locale veillaient soigneusement à ce qu’elles restaient exemptes du service militaire normal.

 

Après le mauvais hiver de 1914/1915, qui avait diminué le cheptel, l’armée eut, selon Alapetite, la maladresse de réquisitionner des chameaux chez les Oudema à un prix « dérisoire ».

Le général Moinier, commandant les troupes de l’Afrique du Nord, devant le mouvement nettement hostile qui se préparait, décida le 14 août le renforcement des troupes du Sud-Tunisien. Ces effectifs ne cessèrent d’être renforcés sous l’effet de l’extension de la gravité que prenait la situation.

 

Jusqu’au 31 août 1915, les tribus du sud semblaient être calmes. Peut-être l’envoi des renforts militaires a-t-il calmé provisoirement ces tribus. Mais au moment où les forces arrivées à Dahibat, étaient, dit-on, suffisantes pour sa défense, des événements graves éclatèrent.

 

 

Opérations autour de Dahibat

 

Notez que les citations entre guillemets sont les rapports officiels français qui utilisent pour la plupart le temps présent.

 

Le 1 septembre 1915, une patrouille de goumiers du poste frontalier d’Alouet al-Gounna, échangea des coups de feu avec des rebelles tunisiens des Oulad Khalifah qui cherchaient à franchir la frontière.

 

Le 13 septembre 1915, Muhammad Ibn Madhkour ash-Shahidi qui passa aux rebelles avec une trentaine de Moujahidine se lança à la poursuite d’une caravane du Fezzan venant de Pervinquières. Des chasseurs d’Afrique opérant dans l’oued Morteba furent sévèrement attaqués par ces rebelles adroitement dissimulés. Deux chasseurs furent tués dont un brigadier.

Les sources Moujahidine estimèrent les pertes françaises à 12 tués et 8 blessés contre 2 tués et 3 blessés Musulmans.

Notons que dans chaque opération, les chiffres avancés ici et là par les diverses sources officielles et officieuses françaises s’accordaient, en général, sur le bilan des pertes des deux adversaires en guerre. Il est évident que ce bilan comparé à celui des Moujahidine varie si fortement aussi est-il forcément invérifiable. Or le mieux est de procéder ainsi : les estimations françaises seront conventionnellement mentionnées, sauf indication contraire, dans le texte même de ce travail.

J’en profite pour remarquer à juste titre que les communiqués officiels de guerre des mécréants font eux même partie de la guerre et sont pour ainsi dire tous mensongers d’une part, pour ne pas affoler l’opinion publique, le premier fournisseur de soldat, mais aussi pour ne pas encourager l’ennemi.

 

Le lendemain, 14 septembre, le lieutenant Mégrier opérant dans la même région fut attaqué par les mêmes rebelles que la veille ; soutenu par une compagnie et une section d’artillerie il crut d’abord que les rebelles avaient été repoussés au col d’al-Afina mais il tomba dans une embuscade et perdit 10 tués dont un sergent, un caporal et 10 blessés. Beaucoup d’armes et de munitions furent abandonnées sur le terrain du combat.

Les sources Moujahidine quant à elle rapportent pour la même opération, 30 tués et plusieurs blessés français contre 5 tués et 9 blessés musulmans

 

A la suite de cet échec, le général commandant la D.O.T. accorda au commandant Abbat le droit de poursuivre les rebelles au-delà de la frontière tunisienne. Ce général l’engagea à réprimer ces derniers énergiquement.

Le 15 septembre 1915, Abbat, chef de bataillon d’Afrique, qui commandait la garnison de Dahibat, opéra vers Ouezzen (Wazin) pour châtier les rebelles et les gens qui les soutenaient. Malgré le gros détachement français de toutes armes, Abbat qui se trouvait à Zahrat an-Nisf fut immédiatement aux prises avec un adversaire « très mordant » sous le commandement de leur principal adversaire Khalifah Ibn ‘Askar. Le terrain « est non seulement montagneux et difficile, mais il faut s’engager dans un véritable cirque dominé de tous les côtés ». De plus le nombre de rebelles a été sous-estimé et l’armement français était inférieur. Après un combat acharné, de 7 heures du matin à 14 heures, la garnison se borna à la défense ; obligée alors de rompre le combat, elle rentra à Dahibat sous la protection d’une ligne de repli, ayant 27 hommes tués, 4 officiers et 34 blessés. La garnison fut « obligée d’abandonner sur le terrain du combat une mitrailleuse et un affût de canon ».

La situation « était donc grave ». Le lieutenant-colonel Trestoumel partit immédiatement de Médenine en auto et arriva le 16 sept, à Dahibat.

 

Désormais les événements se précipitèrent.

Le 16 septembre, la ligne télégraphique Tataouine-Dahibat fut coupée pendant la nuit.

Le matin du 17 septembre, celle de Dahibat-Machehad Salih le fut également.

Le même jour, un escadron de cavalerie qui escortait une équipe envoyée de Dahibat pour réparer la ligne télégraphique eut « un engagement sérieux » avec environ 150 cavaliers rebelles et un cavalier français fut grièvement blessé.

Au même moment, le chef d’annexe de Tataouine rendait compte que la situation du cercle s’était subitement aggravée : une certaine effervescence régnait chez les Oulad al-Hmidiyah, al-‘Adjerdah, Ghoumrassen al-Bled, ash-Shehaydah et les Krachouah ; « les gens refusaient de payer l’impôt et affichaient une attitude menaçante envers les Sheikhs et les autorités locales ».

Pourtant « certains indigènes au nombre d’une trentaine notables de différentes tribus assurent le chef d’annexe de Tataouine de leurs bons sentiments ». Mais ils déclarèrent que malgré leur bon vouloir et en présence du caractère religieux de l’effervescence, ils étaient incapables d’avoir « l’autorité nécessaire pour retenir leurs administrés dans la neutralité ».

 

Le 17 septembre 1915, la défection d’un bach-chaouch (cavalier du poste de Machehad Salih) avec vingt-trois hommes stupéfia « tout le monde » et fut « commentée défavorablement » à l’égard des autorités françaises. Alors même des soldats tunisiens non attaqués désertèrent. Cet « ancien serviteur » des Français, dit-on, allait vers une retraite sans soucis, et seul « le souci d’être considéré comme un bon musulman a pu l’entraîner dans cette désertion ». L’impulsion religieuse est indéniable : Muhammad Salih ad-Daghbaji, Muhammad al-Madani, al-Jlidi, Muhammad Salih al-‘Omrani etc. furent parmi les déserteurs tunisiens qui passèrent aux rebelles avec armes et bagages.

 

En effet, qui ayant le plus petit atome d’honneur, aimerait mourir traître ou travailler pour les ennemis ? Sachez que c’est un devoir religieux pour les Musulmans de défendre leurs pays et leurs familles, leur religion et leur prophète et que la trahison, sous n’importe quelle forme est interdite et qu’elle rend caduque l’appartenance à l’Islam !  Qui aimerait mourir mécréant et avoir sur lui la malédiction de toutes les créatures ?

 

Le 18 septembre, Dahibat fut à nouveau attaquée par de forts contingents de rebelles. Les forces françaises eurent deux tués dont un officier (lt Peltier) et 10 blessés. Les chasseurs d’Afrique de Dahibat livrèrent deux petits combats au Makman avec les rebelles en assurant la liaison avec le bataillon Borel.

Bilan : 2 hommes tués et 7 blessés.

 

Le 20 septembre. Vu l’état d’esprit des cavaliers, inquiets pour le sort de leur famille et de leurs troupeaux, les autorités françaises décidèrent, par mesure de prudence, l’évacuation des postes de Bir Pastor, de Pervinquières, de Djeneien. Un combat eut lieu à Tiaret.

 

 

Le mouvement insurrectionnel

 

Le 22 septembre 1915. Le bruit de l’attaque de Tataouine, de Rimtha et de Tazaghdanet courut avec persistance ; deux cavaliers et quatre goumiers du petit poste de Cheguiga (mi-chemin entre Rimtha et Machehad Salih) entraînés par le cavalier Labayyid, frère du Sheikh des Krachouah, passèrent en dissidence et rentrèrent à Tatouine avec armes et bagages.

 

Le 25 septembre. Dahibat fut de nouveau attaqué par les rebelles qui prirent la crête nord-est dite crête Peltier. Bilan : 3 hommes tués et 13 blessés.

Le général Boyer qui prit le commandement des Troupes du D.S.T. arriva à Médenine le 25 septembre, avec pour mission d’organiser le front Sud-Tunisien avec au total : 320 officiers et 15.000 hommes. Il faut ajouter à cela le makhzen, les goums, les tribus (fractions des Oudamah et autres) coopérant avec les troupes françaises. Cette organisation garantissait d’après Alapetite « une sécurité absolue » alors que l’achèvement du chemin de fer de Gabès facilitait les transports militaires.

 

 

Rimthah assiégé sous les you-you des femmes

 

Le 25 septembre 1915, le camp de Rimthah fut attaqué par 500 à 600 rebelles armés, pour la plupart, de fusils à tir rapide et commandés par le Sheikh des Krachouah ‘Amar Labayyid. Le combat fut très meurtrier. Les Moujahidine furent encouragés par la présence et le service utile de milliers de personnes et les you-you des femmes couronnant les crêtes.

Armés d’engins de toute sorte, ces derniers attendaient, selon le rapport Harlé, « 1’anéantissement de la compagnie (française) ». Le combat fut aussi long : il dura 27 heures et fut renforcé dans l’après-midi du 26 septembre par les Oulad Dabbab commandé par le Sheikh ‘Ali le frère d’al-Hajj Sa’id Ibn ‘Abdel Latif, membre de la conférence consultative. Paniqués par de faux bruits selon lesquels « leurs villages étaient attaqués » par les troupes françaises, les rebelles abandonnèrent provisoirement le terrain du combat.

Dans la nuit du 26 septembre, l’attaque de Rimthah reprit et des renforts français arrivèrent. Après avoir investi Rimthah les rebelles se retirèrent. Les pertes françaises furent de 17 hommes tués et 15 blessés dont le capitaine Senégas qui reçut deux blessures. Tous les animaux du détachement furent tués. Les pertes des rebelles furent de 13 hommes et 6 femmes.

Muhammad al-Marzouqi dans son livre « dima' ‘alla al-houdoud » mit en relief quelques récits d’armes d’un certain nombre de Moujahidine qui prirent part à Rimthah dont le plus important est celui de Sa’d Ibn ‘Oun et sa fille aînée Mabroukah surnommée « Labba'h » (lionne) :

« Sa’d Ibn ‘Oun eut l’audace, dans le combat de Rimthah, de s’engager trop en avant (environ 50 mètres) vers les tranchées de l’ennemi malgré sa puissance de feu. Sa’d Ibn ‘Oun voulut ainsi donner, dit-on, l’exemple aux Moujahidine pour qu’ils avancent vite et assiègent le camp. Mais Sa’d, sans aucune couverture, et sans se rendre compte du danger qui le guettait à gauche, s’écroula aussitôt avec plusieurs blessures et un pied cassé. Vu l’intensité des tirs, personne n’osa se rapprocher de Sa’d et lui porter secours. Seule Mabroukah, sa fille aînée, s’avança comme une lionne vers son père grièvement blessé et le sauva. Notons que Labba'h ne reçut qu’une petite légère blessure et ceci grâce à sa « Malhafah » qui encaissa à la place de son corps toutes les balles meurtrières qui jaillirent d’une mitrailleuse ennemie. Aussi les blessures du père furent traitées grâce aux soins de Labba'h et aux branches de « Ratm » (arbre saharien) ».

Les Moujahidine quant à eux affirmèrent que 300 à 400 d’entre eux appartenant à plusieurs fractions d’Oudernah : Oulad Shahaydah, Krachouah, ‘Amaranah, Douirat, ‘Adjarda, Hmidiyyah et Zorgane participèrent à cette bataille ou 50 français furent tués et 40 blessés. Parmi les Musulmans tués, il y eut ‘Amar Ibn Nasr Ibn Yahya, Muhammad Ibn ash-Sheikh Salim, Abou al-Qassim ad-Dawwadi, Muhammad Ibn Khalifah Ibn Jaddou, Daw Ibn Ahmad Ibn Moubarak et Mabroukah Bint Ahmad ash-Shinkawi.

 

 

L’orgueil français menacé

 

Vers la fin de l’année 1915 la situation du Sud-Tunisien, aussi bien militaire que politique était critique. Selon les autorités militaires : « Les renforts venus d’Algérie sont seulement en route. L’agitation islamique gagne de proche en proche. Tataouine n’a pour garnison qu’une compagnie et un peloton de cavalerie, Médenine quelques centaines de fusils.

Les nouvelles reçues de Dahibat sont graves. Les tribus du Djebel occidental (Wazin, Nalout, Kabao, Fessato) sont rassemblées autour de Dahibat, qu’elles attaquent sans répit avec la ferme conviction de l’enlever. Elles sont pourvues de nombreuses munitions italiennes et attendent des canons. L’armement des rebelles est supérieur à celui de la garnison armée en majeure partie de fusils 74 à poudre noire ».

 

A cela s’ajoutaient les révoltes en Algérie et « les défaites françaises » subies en Europe dès le début de la guerre.

Le lieutenant-colonel Trestoumel envisagea l’abandon de Dahibat et la retraite sur Tatouine « mais l’orgueil du drapeau français, dit-on, est engagé. Ce recul serait considéré comme une victoire de l’Islam, (et) aurait sur nos goumiers, les tribus du Sud et même dans toute la Tunisie une répercussion qui entraînerait probablement un soulèvement général. Il y a là une question d’ascendant moral à conserver ».

Le général Moinier arriva à Médenine pour se rendre compte sur place des mesures à prendre. Inquiet de l’extension des troubles, il prit des mesures sévères contre les rebelles. Déjà en septembre 1915, « des colonnes furent envoyées pour détruire les villages des rebelles et razzier leurs récoltes et leurs troupeaux ».

Pendant ces opérations de répression, la situation s’aggrava brusquement dans l’extrême sud-Tunisien : « Dahibat est occupé et ses vivres s’épuisent. Le lieutenant-colonel Trestoumel signale par message la situation comme alarmante au sujet du ravitaillement. Les chevaux ne reçoivent que 4 kilos d’orge, réduits bientôt à 3 ». Les troupes européennes n’ont ni vin, ni légumes frais depuis longtemps. L’état sanitaire est médiocre par suite de la dysenterie. La viande fraiche manquant, les chevaux sont abattus ».

 

Le 1er octobre 1915, un convoi de ravitaillement qui se portait sur Rimthah fut attaqué à Tamalast et résultat en trois blessés.

A cette même date, un combat meurtrier eut lieu à Mirsat au Fort (qal’ah) des Oulad ash-Shahidah à 20 km de Tataouine. Il y eut plusieurs tués parmi les Français et les Moujahidine.

Un autre combat eut lieu à Mirsat non loin du Fort des Oulad ash-Shahidah, quelques rebelles furent tués dont leur chef Muhammad Ibn al-Awini ash-Shahidi.