Le livre des voyages agréables dans des pays lointains ou Le plaisir de celui qui aspire à franchir les horizons

« kitab nouzhat al moushtaq fī dhikr al amsar wa al aqtar wa al bouldan wa al jouzour wa almadhin wa al afaq »

 

Abou ‘AbdAllah Muhammad al-Idrisi al-Qourtoubi al-Hassani as-Sabti

 

Muhammad al-Idrisi  est un géographe musulman, cartographe, égyptologue et voyageur qui vécut en Sicile, à la cour du roi Roger II. Al-Idrisi naquit en l’an 493 de l’Hégire (1100) dans la ville de Ceuta (sabta) qui était alors sous le contrôle des Mourabitine. Il mourut en l’an 559 de l’Hégire (1166) en Sicile.

 

Il visita un grand nombre de ville musulmane d’Andalousie de l’époque dont voici un résumé de ses descriptions.

 

Algésiras (jazirah al-khadrah ou l’île verte)

Algésiras est une ville bien peuplée. Ses murs sont en pierres et consolidés avec de la chaux. Elle a trois portes et un arsenal à l’intérieur de la ville. Algésiras est traversé par un ruisseau appelé la rivière de miel (nahr al-‘assal), dont les eaux sont douces et servent aux besoins des habitants et à l’arrosage des jardins et des vergers. C’est un lieu de travail, d’embarquement et de débarquement et un détroit maritime le séparant de Ceuta. En face se trouve l’île de la Mère de Hakim (jazirah oumm hakim) de surface plate, à tel point que peu s’en faut qu’elle ne soit submergée par la mer.

Algésiras fut la première ville conquise par les Musulmans en Andalousie. Elle fut prise par Moussa Ibn Noussayr de la tribu de Marwan et par Tarik Ibn Ziyad Ibn ‘Abdallah az-Zinati accompagnés de tribus berbères. Il s’y trouve la Mosquée des Etendards (masjid ar-rayat). On rapporte que ce fut là où les Musulmans venus par Gibraltar (jibal tariq) déposèrent leurs étendards.

 

 

Séville (ashfillia)

Séville est une ville grande et bien peuplée. Les édifices y sont hauts, les murailles solides, les marchés vivants et animés par une population considérable. Le principal commerce de cette ville consiste en huiles qu’on expédie à l’est et à l’ouest par terre et par mer. Ces huiles proviennent d’ash-Sharf (Il se nomme ash-Sharf parce que c’est la partie la plus haute du district de Séville ; il se prolonge du nord au sud, formant une colline de couleur rouge) qui est entièrement planté d’oliviers et de figuiers ; il se prolonge depuis Séville jusqu’à Niebla (labla). Il y existe, huit mille villages florissants, un grand nombre de bains et de maisons de plaisance. Séville est bâtie sur les bords du Guadalquivir (wadi al-kabir) ou fleuve de Cordoue (nahr qortoba).

 

 

Niebla (labla)

Niebla est une ville ancienne, jolie, de moyenne grandeur, et ceinte de fortes murailles, à l’orient de laquelle coule une rivière venant des montagnes, et traversée par un pont

 

 

Santa-Maria (shanta mariya al-gharb)

Santa-Maria est une ville bâtie sur les bords de l’Océan. Ses murs sont baignés par le flot de la marée montante. L’île est de petite grandeur et très jolie. Il y a une grande et une petite mosquée où l’on y fait la prière du Vendredi. Il y aborde et il en part des navires. Le pays produit beaucoup de figues et de raisins.

 

 

Silves (shalb)

Silves est une ville bâtie dans une plaine, entourée de murs et défendue par une citadelle. Ses environs sont cultivés et plantés en jardins ; on y fait tourner des moulins. Les montagnes environnantes produisent une quantité considérable de bois qu’on exporte au loin. La ville est jolie composées d’élégants édifices et des marchés bien fournis. Sa population ainsi que celle des villages environnants se compose d’Arabes du Yémen et autres, qui parlent une pur arabe et qui savent aussi réciter de la poésie et sont en général éloquents et habiles. Les habitants des campagnes de ce pays sont extrêmement généreux ; nul ne l’emporte sur eux sous ce rapport.

 

 

Alcassar (al-qasr)

Alcassar est une jolie ville de grandeur moyenne, bâtie sur les bords du Chetawir (shatwir) grand fleuve qui est remonté par quantité d’embarcations et de navires de commerce. La ville est de tous côtés entourée de forêts de pins dont le bois sert à de nombreuses constructions. Le pays, naturellement très fertile, produit en abondance du laitage, du beurre, du miel et de la viande de boucherie.

 

 

Evora (yavorah)

Evora est une grande ville bien peuplée. Entourée de murs, elle possède un château fort et une grande mosquée. Le territoire qui l’environne est d’une fertilité singulière ; il produit du blé, des bestiaux, toute espèce de fruits et de légumes. C’est un pays excellent où le commerce est avantageux soit en objets d’exportation, soit en objets d’importation.

 

 

Badajoz (batalios)

Badajoz est une ville remarquable, située dans une plaine et entourée de fortes murailles. Elle possédait autrefois vers l’orient un faubourg plus grand que la ville même, mais il est devenu désert par suite des troubles. Cette ville est bâtie sur les bords de la Guadiana (nahr yanah), fleuve qui porte aussi le nom de fleuve des Précipices parce qu’après avoir été assez grand pour porter des vaisseaux il se perd ensuite sous terre, au point qu’il ne reste pas une goutte de ses eaux.

 

 

Merida (marida)

Merida à un pont situé à l’occident de la ville, remarquable par sa hauteur, la largeur et le nombre de ses arches. Au-dessus de ce pont on a pratiqué des arceaux voûtés qui communiquent de l’extrémité du pont à l’intérieur de la ville, et qui sont destinés à y conduire les eaux, sans être visibles. Les hommes et les animaux passent au-dessus de cet aqueduc dont la construction est des plus solides et le travail des plus curieux. Il en est de même des murs de Merida qui sont en pierres de taille et d’une grande solidité. On avait élevé quantité de colonnes nommées qui subsistent encore sans avoir souffert en aucune façon du temps. Il y en avait de plus ou moins hautes, selon les exigences du niveau du sol au-dessus duquel elles avaient été placées. Elles étaient toutes construites sur une ligne droite. L’eau y arrivait au moyen de conduits pratiqués sous terre. Ces colonnes étaient construites avec tant d’art et de solidité qu’on pourrait croire (encore aujourd’hui) qu’elles sont d’une seule pierre. Au centre de la ville on voit une arcade au-dessous de laquelle peut passer un cavalier tenant un drapeau.

 

 

Lisbonne (ashbona)

Lisbonne est bâtie sur le bord d’un fleuve qu’on nomme le Tage ou fleuve de Tolède ; sa largeur auprès de Lisbonne est de six milles, et la marée s’y fait ressentir violemment. Cette belle ville s’étend le long du fleuve, est ceinte de murs et protégée par un château fort. Au centre de la ville est une source d’eau chaude en été comme en hiver.

Située à proximité de la mer Ténébreuse (ou de l’Océan), cette ville a vis-à-vis d’elle, sur la rive opposée et près de l’embouchure du fleuve, le fort de la Mine (al’ma’adan), ainsi nommé parce qu’en effet la mer jette des paillettes d’or pur sur le rivage. Durant l’hiver les habitants de la contrée vont auprès du fort à la recherche de ce métal, et s’y livrent avec plus ou moins de succès, tant que dure la saison rigoureuse. C’est un fait curieux dont nous avons été témoins nous-mêmes.

 

 

Santarem (shantarine)

Santarem est une ville bâtie sur une montagne très-haute, au centre de laquelle est un vaste gouffre. Il n’y a point de murailles, mais au pied de la montagne, il y a un faubourg bâti sur le bord du fleuve (du Tage) ; on y boit de l’eau de source et de l’eau du fleuve. Il y a beaucoup de jardins produisant des fruits et des légumes de toute espèce.

 

 

Talavera (talbira)

Talavera est une grande ville bâtie sur les bords du Tage, parfaitement bien fortifiée et remarquable par sa beauté comme par l’étendue de son territoire et la variété de ses productions. Les bazars sont curieux à voir, et les maisons agréablement disposées ; un grand nombre de moulins s’élèvent sur le cours du fleuve. Capitale d’une province importante, Talavera est environnée de champs fertiles et de riants paysages. Ses édifices sont solidement construits, et ses monuments très anciens.

 

 

Tolède (toleytela)

La ville de Tolède, à l’orient de Talavera, est une capitale non moins importante par son étendue que par le nombre de ses habitants. Entourée de bonnes murailles, elle est défendue par une enceinte bien fortifiée. L’époque de sa fondation est très ancienne (littéral, remonte aux temps des Amalécites). Elle est située sur une éminence, et l’on voit peu de villes qui lui soient comparables pour la solidité et la hauteur des édifices, la beauté des environs, et la fertilité des campagnes arrosées par le grand fleuve qu’on nomme le Tage. On y voit un pont très curieux, composé d’une seule arche au-dessous de laquelle les eaux coulent avec une grande violence et font mouvoir une machine hydraulique qui fait monter les eaux à 90 coudées de hauteur ; parvenues au-dessus du pont, elles suivent la même direction et pénètrent ensuite dans la ville.

Les jardins qui environnent Tolède sont entrecoupés de canaux sur lesquels sont établies des roues à chapelet destinées à l’arrosage des vergers qui produisent, en quantité prodigieuse, des fruits d’une beauté et d’une bonté incomparables. On admire de tous côtés de beaux domaines et des châteaux bien fortifiés.

A quelque distance, au nord de la ville, on aperçoit la chaîne des hautes montagnes dites Sierra (al-sharrat), qui s’étend depuis Medinat as-Salim jusqu’à Coïmbre (qolimria), à l’extrémité de l’occident.

On trouve également dans les montagnes de Tolède des mines de cuivre et de fer. Au nombre des dépendances de cette ville et au pied des montagnes est Makhrit la petite ville et château fort ; au temps de l’islam, il y existait une grande mosquée où l’on faisait toujours le sermon du vendredi (khoutbah). Il en était de même d’al-Bahmayn, une jolie ville, bien habitée, pourvue de beaux bazars et d’édifices où l’on voyait une grande mosquée.

Tout ce pays aujourd’hui est, ainsi que Tolède, au pouvoir des chrétiens dont le roi, d’origine castillane, est connu sous le nom d’Alfonsh.

 

 

La Forteresse d’Ayyoub (qal’ah ayyoub)

Qal’ah Ayyoub est une ville considérable, forte et bien défendue, et dont le territoire est planté de beaucoup d’arbres et produit beaucoup de fruits. Des sources nombreuses et des canaux fertilisent cette contrée où l’on peut se procurer de tout à bon marché. On y fabrique le Ghizar (sorte d’étoffe tissée d’or) qu’on exporte au loin.

 

 

Saragosse (sarqasta)

Saragosse est une des villes capitales de l’Espagne. Elle est grande et très peuplée. Ses édifices publics sont considérables, ses rues larges, ses maisons belles et contiguës. Elle est entourée de vergers et de jardins. Les murailles de cette ville sont construites en lourdes pierres ; elle est bâtie sur les bords d’un grand fleuve qu’on nomme l’Ebre. Ce fleuve provient en partie du pays des Romains (bilad roum) en partie des montagnes de Qal’ah Ayyoub et en partie des environs de Calahorra (qalahourra). La réunion de ces divers cours d’eau s’effectue au-dessus de Tolède.

Le fleuve coule ensuite vers Saragosse, puis vers le Fort Rouge (hisn hamra) ou il reçoit les eaux de la rivière de la Cinea (zaytoun), puis vers Tortose (tartosha), ville à l’occident de laquelle il se jette dans la mer. Saragosse porte aussi le nom de la Ville Blanche (al-baydah) à cause de ses fortifications revêtues de chaux.

Une particularité remarquable, c’est que l’on n’y voit jamais de serpents. Lorsqu’un reptile de cette espèce y pénètre ou y est apporté du dehors, il périt aussitôt. Il existe à Saragosse un très grand pont sur lequel on passe pour entrer dans la ville dont les murailles et les fortifications sont d’une grande hauteur.

 

 

Tortose (tartosha)

Tortose est une ville bâtie au pied d’une montagne et ceinte de fortes murailles. Il y a de beaux édifices, un château, des bazars et de l’industrie. On y construit de grands vaisseaux avec le bois que produisent les montagnes qui l’environnent et qui sont couvertes de pin d’une grosseur et d’une hauteur remarquables. Ce bois est employé pour les mâts et les antennes des navires. Il est de couleur rouge, d’excellente qualité, très solide et il n’est pas, comme les autres bois sujet à être détérioré par les insectes. C’est un bois très réputé.

 

 

Valence (bolensia)

Valence, l’une des villes les plus considérables d’Andalousie, est bâtie dans une plaine et bien habitée. Sa population se compose (surtout) de marchands. Il y des bazars, et c’est un lieu de départ et d’arrivée pour les navires. Cette ville est située à trois milles ou environ de la mer où l’on parvient en suivant le cours d’un fleuve qui se nomme Guadalaviar (djar), et dont les eaux sont utilement employées à l’arrosage des champs, des jardins, des vergers et des maisons de campagne.

 

 

Dénia (daniya)

Quant à Dénia, c’est une jolie ville maritime avec un faubourg bien peuplé. Elle est ceinte de fortes murailles et ces murailles, du côté de l’orient, ont été prolongées jusque dans la mer, avec beaucoup d’art et d’intelligence. La ville est défendue par un château fort qui domine les habitations.

Elle est entourée de vignobles et de plantations de figuiers. Il s’y fait des expéditions de navires pour les contrées les plus lointaines de l’orient ; il en part aussi des flottes et des armements pour la guerre. Il s’y fabrique des navires, car c’est un chantier de constructions.

Au milieu de cette ville est une montagne ronde du sommet de laquelle on aperçoit les hauteurs d’Ivice (Ibiza) (yabissa) en pleine mer. Cette montagne s’appelle Qa’oun.

 

 

Alicante (alqante)

Alicante est une ville peu considérable, mais bien peuplée. Il y a un bazar et une grande mosquée régulière (ou toutes les prières sont établies). On fait venir d’Alicante, pour tous les pays maritimes, des hommes habiles dans l’art de calfater (les navires). Le pays produit beaucoup de fruits et de légumes, et particulièrement des figues et du raisin. Le robuste château qui défend cette ville est construit sur une montagne que l’on ne peut gravir qu’avec beaucoup de peine. Malgré son peu d’importance, Alicante est un lieu où l’on construit des vaisseaux pour le commerce et de petites embarcations. Dans le voisinage, à un mille de distance il y a un très-beau port nommé Blanes (ablnasa), qui sert à abriter les navires destinés à la guerre.

 

 

Carthagène (qartajina)

Carthagène est le port de la ville de Murcie. C’est une ville ancienne possédant un port qui sert de refuge aux petits comme aux plus grands navires, et qui offre beaucoup d’agréments et de ressources. Il en dépend un territoire connu sous le nom d’al-Qandouna d’une rare fertilité. On rapporte que les grains qu’il produit, arrosés seulement par les eaux pluviales, sont d’une qualité parfaite.

 

 

Murcie (marsiya)

Murcie est la capitale du pays de Théodoric (tadmir). Elle  est située dans une plaine sur les bords de la rivière blanche (nahr baydah). Il en dépend un faubourg qui, ainsi que la ville, est entouré de murailles et de fortifications très-solides. Ce faubourg est traversé par des eaux courantes. Quant à la ville, elle est bâtie sur l’une des rives de la rivière ; on y parvient au moyen d’un pont de bateaux. Il y a des moulins construits sur des navires comme les moulins de Saragosse, qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, et quantité de jardins, de vergers, d’habitations et de vignobles complantés de figuiers. On y trouve divers châteaux forts, des maisons de plaisance et des fermes d’une beauté admirable.

 

 

Almeria (al-mariya)

Almeria était une ville musulmane à l’époque des Mourabitine. Elle était alors très industrieuse et on y comptait, entre autres, huit-cents métiers à tisser la soie, où l’on fabriquait des manteaux précieux, des brocarts, les étoffes connues sous le nom de Saqlatoun, d’Isfahani, de Mourjani (ou couleur de corail) ; des voiles ornés de  fleurs, des vêtements riches et épais, le Hamd, le ‘Athabi, le Mouqajir et divers autres tissus de soie.

Avant l’époque actuelle, Almeria était également renommée pour la fabrication des ustensiles en cuivre et en fer parfaitement travaillés. La vallée qui en dépend produisait une quantité considérable de fruits qu’on vendait à très bon marché.

Cette vallée, connue sous le nom de Badjana est située quatre milles d’Almeria. On y voyait nombre de vergers, de jardins et de moulins, et ses produits étaient envoyés à Almeria.

Le port de cette ville recevait des vaisseaux d’Alexandrie et de toute la Syrie, et il n’y avait pas, dans toute l’Espagne, de gens plus riches, plus industrieux, plus commerçants que ses habitants, ni plus enclins, soit au luxe et à la dépense, soit à l’amour de thésauriser.

Cette ville est bâtie sur deux collines séparées par un fossé où sont des habitations. Sur la première est le château connu sous le nom de Hissana. Sur la seconde, dite Jabal al-Amim, est le faubourg : le tout est entouré de murs et percé de portes nombreuses. Du côté de l’orient est le faubourg nommé al-Houdh, cernée de murs, renfermant un grand nombre de bazars, d’édifices, de caravansérails et de bains. En somme Almeria était une ville très importante, très commerçante et très fréquentée par les voyageurs. Il n’y en avait pas en Andalousie de plus riche et de plus populeuse. Le nombre des caravansérails enregistrés à la douane était de mille moins trente (970). Quant aux métiers à tisser, ils étaient, comme nous venons de le dire, également très-nombreux.

Le terrain sur lequel est bâtie cette ville est, jusqu’à un certain rayon de tous côtés, fort pierreux. Ce ne sont que roches amoncelées et que cailloux roulés comme des dents molaires sous la terre végétale ; c’est comme si on avait passé au crible ce terrain et qu’on eût fait exprès de n’en conserver que les pierres. A l’époque où nous écrivons le présent ouvrage, Almeria est tombée au pouvoir des Romains. Ses agréments ont disparu, ses habitants se sont dispersés, les maisons, les édifices publics ont été détruits et il n’en subsiste plus rien (preuve que les mécréants détruisirent systématiquement toutes les traces de présence des Musulmans).

 

 

Malaga (malaqa)

Malaga est une ville très-belle, très peuplée, très-vaste et très-célèbre. Ses marchés sont florissants, son commerce étendu et ses ressources nombreuses. Le territoire environnant est planté en vergers de figuiers, produisant des fruits qu’on expédie en Egypte, en Syrie, en Irak et même en Inde ; ces figues sont d’une qualité parfaite. Auprès de la ville sont deux grands faubourgs ; l’un se nomme Qassala et l’autre al-Tabanin Les habitants de Malaga boivent de l’eau de puits, et cette eau, prise à la source, est d’une douceur extrême. Près de la ville est un torrent dont les eaux ne coulent que durant l’hiver et le printemps, et qui est à sec le reste de l’année.

 

 

Al-Hama

Al-Hama est une forteresse située sur le sommet d’une montagne. Les voyageurs dans les pays lointains rapportent qu’il n’en est point au monde de plus solidement construite et qu’il n’est point de lieu dont les eaux thermales soient plus efficaces. De tous côtés il y vient des malades, des infirmes ; ils y restent jusqu’à ce que leurs maux soient soulagés ou totalement guéris. Comme les habitants de la ville, dans la belle saison, prennent ces bains avec leurs femmes et leurs enfants, dépensent beaucoup d’argent, soit pour leur nourriture, soit pour leur entretien, il arrive que le loyer d’une habitation s’y élève quelquefois jusqu’à trois dinars (mourabite) par mois.

Les montagnes voisines d’al-Hama sont en totalité formées de gypse. On en extrait cette substance, on la brûle et on la transporte à Almeria pour être employée à la construction des édifices. Elle s’y vend à très bon marché à cause de son abondance.

 

 

Wadi Ash

Wadi Ash est un point où aboutissent plusieurs routes. Le voyageur qui (par exemple) veut se rendre de là à la ville de Basa (basat), gravit le mont ‘Assim, passe au bourg de Beroua (qarba baroua) et parvient à Basa après avoir fait trois milles.

Cette dernière ville est de grandeur moyenne, agréablement située et bien peuplée ; elle est entourée de fortes murailles et possède un bazar très propre et de belles maisons. Il s’y fait du commerce, et il y a des fabriques de divers genres. Non loin de là est le château de Tashqar, qui par sa hauteur, la solidité de ses fortifications, la bonté du sol et la pureté de l’air, est préférable à tous les forts d’Andalousie. Il n’est possible d’y gravir que par deux points distants entre eux de l’espace de deux milles et par des sentiers très étroits. Au sommet de cette montagne sont des champs cultivés, extrêmement fertiles et parfaitement arrosés.

 

 

Jaén (jiyan ou jayan)

Jaén est une jolie ville dont le territoire est fertile, et où l’on peut se procurer de tout à bon prix, principalement de la viande et du miel. Il en dépend trois milles villages où l’on élève des vers à soie. La ville possède un grand nombre de sources qui coulent au-dessous de ses murs, et un château des plus forts où l’on ne peut parvenir que par un sentier étroit. Elle est adossée contre la montagne de Qour, entourée de jardins, de vergers, de champs où l’on cultive du blé, de l’orge, et toute sorte de céréales et de légumes. A un mille de la ville coule la rivière de Haloun (nahr haloun) qui est considérable et sur laquelle on a construit un grand nombre de moulins. Jaén possède également une grande mosquée très honorée et à laquelle sont attachés de savants docteurs.

 

 

Grenade (gharnata)

Grenade fut fondée à l’époque de la conquête musulmane d’Andalousie. La principale ville de ce pays était auparavant Elvira dont les habitants émigrèrent et se transportèrent à Grenade. Celui qui en fit une ville, qui la fortifia, l’entoura de murs et fit construire son château, fut Habous as-Sanhaji, auquel succéda Badis son fils. Celui-ci acheva les constructions commencées et l’établissement de la population qui y subsiste encore aujourd’hui.

Cette ville est traversée par une rivière qui porte le nom de Hadrou. Au milieu de la ville coule la rivière salée qu’on appelle Shanil, et commence la chaîne de montagnes dites Shalir, ou les montagnes de neige. Cette chaîne s’étend sur un espace de deux journées. Sa hauteur est considérable et les neiges y sont perpétuelles.

 

 

Lucena (alissana)

Il se trouve à Lucena un faubourg habité par des Musulmans et par quelques Juifs. La ville est pourvue d’une grande mosquée, mais point entouré de murs.

Quant à la ville, elle est ceinte de bonnes murailles et de toutes parts environnée par un fossé profond et toujours plein d’eau.

Les Juifs habitent l’intérieur de la ville et n’y laissent pas pénétrer les Musulmans. La population juive y est plus riche qu’en aucun des pays soumis à la domination musulmane ; elle y est à l’abri de toutes entreprises hostiles.

 

 

Ecija (esija)

Ecija est une ville bâtie sur les bords du fleuve de Grenade, qu’on appelle le Xenil (shanil). Cette ville est jolie ; elle possède un pont très remarquable, construit en pierres de taille d’excellente qualité, des bazars très fréquentés où il se fait beaucoup de commerce, des jardins et des vergers où la végétation est très dense, des enclos où croissent des arbres fruitiers.

 

 

Carmona (qarmouna)

Carmona est une grande ville et ses murailles sont semblables à celles de Séville. Elle était précédemment au pouvoir des Berbères, et ses habitants actuels sont encore très méchants. Située sur le sommet d’une montagne très haute. La campagne qui l’environne est extrêmement fertile et produit en abondance de l’orge et du froment.

 

 

Cordoue (qortoba)

Cordoue est la capitale et la métropole de l’Andalousie et le siège du califat parmi les Musulmans. Les tribus qui composent sa population sont trop nombreuses et trop connues pour qu’il soit nécessaire d’en faire mention, et les vertus qui caractérisent les habitants sont trop évidentes pour qu’il soit possible de les passer sous silence. Ils possèdent au plus haut degré l’élévation et la splendeur. Sommités intellectuelles de la contrée, sources de savoir et de piété, ils sont renommés par la pureté de leur doctrine, l’exactitude de leur probité et la beauté de leurs coutumes, soit en ce qui concerne leur manière de se vêtir et leurs montures, soit en ce qui touche l’élévation des sentiments qu’ils apportent dans leurs assemblées et dans l’assignation des rangs, ainsi que dans le choix des aliments et des boissons. Joignez à cela qu’ils sont doués du caractère le plus aimable, des qualités les plus dignes d’éloges, et que jamais Cordoue ne manqua de savants illustres ni de personnages distingués.

Quant aux négociants, ils possèdent des richesses considérables, des ameublements somptueux, de beaux chevaux, et ils ne sont mus que par une noble ambition.

Cordoue se compose de cinq villes contiguës les unes aux autres, entourées chacune en particulier de murailles et possédant en quantité suffisante des marchés ouverts, des marchés fermés, des bains et des édifices pour toutes les professions.

La ville s’étend en longueur de l’occident à l’orient, sur un espace de trois milles. Quant à sa largeur, depuis la porte du pont jusqu’à celle des Juifs, située vers le nord, on compte un mille. Elle est bâtie au pied d’une montagne qu’on appelle la montagne de la Nouvelle Epouse (jabal al ‘arous). C’est dans le quartier central que se trouvent la porte du pont et la grande mosquée qui, parmi les mosquées musulmanes, n’a pas sa pareille, tant sous le rapport de l’architecture et de la grandeur des dimensions, que sous celui des ornements.

La longueur de cet édifice est de 100 toises (380 mètres) et sa largeur de 80 toises (304 mètres). Une moitié est couverte d’un toit, l’autre est à ciel ouvert. Le nombre des nefs couvertes est de dix-neuf. On y remarque des colonnes (je veux dire des piliers chacun portant un cintre qui s’étend d’une colonne à l’autre en face), grandes et petites. En y comprenant celles qui soutiennent la grande coupole, elles sont au nombre de mille.

On compte dans cette mosquée cent-treize candélabres destinés à l’illumination. Le plus grand de ces candélabres supporte mille lampes, et le moindre douze.

La charpente supérieure de cet édifice se compose de pièces de bois fixées au moyen de clous sur les solives de la toiture. Ces bois proviennent des énormes pins de Tarsus. La dimension de chaque pin est, à savoir : en épaisseur, sur une face, d’un grand choubra (de 9 à 10 pouces ou 25 cm) ; sur l’autre face, d’un choubra moins 3 doigts (de 8 à 9 pouces ou 20 cm) ; et en longueur, de 87 choubras (environ 20 pieds 3 pouces environ 4m). Entre une solive et l’autre il existe un intervalle égal à l’épaisseur d’une solive.

La charpente dont je parle est entièrement plate et revêtue de divers ornements hexagones ou treillages ; c’est ce qu’on appelle chatons, cercles ou peintures.

Ils ne sont point semblables les uns aux autres, mais chaque charpente forme un tout complet sous le rapport des ornements qui sont du meilleur goût et des couleurs les plus brillantes.

On y a employé en effet le rouge de cinabre, le rouge orangé, le blanc de céruse, le bleu lapis, le vert de gris, le noir d’antimoine ; le tout réjouit la vue à cause de la pureté des dessins, de la variété et de l’heureuse combinaison des couleurs.

La largeur du pavé de chaque arcade cintrée est de 33 choubras (environ 23 pieds 11 pouces ou un peu moins de 5m). La distance qui sépare une colonne de l’autre est de 15 choubras (11 pieds 3 pouces environ un peu plus de 2m).

Chaque colonne s’élève sur un piédestal en marbre et est surmontée d’un chapiteau de même matière.

Les entrecolonnements consistent en arceaux d’un style admirable au-dessus desquels s’élèvent d’autres arceaux portant sur des pierres de taille très dures ; le tout est recouvert en chaux et en plâtre, et disposé en compartiments ronds et en relief exécutés en mosaïques de couleur rouge. Au-dessous (et dans l’intérieur) des arceaux sont des ceintures en bois, contenant (inscrits) divers versets du Qur’an.

La Qiblah de cette mosquée est d’une beauté et d’une élégance impossibles à décrire, et d’une solidité qui dépasse tout ce que l’intelligence humaine peut concevoir de plus parfait. Elle est entièrement couverte d’émaux dorés et coloriés envoyés en grande partie par l’empereur de Constantinople à ‘AbderRahmane Nasr- ad-Dinoullah l’Omeyyade.

De ce côté, je veux dire du côté du sanctuaire du Mihrab, il y a 7 arcades soutenues par des colonnes ; chacune de ces arcades se fait remarquer par une délicatesse d’ornements supérieure à tout ce que l’art des Grecs et des Musulmans a produit en ce genre de plus exquis. Au-dessus de chacune d’elles sont des inscriptions encastrées dans des cartouches formés d’émaux dorés sur un fond bleu d’azur. La partie inférieure est ornée d’inscriptions semblables, c’est-à-dire composées d’émaux dorés sur un fond d’azur. La surface même du Mihrab est revêtue d’ornements et de peintures variées.

Sur les côtés sont quatre colonnes dont deux sont vertes et deux jaunes d’or d’une inestimable valeur. Au-dessus du sanctuaire est une coupole en marbre d’un seul bloc, ciselée, sculptée et enrichie d’admirables ornements d’or, d’azur et d’autres couleurs ; tout autour règne un encadrement en bois orné de précieuses peintures.

A droite du Mihrab est le Minbar (ou chaire à prêche) qui n’a pas sa pareille dans tout l’univers. Elle est en ébène, en bois et en bois de senteur. Les annales des califes omeyades rapportent qu’on travailla à la sculpture et à la peinture de ce bois durant sept ans ; que six ouvriers, indépendamment de leurs aides, y furent employés, et que chacun de ces ouvriers recevait par jour un demi-mithqal mahmoudi d’or.

Au nord est un édifice contenant quantité de vases d’or et d’argent destinés à l’illumination de la nuit du 27 du mois de Ramadan.

On voit dans ce trésor un exemplaire du Qur’an que deux hommes peuvent à peine soulever à cause de son poids, et dont quatre feuillets sont écrits de la main de ‘Uthman Ibn ‘d’Affan (qu’Allah soit satisfait de lui) ; on y remarque plusieurs gouttes de son sang. Cet exemplaire est extrait du trésor tous les vendredis. Deux d’entre les gardiens de la mosquée, précédés d’un troisième portant un flambeau, sont chargés du soin d’apporter l’exemplaire renfermé dans un étui enrichi de peintures et d’ornements du travail le plus délicat. Une place particulière (littéral, un trône) lui est réservée dans l’oratoire. L’Imam, après avoir lu la moitié d’une section du Qur’an, le remet à cette place.

A droite du Mihrab et de la tribune est une porte servant à la communication entre la mosquée et le palais (al-qasr) et donnant sur un corridor pratique entre deux murailles percées de huit portes, dont quatre s’ouvrent du côté du palais et quatre du côté de la mosquée.

Cet édifice a vingt portes recouvertes de lames de cuivre et d’étoiles de même métal. Chacune de ces portes tourne sur deux gonds très solides ; les murs qui leur font face sont ornés de mosaïques travaillées avec art en terre cuite rouge et formant divers motifs.

Les parties extérieures des ouvertures ou des fenêtres qui règnent tout autour et au haut de l’édifice pour donner passage à la lumière, et l’intérieur (de ces fenêtres) sont soutenus jusqu’au plafond de la toiture par des entablements de marbre dont la longueur est d’une toise, la largeur de 36 pouces et l’épaisseur de 4 doigts. Tous ces entablements sont travaillés en hexagones et en octogones sculptés, taillés en creux de diverses manières, de sorte qu’ils ne se ressemblent point entre eux.

Au nord de la mosquée, il existe une tour dont la construction est singulière, le travail curieux et la forme d’une beauté rare. Elle s’élève dans les airs à une hauteur de 100 coudées (45m). De la base au balcon où se place le muezzin (celui qui appelle à la prière) on compte 80 coudées (40m), et de là jusqu’au sommet de la tour 20 coudées (9m). On monte au haut de ce minaret au moyen de deux escaliers dont l’un est situé à l’ouest et l’autre à l’est de l’édifice, de sorte que deux personnes parties chacune de son côté du pied de la tour et se dirigeant vers son sommet, ne se rejoignent que lorsqu’elles y sont parvenues. La façade de cet édifice se compose de pierres dures jointes ensemble, et revêtues, à partir du sol jusqu’au sommet de la tour, de beaux ornements, produits des divers arts de la dorure, de l’écriture et de la peinture.

Sur les quatre côtés de la tour règnent deux rangs d’arcades reposant sur des colonnes du plus beau marbre. Le nombre des colonnes existantes dans l’intérieur ou à l’extérieur de l’édifice s’élève à trois-cents en y comprenant les grandes et les petites.

En haut est un pavillon avec quatre portes destiné au logement des muezzins qui doivent y passer la nuit. Ces muezzins sont au nombre de seize employés chacun à son tour, de telle sorte qu’il y en a toujours deux de service par jour. Au-dessus de la coupole qui couvre ce pavillon on voit trois boules d’or et deux d’argent. La plus grande de ces boules pèse 60 rotls (ou livres de l’espèce de celles dont on se sert pour le pesage de l’huile). Le nombre total des personnes attachées au service de la mosquée est de soixante. Elles sont sous l’inspection d’un intendant chargé de veiller à leurs intérêts. Lorsque l’Imam a commis quelque faute ou négligence, il ne fait point ses invocations avant le Taslim, mais bien après.

A l’époque où nous écrivons le présent ouvrage, la ville de Cordoue a été écrasée sous la moule du moulin de la discorde ; les rigueurs de la fortune ont changé sa situation, et ses habitants ont éprouvé de très grands malheurs, en sorte que sa population actuelle est peu considérable. Il n’est pas (cependant) de ville plus célèbre dans toute l’Andalousie.

 

On voit à Cordoue un pont qui surpasse tous les autres en beauté et en solidité de construction. Il se compose de dix-sept arches. La largeur de chaque pile et celle de chaque arche même est de 50 choubras (environ 44 pieds 3 pouces ou 14m). Ce pont est couvert de tous côtés de parapets qui s’élèvent à hauteur d’homme.

La hauteur du pont, à partir du plancher sur lequel on marche, jusqu’au niveau des plus basses eaux dans les temps de sécheresse, est de trente coudées. Lors des fortes crues, l’eau atteint à peu près à la hauteur des ouvertures.

En aval du pont et au travers de la rivière est une digue construite en pierres de l’espèce de celles dites Qoubtiyah et portant sur de solides piliers de marbre. Au-dessus de cette digue sont trois édifices contenant chacun quatre moulins. En somme la beauté et la «grandeur (des édifices) de Cordoue sont au-dessus de tout ce qu’il est possible d’imaginer.

 

 

Az-Zahirah

 

Cette dernière ville subsiste encore avec ses murailles et les vestiges de ses palais habités par un petit nombre d’individus et de familles. C’est une ville considérable bâtie en étages (littéralement ville sur ville), en sorte que la ville supérieure est parallèle (ou correspond) à celle du milieu, et celle-ci à l’inférieure.

Toutes sont entourées de murs. Dans la partie supérieure il existait un château dont il est impossible de donner la description. Dans la partie moyenne étaient des jardins et des vergers, en bas les maisons et la grande mosquée. Mais cette ville est en ruines et en état de décadence.